Le bateau des pirates

Le Bateau des pirates
Alain Boyer

Larousse (Livres à construire), 2010

C’était un grand vaisseau taillé dans l’or… le carton massif

 Par Mathieu Freyheit

pirates,  Alain Boyer,  Larousse (Livres à construire), Mathieu FreyheitOn l’oublie trop souvent : originellement, le corsaire désigne le navire équipé et amé en vue de pratiquer la course. De la même manière, le pirate désigne le vaisseau qui s’engage sur les mers en vue de pratiquer la piraterie. Ce n’est que par un glissement sémantique et une forme d’assimilation que le mot a fini par qualifier le personnage que l’on connaît, poignard entre les dents et perroquet sur l’épaule. C’est donc bien le pirate, entendons le navire, que ce livre propose de construire.

Un livre-objet dont l’attrait essentiel est l’objet : la maquette du bateau. Pour les plus gauches, pas de panique. En plus d’être solide, l’ensemble se monte très facilement, et vous trouverez à la fin du livret toutes les explications nécessaires. Pas de piège, pas de complications. La maquette, colorée, se complète d’un certain nombre de personnages et d’éléments de jeu. L’objet final est assez maniable et réussi, même s’il ne brille pas par son originalité.

Quant au livre, cartonné, il se compose d’une trentaine de pages destinées à faire découvrir – ou redécouvrir – la vie des pirates. L’intérêt du livre est notamment de se concentrer sur les aspects de la vie à bord du navire : règles, punitions, mais également hiérarchie entre les marins et rôle tenu par chacun. Le bateau est présenté comme un ensemble vivant, sorte de micro-société où s’organisent les pirates. Une double page est également consacrée aux divers bateaux dont ont pu faire usages les pirates sur les différentes mers du monde, de la jonque au chébec, en passant par le sloop et le brick.

Le livre n’échappe évidemment pas aux grands classiques du genre. Le drapeau noir y figure en bonne place à côté des éléments les plus connus de la piraterie : l’inévitable trésor, les surnoms des pirates, les grandes fêtes mêlées de rhum, de femmes et de bagarres. On apprécie cependant l’effort fourni pour apporter des connaissances moins courantes dans la littérature de piraterie, notamment dans la double-page dédiée à l’historique de la piraterie où l’on peut lire, à côté de celle du célèbre Barbenoire, les histoires de César et d’Eustache le Moine.

C’est finalement l’idée de centrer l’attention sur le navire qui fait le véritable avantage de ce livre. Peut-être aurait-il fallu aller plus loin, et ne pas nécessairement s’attarder sur des éléments trop familiers qui empêchent l’album de réellement se distinguer des autres. Par ailleurs, les illustrations manquent cruellement d’originalité et empruntent un style déjà vu qui ne rend pas service à l’ensemble.

Le Buffon choisi

Le Buffon choisi
Benjamin Rabier

Ciconflexe, 2010

A lire aux enfants pour se faire plaisir (et instruire en s’amusant !)

Par Anne-Marie Mercier

buffon,benjamin rabier,anne-marie mercier,animaux ciconflexeRéédition de l’album de 2009 (Circonflexe), lui-même repris de l’édition du même titre de 1924 (Garnier), cet album est une anthologie de textes et d’images tirés du Buffon de Benjamin Rabier commandé au dessinateur par la maison Garnier et paru en 1913.

La sélection a bien évidemment ôté les textes qui choqueraient les lecteurs des 20e et 21e siècles (notamment sur les races et la place des femmes) et choisi principalement des animaux connus, domestiques ou familiers (la brebis, le cochon d’inde…) ou exotiques (le tigre, le singe…). On ne trouvera donc pas le cycloptère ventru, ni le tcha-chert-bé.

La nomenclature de Buffon étant pour l’essentiel encore actuelle, elle est ici simplifiée et il n’y a rien de démodé : l’on peut apprendre un début de classement (gallinacées/ échassiers… poissons cartilagineux/poissons osseux…).

