Éléphant a une question

Éléphant a une question [2011, Uitgevertj De Eenhoornbvba]
Leen Van Den Berg, Kaatje Vermeire
cotcotcot éditions, 2018

Par Marion Mas

Tout commence avec la question de l’éléphant : comment sait-on qu’on est amoureux ? Pour y répondre, l’assemblée très démocratique de tous les animaux se réunit autour de la fourmi, ravie de suppléer à Monsieur Tortue (dont la femme est malade) dans le rôle de président et de greffier. Chacun des animaux, à tour de rôle, propose une réponse, que la fourmi note scrupuleusement sur son cahier. Les illustrations, en léger décalage avec le texte, lui donnent une profondeur poétique.
Mêlant le collage, le travail d’après photo et le trait de crayon, elles combinent le réalisme de la représentation au surréalisme des compositions.. Au fil du récit, se développe également le thème végétal : mis en relief par l’exploitation du grain de la page et des effets de matière, il donne à voir une harmonique de l’humain, du végétal et de l’animal, unis en une grande symphonie amoureuse. La palette chromatique, très sombre au début du récit, s’éclaircit au fur et à mesure de son avancée, jusqu’à la pointe finale de la fable, qui constitue une autre réponse à la question de l’éléphant…

Le Monde entier est nul

Le Monde entier est nul
Julie Cazalas-Caïe illustrations Vincent Bourgeau
Seuil Jeunesse 2019

I will survive…

Par Michel Driol

Petit Carlero est le huitième membre de sa famille. Il a une amoureuse, Gildre. Mais à partir d’aujourd’hui, il trouve que le monde est nul. Parce qu’il a trouvé une inscription sur le banc de la cour de récréation : Gildre + Tavor = Amour…Bien sûr il y a les amis, le stylo arc-en-ciel, mais cela ne rend pas le monde moins nul… Et pourtant Petit Carlero trouvera le moyen de rendre le monde plus cool, en ayant à sa façon une attitude positive et en s’aimant lui-même d’abord.

Première déception amoureuse, sentiment que tout va mal, que tout devient sombre : voilà ce dont parle cet album, dans une langue contemporaine et imagée. Le texte, très oralisé, est une adresse au lecteur, une explication des termes de verlan comme vénère, un florilège d’expressions mal comprises par les personnages (la roue du carrosse pour la dernière roue du carrosse, le feu dentifrice pour le feu d’artifice), des allusions à certaines pratiques sociales (la réunion boites en plastique de la mamie…). Texte écrit donc dans une langue qui mime la langue enfantine sans bêtifier pour montrer le désespoir du personnage attachant, émouvant, empli de sa mauvaise humeur…

Les illustrations sont particulièrement expressives, elles complètent le texte en prenant certaines expressions au pied de la lettre. Elles rendent à la fois Petit Carléro étrange (c’est un animal, assez indéfini) et l’humanisent par ses trois boutons jaunes sur le ventre, et surtout par l’univers qui l’entoure : l’école, les accessoires, le Père Noël.

Un bel album pour panser les petites ou grandes blessures de la vie, en se disant qu’il fera beau demain.

 

L’Abominable Monsieur Schteuple

L’Abominable Monsieur Schteuple
Grégoire Kocjan – Illustration Hippolyte
L’Atelier du Poisson soluble 2019

Conte de Noël…

Par Michel Driol

Comme le titre l’indique, voici les exploits d’un monstre abominable : Monsieur Schteuple. Il déteste tout le monde, a toujours existé, été de toutes les guerres. Voleur d’enfants, il les met dans sa bosse. Mais il gratte et déguste aussi les croutes des enfants et casse un jouet ou crève l’œil d’un doudou. Jusqu’au jour où les fées décident de le capturer, et convoquent pour le juger tous les personnages des mondes magiques. Et la condamnation ne tarde pas : Monsieur Schteuple devra être gentil durant toute une nuit : un 24 en plein hiver. On le revêt donc de l’habit rouge des condamnés, tandis que les lutins sont chargés de vérifier qu’il accomplit bien sa punition. Cette nuit l’épuise, et il a bien besoin de 264 jours de psychanalyse !

