Eau douce

Eau douce
Emilie Vast
MeMo, 2021

Encyclopédouce

Par Anne-Marie Mercier

Cet album allongé se lit à la verticale; chaque page forme une moitié de la scène à contempler, l’une montrant ce qui se passe au-dessus de l’eau, l’autre ce qui se passe sous la surface, la pliure se situant exactement entre les deux zones. Ces très belles scènes aux couleurs douces (bruns, gris, bleu pâles, parfois quelques touches de rose, de jaune, de bleu vif) alternent avec des pages qui présentent un contenu encyclopédique, décrivant l’état de chacun des « personnages » dans la saison présentée (hiver, début du printemps, printemps, début de l’été…).
Les poissons (ici des ablettes), les grenouilles, les oiseaux (cincles plongeurs et martins-pêcheurs), les insectes (machaons, libellules, scarabées…)… sont vus à différents stades de leur vie, patientant pendant l’hiver, préparant leur portée ou couvée au printemps, la nourrissant ; certains se métamorphosent à l’automne. Parallèlement, les plantes (salicaire, renoncule aquatique, nénuphar…) mènent leur vie.
Tout cela est expliqué dans de courts textes très précis, complétés par un glossaire. La dernière page montre en images les étapes des métamorphoses du papillon, de la grenouille et de la demoiselle, et les cycles du nénuphar et du poisson.
Que de vie sous l’eau douce et à sa surface ! Et aussi quelle délicatesse dans les dessins d’Émilie Vast, quelle apparente simplicité dans cette entreprise d’explicitation de la complexité du vivant et de la variété des saisons !
Chez le même éditeur, on trouvera aussi Eau salée, pour prolonger les eaux d’été.

Le Phare

Le Phare
Sophie Blackall
Editions des éléphants 2021

Ohé ! Du phare

Par Michel Driol

Un nouveau gardien arrive dans un phare isolé sur une ile. Il écrit à sa femme qui vient le rejoindre.  Puis un bébé nait. Un jour arrive une lettre, par le bateau ravitailleur, qui leur annonce que le phare va être automatisé et qu’il n’y a plus besoin de gardien à demeure.

Cet album se situe entre fiction et documentaire. Fiction par l’histoire de ce couple de gardiens et de leur enfant que l’on voit grandir, façon de marquer le passage du temps dans ce lieu clos et immobile. Documentaire par la double page finale, consacrée aux phares du XIXème siècle, mais aussi par la façon d’évoquer le bateau ravitailleur, les naufrages, le brouillard, la réserve d’huile où le mécanisme à remonter régulièrement. Ainsi, on saisit mieux la vie rude de gardien, et les tâches répétitives à accomplir, ou la façon d’être dépendant du temps, à la fois celui qu’il fait et celui qui passe.

Le texte est rythmé par des Ohé ! Ohé ! qui lui donnent l’air d’une comptine et renforcent à la fois l’aspect répétitif de la vie dans le phare, mais aussi l’absence de communication avec l’extérieur. Les illustrations – encre de chine et aquarelle – s’inscrivent souvent dans des cercles, façon aussi de marquer la rotondité du phare et l’enfermement de ses occupants. La figure du cercle est omniprésente. Mais les illustrations sont aussi documentaires : phare en coupe, scène de transfert d’un passager, scène de naufrage… autant de façon de mieux faire comprendre cette vie de gardien. Elles sont enfin une ode au ciel et à la mer, à leurs changements, à leurs couleurs, à leurs états.

Un bel album docu fictionnel, au format allongé comme un phare, pour rendre sensible la dure vie des gardiens de phare et leur rendre hommage, d’en garder la mémoire.

A la mer

A la mer
Emma Giulani
(Les grandes Personnes) 2021

Raconte-moi la mer

Par Michel Driol

On retrouve Prune et Robin – les deux personnages de Au jardin –  au bord de la mer. Ce documentaire animé les conduit dans les dunes, sur le plage, au port, à bord d’un bateau, sur une ile, puis enfin au départ d’une expédition océanographique.

On découvre ainsi une véritable encyclopédie de l’univers maritime, avec sa flore, sa faune, mais aussi les techniques spécifiques liées à cet univers : la signification des bouées, le fonctionnement d’un phare, ou encore la valeur des pavillons de marine. Il s’agit donc d’un ouvrage documentaire très complet, qui répondra à de nombreuses questions que se posent les enfants. La présentation est soignée et ludique, avec de nombreux rabats à soulever qui rendent cette exploration attrayante. Les textes sont accessibles dans leur syntaxe, mais ont parfois recours à un lexique de spécialiste en général bien reformulé pour le mettre à la portée des lecteurs et des lectrices. Les illustrations, souvent conçues à la façon d’un imagier, sont précises et pleines de détail.

Un documentaire animé, pédagogique, de très grand format, qui se termine en insistant sur les dangers courus par la mer et les animaux marins.

