Poème à compter, Numéralia

Poème à compter, Numéralia
 Jorge Lujan, Isol (ill.)
Syros, 2014

Le porte-plume redevient oiseau (1)

Par Christine Moulin

numeraliaL’album à compter, comme l’abécédaire, « s’est peu à peu libéré du carcan pédagogique pour investir sans doute un autre territoire : celui de la création », pour « se métamorphoser, entrer en littérature » et devenir « une invitation à la rêverie, à la quête – plaisante, inédite, voire déroutante et subversive – du monde des mots [et des nombres, en l’occurrence] et de ses représentations imagées » (2). La réédition en petit format à couverture souple de Poème à compter, Numéralia nous le redit avec bonheur.

Tout nous rappelle le monde scolaire: les pages de titre qui ressemblent à celle d’un cahier, le titre écrit au crayon de couleur, le graphisme délicieusement et artistiquement maladroit (voir la chronique consacrée à Mes chaussons toutous, des mêmes auteurs), jusqu’au 10 en rouge, à la fin de l’ouvrage, qui semble indiquer la reddition de l’institution, amenée à mettre la meilleure des notes à un élève pourtant très gribouilleur et fort peu attentif…

Car tout est rêve dans cet album poème. Les phrases qui accompagnent chaque nombre sont toutes plus inattendues les unes que les autres et, fragmentaires, ouvrent vers un univers suggéré de références qui font de la lecture une sorte de « lecture augmentée ». Tout commence par le zéro (ce qui est rare dans le genre, qui préfère sagement débuter par le 1) et ce zéro est un œuf, immense, couvé par un minuscule oiseau qui, les yeux clos (3), semble se réjouir d’une prochaine naissance,  mais aussi un œuf qui tient debout: c’est dire que nous embarquons pour une nouvelle Amérique… Le 2 fait allusion au Vilain Petit Canard (mais n’est pas canard celui qu’on croit -4-). Le 6 introduit les Trois Mousquetaires (eh oui, il suffit de les faire se refléter dans une mare!). Classiquement, le 7 est associé à Blanche Neige: on en serait presque surpris… Mais à côté des clins d’œil, on peut apprécier aussi les instants de pure poésie: les 5 doigts sont les « habitants secrets des gants », le 8, en forme de sablier, mais aussi bien sûr, d’infini, est là « pour que s’écoule le sable des heures ».

Et tout cela ne serait rien sans les illustrations qui créent des liens subtils entre la page de gauche (celle du texte) et la page de droite (celle de l’image): répartition qui est celle des livres illustrés, des livres de prix, mais sans cesse remise en cause, comme l’école par le cancre, comme l’album à compter par la poésie, par la circulation des formes, des personnages, des lignes, en un joyeux ballet subversif. Si bien que le lecteur est amené à voir dans les choses du monde les silhouettes des chiffres (dans un minuscule drapeau, celle du 1; dans une chaise renversée, celle du 4, etc.) mais aussi dans les chiffres les échos assourdis du monde.

Pour son plus grand plaisir.

(1) « Page d’écriture », Jacques Prévert, Paroles, Gallimard

(2) Nelly CHABROL GAGNE, « L’O de l’A littéraire ou rêveries à partir des lettres de quelques abécédaires », http://eprints.aidenligne-francais-universite.auf.org/371/

(3) cf. http://www.publishersweekly.com/978-1-55498-444-2

(4) cf. http://smithsonianapa.org/bookdragon/numeralia-by-jorge-lujan-illustrated-by-isol-translated-by-susan-ouriou/

Le Zizi des mots

Le Zizi des mots
Elisabeth Brami, Fred L.
Talents hauts, 2015

Quand le veilleur allume sa veilleuse…

Par Anne-Marie Mercier

D’accord, le title_zizi_des_motsre est accrocheur et les grammairiens vont tiquer devant cette association du masculin ( comme genre grammatical ) avec le phallus, comme les puristes des études sur le genre (voir « la théorie du », qui n’existe pas paraît-il, comme les fantômes) devant l’assimilation du « genre » grammatical avec le sexe – le « genre » social devant être distingué du sexe biologique.