Les illustrations sont sages et visent au réalisme. Les planches en couleur hors textes sont attachantes et rappelleront au lecteur adulte des lectures chez les grands parents et offriront aux plus jeune une vision de l’image documentaire plus poétique qu’à l’ordinaire (le singe se regardant dans la glace, l’éléphant se saisissant du chasseur, le paon devant un palais oriental, les lapins sous la lune…)

Enfin, la langue de Buffon, toujours belle et claire est maintenue, et c’est un délice de lecture. Un bémol toutefois : le texte est autant expurgé qu’abrégé. Pour en donner une idée, voici quelques unes des phrases qui ont été ôtées à la description du cochon d’Inde (sans que la coupe soit signalée) : « Ces animaux sont d’un tempérament si précoce et si chaud, qu’ils se recherchent et s’accouplent  cinq ou six semaines après leur naissance ; » […] « ils n’ont de sentiment bien distinct que celui de  l’amour, ils sont alors susceptibles de colère, ils se battent cruellement, ils se tuent même quelquefois  entre eux lorsqu’il s’agit de se satisfaire et d’avoir la femelle. »

La fin est presque intégralement maintenue, et l’on y entend le rythme de la phrase de Buffon :

« naturellement doux et privés, ils ne font aucun mal, mais ils sont également incapables de bien, ils ne  s’attachent point : [ils sont] doux par tempérament, dociles par faiblesse, presque insensibles à tout ». Il manque la suite, qui montre le regard de Buffon : « ils ont l’air  d’automates montés pour la propagation, faits seulement pour figurer une espèce. »

Pour les passionnés – ou pour le devenir, plusieurs idées : aller acheter chez les bouquinistes l’édition complète avec des planches, s’offrir une édition courante (moins cher), ou bien (gratuit) voir le texte de Buffon en ligne (http://www.buffon.cnrs.fr/).

Pour tous : offrir d’urgence cet album aux petits enfants sages, afin de se faire plaisir à dire ce beau style en leur faisant la lecture. Et demain, on découvrira sur le site les nouveaux volumes des Sciences naturelles de Tatsu Nagata : le pou et le cheval, en albums.

Gargouilis

Gargouilis
Nina Blychert Wisnia
Rouergue, 2010

« Tout, tout, tout, vous saurez tout … »

par Anne-Marie Mercier

Gargouilis.gifL’estomac, cet être étrange, n’aura plus de secrets pour nous : à quoi il sert, ce qui en sort (scato rieur), ses différentes formes, combien il y en a dans un ventre de girafe, comment il fonctionne ou dysfonctionne (superbe jeu du labyrinthe faisant passer par différents aliments pour provoquer diarrhée, constipation ou bonne santé…).

C’est un excellent documentaire doublé d’un album très drôle aux illustrations souvent loufoques qui imite les dessins scientifiques (dessins en coupe, légendes…).

A conseiller vivement à tous, et notamment à ceux qui veulent faire comprendre ce genre de texte de façon amusante ou réfléchir sur les usages de la littérature de jeunesse dans tous les domaines – les conseils du loup sont hilarants, et sa digestion du Chaperon rouge est un morceau d’anthologie !

Les Maîtres du jeu vidéo

Les Maîtres du jeu vidéo
David Kushner

Traduit (anglais) par Marguerite Baux
L’école des loisirs (medium), 2010

 

Success & game  story

Par Anne-Marie Mercier

lesmaitresdujeuvideo.jpg« Milliardaires à 22 ans en travaillant la nuit, en mangeant des pizzas et en écoutant du Heavy Metal »… cette formule de la quatrième de couverture résume bien le parcours de John Romero et John Carmack, de 1979 à 2001. De leur découverte des jeux d’arcade – et de l’inquiétude de leurs parents – à leurs premiers essais pour transférer des jeux (comme Mario) de console sur PC, à l’invention du FPS (l’un des types de jeux les plus populaires), jusqu’à la réussite de Id software et la célébrité de jeux comme Wolfenstein, Doom et Quake.

NB: pour ceux qui n’y connaissent rien, un article avec une bonne biblio se trouve sur Wikipedia http://fr.wikipedia.org/wiki/Jeu_vidéo

C’est écrit de façon très enlevée, et bien traduit, on ne s’ennuie pas à lire ce long récit (363 p.) qui ne manque parfois pas d’humour, prenant ses distances avec ses héros qu’ils présente parfois comme des adolescents immatures ou des voyous (l’un plus que l’autre), mais toujours comme des jeunes gens passionnés et déterminés. Le parcours des protagonistes est restitué selon sa chronologie, mêlant les détails techniques et financiers avec ceux de la vie personnelle.