Ma Petite Mésange

Ma Petite Mésange
Gerda Muller, Sophie Chérer (texte)
L’école des loisirs, 2020

Petit doc pour petits oiseaux

Par Anne-Marie Mercier

Avec une légère trame fictive (une petite mésange appelée Tulip, des grands parents mignons dans une maison à la campagne avec une deux-chevaux, un petit-fils en vacances) cet album présente la vie des mésanges, d’une saison à l’autre, en commençant par l’hiver où l’on voit le couple d’humains fournir des graines aux oiseaux.
Au printemps, « Tulip est amoureuse » et fonde une famille avec Pitiou. Des petits naissent, on assiste à leur croissance et à leurs progrès – tous ne survivent pas – et à leur envol loin du nid.
On voit comment nourrir les oiseaux et avec quoi (pas de miettes de pain !). On voit Julien et son grand père (et la grand-mère alors, elle ne bricole pas ?) confectionner un nichoir et un bel abri à graines dans l’atelier. Et surtout on voit les délicieuses images de Gerda Muller où plumes et poils font de soyeux effets. On avait beaucoup aimé son talent et ses images un peu surannées dans La Fête des fruits, on le retrouve ici concentré sur les mésanges et sur d’autres petits oiseaux représentés eux-aussi très délicatement (troglodytes, roitelets…), tantôt sur fond blanc comme dans une encyclopédie, tantôt dans un décor simple proposant des fonds aux couleurs intenses et variées.

 

 

La Fête des fruits

 

La Fabuleuse histoire de la terre

La Fabuleuse histoire de la terre
Aina Bestard
Traduit (espagnol) par Philippe Godard
Saltimbanque Éditions, 2020

Quand la science est fabuleuse

Par Anne-Marie Mercier

Publié en collaboration avec le muséum des sciences naturelles de Barcelone, ce superbe album est aussi un livre sérieux et bien documenté. Il nous entraine tout au long de ce qu’on appelle l’histoire de la terre, s’arrêtant à l’apparition des hominidés. Histoire géologique, traces du passé (fossiles), Big Bang, progressive rotondité de la terre, débuts de la vie, premières espèces des fonds marins, premières plantes et animaux qui commencent à apparaitre sur la terre ferme, vie aquatique, grands reptiles (dinosaures), mammifères (les mammouths, les ancêtres des tigres et des buffles,…). Il nous entraine de l’Eon hadéen au mésozoïque, accumulant tous ces noms étranges et fascinants. C’est un long chemin, tout au long des doubles pages de cet album au format à l’italienne, très allongé.

Rien de rébarbatif à ces savoirs : la mise en page intelligente, les procédés pour varier les effets (rabats, calques…) et la beauté des illustrations suffiraient, s’il en était besoin, à rendre tout cela passionnant.
Aina Bestard et les éditions Saltimbanque ont choisi d’imiter l’esthétique d’albums anciens, avec une couverture cartonnées et toilée, des papiers forts aux fonds verts, beiges. Les illustrations ressemblent aux gravures scientifiques anciennes, coloriées de couleurs éclatantes ou sourdes selon le thème. Elles font surgir des paysages extraordinaires qui semblent issus de voyages imaginaires. Aina Bestard illustre avec une certaine liberté (et cela est précisé par le texte) ce que nous dit la science  de notre temps sur ce passé lointain, et cette place laissée à l’imaginaire, paradoxalement, rend plus proche cette extrême ancienneté.

Quel est ce légume ?

Quel est ce légume ?
Anne Crausaz
MeMo, 2019

Des légumes ? Miam !

Par Anne-Marie Mercier

Quel est cet album?
un jeu,
un documentaire,
une aventure,
une encyclopédie,
un livre d’art ?
Tout cela à la fois!

Les légumes ne sont plus ces mets abhorrés de certains enfants (et notamment du fameux Zigomar de Corentin), mais des objets à contempler de près… et sans doute à manger, comme nous y invite la dernière page, tant leurs couleurs, matières, formes sont appétissantes sous le pinceau d’ Anne Crausaz dont on avait admiré les oiseaux .

Elle invite le lecteur à s’en aapprocher de très près, et à participer à un jeu de devinettes en suivant deux fourmis. L’une fait découvrir et l’autre, plus petite, qui joue le rôle d’un enfant, découvre ce monde. La plus grande donne quelques caractéristiques du légume, la jeune doit deviner ce que c’est avant que l’on tourne la page perforée d’un petit trou par lequel passent les deux fourmis.

Elles observent de l’extérieur et de l’intérieur le petit monde qu’elles découvrent : le dégradé du radis, la délicatesse de la tomate, mais aussi le navet, la betterave, les petits pois le poivron… tous forment une palette de couleurs superbes, sur beau papier avec une impression impeccable. Même chose pour les fruits, publié dans la même collection (encore bravo MeMo ! Et il faut aller voir leur site, beau et intéressant).

