Faire la paix

Faire la paix
Philippe Godard illustrations de Barroux
Saltimbanque 2022

La paix n’est pas une utopie…

Par Michel Driol

En ce jour, triste anniversaire de l’invasion par la Russie de l’Ukraine, n’hésitons pas à lire et faire lire cet ouvrage particulièrement documenté de Philippe Godard, paru il y a déjà un an, bien avant le début de ce conflit. Faire la paix, un texte engagé, superbement mis en image par Barroux fait la liste de tous les domaines où les efforts sont nécessaires pour la construire durablement. Parcourir le sommaire est éclairant pour mieux comprendre la démarche suivie par cet ouvrage, qui se veut une véritable encyclopédie. Faire la justice pour faire la paix, faire la paix  avec les différences, faire la paix entre les religions, faire la paix avec l’ennemi, faire la paix en refusant la violence, faire la paix avec sa conscience, faire la paix avec le vivant.

C’est un essai qui ne tombe pas dans le simplisme, ou les simplifications abusives ou idéologiques. Il ne cherche pas non plus à manipuler les lecteurs, mais leur ouvre des espaces de réflexion à partir de détails concrets, de faits historiques ou de leur vécu. Le livre est écrit dans une langue accessible à tous, autour de paragraphes relativement concis, consacrés à un sujet bien précis, et vise à permettre la construction d’un monde plus harmonieux où chacun pourrait vivre en paix avec lui-même, avec les autres, avec le vivant. Il ne cherche pas à éluder certains points (celui de la religion, celui des communautés, celui du nombre d’armes en circulation), mais il les explicite, les remet à leur juste place dans un ensemble bien ordonné. Quelques figures historiques sont convoquées, de Martin Luther King à Jean Giono ou Greta Thunberg, en passant par d’autres moins connues comme Sébastien Castellion, voire des anonymes de l’âge des lecteurs, dont on n’aura que les prénoms. Façon de dire que ces réflexions, ces actions, ces engagements sont à la portée de toutes et de tous, et que chacun peut concrètement apporter sa pierre à la construction de la paix.

On saluera l’originalité – et la nécessité – de l’ouvrage à l’heure où de nombreux textes de littérature jeunesse évoquent les conflits, les guerres : il s’agit de montrer aux adolescents qu’on peut se battre pour quelque chose et non contre, que la paix est l’affaire de toutes et de tous, et qu’elle est en relation avec de nombreuses valeurs à défendre.

Signalons enfin que cet ouvrage est parrainé par Amnesty International qui le qualifie de « puissant plaidoyer pour une monde de paix et de justice, un monde où les droits de chacune et de chacun soient respectés.« 

Le Lion aux yeux d’or

Le Lion aux yeux d’or
Géraldine Elschner, Anaïs Brunet
avec la voix de Michel Vuillermoz et la musique de Beethoven
L’élan vert, 2022

Bonheur, musique et peinture

Par Anne-Marie Mercier

L’album nous invite chez la marraine de Léonie, Rosa. Elle vit dans un château avec de nombreux animaux, et parmi eux un lion : est-on dans une aventure du type de Narnia ? Pas du tout, c’est presque un album documentaire. Cette marraine un peu fée est Rosa Bonheur, peintre peu connue jusqu’à la grande exposition qui lui a été consacrée à Paris, au musée d’Orsay, en 2022. À la fin de l’album, quelques paragraphes donnent des informations sur sa vie et expliquent la part de vérité (forte) de ce qu’on peut voir dans l’album.
Un orage met un peu de mouvement dans cette découverte un peu tranquille. C’est aussi l’occasion de placer la Pastorale de Beethoven : en effet l’album est un livre musical : un QR code donne accès au son, avec le texte lu d’une belle voix claire par Michel Vuillermoz et des extraits de compositions de Beethoven.

Les images d’Anaïs Brunet, des gouaches à fond perdu, sont belles et nous font effectivement visiter le parc et le château. Le portrait du lion (qui se trouve au Prado) ouvre la partie documentaire et donne une bonne idée de l’art du peintre dont les compositions figurent de façon stylisée dans le décor. Voilà une très jolie façon de faire du documentaire.

Nick et Véra

Nick et Véra
Peter Sís
Traduit (anglais, USA), par Christian Demilly
Grasset jeunesse, 2022

Celui qui a « fait ce qu’il fallait faire » :  héros ordinaire ?

