Olivier et les Géants de la Nuit

Olivier et les Géants de la Nuit
Kitty O’Meara – Illustrations d’Anna Piroli
Saltimbanque 2024

Olivier peint/Et il éclaire le monde pour nos yeux qui n’voient rien

Par Michel Driol

Quand Olivier peint une pleine lune dans un ciel rose, bleu et doré, et des montagnes déformées par des jets de lumières, ses camarades se moquent de lui. Triste, le soir, il entend des voix qui affirment avoir besoin de lui : les trois géants qui parcourent le monde pour le réparer et le soigner. Au cours du périple initiatique qu’ils entreprennent, Olivier repère ce qui manque, ce qu’il faut réparer, ajoute de la lumière, des couleurs, des courbes… Ils vont même jusqu’à regonfler les nuages et rajouter des sons avant de retourner laisser Olivier s’endormir à la maison.

C’est d’abord un album à contempler. De splendides illustrations en double page créant une atmosphère particulièrement onirique et féérique. Des illustrations d’une facture quelque peu naïve, se jouant de la perspective et de la taille des objets et des personnages, avec des couleurs à la fois sombres  et splendides. Les géants n’ont rien ici d’effrayant, il apparaissent surtout comme des créatures protectrices, munies de quelques accessoires (balai, échelle, ciseaux, scie), personnages hors norme par la longueur de leur barbe blonde pour l’un, de ses cheveux bleu clair pour l’autre , des géants qui arpentent avec douceur et précautions le monde de la nuit, un monde minuscule pour eux, magique par toutes les créatures qui le peuplent et qui ne demandent qu’à être découvertes au fil des pages.

Le texte, plein de poésie, utilise les cadres du rêve, de la nuit et de l’imagination pour rendre sensible une des fonctions de l’art. Tout est toujours à remailler du monde, écrivait Yves Bonnefoy. L’art ici est bien ce qui contribue à réparer le monde. Pour les géants, Olivier est celui qui peint ses rêves, celui qui a le cœur pur, celui qui peut comprendre ce qui manque. Belle définition de l’artiste que l’on voit à l’œuvre dans tout le reste de l’album ! Même les ratés, les accidents sont créateurs, comme ce seau qui se cogne contre la lune et se répand en de multiples taches de lumière. Pour autant, cette conception de l’artiste n’a rien d’élitiste, ainsi que le montre la conclusion de l’album, qui s’adresse à chaque lecteur, à chaque enfant, l’invitant à poursuivre ses rêves et à écouter l’appel des Géants de la Nuit.

Ode au pouvoir illimité de l’imagination, cet album dit la part de magie que recèle chaque enfant, l’importance d’avoir son propre regard sur le monde et sur sa beauté, mais aussi de savoir percevoir ce qui manque au réel et ce que la créativité peut apporter.

A pas de pluie

A pas de pluie
Justine Gautier – Illustrations de Laure Van Der Haeghen
Editions Thierry Magnier 2024

Bal(l)ade sous la pluie

Par Michel Driol

Un jour de pluie, une fillette  répond à l’appel muet de sa chienne pour sortir se promener avec elle. Elles écoutent les bruits, sentent, repèrent choses et animaux, des vaches aux escargots, avant une halte sous l’abribus…

Ce que raconte l’album, c’est une simple promenade, mais une promenade à deux voix à travers les cinq sens. Sur une double page, en caractères romains, on a le récit de la fillette. Sur la page suivante, en italique, c’est le point de vue de la chienne. Et le procédé se répète ainsi, jusqu’à la page finale où, dans le texte, alternent caractères romains et italiques, comme pour montrer la fusion entre les deux personnages. Promenade à travers les cinq sens – surtout portée par le discours de la chienne – avec une précision du vocabulaire qui rend compte de la diversité des choses qui nous entourent. Ça tambourine, tapote, pianote, ça bêle, ça coasse… ça sent la terre et l’humus, la pierre humide, les fleurs écloses… Sens du toucher aussi avec cet escargot qui frôle la truffe de la chienne, avec l’étrange sensation de marcher sur l’eau. Sens de l’odorat avec l’odeur du gâteau au beurre. Sens de la vue enfin bien sûr, avec la description des choses vues, depuis les animaux, jusqu’aux feuillages mouillés… Ce que décrit l’album, c’est ce spectacle de la nature, ces petits riens transformés par la pluie, que les deux personnages explorent avec curiosité et émerveillement.  Ces petits riens, ces paysages, montrés dans les aquarelles aux couleurs  pastel de Laure Van Der Haeghen.  Le vert tendre des prés, des feuillages, le rose et le jaune des fleurs jouent avec les couleurs plus froides de la pluie, dans une grande diversité de bleus. Et, contrastant avec tout cela, le rouge du ciré de l’héroïne. Sur un fond de paysage en double page se découpent, comme incrustées, des petites scènes, des zooms sur le jeunes pousses ou le saut d’une grenouille, façon de montrer qu’il ya toujours quelque chose à voir.

