La Nuit est notre amie

La Nuit est notre amie

Zina Modiano – Caroline Péron

Gallimard Jeunesse 2025

Si, par une nuit d’hiver, deux enfants…

Par Michel Driol

Deux enfants malicieux refusent que la nuit entre dans leur chambre, et l’accusent d’être noire, froide, et méchante. Attristée, la nuit se met à pleurer des larmes qui se transforment en flocons de neige. Emerveillés par ce spectacle, les deux enfants demandent à la nuit d’entrer.

 Cet album poétique entend rassurer les enfants qui ont souvent peur de la nuit, d’abord en la personnifiant. Elle devient un personnage à part entière, dotée de sentiments, au milieu d’un monde dans lequel le jour, la lune deviennent des entités mythologiques, qui ont leur propre sociabilité. Si elle est bien noire et froide, car elle vit dehors, la nuit n’est pas méchante. Elle s’avère sensible et désireuse d’être l’amie des enfants, à qui elle promet de beaux rêves. Poète, la nuit sublime sa tristesse pour en faire le plus beau des spectacles, celui de la neige luisant sous les étoiles. Avec beaucoup de douceur et de légèreté, le texte évoque cet instant de basculement entre le jour et la nuit, entre le noir de la nuit et le blanc de la neige, entre le refus de la nuit et son acceptation.

Les illustrations, toutes en ondulations, en courbes, contribuent à créer cette atmosphère de douceur. Réalisées au crayon de couleur, dans des dominantes bleues réchauffées par des touches de rose et d’oranger, elles donnent à voir une nuit calme, mais pleine de la vie d’animaux sauvages. Il s’en dégage une grande sérénité propre à lutter contre la peur du noir et de l’inconnu.

Longtemps, je me suis couché de bonne heure… Un album qui revisite l’instant du coucher, inscrivant celui-ci dans un cycle immuable, celui de l’alternance entre le jour et la nuit, comme pour dire qu’il faut accepter ce moment, ne pas en avoir peur, mais l’accueillir avec confiance pour laisser place aux rêves.

Dans ma petite maison

Dans ma petite maison
Suzie Morgenstern / Charlotte Pirotais
Gallimard Jeunesse – Enfance en poésie – 2025

Le poème comme une maison de mots

Par Michel Driol

10 poèmes dont les titres sont des éléments bien connus des maisons : lit, chaise, toilettes, table, étagère, commode, coffre, fauteuil, bureau, lampe. Poèmes tantôt en je, tantôt en tu, tantôt en il/elle, poèmes qui inscrivent en creux la figure d’un enfant dans un univers familier, un enfant curieux, joueur, rêveur, émerveillé par le monde.

Des textes pleins d’humour et souvent inattendus. Légèrement transgressifs, comme celui qui est adressé aux toilettes, proclamant l’utilité des objets, énumérant leurs contenus,  évoquant la famille ou les amis. Des textes qui parfois donnent la parole aux objets, qui effectuent un parcours qui va du lit  à la lampe qu’on éteint avant de faire de beaux rêves. On y croise les livres, objets familiers qu’on range sur les étagères ou, objets insolites dont on découvre l’existence dans le coffre à jouets. On y rencontre aussi, autour de la table, toute une famille élargie aux amis. Paradoxalement, on y joue peu, sauf avec les mots que les rimes apparient, de façon parfois cocasse : caca et délicat, bébé et mémé, parfois plus classiquement : nuage et voyage. La rime est l’occasion de voir que dans la réalité, la table ne rentre pas dans le cartable, alors qu’il en va différemment avec les mots.

Chaque poème occupe une page, illustrée dans un style enfantin et coloré par Charlotte Pirotais, qui mêle objets, enfants et animaux de joyeuses farandoles, entrainant dans un univers de fantaisie bien en harmonie avec les poèmes. Pour les plus grands, signalons aussi la préface de Guy Goffette qui invite à pousser la porte de la poésie pour faire exister ce qui n’existe que par les mots.

