J’en ai assez !

J’en ai assez !
Michel Boucher
Motus (mouchoir de poche), 2012

Rêveries matinales

Par Anne-Marie Mercier

J’en ai assezUn enfant devant son petit déjeuner, un rêve qui se poursuit ? en tous cas une occasion de faire trainer les choses avant de partir à l’école ; évoquer une vache fait surgir un train, qui entraine un pont, qui rêve d’aile, qui se veut nuage, etc., jusqu’au lit qui en a assez d’être vide et réclame un enfant.

Les objets, vignettes échappées de gravures anciennes, se succèdent sur le décor crayonné, toujours semblable : un enfant devant son bol de lait, … de vache… puis un train…

Poèmes pour Robinson

Poèmes pour Robinson
Guy Allix, illustrations de Alberto Cuadros
Soc et foc, 2015

Lettres d’amour grand-paternelles

Par Anne-Marie Mercier

poemespourrobinsonBouteille à la mer, lettre ouverte, création pour combler un vide, il y a un peu de tout cela dans ce recueil de poèmes. D’après le premier d’entre eux, ils portent la voix, réelle ou fictive, d’un grand-père s’adressant à son petit-fils qu’il n’a jamais vu et ne verra peut-être jamais.

Mots sur l’enfance et le lointain, sur la transmission impossible, mais aussi sur la vieillesse et le regret de devoir mourir seul (ou du moins sans l’enfance à ses côtés), les poèmes sont beaux et simples et parlent aux enfants de ce qu’on imagine d’eux, de l’âge, de la distance et du temps, mais surtout de l’amour et du regret. Si Robinson est le nom donné à l’enfant, l’île est plutôt celle du grand père, l’île de la solitude.

Espèces de monstres

Espèces de monstres
François David, Olivier Thiébaut
Motus, 2015

Un album « monstre »

Par Anne-Marie Mercier

Espèces de monstresAprès Les Hommes n’en font qu’à leur tête, François David et Olivier Thiébaut reprennent le procédé de portraits composites, à la manière d’Arcimboldo, accompagnés de courts textes poétiques. Ce sont autant de « caractères » (à la manière cette fois de La Bruyère ou La Fontaine) qui sont brossés : monstres fabuleux (le loup du Chaperon rouge), caricaturaux (le monstre d’hygiène, l’encyclopédiste), moraux (le brise-tout).

A cette liste s’ajoutent les monstres qui souillent la nature : marée noire voitures, ordures… François David et Olivier Thiébaut renouent ici avec un autre de leurs albums , Un Rêve sans faim, qui dénonçait les injustices et déséquilibres du monde ; poésie et art engagés ne sont pas avec eux des gros mots, loin de là. Textes simples, riches et rythmés, images sophistiquées alliant les assemblages les plus étranges, tout est… parfait : un album « monstre », qui conjugue monstration, dévoilement et poésie.

 

Un rêve sans faim

Et vogue poulbot !

Et vogue poulbot !
Poèmes de Gaston Herbreteau, illustrations de David Roche
Soc & Foc

Paris est une fête

Par Michel Driol

etvogueOn aurait aimé lire et chroniquer cet ouvrage en d’autres temps, mais, quelques semaines après le 13 novembre, ce texte résonne sans doute différemment Voilà donc un recueil de poèmes, magnifiquement illustrés, qui se présente comme une déambulation dans le Paris populaire, qui commence par le « café au bar » » et qui se termine à une

Terrasse de café
lieu-cocon
seul parmi les autres
lire écrire
… le rêve !

Sur « Trois petites notes de musique », ces poèmes rendent  hommage au Paris populaire, au Paris des chansons. On croisera les figures de Brassens, de Mouloudji , mais aussi celles des hommes qu’ils ont évoqués,  bouquinistes, clowns, balayeurs, exclus et sans abris, tout en arpentant des lieux comme Montmartre, la rue Mouffetard, le pont des Arts, le canal Saint Martin, la Foire du Trône.  On y verra des objets et monuments emblématiques, fontaines Wallace, pyramide du Louvre, cadenas, zouave du Pont de l’Alma. Revient régulièrement le métro, comme lien ou trait d’union, et quelques animaux, chiens et chats… On pourrait se croire dans un Paris de carte postale, un Paris cliché, mais ce serait compter sans l’écriture et la portée – encore plus forte aujourd’hui – des valeurs de fraternité portées par cet hommage au Paris populaire et métissé.