Se promener sous la pluie, sauter dans les flaques d’eau, faire tomber l’eau des feuillages, c’est le rêve et le plaisir de tout enfant que ce bel album magnifie pour montrer toute la poésie de ces moments, pour montrer aussi la complicité et l’amitié entre une fillette et sa chienne.

14-18. Une minute de silence à nos arrières-grands-pères courageux

14-18. Une minute de silence à nos arrières-grands-pères courageux
Thierry Dedieu
Seuil, 2024

La Guerre

Par Anne-Marie Mercier

En 2014, il y a 10 ans, Thierry Dedieu accomplissait la prouesse d’introduire de la nouveauté sur le sujet tout en disant les mêmes choses essentielles : cette guerre a été une souffrance inouïe pour plusieurs générations de français et de françaises. Elle aurait dû être la dernière, la der des der… et pourtant il faut sans cesse répéter aux jeunes générations ce qu’elle est : le fléau absolu, un gâchis.
Dix ans plus tard, le temps de la commémoration passé, nous voilà face à l’actualité. La nouvelle couverture qui a mis en surimpression les chiffres des dates sur l’image nous rappelle encore une fois que cette « grande guerre » s’inscrit dans une série.
Les mots ne suffisent pas et les leçons semblent parfois inaudibles : restent les images. L’auteur a choisi d’en produire des nouvelles avec des anciennes. Anciennes, elles imitent de vielles photos, aux tons sépia. Nouvelles, elles le sont par leur format exceptionnellement grand. S’étalant en double page, dans un format plus grand que la moyenne, elles sont d’une présence frappante. Images du front, de tranchées, explosions, attentes, assauts, mais aussi gros plans sur des animaux (un lièvre, un pou). Les portraits de gueules cassées contrastent avec la photo d’un jeune homme souriant (Gustave ?), posant en uniforme chez un photographe. Le réalisme est brisé ponctuellement par l’image d’un squelette en uniforme participant à une attaque, mais le reste est tellement cruel que cette rupture pourrait passer inaperçue.
Ce serait un album sans texte s’il n’y avait une lettre brève de Gustave à sa femme : « Hélas ma chère Adèle, il n’y a plus de mots pour décrire ce que je vis » en toute première page, et une longue lettre d’Adèle à la fin, pleine d’amour et de compassion. Gustave est-il revenu vivant ? Des indices dans l’album pourraient fournir une réponse.

J’ai chroniqué cet album il y a dix ans, une éternité tant j’en dis autre chose à présent.

 

Le Détour

Le Détour
Rozenn Brécard
La Partie, 2022

École buissonnière ou classe de mer?

Par Anne-Marie Mercier

Les enfants qui vivent loin de l’école se lèvent tôt pour attraper le bus scolaire. Certains le ratent parfois, comme les deux personnages, sans doute un garçon et une fille, frère et sœur donc. Ils errent jusqu’au soir dans ce « détour » en attendant de pouvoir revenir décemment à la maison à l’heure normale. Ainsi, l’album se clôt avec un « Alors, les enfants, ce lundi ? – Comme d’hab. »
Mais entretemps, que d’aventures : après avoir pensé rejoindre l’école à pied mais s’être laissés distraire par la beauté de l’aube, les enfants jouent aux pirates, s’enfuient en empruntant une barque pour échapper à un gendarme qui a repéré les échappés, adoptent un chien, se baignent dans l’océan tout proche, trouvent un trésor, le perdent… et perdent leurs cartables aussi.
Les images font alterner de grandes aquarelles de paysages larges de nuit ou de vert, et des silhouettes colorées esquissées sur fond blanc. Celles-ci montrent plusieurs moments d’action sur la même page, ce qui donne un dynamisme merveilleux à l’ensemble. Crayons de couleur, aquarelles, encres de Chine… tracent un univers à explorer, et font de ce lundi un temps de vie intense…
L’école prive-t-elle les enfants de cette vie ? En un sens oui, bien sûr. Mas cette aventure ne serait jamais arrivée sans l’obligation de se lever à l’aube et l’idée d’occuper tout le jour clandestinement : école = liberté (à condition de faire l’école buissonnière…)

Fermez la porte !