Un recueil qui montre – sans chichis –  que tout peut être mis en mots, pour peu qu’on s’intéresse aux objets et qu’on les regarde avec attention.

De moi à toi

De moi à toi
Julia Billet – Nadège Baumann
Editions du pourquoi pas ?? 2025

C’est un jardin extraordinaire…

Par Michel Driol

Un après-midi de pluie au jardin, au milieu ders bruits de la pluie ou de la poule, une petite fille entend quelque chose. Le bruit de la chute d’une girafe, qu’elle s’empresse de consoler. Commence alors un jeu de cache cache, puis un gouter qu’on partage.

L’ouvrage s’adresse aux plus jeunes. On retrouve ici un enchainement de schèmes d’action bien connus dès l’enfance : jouer, consoler, faire un câlin, gouter. A ceci près qu’on passe vite dans l’imaginaire avec la rencontre avec la girafe, animal assez incongru dans un jardin. Mais qu’à cela ne tienne ! Dans les albums, tout est possible ! Le texte est particulièrement travaillé : assonances et allitérations bien marquées, rimes, onomatopées donnent à entendre une langue à la poésie simple et accessible. Une autre de ses particularités est d’être écrit à la seconde personne du singulier. Ce n’est pas la fillette qui parle, c’est à elle que l’on parle, à elle, mais aussi, forcément, au lecteur à qui un adulte lit le livre, façon d’identifier le personnage et le destinataire de l’album.  Dès lors, le texte se fait invitation, invitation à écouter les bruits de la nature, invitation à regarder,  invitation à consoler par les mots, invitation à jouer, invitation enfin à gouter, et surtout à partager son gouter.  Au plaisir de sens (l’ouïe, la vue, le toucher, le gout) s’ajoute le plaisir du partage et de la convivialité.

Chaque page de texte est suivie de deux pages d’illustrations. La première pleine page, tandis que la seconde, découpée en 7 ou 8 vignettes, attire l’attention sur des détails de la page précédente, qu’elle reproduit. Cela peut ainsi devenir un jeu de cherche et trouve. Si le texte n’évoque qu’une enfant et une girafe, les illustrations montrent un jardin peuplé d’enfants qui jouent, observent, de jeux, des dominos aux quilles, et surtout d’animaux, de la girafe du texte au serpent en passant par les poissons, ce jardin devient un véritable paradis dans lequel le soleil succède à la pluie.

Un album qui, à partir de situations simples, d’illustrations pleines de vie et de couleur, est une invitation à aller de soi vers l’autre, pour tout partager, bananes et cornichons, dans un grand mélange de plaisirs et de saveurs !

Le Musée des Générosités

Le Musée des Générosités
Laurence Gillot – Emma Morison
Editions du Pourquoi pas ?? 2025

Le gilet rouge

Par Michel Driol

Passant devant Idriss, un jeune garçon peu vêtu qui mendie avec sa mère et un bébé, Suzie lui donne son gilet car on vient de lui cacheter un pull neuf.  Quelques temps après, elle revoit les trois personnages, et se débrouille pour leur donner tout le contenu de sa tirelire.  Dix ans plus tard, le gilet rouge sera exposé au Musée des Générosités, et Idriss et Suzie se retrouvent.

Ce résumé rend compte de l’histoire vue par Suzie, alors que le texte, de façon polyphonique, fait alterner les points de vue des deux personnages. C’est ainsi que l’on apprend qu’Idriss est afghan, et qu’avec sa mère – professeur de français –  et sa petite sœur, ils se sont exilés après la mort de son père.