Par Anne-Marie Mercier

Comme toujours chez Peter Sís, la beauté des images accompagne sans lourdeur un propos intéressant et grave : ici il s’agit d’une histoire peu connue, celle d’un héros resté longtemps dans l’ombre : on découvre l’enfance heureuse de Nicky (Nicholas Winton), jeune homme insouciant, sportif et passionné d’escrime. Adulte, devenu banquier, un voyage à Prague, en 1938, lui fait comprendre une partie de l’étendue de la catastrophe à venir et la menace que fait peser l’Allemagne hitlérienne sur les juifs de la ville : il décide d’aider une organisation qui se charge de mettre des enfants à l’abri en les envoyant dans d’autres pays européens. Il s’agit de prendre leur nom, une photo, et de trouver pour eux une famille d’accueil (pour lui ce sera en Angleterre, où il vit), des papiers, un billet de train… Six-cent-soixante-neuf enfants sont ainsi sauvés. Les cent cinquante qui n’ont pas pu prendre le dernier train, bloqué par la déclaration de guerre, sont tous morts, à l’exception de deux. Véra fait partie des enfants pris en charge par le premier convoi organisé par Nicky.
Suit la vie de Nick, soldat pendant la guerre, puis menant une vie discrète dans les années qui suivent, ne disant rien de cet épisode, jusqu’au jour où la télévision britannique organise une rencontre surprise avec des membres du groupe de ces enfants rescapés. On voit une également partie de la vie de Véra, des bribes de ce qu’elle-même raconte dans le récit de son enfance qu’elle a fait publier en 1989.
On ne peut pas raconter des images, surtout celles de Sis : labyrinthes, nuages, lignes de fuite, ciels gris chargés d’avions gris, traits parfois enfantins proches du grotesque pour masquer l’horreur, couleurs suaves ou ternes, chaque double page est un poème : enfances perdues, pays dévastés, espoirs, retrouvailles, modestie, tout y est.

Une Toute Petite Goutte de pluie

Une Toute Petite Goutte de pluie
Galia Tapiero, Marion Brand
Kilowatt, 2022

Canicule : retour à l’essentiel

Par Anne-Marie Mercier

Une toute petite goutte qui devient grande et essentielle est l’héroïne anonyme d’un petit livre tout simple qui soulève une question elle aussi essentielle (encore plus cruciale en temps de sécheresse) : d’où vient la pluie ?
Il s’ajoute à de nombreux ouvrages sur la question (notamment le fameux Perlette, goutte d’eau de Marie Colmont illustré par Gerda Muller (réédité chez le Père Castor en 2018) sans être redondant : la simplicité de ce livre qui s’affirme sans simplifier le propos le sert. Ici, pas de fictionnalisation (comme dans Perlette) qui pourrait gêner le propos scientifique. Mais une belle ouverture sur l’espace entier, montrant que tout le globe est impliqué dans le processus : glaces, océans, lacs, cours d’eau, tous, représentés chacun dans une double page sobre au dessin réduit encore à l’essentiel. Les pages sont  colorées de bleus et de jaune (pour l’eau et le soleil), tandis que les zones laissées en blanc laissent voir la pureté géométrique du trait : arrondi des collines, verticalité des rayons du soleil, etc.
Évaporation, condensation, formation de nuages, pluie et bienfaits de la pluie pour les cultures, les animaux… Tout est dit en mots simples pour ramener finalement au vécu des enfant : on les voit en dernière page, chaussés de bottes, jouer dans les flaques (on en rêve!)

Voir sur le site de Marion Brand, qui a également illustré Un tout petit grain de sable, chez le même éditeur.

éditions Kilowatt

La Grande Escapade

La Grande Escapade
Clémentine Sourdais
Seuil jeunesse, 2021

Là-haut sur la montagne…

Par Anne-Marie Mercier

« Livre randonnée », ce livre à découpes mérite bien son nom : nous suivons l’itinéraire d’une jeune fille, Brume, partie au matin en laissant un mot sur a table « pour dire qu’elle reviendra » : on traverse la forêt, les champs de fleurs, l’alpage, on découvre les sommets, à la fois proches et lointains, et puis on redescend, le cœur plus léger qu’à la montée : Brume s’est disputée la veille avec sa mère, et toutes deux ont fait la même chose, chacune de leur côté.

Une journée seule, à côtoyer les animaux, les plantes, à manger des myrtilles et rêver, et tout s’arrange. Pour le lecteur aussi cette promenade pleine de fraicheur est un parfait dépaysement. Les rabats, nombreux, lui font découvrir la faune et la flore, ouvrent les perspectives, déploient les nuances en pages composées en camaïeux. C’est une belle promenade, pleine de surprises.
C’est aussi une petite encyclopédie sur la montagne : on trouve en fin d’album quatre doubles pages qui reprennent en les nommant les animaux et plantes rencontrés dans l’album. Certains sont accompagnés d’un court texte explicatif.