Mais ne boudons pas le plaisir du jeu avec les mots et de la surprise : que le féminin de chauffeur soit chauffeuse, celui de charentais, charentaise, celui de carabin, carabine, celui de batteur, batteuse (la machine), celui de meurtrier, meurtrière (la fenêtre) fait rire puis réfléchir.

Le fait que j’ai senti le besoin d’ajouter des parenthèses montre bien que le passage par le dessin est très utile. Ceux de Fred L. sont superbes, drôles, inquiétants. Ils jouent parfaitement avec les clichés, une belle réussite en duo.

une jolie chronique chez livres et merveilles

L’ABC des chiens

L’ABC des chiens
Julie Eugène
L’édune, 2013

 Des Chiens de partout, petits et grands

Par Anne-Marie Mercier

LABCdeschiensOn pourrait croire qu’il s’agit d’un simple  abécédaire de plus, qui tenterait de faire coïncider vaille que vaille son objet aux 26 lettres de l’alphabet, eh bien non, c’est bien plus. Tout d’abord, il réussit le tour de force qui consiste à trouver des noms pour toutes les lettres (avec quelques rares entorses comme « italian Grey Hound », ou « U Cursinu » (chien corse ; quant à la lettre « q », on vous laisse la surprise). Mais c’est aussi une encyclopédie charmante : chaque chien est donné avec son caractère, son histoire, son origine géographique et une mini carte et un drapeau pour l‘illustrer. Tout cela est accompagné de conseils d’éducation, d’alimentation (le Mâtin de Naples mange 700 g de viande par jour, c’est bon à savoir, parents qui voulez limiter les désirs de vos enfants) et d’un zeste d’humour.

L’extraordinaire abécédaire de Balthazar

L’extraordinaire abécédaire de Balthazar
Marie-Hélène Place, Caroline Fontaine-Riquier
Hatier, 2013

Dans la forêt des lettres et des sons…

Par Dominique Perrin

abéVoici un abécédaire qui mérite son qualificatif d’« extraordinaire », au sens où il suggère le caractère à la fois merveilleux et fondateur de la découverte du système de la langue écrite. L’univers imagé y est engageant et cohérent, les textes associés à chaque lettre brefs et chantants. On peut cependant s’interroger sur la mise en œuvre des principes pédagogiques présentés en page de garde à destination du lecteur médiateur. Contrairement à ce que supposent ces préconisations préalables, certaines lettres-sons simples sont parfois présentes ici bien ailleurs qu’à l’initiale des mots du texte (voir « i ») ; et surtout, certaines lettres sont quasiment absentes du texte censé leur être dédié, au profit d’autres graphies du son auquel qu’elles rendent (voir la curieuse page « è »). 

ABC bestiaires

ABC bestiaire
Janik Coat
Autrement Jeunesse, 2012

D’Antonin à Zadig

Par Christine Moulin

45239L’abécédaire est un genre ancien… Nous voilà loin, ici, des merveilles victoriennes, aux illustrations chargées. Tout est épure, à commencer par les pages de garde, qui montrent des dessins en noir et blanc, aux douces formes arrondies. La courbe, tel semble le parti pris de cet album, en effet, ainsi que les aplats de couleur, qui ne pourront que réjouir les yeux enfantins. Mais les parents et les plus grands pourront aussi apprécier la discrète originalité qui donne son prix à ce moderne imagier. La structure, accumulative, permet d’aboutir à une image foisonnante, une fois le « z » atteint. Mais surtout, ce qui est à la fois ludique et instructif (le mot est lâché…!), c’est que les mots écrits à chaque page n’indiquent pas le nom du nouvel animal représenté, mais lui associent un prénom. C’est ainsi que la baleine, semble-t-il, s’appelle Barbara. On s’imagine les jeux linguistiques qui peuvent alors naître spontanément: Didier le dindon, Florimond le flamand, Gaby la grenouille…  Pour vérifier si « l’on a juste », si l’on a bien identifié le nouvel animal, il faut se reporter à une liste, à la fin de l’ouvrage ou sur la quatrième de couverture, liste qui, en elle-même, est déjà jubilatoire, comme l’ensemble du livre, dont on peut présager qu’il sera longtemps et souvent feuilleté.

