Mes Parents sont un peu bizarres

Mes Parents sont un peu bizarres
François David, Guridi
CotCotCot éditions, 2021

Un chien pour garder les boutons

Par Anne-Marie Mercier

L’enfant à bouille toute ronde qui ouvre de grands yeux sur la bizarrerie de ses parents s’interroge essentiellement sur des malentendus linguistiques  : « mouche », désigne-t-il un insecte ou ce qu’on fait avec un mouchoir ? « course » signifie-t-il avance rapide ou marche lente avec un panier ? la « glace » de la salle de bains va-t-elle fondre ? faut-il traiter autrement les souris de l’ordinateur et celles qui mangent du fromage ?

Enfin, comment convaincre ses parents d’avoir un chien ?

Les incompréhensions quotidiennes ou exceptionnelles sont ici mises en scène avec humour. On retrouve un peu de la veine de Motordu, mis à la disposition des plus jeunes.

Azul

Azul
Antonio Da Silva
Le Rouergue (épik), 2021

Vertiges peints

Par Anne-Marie Mercier

La littérature de jeunesse se montre souvent en recherche de légitimité, et on ne saurait lui reprocher de vouloir transmettre aux jeunes lecteurs, en plus du plaisir de la lecture et de l’accès à des textes bien construits et bien écrits, de la culture.
Azul semble vouloir remplir ce contrat par son sujet même : Miguel, un jeune lisboète, a le pouvoir d’entrer dans les œuvres des peintres, et même de les corriger, un peu à la manière de Pierre Bayard qui proposait d’améliorer certains chefs d’œuvres littéraires. Il s’agit de retoucher les faiblesses que l’on peut trouver dans de grands tableaux : une cheminée mal orientée chez Van Gogh, la joue d’une infante couverte d’une tache chez Velasquez…
Il s’y promène, glisse sur la neige de Brueghel, se fait des amis. Régulièrement il rencontre dans les toiles une jeune fille mystérieuse, April, qui vit à Londres et qui semble avoir le même pouvoir que lui ; une histoire d’amour s’élabore mais est vite concurrencée par des mystères inquiétants et le roman éducatif puis sentimental laisse la place au thriller, relayé parfois par une enquête policière. April est en danger et des personnages de peintures célèbres, comme La Joconde, sont maltraités. Pendant ce temps il se passe des choses inquiétantes dans la pension où vivent Miguel, Amalia qui l’aime, et Maria qui les a recueillis avec d’autres enfants. Lisbonne est frappée par un tremblement de terre, un ouragan, un incendie… Enfin, le monstre sanguinaire débarque dans la réalité de Miguel, et April et Amalia se rencontrent, que de rebondissements !
La parole est donnée, dans un même chapitre, tantôt à Miguel, tantôt à un narrateur extérieur  premier vertige. Certains chapitres intercalés présentent la vie d’un artiste de rue de Lisbonne, Franck Rio, en révolte avec les institutions, génie devenu faussaire et voleur de tableaux (le vol de la fondation Gulbenkian, c’est lui) et l’on ne comprend que tard le lien entre toutes ces histoires. La brièveté des chapitres, les sauts permanents d’une œuvre à une autre, le mélange des deux niveaux de réalité dans la vie de Miguel et sa rencontre avec la vie de Frank Rio, tout cela fait beaucoup et l’on est un peu étourdi par ces accumulations.
Ainsi, la culture ici n’a rien de facile. Pour le lecteur comme pour Miguel, entrer dans l’art demande un effort, et si pour le héros on n’en sort qu’au prix d’une souffrance, on ne peut dire ce qu’il en sera pour les différents lecteurs.

Comment lire de vieux textes avec de jeunes élèves ?

Comment lire de vieux textes avec de jeunes élèves ? et autres questions piquantes pour profs de lettres
Sarah Alami
Tsarines (« c’est comme ça qu’on s’en sort »), 2021

« Questions piquantes pour profs de lettres »

Par Anne-Marie Mercier

Malgré le titre, il ne s’agit pas de littérature de jeunesse – à moins de considérer comme Anne-Marie Chartier que toute œuvre lue essentiellement par des jeunes peut être considérée comme telle. Les jeunes lecteurs en question sont des élèves de seconde. Les textes sont pour l’essentiel Phèdre, de Racine, des poèmes de la Renaissance (des blasons), Madame Bovary et Les Lettres persanes. Mais il est question tout au long de faire lire des jeunes gens qui lisent peu et de savoir comment rendre des classiques accessibles.
L’initiative des éditions Tsarine avec leur collection au nom évocateur (« c’est comme ça qu’on s’en sort ») est bien venue : il s’agit de proposer aux enseignants un lieu d’échanges et un support pour pérenniser leurs réussites, donner une seconde vie à ce qui pourrait, sinon, n’être une « performance » éphémère, née de nombreuses heures de réflexion et de travail, et condamnée à ne durer que quelques semaines. Certes, on peut dire qu’un cours réussi a une durée longue s’il arrive à semer chez les élèves quelque chose, mais comment savoir ?