Le livre a un double mérite. Il présente l’envers du décor des jeux, en fait l’historique et la critique ; les amateurs de tous âges seront certainement très intéressés par tous ces détails. Il propose également une histoire de passion et de volonté, de succès à l’américaine : comme le dit Carmack, « pour se lancer et réaliser un grand projet, il ne faut pas des millions de dollars. Il faut juste des bonnes réserves de pizzas et de Coca Light dans son frigo, un PC et beaucoup de bonne volonté ». Ajoutons également un peu de génie…

Ce livre, atypique par rapport à la production habituelle de l’Ecole des loisirs et peu connu des amateurs de jeu connaîtra sans doute une nouvel élan car il est chroniqué depuis peu dans un blog qui leur est dédié, avec une critique très élogieuse qui en donne un résumé détaillé.

http://www.gameblog.fr/article-lecteur_924_les-maitres-du-jeu-video-par-david-kushner

Les Mohamed

Les Mohamed
Jérôme Ruiller
Sarbacane, 2011

La Sociologie est un sport de combat… en BD

Par Anne-Marie Mercier

 Soutenu par Amnesty international, cette bande dessinée est une adaptation d’un livre de sociologie, Mémoires d’immigrés de Yamina Benguigi. Trois sections proposent différents portraits : les pères, les mères, les enfants.

À la manière de Maus, l’auteur présente les êtres humains sous une forme vaguement animale: ils ont tous des oreilles rondes (souris, ours?…), quels que soient leur origine ou leur sexe. Mais il n’y a pas de diabolisation, juste un regard lucide sur les conditions d’existence (la misère des bidonvilles, des foyers pour hommes, le rêve du HLM, la solitude, le regret du pays, quelques éclairs de solidarité et d’amour). Si la section des pères est dominée par le silence et la soumission, celle des mères est davantage portée par le désir de liberté et la curiosité. Celle des enfants est marquée par la révolte et l’action sociale ou politique, la quête d’identité et de reconnaissance.

C’est toute une part de notre histoire qui est ici écrite et dessinée à travers des récits de vie portés par un langage très individualisé, des voix marquées par un accent, des images, des tournures. Chacun s’inscrit dans son décor, entouré d’objets, pauvres mais porteurs de toute une vie. L’ensemble est d’une grande humanité. C’est un très beau moment de lecture, pleine de poésie simple et de rélité.

Le narrateur et son projet y figurent, tantôt de façon rétrospective lorsque, dix ans auparavant, il interroge lui-même son père, qui participa à la guerre d’Algérie, tantôt de façon contemporaine lorsqu’il s’interroge sur son propre regard sur les immigrés ou sur la proximité de situation entre sa fille handicapée et ceux que la société française voudrait tenir à l’écart. En arrière-plan, deux figures incarnent l’une le démon du racisme qui guette toujours la société française, (« ça revenait par vagues, inlassablement ») et l’autre l’espoir, couronnée de feuillage et souriant sereinement. Ces deux figures incarnent les deux faces de ce livre, l’une terrible et noire révélant la honte d’une époque, l’autre plus heureuse imaginant la possibilité d’une société tolérante et réconciliée. Deux événements se font face de la même manière : le massacre de Charonne et la marche pacifique des maghrébins de Marseille à Paris, la « marche des Beurs » de 1983, pour aboutir à l’échec du rêve d’une France « black, blanc, beur » de la coupe du monde de 1998.

C’est tout un pan de l’histoire de la France qui est racontée ici, à travers la guerre d’Algérie, le regroupement familial, les crises économiques, les politiques sociales et la montée des communautarismes. Les mémoires d’immigrés forment une partie de cette histoire et il est bon que, à travers une bande dessinée, cela soit rappelé.

Plouf! un abécédaire aquatique

Plouf ! un abécédaire aquatique
Thomas Baas

Seuil Jeunesse, 2011

Des épinards à la querelle, en passant par la noix

par Christine Moulin

thomas baas,seuil jeunesse,mer,abécédaire,clac book,christine moulinLa collection Clac Book est vraiment surprenante. Les genres sont variés et les surprises bonnes ou moins bonnes… Le cru est à recommander, cette fois. Les illustrations de cet abécédaire, toutes rondes, fondées sur quelques couleurs récurrentes, forment un paysage attractif et joyeux. Mais ce qui est très amusant, ce sont les mots choisis qui sont loin de tous appartenir au champ lexical de la mer. Seule l’image peut alors expliquer la présence de tel ou tel vocable : rien de pesamment didactique, donc. Le jeu avec le genre est agréable, sans pour autant gâcher le plaisir prévisible des tout-petits.