Voir aussi l’enthousiasme de nos amis de Ricochet.

Mon super abécédaire : mille mots et plein d’autres choses

Mon super abécédaire  : 1000 mots et plein d’autres choses
Julien Rosa
Seuil Jeunesse, 2011

De l’alligator au zig-zag

par Christine Moulin

Voilà un abécédaire qui se prend pour un dictionnaire ou un imagier. Mais foin des subtilités génériques ! Le plaisir est là car à chaque lettre correspond une double page qui fourmille de mots et de dessins. Enfin, presque … car en fanatique du genre, j’ai foncé vers les terribles lettres « w, x, y, z » : las ! elles sont rassemblées sur une même double page et les items se font rares ! On n’échappe pas au sempiternel xylophone ni au yack éculé. De même la lettre « k » décline képis, kiwis, koalas et kangourous mais laisse place, il est vrai, au ketchup, un peu moins attendu !

L’originalité de cet abécédaire ne réside pas forcément, on l’aura compris, dans les mots choisis (quoique bédétiste ne soit pas particulièrement fréquent !)  mais dans le parti pris indiqué par le sous-titre : Mille mots et plein d’autres choses. C’est le « plein d’autres choses » qui promet de longs moments délicieux, passés à examiner les illustrations, foisonnantes mais homogénéisées par la présence exclusive d’animaux.

Ce qui peut également amuser, c’est la volonté de surprendre, par de légers décalages : ainsi, pour le mot affiche, on a bien une affiche, mais collée dans une armoire. Les alpinistes sont des fourmis qui escaladent une grosse pierre. Dans le fauteuil du dentiste est assis un crocodile et le praticien est un diplodocus ! C’est que les images, au lieu d’être posées les unes à côté des autres, font scène et créent une atmosphère joyeuse et loufoque.

Enfin, on peut remarquer que la solution de facilité qui consiste à ne représenter que des objets a été évitée : on a ainsi le droit à des adjectifs comme énorme ou étrange, mais aussi, et c’est louable, à des noms de sentiments comme ennui ou à des verbes a priori peu faciles à illustrer comme oublier.

Bref, cet ouvrage permet sans aucun doute des échanges fructueux entre parents et enfants, perdus dans une même contemplation et une même recherche du petit détail fantaisiste. Mais il me semble que ce livre est à éviter absolument pour la lecture du soir car sinon, on n’est pas près d’être couché !

 

 

Plouf! un abécédaire aquatique

Plouf ! un abécédaire aquatique
Thomas Baas

Seuil Jeunesse, 2011

Des épinards à la querelle, en passant par la noix

par Christine Moulin

thomas baas,seuil jeunesse,mer,abécédaire,clac book,christine moulinLa collection Clac Book est vraiment surprenante. Les genres sont variés et les surprises bonnes ou moins bonnes… Le cru est à recommander, cette fois. Les illustrations de cet abécédaire, toutes rondes, fondées sur quelques couleurs récurrentes, forment un paysage attractif et joyeux. Mais ce qui est très amusant, ce sont les mots choisis qui sont loin de tous appartenir au champ lexical de la mer. Seule l’image peut alors expliquer la présence de tel ou tel vocable : rien de pesamment didactique, donc. Le jeu avec le genre est agréable, sans pour autant gâcher le plaisir prévisible des tout-petits.