 

Jesse Owens, le coureur qui défia les nazis

Jesse Owens, le coureur qui défia les nazis
Élise Fontenaille
Rouergue, 2020

Courir, comme si la terre était en feu

Par Anne-Marie Mercier

Certes, Jesse Owens, athlète noir, petit-fils d’esclave, est resté dans l’Histoire pour avoir remporté quatre médailles d’or aux JO de Berlin de 1936 : ces Jeux auraient dû, pour Hitler et Goebbels, être la manifestation de la supériorité de la race aryenne. Mais plus que de l’Allemagne nazie, il est question dans ce livre de l’Amérique de la ségrégation : l’enfance du héros est marquée par les restes de l’esclavage, la peur, le travail, la pauvreté, jusqu’à ce qu’il soit remarqué par un entraineur, se hisse au sommet de la gloire, pour être renvoyé ensuite à sa condition de pauvre : l’Amérique même a eu honte de son champion…
Le récit, bref, sans pathos, est porté par toute l’histoire de ce temps, peu glorieuse des deux côtés de l’océan, par un beau portrait d’homme, simple et volontaire, et par la révélation d’un secret et d’une amitié : un beau chemin à parcourir sans se presser, en méditant chaque épisode, exemplaire.
Et si la réponse à la question posée par Alma (voir chronique précédente) était en partie dans le documentaire?

 

 

Le Carnet du dessinateur

Le Carnet du dessinateur
Mohieddine Ellabbad
Le Port a jauni, 2018

Petite leçon sur les images, d’ailleurs et d’ici

Par Anne-Marie Mercier

Mohieddine Ellabbad (1940-2010), illustrateur égyptien célèbre dans le monde arabe, est ici présenté aux lecteurs francophones à travers un album publié dans deux langues, arabe et français. Son Carnet du dessinateur, « autobiographie graphique de ses sources d’inspirations », est, à la manière du « Je me souviens » de Pérec, un parcours à travers les images qu’un habitant du Caire pouvait voir au milieu du XXe siècle : illustrations de livres pour enfants orientaux ou occidentaux, billets de banque, timbres, cartes postales, calligraphies… Sur ce terreau il a  développé un regard critique et une pratique artistique longue sur laquelle il porte un regard amusé et modeste.
L’album, au format allongé et étroit, se lit de droite à gauche (on commence par la « fin »), et les deux versions encadrent les images, de manière variée. Beau livre, imprimé sur papier fort, avec des couleurs éclatantes, il rend justice à un maître. Il nourrit la réflexion sur le pouvoir des images, sur leur circulation, sur la rencontre de cultures populaires ou savantes de mondes que bien des choses oppose, mais que l’amour de la beauté réunit.

Le Port a jauni a publié un autre ouvrage de cet artiste, dans le même format : Petite histoire de la calligraphie arabe, recensé sur lietje par Michel Driol.

 

La Voix des femmes. Ces grands discours qui ont marqué l’histoire

La Voix des femmes. Ces grands discours qui ont marqué l’histoire
Céline Delavaux
De La Martinière jeunesse, 2019

Se faire entendre/ Les faire entendre

Préfacée par Christiane Taubira, avec un superbe texte, mêlant les souvenirs personnels  à une réflexion à visée  universelle, cette anthologie est à la fois stimulante et instructive. Les oratrices ont en effet une énergie communicative et une argumentation imparable.

On découvre des figures connues et d’autres qui le sont moins, à travers des extraits de discours, de courtes notices biographiques et des photos.
Elisabeth 1ère d’Angleterre, Anne Théroigne de Méricourt, Sojourner Truth, Louise Michel, Emmeline Pankhurst, ouvrent la liste, chronologique et chacune marque une évolution dans l’histoire et parfois les droits de femmes. On trouve par la suite Gisèle Halimi, Simonne Veil, Christiane Taubira… Des figures d’autres pays s’ajoutent à cette liste : Rosa Luxembourg, Indira Gandhi, Angela Davis…
C’est une belle initiation à l’histoire des femmes ; elle revient sur les luttes nécessaires, les avancées et les reculs, et les parallèles faits avec d’autres luttes de libération, comme celles concernant l’abolition de l’esclave, de l’apartheid, du racisme.
Un petit regret cependant : on aimerait bien entendre leur voix : la présence d’adresses internet pour aller vers des archives sonores serait un cadeau appréciable – sur le site de l’INA, par exemple, quand il sera rouvert?

Billes

Billes
Laure du Faÿ
Sarbacane,  2019

Jeux infinis

Par Anne-Marie Mercier

Loin des récits mièvres sur le charme des jeux d’antan, et loin de l’austérité des documentaires, ce bel album, allongé en hauteur, offre le plaisir de contempler les merveilleuses couleurs et irisations de toutes sortes de billes : œil de chat, agate, pépite, perroquet, tortue, essence, sont les plus connues. Mais il y a aussi les abeille, flocon, galaxie, picasso. Selon leur taille elles peuvent être des calots, des mammouths, des mini billes… elles se déclinent en pierre, en verre, en bois, en acier, en os, en terre…
On découvre aussi comment elles sont fabriquées, depuis quand, où, et comment on y joue dans les différents jeux de billes : la tic, le bombardier, le mur, le pot… On pratique le troc, on construit des circuits, enfin il y a d’infinies possibilités.
Laure du Faÿ illustre tout cela en beauté, maniant les couleurs franches et les formes simples, alternant fonds blancs et fonds bleus, vues d’ensemble et détails, scènes et pages documentaires.