Cette histoire d’une rencontre, d’un mouvement de générosité vers l’autre entre deux êtres qui auraient pu ne jamais se voir montre l’importance des petits gestes, des petites actions à la portée de toutes et tous. S’y mêlent à la fois un côté très réaliste – dans le récit des vies, dans l’histoire d’Idriss, dans la peinture que fait Suzie de son milieu privilégié – et un aspect de conte de fée, de conte merveilleux, d’abord avec cet improbable Musée des Générosités, belle invention de l’autrice, musée dont on aimerait bien qu’il voie le jour pour garder trace de toutes les formes de solidarité, et ensuite dans le destin d’Idriss, devenu poète et chanteur, entre rap et slam, commençant à être connu.  C’est par un de ses textes qu’il rend hommage à la bonté de Suzie, dont il a découvert le prénom sur le gilet qu’elle lui a donné. Le poème d’Idriss et le texte de Laurence Gillot font voix dans la voix pour magnifier la force de ce lien ténu, devenu inoubliable.

Les lieux ont toute leur importance dans ce récit, en particulier deux musées, l’un d’art, que fréquente Suzie, avec notamment une statue symbolique de femme oiseau gigantesque, et le musée de la Générosité. Des musées, comme autant de lieux pour conserver des œuvres différentes, pour célébrer le beau sous toutes ses formes. L’art a toute sa place dans la vie des personnages : c’est la petite statue du chat oublié dans le gilet rouge qui devient objet transitionnel pour Idriss, c’est la musique pour Idriss, le dessin pour Suzie. Et, par le dessin ou la musique, les deux tentent de garder trace et de dire leur vécu, et cette rencontre marquante, bien que muette.

Très colorées, les illustrations d’Emma Morison font alterner, dans le cahier central, le regard sur les deux personnages, donnant à voir ce que fut la vie de famille heureuse d’Idriss en Afghanistan en contraste avec ce qu’elle est aujourd’hui, et tissent un motif floral lumineux– amplifiant  la décoration du gilet évoquée dans le texte, comme lien entre le don du gilet et le musée, entre les personnages, symbole d’une générosité qui prospère et tisse des liens.

Un récit optimiste à deux voix sobre et pudique qui évoque la solidarité, mais aussi la gratitude, l’accueil des migrants et le rôle de l’art dans nos vies…

Ouvre la porte de ta maison

Ouvre la porte de ta maison
Nathalie et Yves Marie Clément – Hélène Humbert
Editions du Pourquoi pas 2025

Pour accueillir l’autre

Par Michel Driol

Il faut les protéger, leur donner à manger, les réchauffer,  les réconforter, les dorloter… Qui donc ? des animaux qui cherchent un abri et, pour cela, le texte invite le lecteur –représenté par un oiseau –  à ouvrir la porte de sa maison, bien humaine.

On retrouve ici le thème de l’hospitalité, cher aux Editions du Pourquoi pas ??, mais à destination des plus petits à qui s’adresse cet album. D’abord par un univers animal, et c’est bien toute une ménagerie qui accueille les animaux cherchant un abri. Animaux marins, comme le beluga, animaux de la jungle, comme le singe, gros comme l’éléphant, ou petits comme la souris, les enfants prendront plaisir à retrouver ici les animaux qu’ils sont en train de découvrir dans la grande diversité de leurs espèces.  Le texte, le plus souvent rimé, répète la même structure autour des verbes d’action liés à l’accueil, en une sorte de randonnée poétique. Chacun fait quelque chose à sa mesure pour venir en aide à l’autre. De façon parfois cocasse : l’orang-outang cuisine un flan géant, de façon « réaliste », la souris donne des souliers riquiqui… Bref, le texte dans sa répétition sait ménager de drôles de surprises bien adaptés dans le ton et aux plus jeunes enfants. On songe ici aux nombreuses comptines animalières.

L’éditeur a pris le parti de séparer les pages de texte des pages d’illustrations, deux fois plus nombreuses, qui donnent à voir le texte précédent. Cela permet à la fois à l’enfant de se construire le film de l’histoire, puis de chercher, dans l’image, tous les animaux et toutes les actions évoquées. Pas d’anthropologisation à outrance. Les animaux sont représentés au naturel avec un accessoire humain : écharpe pour porter ses bébés pour maman ourse, instrument de musique, bonnet rendant bien compte de cet entre-deux imaginaire, entre animalité et humanité. Des illustrations très colorées, capables d’attirer l’œil, mais aussi montrant un joyeux pêle-mêle d’animaux fraternellement réunis autour d’une table bien garnie, ou tendrement enlacés pour dormir.