Fermez la porte !
Koen Van Biesen
Traduit (néerlandais) par Catherine Tron-Mulder
Obriart, 2023

Allégorie de la lecture (œuvre ouverte)

Par Anne-Marie Mercier

Deux chiens sont assis à l’intérieur d’une brasserie, chacun sur une chaise, l’un tenant un journal (Niche-Matin), l’autre s’affairant derrière l’écran levé de ce qui ressemble à un Mac. Un courant d’air fait voler le rideau, puis entrer des feuilles, puis la pluie. Progressivement, l’espace est envahi d’intrus (certains venus d’un zoo), le chaos s’installe tandis que le plus grand des chiens hurle son agacement et cherche le coupable : qui a ouvert la porte, qui ?
Le petit chien lui donne la réponse en chuchotant. Il nous fixe, nous, lecteur : « toi ? »
« Tu entres sans te gêner et tu oublies de refermer la porte de ce livre ? … Cette histoire est terminée. Maintenant c’est FERMÉ. »
La surprise est évidemment grande, et le lien entre la matérialité du livre et la narration est décoiffante… comme ce courant d’air. Les dessins sont cocasses, le décor en perpétuelle révolution. Les titres du journal changent, comme la typographie et la disposition du texte rapportant les propos des personnages. Enfin, on a dans cette scène statique (les personnages ne bougent pas de leur chaise) beaucoup de vie et dans cet album beaucoup d’originalité.
Oui, hypocrite lecteur, la lecture est une bouffée d’air frais. Elle dérange parfois, et fait entrer tout un monde dans un petit espace.

La Promenade du chat

La Promenade du chat
Sara Lundberg
Traduit (suédois) par Jean-Baptiste Coursaud
Seuil jeunesse, 2023

Qui est le maitre ?

Par Anne-Marie Mercier

Il est rare qu’un chat soit emmené en promenade à pied par son maitre, sans laisse qui plus est. Le narrateur a l’habitude de sortir ainsi avec le sien, un parcours décidé par le maître, habituel, rituel, sans surprise. C’est beau, cependant, grâce au talent de coloriste de l’auteure, son art pour créer des volumes urbains à partir d’à-plats et d’effets de superpositions et de transparences.
Un jour, à la suite d’un petit conflit, le chat décide que c’est à lui de prendre l’initiative. Les étapes de ce débat sont attendrissantes et drôles, mouvementées. À l’issue de cette négociation c’est l’animal qui fait découvrir au narrateur la vie sauvage proche de la ville et la beauté du monde et lui enseigne pour cela le lâcher-prise. Perdant ses repères, et même son équilibre, il se met à la merci du chat et finit par découvrir ce qu’il n’avait jamais vu jusque-là : l’immensité du ciel étoilé.
C’est une belle relation, de beaux dialogues (le chat parle, bien sûr) et de magnifiques images, dans un album qui prend le temps de nous emmener à aventure vers la beauté.

 

 

 

La Petite Musaraigne

La Petite Musaraigne
Akiko Miyakoshi
Traduit (japonais) par Nadia Porcar
Syros, 2023

Une Vie simple

Par Anne-Marie Mercier

En trois chapitres, nous découvrons la vie de la petite musaraigne. Son quotidien, avec le réveil à 6 heures, le trajet en train et à pied jusqu’au bureau où elle travaille avec des collègues humains. L’un d’eux, un peu moins bien organisés qu’elle, déjeune en bavardant avec elle. A 5 heures, elle rentre chez elle, fait quelques courses, écoute la radio joue avec son Rubik’s cube et s’endort. On trouve un tout petit plus de fantaisie dans les chapitres suivants, avec ses rêves de pays lointains, son rendez-vous annuel avec des amis.

Perfection des petits moments, attention aux choses, émerveillement devant la vie… les dessins sont charmants, avec un petit animal qui vit dans un appartement meublé à son échelle, des couleurs et ombres estompées, aquarelles, fusain ou pastel gras.
On trouve une tonalité passible qui fait un peu penser à Hulul de Arnold Lebel, mais ce serait un Hulul plus inséré dans le réel, moins fantaisiste.