 

Les Pieds dans la terre

Les Pieds dans la terre
Claire Lecoeuvre – Illustrations d’Arnaud Tételin
Les Editions des éléphants 2022

Cinq histoires de paysans

Par Michel Driol

Dans ce documentaire, ce sont cinq fermes, cinq familles de paysans, que l’on suit sur 3 générations. A chaque fois, cela commence par une carte, montrant l’évolution du parcellaire agricole, de la ferme et de son environnement,  la disparition des haies, l’urbanisation, le remembrement… sur 70 ans. Puis l’on a les portraits des membres des trois générations qui ont fait la ferme, et l’on découvre alors comment elle fonctionnait dans les années 40-50,70-80, 2000 et 2020, à partir des propos d’un des membres de la famille.  Pour les cinq fermes, situées dans cinq régions différentes, une constante : on passe d’une agriculture traditionnelle à une agriculture biologique aujourd’hui.

Un peu à la manière de Depardon, voilà un documentaire passionnant sur l’évolution de l’agriculture au travers de cinq histoires, qui donnent la parole à ces paysans qui expliquent comment ils souhaitent vivre dignement de leur travail, protéger l’environnement et proposer des produits de qualité. Les textes font alterner les souvenirs, les témoignages de ces acteurs avec leurs biographies, ainsi que des commentaires qui mettent l’accent sur tel ou tel aspect du travail de la terre ou de l’élevage. Les illustrations, souvent en pleine page, montrent avec réalisme les lieux, souvent en plongée, façon de prendre de la hauteur, ou les gens au travail.

Un album qui est tout à la fois un témoignage précieux quant à l’évolution de notre agriculture, et un plaidoyer pour une autre façon de cultiver la terre et de se nourrir.

Méditer avec les Zamizen. Apprendre les émotions en s’amusant, vol. 1

Méditer avec les Zamizen. Apprendre les émotions en s’amusant, vol. 1
Marc Singer, Stéphane Mallard, Agathe Singer (ill.), Iris Singer et Robbie Marshall (chant), etc.
Voltaire et les Zamizen, Maison Eliza, 2021

Méditer en chantant

Par Anne-Marie Mercier

Voltaire, ne rêvez pas, c’est un chat, mais un chat quasi-philosophe… Il serait plutôt du côté du Zen, comme le titre l’indique et comme le programme le montre : « ne pas se laisser déborder par les émotions, quand on est stressé, en colère, quand on a peur, quand on n’est pas d’accord avec quelqu’un, ce qui arrive à tout le monde ».
Calmer le jeu, faire une pause, travailler sur sa respiration. Rompre avec le mécontentement, être attentif à son humeur comme à la météo, s’initier à la méditation, apprendre à accueillir la nouveauté, l’autre…
Tout cela est présentés en textes et en mini BD qui mettent en scène le chat et mettent en chansons les histoires pour illustrer le thème. Elles sont présentées dans le livre, sous la forme de textes poétiques en pages de gauche et de portées musicales en page de droite : voilà de quoi aider les parents et éducateurs à accompagner aussi en musique.
Et pour ceux qui ne sauraient pas en jouer il y a le CD, ou le Qr code : tout est prévu ; on y trouve la chanson joliment accompagnée au xylophone, à la guitare, au saxo, etc.  et les paroles qui guident la méditation.

Voltaire et les Zamizen, c’est une équipe, un projet, un programme pour l’école ou la famille, une boutique (qui vend le livre et un jeu de cartes sur les émotions), un site. Leur but : « transmettre aux enfants les clés pour inventer un monde plus paisible et heureux. Un monde plus ouvert et bienveillant ».

 

Femmes au fil du temps

Femmes au fil du temps
Katarzyna Radziwill, Joanna Czaplewska (ill.)
Helvetiq, 2021

Une histoire du progrès ?

Par Anne-Marie Mercier

Grand album, petite encyclopédie, long parcours, il y a tout dans cet album où les femmes sont représentées en petites figures colorées (selon les modes) dans leurs activités : broyage des céréales, cuisine, couture, puis des activités plus diversifiées (dentiste, ministre, pilote…). Les Égyptiens apparaissent comme les plus avancés de l’Antiquité, les romains comme des super patriarcaux, quant aux Grecs, en lisant en détail, on voit que cela dépend des villes…
C’est un peu sommaire et général, certes (la bibliographie date un peu d’ailleurs) mais tout à fait adapté pour un parcours comparé de l’histoire de l’humanité, qui apparait sous toutes ses couleurs (du moins jusqu’au Moyen age, période après laquelle l’Europe seule est prise en compte, puis l’Amérique du nord, mais le titre insiste sur le temps et non sur l’espace – il a fallu sans doute faire des choix).
On trouve des détails sur le mariage, la maison, l’éducation, la mode, la mention de la première manifestation pour les droits de femmes (à Rome), celle de la première femme premier ministre (en Russie, en 1817), de la dernière emprisonnée pour sorcellerie (en 1944). On a des résumés sur le droit de vote, qui montrent le retard de la France, et sur les actions en cours contre les inégalités et les stéréotypes, toutes sortes de détails actuels intéressants.
Une préface de Micheline Calmy-Rey, présidente de la confédération helvétique entre 2007 et 2011, ouvre à propos l’ouvrage.