Parler des animaux pour parler des hommes, donner une belle leçon d’hospitalité et de solidarité, voilà des graines semées qui ne demandent qu’à germer pour apprendre, dès l’enfance, à ne pas stigmatiser l’autre.

Zouki et moi

Zouki et moi
Anjuna Boutan
Casterman 2025

Du pouvoir des doudous…

Par Michel Driol

Alors que tout va bien à la maison pour la narratrice, à l’école elle est seule, harcelée par les autres. Dans sa poche, son doudou, Zouki, que sa maman lui conseille de caresser lorsque cela ne va pas. Ce jour là, Zouki devenu géant l’emmène dans une forêt, magiquement sortie des graines qu’elle met dans sa poche. Elle découvre alors que celles qui la persécutent aussi peuvent être malheureuses.

Comment parler du harcèlement scolaire, de la cruauté des enfants les uns envers les autres, de leurs souffrances intimes, et leur permettre de mieux se comprendre, de mieux vivre ensemble ? Cet album participe à cette entreprise, en plaçant le lecteur dans le corps d’une fillette, au ventre noué. Cela passe bien sûr par le récit à la première personne, mais passe surtout par les illustrations, qui montrent, sous forme de caméra subjective, ce que voit la fillette, c’est-à-dire, pour la moitié de l’album, ses genoux, revêtus d’un pantalon de velours côtelé marron.  On l’image ainsi, tête baissée, prostrée, alors que les autres lui parlent, se moquant d’elle. Ce dispositif, permettant l’empathie par l’identification du lecteur à la fillette, est d’une grande efficacité, d’autant que le texte, incrusté dans l’image, sous forme de cadres, conforte avec force cette impression de doute, de peur, de dévalorisation, d’inquiétude.

La seconde partie de l’album conduit la fillette dans un monde enchanté, coloré, dans lequel elle livre à Zouki ses émotions, ses sentiments de façon très intime. En réponse, ce dernier l’invite surtout à regarder le monde qui l’entoure, c’est-à-dire à lever la tête, à ne pas seulement se regarder elle. Thérapeute, Zouki explique aussi que l’une des harceleuses est aussi malheureuse, et que cela est l’origine de sa cruauté, ce qui entrainera le mouvement de la narratrice vers elle.

Les illustrations proposent un monde aux couleurs très vives et expressives qui contrastent avec le noir de Zouki. Alors que le décor est planté, l’arrière-plan derrière les persécutrices est uni, dans des couleurs variées exprimant, avec finesse, les émotions de la narratrice.

Cet album très personnel sur le harcèlement scolaire a la sagesse de ne pas être donneur de leçons. Il suggère l’importance d’une vie intérieure, de l’imaginaire, la nécessité de se construire des univers dans lesquels on se sente à l’abri. Il montre la nécessité de sortir de soi, de sa poche, pour s’ouvrir au monde dans sa splendeur. Il dit aussi que la souffrance et le malheur sont souvent sources de violence. Mais il ne donne pas les clefs pour lutter contre ce mal être et cette violence. Dans une scène très forte, il oppose bien la cruauté et les remarques désobligeantes des harceleuses face au geste amical de la narratrice, soulignant ainsi ce qu’il faut de force mentale pour y résister.

Un album construit autour d’une héroïne touchante, qui trouve en elle les ressources pour oser résister à la cruauté des autres, et prendre conscience de la beauté du monde et de la vie.

La Graine inconnue

La Graine inconnue
Alain Serge Dzotap – Delphine Renon
Les Editions des éléphants 2025

La patience du jardinier

Par Michel Driol

Papa offre une graine à chacun des membres de la famille. Léo reçoit une graine inconnue. Chacun prend soin de sa graine, mais, alors que les trois autres plantes se développent, la sienne ne pousse pas… avant de donner naissance à la plus belle des fleurs !