L’ouvrage développe toutes ces questions.
Comment étudier un classique sans s’ennuyer en classe ?
Comment lire de vieux textes avec de jeunes élèves ?
Comment lire de gros livres ?
Comment se mettre dans la peau d’un auteur ?
Comment enseigner l’autonomie ?

Le livre est élégant, joliment mis en page et illustré de manière originale avec des vignettes évoquant la technique des bois gravés. Il se présente un peu comme un manuel, avec des encadrés, des prolongements. On aurait cependant tort de le prendre comme tel et de proposer à une même classe toutes les séquences proposées : la présence insistante du féminin et de la question de l’adultère ainsi que la hardiesse de certaines propositions (comme l’analyse de la scène du fiacre de Flaubert qui semble avoir quelque peu secoué les élèves) sont à prendre avec un peu de distance. De manière générale, un bon cours (à mon avis) n’est jamais issu d’un cours élaboré par quelqu’un d’autre, mais il est bon de chercher des idées et de voir ce que des collègues qui se sont heurtés aux mêmes difficultés ont inventé, car il s’agit bien ici de création.
Toutes les idées sont intéressantes et ambitieuses et proposent des réponses subtiles à des questions complexes, comme celles de l’enseignement (ou pas) de l’histoire littéraire, de la lecture (ou pas) des œuvres intégrales, du chemin de l’élève vers l’autonomie, etc. On voit d’ailleurs incidemment que l’auteure ne se contente pas de « vieux » textes, mais fait découvrir de nombreuses œuvres contemporaines à ses élèves et qu’elle associe les  textes aux autres arts. Elle met en pratique ce qu’on appelle des « dispositifs » intéressants, invite ses élèves à participer à des ateliers, à des débats littéraires, à mettre en scène et en voix.
Ce livre fourmille d’idées et a le grand mérite de ne pas s’abriter derrière des faux-semblants (j’ai beaucoup aimé ce qui concerne l’œuvre intégrale et l’hypocrisie fréquente qui consiste à faire comme si tous les élèves allaient vraiment lire le texte en entier ou avaient lu le texte en entier). Il est aussi bien écrit, alerte, souvent « piquant » comme l’indique le titre,  drôle, bien informé et savant, et surtout et très honnête. On a le plaisir de suivre les tâtonnements d’une enseignante passionnée par la littérature qui tente, avec succès semble-t-il, de faire partager cette passion.

Si vous allez sur le site, un conseil: faites descendre un peu l’ascenseur pour accéder au contenu et ne pas rester bloqué sur l’image, fort jolie au demeurant.

Pénélope, Athéna, monstres : Faut-il réécrire la mythologie?

Pénélope, la femme aux mille ruses
Athéna la combative
Isabelle Pandazopoulos
Gallimard jeunesse, 2021

Monstres et créatures de la mythologie
Françoise Rachmuhl
Flammarion jeunesse, 2020

Héroines versus déesses ou Faut-il réécrire la mythologie?

Par Anne-Marie Mercier

Après avoir romancé la mythologie au masculin (Jason, Rama…) , l’autrice la féminise et met au premier plan des femmes. Ce qui est assez naturel avec Athena l’est moins avec Pénélope, placée en général dans l’ombre de son époux, ou au service de son fils, dont les vertus sont plutôt celles traditionnellement réservées aux femmes, patience, chasteté et fidélité.
Bizarrement c’est le roman consacré à Pénélope qui est le plus réussi, avec l’invention de son enfance, de son coup de foudre pour Ulysse et quelques aménagements avec la tradition : la ruse de Palamède pour faire venir Ulysse à Troie, les raisons qui poussent Pénélope à retarder le moment où elle reconnait Ulysse sont autant de petites entorses au mythe, permettant la romance et la vraisemblance.
En revanche, Athéna perd par son entrée dans le genre romanesque son statut de déesse mystérieuse. Elle est peinte sous les traits d’une gentille adolescente et son frère Arès d’un horrible voyou ; elle est pétrie de mauvaise conscience lorsqu’elle punit Arachné, enfin, elle n’a plus rien de divin : est-ce une idée intéressante ?  Non, comme l’affirmait Queneau dans « Le voyage en Grèce ».