Pascal, d’un infini à l’autre

Pascal, d’un infini à l’autre
Orietta Ombrosi, Géraldine Alibeu
Seuil, 2009

Un singulier divertissement

par Christine Moulin

Voici un documentaire sur la vie de Pascal (oui, Pascal, celui des Pensées), paru dans la collection « Coup de Génie », qui a pour mission de faire découvrir aux enfants des scientifiques et savants célèbres (ils peuvent ainsi faire la connaissance également de Gutenberg, Pasteur, Darwin et Galilée). De fait, l’album est rendu particulièrement attrayant grâce aux magnifiques illustrations de Géraldine Alibeu (cf. On n’aime pas les chats ou Le petit chaperon rouge a des soucis), qui mêlent fantastique (personnages morcelés, aux postures improbables) et précision nostalgique (papier millimétré, fragments d’anciennes gravures).

Dès le début, le texte, par l’emploi du présent, nous fait découvrir l’enfance des Pascal, sans pour autant en gommer l’étrangeté : « […] les maths et la géométrie leur sont strictement interdites. D’après M. Pascal, ces matières ne sont pas pour les enfants »… Les éléments marquants et célèbres de la vie et de la pensée de Blaise défilent : la création de la machine à calculer, la « pascaline » ; l’expérience de la Tour Saint-Jacques, destinée à montrer que le vide n’est pas « rien » ; le « roseau pensant » ; l’intérêt pour les jeux de hasard ; le pari ; le divertissement ; les Pensées ; la nuit où il a « une étrange vision » qui lui fait découvrir le « Dieu de Jésus-Christ » ; l’invention des « transports en commun ».

Le propos est plaisant, même si certains passages peuvent sûrement décontenancer les plus jeunes : « Voilà une première découverte : le sans fin des nombres ou l’infini en nombre. Mais pour Pascal il n’y a qu’un seul infini ! ». Toutefois, on reste un peu à l’extérieur, on s’ennuie parfois : les explications sont maigres pour un documentaire, les émotions rares pour un récit. Si bien que renaît l’interrogation qui est au cœur de la réception de la littérature pour la jeunesse : doit-elle servir à instruire ou à divertir ?

Le Petit album des poils

Le Petit album des poils
Pernilla Stalfelt
Traduit (suédois) par Sandrine de Solan
Casterman (les choses de la vie), 2010

Tout, vous saurez tout…

par Anne-Marie Mercier

Il y a tout dans cet album, documentaire et cependant humoristique et parfois loufoque ; tous les types de poils, tous leurs lieux, leurs rôles, ce qu’on fait avec (ou sans). Les dessins qui ne cherchent ni l’esthétisme ni le réalisme ont un côté joliment ébouriffé. Le texte, faite de phrases courtes ou de notations brèves est adapté à tous les lecteurs.

Pernilla Stalfelt, auteure suédoise a été traduite dans la collection « les choses de la vie » dans laquelle on trouve ses albums sur tous les sujets brûlant que sont les poils l’amour, le caca, la mort, la peur, la violence… l’ensemble est joyeux.

L’alphabet des gens

L’alphabet des gens
Przemyslaw Wechterowicz et Marta Ignerska
Traduit (polonais) par Margot Carlier
Rouergue, 2010

Alphabet des grands

par Anne-Marie Mercier

Cet alphabet est un très bel album, conçu autour d’une belle idée : prendre des silhouettes de gens et en faire des lettres (on retrouve ici une idée ancienne sur l’invention de l’écriture). Des ventres font un D, des cheveux un J, deux hommes qui se serrent la main un H… Les figures humaines sont dessinées à l’encre sur un fond clair, découpé et collé sur un fond coloré. Les lettres sont superbement étalées. Le texte, un peu elliptique, fait entendre les voix de toutes les personnes croquées : vieux, jeunes, hommes et femmes, etc.
C’est un bel objet à feuilleter, à savourer, mais ce n’est pas le support idéal pour  faire apprendre les lettres à des enfants de trois ans. On le verrait mieux pour des enfants plus âgés (ou des adultes) travaillant sur la forme et le trait.