Parlons d’abord des illustrations, qui animalisent les personnages de ce récit dont les mots ne portent pas trace de cette qualité. Ainsi Léo est-il un petit lion, dans une famille de lions qui se déplacent à quatre pattes, mais sont vêtus de pantalons et chemises. Quant à la sœur ainée, elle a les écouteurs près des oreilles ! Yeux humains grands ouverts, ces animaux sont très expressifs, dans des dessins colorés de facture plutôt naïve, au milieu d’un paysage tantôt très verdoyant, tantôt aux couleurs plus ocres. Paysage utopique, ni européen, ni africain. Universel.

Ce dont parle l’album, c’est bien sûr de la patience, de la persévérance, et des rythmes différents nécessaires pour que chacun puisse grandir. Leçon de vie que reçoit ce petit lion dont les bons soins, la constance, sont amplement récompensés. Apprendre à donner du temps au temps, à ne pas vouloir tout tout de suite, à ne pas se décourager, voilà bien sûr le message de cet album, écrit dans la langue d’un conteur.  Un conteur qui prend plaisir à répéter les formules «  C’est toujours comme ça quand… », un conteur qui use des onomatopées « floc, floc, floc », un conteur qui se fait poète lorsque Léo évoque la beauté de la vie, un conteur gourmand qui termine son récit en faisant déguster à ses personnages un plat de pili pili…

Le texte plein de tendresse d’un auteur qui a toujours un pied en Afrique, un autre en Europe, qui met en scène une famille d’animaux unis, pour donner à toutes et tous des leçons de sagesse, et apprendre à nos contemporains, trop pressés, à respecter le temps.

Barabal Skaw

Barabal Skaw
Benjamin Desmares
Rouergue 2025

Les maitres du monde

Par Michel Driol

Avec un tel prénom, voilà une héroïne de 17 ans qui ne manque pas de courage. Orpheline, écossaise, indomptable, cleptomane, c’est dans le bureau d’un psychologue qu’on fait sa connaissance. Elle n’a pu s’empêcher de voler une lettre bien compromettante à un lord haut placé lorsque ce dernier est venu visiter son école. Seule issue : l’envoyer – oh mystère ! – dans une école de luxe située au milieu de la mer Ionienne, à Mélanos. Mais rêve ou cauchemar ? car, après un éprouvant voyage dans un bateau de pêche à la morue breton, et donc un détour par l’Islande, la voilà débarquée dans un autre monde, dans une école où se côtoient les externes, locaux et les internes fortunés, dans une école bien étrange.

C’est d’abord un roman d’aventures, avec une héroïne – narratrice –  au caractère bien trempé, maligne, avec un réel don pour le vol et l’escamotage. Tous ces dons lui seront nécessaires pour découvrir les mystères de l’ile, et la raison pour laquelle on l’a envoyée à Mélanos. Passons sur les péripéties, nombreuses, mutinerie à bord du bateau de pêche, expéditions nocturnes pleines de danger, sauvetage miraculeux. Passons aussi sur les personnages, le récit révélant  les faux amis comme les alliés inattendus, et conduisant l’héroïne à revoir son jugement sur les autres. Passons enfin sur la question des retrouvailles – ou pas – de l’héroïne avec ses parents. Car ce roman d’aventures plein de romanesque plonge le lecteur au cœur d’une ile qui s’avère bien plus qu’un simple point sur la carte, au sein d’une école aux cours étranges à destination des seuls externes et de Barabal. Cours de dessin, cours de méditation, cours d’hypnose, cours de bourdonnement… Après Poudlard, Mélanos ? Oui, et non. Oui, car il est bien question de magie, de pouvoirs occultes à apprendre à développer. Non, car cet univers n’est pas clos sur lui-même, mais place là les véritables maitres du monde, capables d’orienter à leur guise, et de façon souvent brutale, les décisions des hommes d’état, des journalistes qu’ils peuvent facilement contrôler.  Dès lors, le roman pose toute une série de questions au lecteur. Qui détient le pouvoir ? Les démocraties sont-elles une illusion face à une oligarchie ou une mafia capables de se reproduire, de protéger leurs intérêts ? Que signifie résister, et quelles peuvent être les formes et les dangers de cette résistance ? Sous couvert de magie, c’est bien de cela qu’il est question dans ce roman. Et si jamais le pouvoir se retrouvait concentré dans les mains de Barabal, qu’en ferait-elle ?