Monstres et créatures de la mythologie
Françoise Rachmuhl

Laissons donc les mythes au mythe, les jeunes lecteurs ne seront pas plus en difficulté  et cela n’empêche pas non plus de faire du neuf. Ainsi, Françoise Rachmuhl réussit le tour de force de présenter des êtres bien connus de manière neuve, sans les dénaturer : pris individuellement regardés sous un autre angle, le Sphinx, Méduse et Polyphème, pour ne citer que les plus connus, prennent corps et coeur pour nous émerveiller encore dans des récits vifs et drôles, bien écrits, ou l’on sent un véritable auteur.

Enfin, quitte à rééécrire et à donner de nouveaux visages aux mythes, je préfère le visage de Méduse, vu par  François Roca, aux visages donnés à Athéna et Pénélope, proches de l’esthétique des mangas.

Dans sa postface, Françoise Rachmuhl explique bien son propos :
« La difficulté, dans les récits d’aventures très connus, a été de varier l’angle d’attaque. Je n’aime pas me répéter lorsqu’il s’agit d’Héraclès ou  d’Ulysse. J’ai découvert ainsi la variété des monstres  et leur rôle envers l’être humain : incarner nos peurs, percevoir le monstrueux dans la nature et dans l’homme, au fil du temps, et découvrir aussi que, parfois, le monstre n’est pas si monstrueux, et qu’il éprouve parfois des sentiments aussi humains que les nôtres. »

Balto, t. II : Les Gardiens de nulle part

Balto, t. II : Les Gardiens de nulle part
Jean-Michel Payet
L’école des loisirs (medium), 2021

Polar historico populaire chez les Ruskofs

Par Anne-Marie Mercier

Placé sous le patronage de Gustave Lerouge (ou Le Rouge), voilà un beau roman populaire du XIXe siècle, situé dans les années 1920 et écrit XXIe siècle. On y retrouve  des ingrédients classiques, déjà présents dans le premier volume (Le Dernier des Valets-de-coeur) : le personnage de l’orphelin, de l’enfant adopté (multiplié ici par le nombre d’adolescents du même orphelinat poursuivis par un tueur au mobile mystérieux), le couple homme d’action – journaliste, le couple Belle et clochard, la quête des origines. Si le premier volume nous plongeait dans un mystère né de la guerre de 14-18, le second en évoque un autre, célèbre, celui du destin des derniers souverains de Russie.

Roman historique également, ce volume nous plonge aussi bien dans le milieu des Russes blancs exilés, au cœur de l’atelier de Coco Chanel, rue Cambon, avec son annexe de broderies Kimir, et dans le milieu de la galerie du marchand d’art Kahnweiler, mais aussi dans le monde des « barrières », la banlieue de Paris au-delà des « fortif’ » où Blato vit dans une roulotte – comme beaucoup de ses amis.
C’est aussi un roman policier rondement mené, avec un couple mixte (garçon et fille) de jeunes détectives et un policier sourcilleux, presque un roman sentimental (le cœur de Balto est le lieu d’émois et d’hésitations propres au roman d’initiation, mais reste très chaste). Tout cela est parfaitement organisé, entrelacé et écrit : passionnant.

Esprit es-tu là ?

Esprit es-tu là ?
Dominique Erhard, Anne-Florence Lemasson
Les grandes personnes, 2021

Grands esprits pour petits (et grands) enfants

Par Anne-Marie Mercier

Les petites poupées mangeuses de chagrins que l’on met sous l’oreiller pour se réveiller serein sont proches de ces poupées Kachiwas en bois, réalisées par les Indiens Pueblos du Nouveau-Mexique pour leurs enfants. Elles incarnent des esprits élémentaires qui vont les protéger et les guider.
Dominique Erhard et Anne-Florence Lemasson nous livrent des poupées de papier à travers ce livre pop-up qui en s’ouvrant fait naître ces êtres totémiques. Superbement agencé, ce dispositif crée de belles figures, chacune accompagnée d’un texte qui lui donne la parole.

Face à toutes les terreurs, se dressent ces esprits bienveillants qui vont rassurer l’enfant (et pourquoi pas l’adulte ?). Il y en a un pour chaque circonstance :

Contre la peur du noir : Mongwu le hibou
pour calmer la colère : Hemis la pluie,
contre la timidité : Kwahu l’aigle,
contre la tristesse : Sowi Ingwa le cerf,
et pour célébrer la joie : Tawa le soleil !

De quoi bien s’assurer que l’année sera bonne !