 

Qui a peur de la peur ?

Qui a peur de la peur ?
Milada Rezkovà (texte), Lukàš Urbanek, Jakub Kaše (ill.)
Traduit (tchèque) par Eurydice Antolin
Helvetiq, 2021

Une émotion vue dans les grandes largeurs (et en détail)

Par Anne-Marie Mercier

On trouve de nombreux livres plus ou moins bien faits sur les émotions, mais rarement un projet aussi élaboré et aussi abouti. Il est fait autant pour l’enfant que pour les adultes qui cherchent à l’éduquer et le rassurer, contrairement à la plupart, qui sont des livres conçus comme des supports d’éducation ou d’enseignement, et non comme des objets de plaisir, de curiosité, de réflexion et de jeu.
Pas de pensée simplette  ici : la peur est montrée comme un phénomène normal, naturel, qui touche tout le monde, même les adultes et les animaux. On apprend comment elle fonctionne, en quoi elle est nécessaire pour la survie, comment elle évolue avec l’âge et les expériences, comment elle diffère selon les individus, quelles phobies diverses peuvent affecter certains…
Mais ce parcours n’a rien d’un livre encyclopédique ardu car il sollicite sans cesse son lecteur par le jeu, l’imagination, la création (plusieurs pages vierges sont proposées pour y dessiner ou écrire comment on se représente la peur, ce qu’on en a vécu comme expérience). La peur elle-même s’adresse au lecteur, consciente de son rôle et montrant qu’il ne faut pas la craindre, mais la comprendre. Elle introduit le lecteur à toutes ses nuances (appréhension, anxiété, nervosité…) ; le vocabulaire est d’une extrême richesse et la traduction (du tchèque) d’un grand naturel. La peur donne aussi des secrets et petits trucs pratiques pour  dompter ou  contourner ses peurs.
Les illustrations sont souvent cocasses, parfois belles, elles sont dues à deux graphistes pragois. De courtes bandes dessinées proposent des situations bien connues des enfants et adolescents (par exemple la crainte de faire un exposé en classe). Le choix de gros caractères et d’images en grand format rend l’ouvrage facile à lire à plusieurs.
C’est donc le livre parfait pour tout comprendre de la peur, chez soi ou à l’école, débattre sans crainte, grandir sans appréhension. Et que de choses on y apprend (tiens, saviez-vous que les requins ont peur des dauphins ?).
Une critique et des images à lire et voir sur mômes.net

 

 

Eau douce

Eau douce
Emilie Vast
MeMo, 2021

Encyclopédouce

Par Anne-Marie Mercier

Cet album allongé se lit à la verticale; chaque page forme une moitié de la scène à contempler, l’une montrant ce qui se passe au-dessus de l’eau, l’autre ce qui se passe sous la surface, la pliure se situant exactement entre les deux zones. Ces très belles scènes aux couleurs douces (bruns, gris, bleu pâles, parfois quelques touches de rose, de jaune, de bleu vif) alternent avec des pages qui présentent un contenu encyclopédique, décrivant l’état de chacun des « personnages » dans la saison présentée (hiver, début du printemps, printemps, début de l’été…).
Les poissons (ici des ablettes), les grenouilles, les oiseaux (cincles plongeurs et martins-pêcheurs), les insectes (machaons, libellules, scarabées…)… sont vus à différents stades de leur vie, patientant pendant l’hiver, préparant leur portée ou couvée au printemps, la nourrissant ; certains se métamorphosent à l’automne. Parallèlement, les plantes (salicaire, renoncule aquatique, nénuphar…) mènent leur vie.
Tout cela est expliqué dans de courts textes très précis, complétés par un glossaire. La dernière page montre en images les étapes des métamorphoses du papillon, de la grenouille et de la demoiselle, et les cycles du nénuphar et du poisson.
Que de vie sous l’eau douce et à sa surface ! Et aussi quelle délicatesse dans les dessins d’Émilie Vast, quelle apparente simplicité dans cette entreprise d’explicitation de la complexité du vivant et de la variété des saisons !
Chez le même éditeur, on trouvera aussi Eau salée, pour prolonger les eaux d’été.