Ecrit à la première personne pour l’essentiel, le roman ménage pourtant quelques chapitres qui montrent une réalité que ne connait pas la narratrice. Chapitres courts, percutants, comme ce prologue dans lequel on voit un journaliste indépendant, prêt à révéler les agissements d’une organisation criminelle jeter ses propres enfants par la fenêtre, sans raison. Autant de chapitres qui suscitent l’intérêt du lecteur, en ménageant le suspense sur l’identité des interlocuteurs dans tel chapitre, sur le destin de Barabal dans tel autre…

Un roman d’aventure à l’intrigue solide, flirtant avec le fantastique, mais s’ancrant ben dans le réel, situé en 1926, dont l’héroïne attachante découvrira son histoire autant qu’elle révèlera des mystères quant à la marche du monde.

Le Trésor au bout de la branche

Le Trésor au bout de la branche
Didier Lévy – Marie Mignot
Sarbacane 2025

Un jeu de rôles…

Par Michel Driol

Frère et sœur, Gus et Lola décident de jouer au Loup et au Petit Chaperon Rouge. Mais qui pour faire le Loup ? Garçon ou fille ? Il faut aller demander à la Grande Louve. En attendant, le sort désigne le garçon, bien mécontent. C’est décidé, plutôt que d’être Chaperon Rouge, il sera chasseur avec une branche qui ressemble à un fusil. Bien inefficace face aux oiseaux ! Mais Lola montre que la branche peut devenir baguette de sourcier qui les entraine  sur une colline d’où ils peuvent enfin voir la Grande Louve et ses louveteaux. Après le gouter, les deux enfants échangent des parties de leurs costumes.

Nombreux sont les albums contemporains qui abordent la question du genre,. Celui-ci l’aborde justement à partir d’un jeu de rôles en revisitant, de surcroit, à différents niveaux le Petit Chaperon Rouge. Les deux personnages du conte sont-ils genrés ? Sans nul doute, pour le garçon. Mais pas pour la fille. Le loup est-il le méchant ou, comme ici, le Loup protecteur de la forêt et de la nature, dans la bouche de la fillette, la Grande Louve majestueuse et protectrice de ses louveteaux. On le voit, c’est la figure du loup qui est ici métamorphosée en un être positif, du côté de la nature, et non contre les humains. Par ailleurs, l’album montre un jeu qui n’a rien de figé, et dans lequel tout se transforme progressivement, au gré de l’imagination des enfants. Le Chaperon Rouge devient chasseur rouge, le bâton devient fusil puis baguette, et les deux enfants glissent progressivement vers des rôles moins marqués, allant jusqu’à devenir des êtres hybrides, mi loup, mi chaperon à la fin, façon de transcender ou d’abolir leurs différences. L’album pose et oppose aussi deux enfants. Le garçon, force de proposition du jeu au début, devient ronchon, bougon, c’est le texte qui le souligne, lorsqu’il perd au début, mécontent de son fusil-bâton, mais aussi souvent impressionné par sa sœur, par la nature : un personnage en nuances, mais moins valorisé par le texte que sa sœur. C’est elle qui mène le jeu, semble grandie aux yeux de son frère, s’avère plus fine et pleine de ressources que lui… Façon sans doute moins de montrer des stéréotypes masculin et féminin que de dire et d’affirmer les différences de perception, de caractère entre les deux pour aller vers l’alliance finale, la (ré)conciliation autour du gouter, la fascination pour la grande louve, ce que le texte souligne avec ces phrases en ils, où ils agissent de concert. Quant à la branche, titre de l’album, objet transitionnel dans l’album, elle finit parmi les collections de Gus, comme une manière de garder trace de cette expédition initiatique dans la forêt. Ajoutons non pas l’absence des parents, nécessaire pour que des enfants soient libres dans la forêt, mais la présence discrète d’un papa… aux fourneaux, d’une maman coupant du bois, autre façon de parler de la question des stéréotypes.