Regarder l’animation sur le site de l’éditeur

Si tu pouvais décrocher la lune

Si tu pouvais décrocher la lune
Simon Priem
motus (mouchoirs de poche), 2019

Rêverie géométrico-astronomique, et poétique

Par Anne-Marie Mercier

« Décrocher la lune », c’est un beau rêve, mais imaginons que cela soir possible et que ce petit ballon gibbeux gris soit entre nos mains, comme dans celles de ce petit bonhomme.

Rouge sur la couverture, il est blanc à l’intérieur du livre et jongle avec la lune sur le fond noir des pages. Ce personnage, fait de formes géométriques de tangram, se transforme au fil du livre :  bateau de papier, oiseau, maison, chaise…
Les sept formes semblent pouvoir se combiner à l’infini pour ouvrir tous les possibles de ce jeu et du rêve lunaire.

Mes Chants de Noël

Mes Chants de Noël
Elsa Fouquier (ill.)
Gallimard jeunesse, (mes petits imagiers sonores), 2021

Noël tradi

Par Anne-Marie Mercier

Ce petit album cartonné semble donner dans la plus grande tradition (mais l’originalité n’est pas vraiment un ingrédient pour Noël).
Cependant on trouve quelques points qui surprennent heureusement :  les airs très connus de « Petit papa Noël », « Mon beau sapin », et de « Vive le vent » sont accompagnés de ceux, plus rares, du « Noël russe » et de « Une fleur m’a dit », moins connus. Si les illustrations n’ont pour la plupart rien de très original, montrant un père Noël, des traineaux, des sapins et des petits rennes qui semblent sortis d’un dessin animé aux couleurs de Noël, elles se libèrent un peu à la fin du livre, comme si l’illustratrice, après être passée par les étapes obligées, s’était octroyé un peu d’espace.
Quant au dispositif bien connu de musiques actionnées en appuyant sur une pastille, il est renouvelé avec une double page de « cherche et trouve » où les sons et les images sont à associer.

Diogenes, homo et canis – Diogène, l’homme-chien

Diogenes, homo et canis – Diogène, l’homme-chien
Yan Marchand, Vincent Sorel (ill.)
traduction (vers le latin) de Delphine Meunier
Les petits Platons, 2021

Philosophie pour la jeunesse

Par Anne-Marie Mercier

J’avoue que je n’ai lu que la deuxième moitié de cet ouvrage bilingue, la première partie étant en latin et mes souvenirs de cette langue étant trop fragmentaires. Mais j’ai regardé tout le livre : les nombreuses illustrations comiques et colorées de Vincent Sorel sont un régal et s’étendent largement dans le premier texte, tandis qu’elles figurent en marge du deuxième, différentes et également savoureuses.
Le texte met le personnage de Diogène à portée des jeunes lecteurs en leur proposant un héros qui leur ressemble, un tout jeune homme débarquant à Athènes pour y découvrir la philosophie. Il s’ennuie à l’école de Platon, mais est séduit par un personnage étrange qui l‘entraine à sa suite et lui fait découvrir une autre manière de penser et surtout de vivre.
Initiation, indépendance, prise de risque, que d’aventures philosophiques ! Quant à ce qui se passe quand le père du jeune homme apprend ce qu’il fait de ses études et de son argent, nous vous laissons le découvrir.
Ce livre a connu une première édition, en 2011.

L’Affaire du doudou perdu

L’Affaire du doudou perdu
André Bouchard
Seuil jeunesse, 2021

Mini Sherlock Holmes pour une grande énigme

Par Anne-Marie Mercier

Une bande d’amis aide Paul à chercher son ourson en peluche préféré, autrement dit son doudou, qu’il a perdu. Il est forcément dans la chambre, l’enquête est limitée à cet espace, mais que de possibles !
– Une rencontre avec le Monstre Du Lit (sous le lit),
– ou avec une Couette des neiges, une horrible créature qui hante le pays des rêves,
– ou avec le Père Noël,
– une fugue,
– l’arrivée de ses parents venus le chercher,
– ou de Malefikas, qui enlève les doudous la nuit et les enchaine à des ordinateurs pour qu’ils fassent des additions et des soustractions afin de  « faire tourner l’économie »…
Le ton des dialogues est très drôle, ces jeunes détectives prenant la chose très au sérieux et acceptant gravement toutes les hypothèses.
Les dessins montrent chacune de ces situations pour faire un peu peur mais pas trop, ou pour réaliser des situations cocasses (les parents de Paul ouvrant leur porte à un couple d’ours sans se rendre compte que ce sont des ours (et encore moins les parents du doudou…), des cow-boys capturant une commode à pattes, etc. Certains personnages, et certains détails sont mis en belles en couleurs, ressortant sur le reste de l’image, dessiné à la plume.

Voir quelques images et les autres énigmes proposées par André Bouchard au Seuil.