 

(pas encore) une histoire de licorne

(pas encore) une histoire de licorne
Christine Roussey
La Martinière jeunesse, 2024

Anti-poison ou indigestion ?

Par Anne-marie Mercier

Dans cet album qui navigue entre facétie et soumission aux modes, on trouve tous les clichés liés à la licorne : le rose fluo, les paillettes, la magie dégoulinante, les bons sentiments, le manichéisme simplet… même ses crottes sont roses, et quand elle a vaincu le Mal, incarné par l’hirsute Nestor, le cœur de celui-ci se transforme en chamallow.
Mais tous ces éléments sont donnés avec réticence, comme l’indique le titre et la dernière double page, après le mot « Fin », tourne le dos à cet optimisme béat : non, l’idée que « ce monde merveilleux existe en chacun de nous si nous voulons bien y croire » est un gros mensonge, comme ces histoires de caca rose fluo.
Les dessins crayonnés sur fonds blancs, volontairement naïfs et maladroits, en rajoutent encore dans l’excès : tout sourit, tout fleurit, en dehors de l’intermède Nestor, et l’on hésite entre amusement et perplexité. Pourquoi les enfants aiment-ils les licornes au point de gober les pires niaiseries (même pas belles) ? Cet album en forme de pastiche a le mérite d’attirer les amatrices et amateurs (rares) de licorne à réfléchir, peut-être. Et s’ils ne réfléchissent pas, il se seront régalés d’un récit flattant leur goût. Malin, non ?
L’éditeur indique de son côté que « c’est un album tendre et drôle, pour apprendre aux enfants à cultiver leur source de joie et à chasser les petits chagrins du quotidien », je n’ai pas lu la même chose, on dirait.

C’est l’histoire d’un éléphant

C’est l’histoire d’un éléphant
Agnès de Lestrade, Guillaume Plantevin
Sarbacane (Sarbabb), (2012) 2024

 

Par Anne-Marie Mercier

Les éditions Sarbacane, dans leur collection Sarbabb, rééditent certains de leurs titres. Celui-ci, paru en 2012 revient dans le même petit format adapté pour les tout-petits, en version carrée et cartonnée aux coins arrondis.
L’éléphant dont il s’agit ressemble furieusement, sur la couverture, au colonel Hati du Livre de la Jungle adapté par Disney : son air grognon est justifié ici par le fait qu’il a mal dormi à cause d’une chauve-souris bruyante. Il tente de passer sa mauvaise humeur sur le premier qu’il rencontre, lequel se vengera sur le suivant, etc. Chaque épisode commence par la formule « c’est l’histoire de… », soulignant l’aspect de randonnée, et la dernière nous ramène à la première : la souris raconte à la chauve-souris comment elle a fait peur à l’éléphant, la chauve-souris rit bruyamment avec elle, et il suffit de revenir à la première page pour boucler la boucle.
Le texte, qui enchaine et répète les épisodes en alignant les propositions relatives, utilise des termes qui feront rire les enfants par leurs sonorités (riquiqui, popotin, mouflet), et les images, très expressives et superbement colorées participent au piment de l’ensemble. Les yeux des animaux courroucés et le rire de la chauve-souris sont parfaits, un régal !

Le Creux de ma main

Le Creux de ma main
Laetitia Bourget, Alice Gravier
Sarbacane (Sarbabb), 2024

Expériences sensibles

Par Anne-Marie Mercier

Les éditions Sarbacane publient une collection pour les plus petit, nommée « Sarbabb ». Ses petits albums, carrés et cartonnés proposent aux tout petits des expériences sensibles à leur portée ou des histoires aux thèmes et aux rythmes adaptés.
« Dans le creux de ma main j’ai recueilli… » L’album énumère ce qu’un enfant peut saisir ou plutôt accueillir dans sa main : un flocon de neige, un oiseau blessé, un têtard, de l’eau, une luciole, un coquillage, de la farine…, toutes choses légères et délicates, jusqu’au bébé nouveau-né de la dernière page. Chaque chose apporte une connaissance : le temps qui passe, la croissance des plantes et des animaux, le savoir-faire de la pâtissière, le début d’une collection…
À chaque page de gauche, montrant sur fond blanc la fillette en action, correspond, à droite, l’animal enfui, le flocon fondu, la collection…, dans une image à fond perdu remplie de couleurs et de formes, jusqu’à la dernière double page qui présente une seule image, réunissant la fillette et le bébé. L’enfant qui tient ce livre est lui-même invité à se saisir de ces formes et de ces expériences.