Les illustrations sont à la fois expressives et allant à l’essentiel.  Qu’on soit dans le joyeux désordre de la chambre, dans la cuisine bien rangée (ou pourtant, mystère, trône un hibou…), ou dans la forêt, le visage des enfants en dit long sur leurs émotions… Tout se joue en deux couleurs, le vert et le rouge, sur des fonds tantôt très blancs, tantôt très noir : noir du mystère, de l’inconnu, de la forêt au milieu duquel se détache dramatiquement le blanc des enfants, du ciel. Beau contraste et belles oppositions entre des couleurs qui , elles aussi, disent la complémentarité des genres.

Un album tout en nuances, pour évoquer avec douceur et à hauteur d’enfants qui jouent, se promènent, la question du genre, et pour montrer comment il est possible de se respecter et de partager ensemble des moments de plaisir et de joie, dans l’harmonie.

 

Un  jour, grand-père a volé

Un  jour, grand-père a volé
Patricia MacLachlan – Chris Sheban
D’eux 2025

Le pygargue et les enfants

Par Michel Driol

Ils sont trois enfants, l’ainé Aidan, la cadette narratrice Emma et le petit frère Milo, et un grand-père passionné d’oiseaux qui leur a transmis cette passion. Lorsque le grand père perd la vue, il reconnait encore leur chant, et les identifie grâce à la description qu’en fait Leah, son infirmière. Le jour de son décès, Milo le reconnait dans le pygargue qui vole autour de la maison, un oiseau que le grand-père admirait.

Voilà un album touchant qui aborde la question de la transmission et du deuil, à travers les yeux d’une fratrie. Transmission d’une passion au-delà des générations, entre un grand-père et ses petits-enfants, transmission de connaissances, comme celle de l’identification des oiseaux, dont les noms précis, exotiques, poétiques sont cités dans l’album. Transmission de savoir-faire, comme lorsqu’il s’agit de sauver une mésange. Transmission réussie débouchant sur un partage d’émotions lorsque Milo identifie et nomme le jaseur des cèdres.  L’une des originalités de l’album vient du point de vue adopté, et d’une certaine mise en retrait de la narratrice. En effet, celle-ci raconte et observe avec sobriété. Elle observe le grand-père, la dégradation de ses facultés. Elle observe son jeune frère, peu bavard, mais sans doute le plus proche du grand-père dans ses attitudes. Ce n’est pas pour rien que c’est lui qui qui assimile le rapace tournoyant dans le ciel au grand-père décédé. C’est enfin, bien sûr, la question de la mort qui est abordée, à deux reprises. Celle de Nana, dont on comprend implicitement qu’il s’agit de la grand-mère, que les enfants n’ont pas connue, et dont le grand père affirme qu’elle voulait être cheval dans une autre vie, abordant alors la question de la réincarnation. Celle du grand-père, ensuite, dont les enfants ne sont pas les témoins direxcts. On notera que dans cet album, qui célèbre les oiseaux et la vie, le mot « mort » n’est jamais écrit. En revanche, le texte attire, pas deux fois, l’attention du lecteur sur le mot incroyable, comme pour préparer le lecteur à l’envol final, lui aussi, « incroyable ».

Utilisant des techniques mixtes, aquarelle, pastels et crayons, les illustrations jouent sur les tons chauds de l’automne pour associer la représentation des humains et celle, majestueuse, des rapaces en vol.

Un album émouvant, dont l’écriture souple, simple, pour l’essentiel à l’imparfait, installe le lecteur dans la durée qui semble infinie d’une relation intergénérationnelle, dans la magie de la transmission, pour aborder avec beaucoup de sensibilité la question du deuil.