Dans la production d’album autour de Noël, Grégoire Kocjan et Hippolyte signent un album original et plein d’humour en proposant de révéler la vérité pour répondre à la curiosité des enfants.  Dans toute la première partie, traitée sur un fond noir, sombre et inquiétant, on découvre l’abominable personnage. De façon assez subversive, il n’est pas qu’associé aux terreurs enfantines (l’ogre ou le croquemitaine) mais aussi à la guerre, aux capitalistes caricaturés avec leur gros cigare, aux marées noires comme une incarnation du mal absolu. Puis vient une seconde partie, traitée en couleurs, où l’on assiste à la capture, au jugement et à la métamorphose de Monsieur Schteuple. Le texte ne manque pas d’un humour tantôt méta textuel (on chercha un sac vert, pour la rime, mais il n’y en avait plus), tantôt lié aux personnages (elfes, vampires, sorcières… deviennent des personnages habitués à faire le bien, qui ne savent pas être sévères !), tantôt lié aux rimes qui lui confèrent une grande légèreté.

Un album qui, comme un conte étiologique, donne l’origine d’une de nos traditions. Un album drôle et gentiment amoral qui propose comme punition de faire le bien, montre que le méchant ne s’amende pas, et associe quelques-uns des extrêmes de l’imaginaire enfantin : le père Noël et le croquemitaine.

 

La Maison de Madame M

La Maison de Madame M
Clotilde Perrin
Seuil Jeunesse 2019

Toi qui entres ici, abandonne toute espérance

Par Michel Driol

Sur la couverture, une porte entrouverte laisse entrevoir un personnage inquiétant, une longue queue, des pattes d’araignées. Des os brisés, et une boite aux lettres portant un nom, la mort. Une fois entré, on suit le guide, qui s’adresse au lecteur, et lui fait visiter cinq pièces de la maison. Deux lignes en bas des doubles pages correspondent au discours du guide, discours saturé d’un lexique particulier : diablement, fatal, disparaitre, vie, mourir, tuer… A la fin, le lecteur préfère s’enfuir pour ne pas rencontrer cette hôtesse d’un genre particulier.

Etrange album qui plonge dans un univers encore plus étrange, en suivant un guide  à la fois rassurant et inquiétant. Les double pages sont remplies des mots et des icônes de la mort : un calendrier de l’éternité, une danse macabre, une horloge, des vanités, de la pourriture et du compost, Perséphone, un fantôme…  Par ailleurs, plus de 25 flaps et animations diverses permettent d’ouvrir les tiroirs, les portes, les valises, de faire surgir des monstres pour continuer d’explorer cet univers rempli de détails macabres.

Tout comme dans ses trois derniers albums, A l’intérieur de mes émotions, A l’intérieur des gentils, à l’intérieur des méchants, Clotilde Perrin propose un livre objet à explorer. Cette fois, c’est l’imaginaire de la mort en occident qui est convoqué,  imaginaire à la fois très traditionnel, mais aussi contemporain dans les vanités par exemple, où se côtoient hamburgers et smartphone. On s’attarde sur les détails, les titres des livres de la bibliothèque, et l’on découvre ainsi une véritable encyclopédie surréaliste dont l’esthétique, faite d’accumulation, qui n’est pas sans évoquer la représentation baroque de la mort.

Cet album fait penser à cette chanson de Ferré, sur des paroles de Jean-Roger Caussimon :

Ne chantez pas la Mort, c´est un sujet morbide
Le mot seul jette un froid, aussitôt qu´il est dit
Les gens du show-business vous prédiront le bide
C´est un sujet tabou pour poète maudit

Peut-on consacrer un album jeunesse à ce sujet ? Oui, répond sans hésiter 20Clotilde Perrin. Car si la mort flirte avec des parties de corps : squelettes, yeux, des insectes, mouches et vers, des instruments comme les couteaux, elle flirte aussi avec l’humour : élixir de jeunesse, crème anti ride, squelette se brossant les dents, petits angelots (variation sur le thème baroque des putti) que l’on cherche de page en page. L’album se situe sur une corde raide entre le terrifiant et le familier, entre le cauchemar et le frisson pour rire. Rien de métaphysique. La question de ce qu’il y a après la mort n’est pas posée : un long sommeil, une porte finale monstrueuse ouvrant sur une représentation d’un autre monde très breughélienne, peuplé de monstres. Mais le lecteur s’enfuit à temps. Il faut vivre, dit l’album, tandis, qu’en 4ème de couv’, un petit monstre assez sympathique dit « Reviens ! »

Un album « encyclopédique » qui, par sa singularité et son originalité, occupe une place à part dans la production actuelle, entre Halloween, grand guignol et Jérôme Bosch…

 

Ogre

Ogre
Marien Tilet, Mac McGill
CMDE (« Dans le ventre de la baleine »), 2019

Un ogre en pleurs dans la forêt des contes

Par Anne-Marie Mercier

Étendu dans la neige, les orteils mis à nus par le Petit Poucet qui a profité de son sommeil pour lui voler ses bottes, l’ogre parle. Il se remémore toute l’histoire à travers un ultime chant de deuil dont voici le prologue :

 

«  Me voici, à l’orée de ma fin étendu
La neige en bon linceul a recouvert mes pieds
Eux qui toujours de cuir ont été revêtus
Et franchissaient sept lieues d’un pas décidé […]

Si la fin m’enveloppe, c’est vers mes filles que file
La somme de mes pensées qui cruelles et habiles
resteront jusqu’au bout à me tenir la main
Me rappeler encore quel geste fut le mien ».

Il déroule toute l’histoire, depuis l’arrivée des sept frères à la maison de l’ogre, l’apitoiement de sa femme grâce à l’éloquence du Poucet (« disant que, même ogresse, ma femme possédait l’âtre / caché au cœur de chaque enfanteuse de ce monde / qui se rallume d’un rien quand un tout petit tombe »), le meurtre de ses filles, la poursuite, l’assoupissement au cours duquel les bottes de sept lieues sont dérobées, et son attente de la mort, couché dans la neige. Tout cela est raconté en beaux alexandrins, où chaque mot a son poids, ses sons et son sens en harmonie avec l’histoire contée.
Le seul ajout à la tradition de ce conte est la prophétie en forme de supplication délivrée par les filles de l’ogre à leur père, à la veille du drame, et l’ivresse de l’ogre qui lui fait oublier sa promesse et ne pas reconnaitre ses enfants. Ogre moderne, tendre mais sauvage quand il a bu, et mourant de remord ensuite, c’est un ogre en pleurs que celui-là, bien noir, comme les illustrations qui marient l’encre de chine en à plats ou en volutes tourmentées (avec la technique entre autres, de la carte à gratter) et le blanc des stries et de l’espace, faisant de l’apparition de la neige, à la fin, une délivrance.
Parmi les œuvres qui revisitent les contes en prenant le point de vue du « méchant » (Le Géant de Zéralda, etc.) celle-ci est une belle réussite, qui ne s’adresse pas aux très jeunes lecteurs, mais aux lecteurs confirmés amateurs de contes, de réécritures ou de poésie.
Voir plus, sur le site du CMDE.
Ogre fait partie de la « trilogie de la forêt » publiée par Marien Tillet  au CMDE (collectif des métiers de l’édition)  lietje a rendu compte des deux ouvrages prprécédents :  rouge Chaperon Petit Le., Et Gretel .
Mediapart en parle : « L’infanticide ou la tradégie du conte de fée » Cédric Lépine.

Demain, on parlera de Pot d’âne de Sophie Tiers, paru également au CMDE.

Les Bottes

Les Bottes
Antonin Louchard
Seuil jeunesse, 2018

Pleut-il ?

Par Anne-Marie Mercier

C’est la récréation, il pleut, un petit lapin doit enfiler ses bottes pour rejoindre ses camarades et il n’y arrive pas, situation bien connue des enseignant/es de maternelle.
Cette scène dialoguée est racontée à la manière d’une pièce de théâtre. Unité de temps (durée d’une récréation), de lieu (on est devant les bottes que le lapin doit enfiler pour rejoindre ses camarades), de décor et de personnage (seul le lapin apparait, sur fond blanc, la maitresse qui dialogue avec lui est hors champ) et d’intrigue : double page après double page, un obstacle empêche la résolution du problème…
La tension monte progressivement : les « mon biquet », « mon chaton » de la maitresse font place à des « Raahhh » d’énervement et la typographie mime le ton de la voix qui monte (« je ne crie pas, je parle fort, d’accord ? » , dit la maitresse bien qu’elle ait « dix ans de yoga derrière elle ») jusqu’à la fin où un retournement inattendu et très drôle fait revenir au point de départ.
Chaque échange est à la fois comique et vrai ; les enseignant/es de maternelles et les parents reconnaitront toutes les situations, très variées, dans lesquelles l’enfilage de bottes est un cauchemar pour les uns et les autres ©; ce livre l’invite à le prendre pour une farce sans cesse renouvelée. Et la tête de ce lapin, tantôt triste, tantôt indigné est craquante.

 

La Porte

La Porte
JiHycon Lee
L’Atelier du poisson soluble 2019

Quand il fut de l’autre côté…

Par Michel Driol

Une clé par terre, un enfant qui la ramasse pour suivre un insecte qui le guide, à contre-courant des passants, jusqu’à une porte. Une vieille porte, envahie de toiles d’araignées. L’enfant l’ouvre, et passe de l’autre côté : il y découvre un monde extraordinaire, peuplé de créatures à tête d’animal, parlant une langue étrange. Une petite fille oiseau le conduit dans sa famille, pour pique-niquer, jouer à la balançoire. Ensemble, ils continuent la promenade vers un univers à la fois familier (des portes, des ponts, des  vêtements) et étrange (des têtes d’animaux, des portes ouvrant vers d’autres univers). Ils assistent à un mariage, se font prendre en photo, et l’enfant repart pour rentrer dans son monde.

La porte, comme dans tout récit fantastique ou merveilleux, est la limite entre deux univers : le premier, notre monde, sur fond de page blanc, peuplé d’hommes et de femmes gris, qui marchent en s’observant, en se méfiant les uns des autres, dans une grande solitude. Le second est un univers coloré, où l’on sourit, où l’on fait de la musique, où l’on danse, où l’on partage des moments de plaisir, où l’on accueille l’étranger, même s’il est différent, car tout le monde est différent. Ce monde merveilleux, coloré, plein d’herbe et d’arbres, a le pouvoir de transformer l’enfant, qui peu à peu perd sa grisaille et revient plein de couleurs de l’autre côté de la porte.

Pas de texte dans cet album qui décline des doubles pages expressives. Comme dans les bandes dessinées, les personnages de l’autre monde parlent, mais dans les bulles, des signes incompréhensibles, terminés cependant par des points d’exclamation et d’interrogation pour donner une petite clef de lecture. Qu’importe la langue de l’étranger, elle n’est pas un obstacle, semble dire l’album, s’il y a volonté d’accueil et de rencontre, de partage. Cet album évoque la différence et la joie de vivre ensemble comme sources de richesse,  Dans les pages richement colorées où abondent de multiples scènes, on jouera à chercher l’enfant comme on peut jouer à chercher Charlie, ce qui conduira à explorer les multiples détails de cet univers proche parfois de Lewis Caroll ou d’un Brueghel qui ne chercherait pas à effrayer avec des monstres, mais à surprendre, à étonner, à faire rêver à ce que notre monde pourrait être.

Un bel album sans texte, universel par sa conception et son propos, qui laissera chacun libre de l’interpréter, selon son âge.

 

Antigone

Antigone
Yann Liotard, Marie-Claire Redon
La Ville brûle, 2017

Celle qui a dit non

Par Anne-Marie Mercier

« Il était une fois dans un pays lointain, une jeune fille. Elle s’appelait Antigone.

C’était une fille qui ne se laissait pas faire.
Elle osait, dans un monde d’hommes,
être elle-même et marcher le front haut.
Elle avait le courage de penser,
le verbe qui mord, la beauté rebelle. »

Enfin, elle était une jeune fille comme les autres, « sauf qu’elle était princesse. Une princesse compliquée née dans une famille compliquée. Une princesse maudite qui vécut malheureuse et n’eut jamais d’enfant. »

Ainsi, l’auteur du texte, Yann Liotard, professeur de lettres classique qui connait les dififcultés des élèves pour aborder ce mythe, choisit d’entrer dans le mythe par la voie du conte, et la révolte du personnage par son actualisation (ici, féministe). La tragédie revient avec l’évocation du destin familial, et l’enchainement inexorable des événements, de l’abandon d’Œdipe par ses parents au meurtre de Laïos, son père, à son mariage avec sa mère Jocaste et la naissance de la fratrie maudite – à laquelle appartient Antigone. On la voit guidant Œdipe aveugle hors de la ville, puis tentant d’offrir une sépulture à son frère, mort en affrontant son autre frère, on assiste à sa condamnation, au suicide de Hémon, etc.
Le chœur accompagne ces événements ; il est composé de quatre à cinq rats des champs,  justes crayonnés sur fond rouge; ils portent une parole de commentaire, ou d’apitoiement. Les dessins de Marie-Claire Redon (dont c’est le premier ouvrage) font alterner l’histoire d’Antigone (en crayonnés ou en aplats de sombre indigo) avec les pages rouges dédiées au chœur. Ils donnent une touche fantastique à cette histoire : Antigone a une apparence de frêle jeune fille, hors les petites oreilles de chat qui émergent de sa chevelure, les corbeaux, les rats et la mort sont partout (celle-ci est représentée par des poupées qui jonchent le sol), et le pouvoir de Créon apparait sous une forme monstrueuse.

Le chœur livre la morale de l’histoire : « Il en faut des pas pour être soi. Pas fermer les yeux. Pas faiblir. Pas se sauver. Pas trahir. Pas plier. De petits pas en petits pas, Antigone sait pourquoi. Pourquoi elle a vécu et pourquoi elle s’est battue. » Voilà Antigone ramenée à son nom, celui de celle qui dit « non ». Cette version moderne offre aux adolescents une figure qui leur ressemble et des problématiques qui leur sont familières, dans un superbe album, poétique et tragique.

 

Le mystère de la basquette bleue

Le mystère de la basquette bleue
André Bouchard
Seuil Jeunesse

Une enquête sans fin…

Par Michel Driol

Lorsqu’Adèle, Hortense, Paul, Camille et Hugo découvrent sur un trottoir une basquette bleue, ils veulent en percer le mystère : comment est-elle arrivée là ? A qui peut-elle bien appartenir ? Et chacun y va de son hypothèse : à un homme mangé par un tyrannosaure, à un bébé géant ayant perdu sa chaussure… On le voit, ces hypothèses, qu’on laissera ici au lecteur le plaisir de découvrir dans leur intégralité, emportent dans un imaginaire de plus en plus éloigné de la vraisemblance, jusqu’à l’heure du gouter qui laisse le mystère irrésolu… Sauf que l’auteur y va de son hypothèse, tout aussi fantastique que celle de ses personnages, avant de faire appel à ses lecteurs pour lui envoyer leur solution à ce mystère.

De façon classique, l’album confronte un texte, page de gauche, à une illustration, page de droite. Celle-ci reprend, pour l’essentiel, le même décor urbain. Un trottoir noir, une basquette bleue, des enfants colorés, et un arrière-plan traité dans les gris : la fenêtre et la porte cochère d’un immeuble, numéro 21. Seules variations : la présence ou non des enfants, la représentation de la cause de la présence de la chaussure, et un chat roux derrière la fenêtre. Ce dernier assiste à tout, faisant le dos rond par le tyrannosaure, témoin muet mais expressif, qui s’en va en même temps que les enfants. Quelques illustrations sortent de ce cadre et entraient le lecteur dans l’imaginaire débridé des enfants.

Le texte, très vivant, fait la part belle au dialogue entre les enfants, qu’une autre illustration très expressive représente en bas de page de gauche. Cet album se présente donc comme un jeu incluant l’auteur, qui devient personnage de son livre : comment, à partir d’un fait banal, l’imagination peut se mettre en route et proposer des explications à la fois pleinement logiques et irrationnelles, entrainer dans une espèce de surenchère verbale jouissive pour le plus grand plaisir du lecteur. On peut aussi y voir une certaine conception de la littérature ou de l’art : à partir d’un fait réel, conduire le lecteur dans un autre univers surprenant, émerveillant, poétique et drôle, où tout peut arriver. Autre façon de dire le pouvoir de l’imagination et du récit pour nous divertir dans un mouvement sans fin qui entraine aussi le lecteur.

Un bel album sur l’enfance, l’amitié, et le pouvoir du langage et de l’imagination.

Louyétu ?

Louyétu ?
Geoffroy de Pennart
Ecole des loisirs – kaléidoscope- 2019

Thème et variations…

Par Michel Driol

Prenez une chanson connue – Promenons-nous dans les bois… et ajoutez lui l’univers de Geoffroy de Pennart : son loup, Igor, ses personnages fétiches, Monsieur Lapin, les trois petits cochons,  la chèvre et les 7 chevreaux, et, bien sûr Chapeau rond rouge… et opérez juste une inversion : au lieu de s’habiller, le loup se déshabille… et se met au lit, en caleçon et tricot de corps… pour le plus grand plaisir de tous ceux qui ont peur d’Igor et peuvent en profiter pour jouer à leur aise.

Album en randonnée, comme la chanson, qui permet de faire intervenir chacun des personnages effrayés par Igor à tour de rôle, répétant le refrain qui donne son titre à l’ouvrage, en alternance avec les doubles pages où Igor enlève des vêtements dont les noms riment en « on » jusqu’à ce qu’il se glisse sous l’édredon…

Album cartonné, aux images simples et lisibles, au texte répétitif facilement compréhensible, Louyétu ? constitue un bel exemple d’intertextualité pour les tout-petits. Jeu avec ses albums précédents, jeu avec une chanson enfantine connue, il illustre une certaine conception de l’enfance et de la littérature : la dimension ludique, le plaisir de la reconnaissance et de la transformation, et le plaisir de vaincre ses peurs dans un rire libérateur… Ou une invitation à profiter des moments de calme. Pendant que le chat n’est pas là, les souris dansent… Jouons tant que le loup n’est pas là !