Les textes alternent selon deux formes : formes très courtes, souvent 3 vers, souvent très proches, dans l’écriture et la notation de la sensation,  des haïkus :

Sortie de métro
il trimbale sa misère
sous ses oripeaux

Formes plus longues, qui évoquent – sans le pasticher – Prévert dans l’écriture par les reprises, les énumérations, et l’évocation du complexe, de la souffrance, du malheur, à travers des mots d’une simplicité totale :

Balayeur de rue
dans Paris perdu
sois ici cité
pense balayeur
pense en balayant
pense à ton passé….

Les illustrations – à base d’encre, d’aquarelle et de pastels, sont comme autant d’instantanés, pris sur le vif,  et, fort heureusement, ne cherchent pas à copier d’une manière ou d’une autre Poulbot. Si quelques-unes représentent les lieux, la majorité d’entre elles fait la part belle à l’humain : enfants, amoureux, garçons de café, musiciens des rues, vendeurs de marrons saisis en action…

Un livre hommage à une certaine conception de  Paris, qui repose autant sur la réalité que sur sa représentation dans la littérature et la chanson, signé par un poète vendéen et un illustrateur né en Corrèze. Une sorte de Paris éternel… Fluctuat nec mergitur.

En hommage à toutes les victimes du 13 novembre

 

Etranges étrangers

Etranges étrangers et autres poèmes de Jacques Prévert,
Jacques Prévert, Jacqueline Duhême (ill.)
Présentation et choix de Camille Weil
Gallimard (Folio Junior, poésie), 2012

Poésie de circonstance

Par Anne-Marie Mercier

Etranges étrangers« Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
hommes des pays loin
Apatrides d’Aubervilliers (…) Tunisiens de Grenelle (…) Pollacks du Marais du Temple des Rosiers (…) Esclaves noirs de Fréjus (…) Enfants du Sénégal, (…) Enfants indochinois (…) Enfants trop tôt grandis et si vite en allés
qui dormez aujourd’hui de retour au pays
le visage dans la terre
et des bombes incendiaires labourant vos rizières »…

Cette belle anthologie composée par Camille Weil est plus que jamais nécessaire pour évoquer en mots simples les très simples devoirs de l’humanité vis-à-vis des plus fragiles, enfants, êtres brisés ou en devenir de tous âge, et pour dire les ravage du mépris des colons sur les colonisés ou chanter les délices de la paix et de l’art. Les dessins de J. Duhême sont à l’unisson, drôles, tragiques, plein de poésie simple.

Il faut souligner les qualités de cette collection sobre qui allie poèmes et dessins et propose une présentation brève, à hauteur de poète et non scolaire comme c’est trop souvent le cas. Quelques textes en prose du poète, en fin de volume, résument sa conception de l’écriture. Dans la même collection, choisis également par Camille Weil, et introduits par Guy Gofette : Rimbaud, Baudelaire, Aragon, et aussi Ponge, Michaux, Eluard, Tardieu…

Monsieur Ravel rêve sur l’île d’insomnie

Monsieur Ravel rêve sur l’île d’insomnie (conte musical)
Frédéric Clément (texte, voix, illustration)
Didier jeunesse, 2013

Rencontre de deux artistes, rêve général

Par Anne-Marie Mercier

A partir de la monsieurravelmusique de Ravel, mais aussi de sa biographie (Ravel insomniaque, Ravel élégant, Ravel « horloger », comme le nommait Stravinsky, Ravel, sa mère et l’Espagne), Frédéric Clément nous emmène en voyage en poésie dans un livre CD où texte, images, musique et voix se complètent parfaitement.

Monsieur Ravel y parcourt un monde proche de la fantaisie de L’Enfant et les sortilège, rencontrant la tasse en porcelaine, l’horloge, un jouet mécanique, et aussi les chats et d’autres animaux, Laideronnette impératrice des pagodes, la Belle et la Bête, La Belle au bois dormant…

La quête de Ravel, cherchant la vague verte qui l’emmènera vers le sommeil, soutient le récit raconté par le texte et la voix de Frédéric Clément, tandis que la musique emporte l’imaginaire dans les espaces généreux qui lui sont heureusement totalement dédiés.

Les images créent un monde aquatique suspendu dans l’attente, un petit théâtre mental et rêveur, ponctué de petits cailloux, coquillages, billes, boutons, plumes, insectes… dans un traitement hyper réaliste proche de ce que l’ont trouve dans les magasins Zinzins de Clément. Si toutes les images sont superbes, les dernières mêlent écume et matières de façon époustouflante, sur les airs d’ « Une barque sur l’océan » et, bien sûr, du « Bolero ».

Chapeau, Monsieur Clément !

Ravel ne pouvait être mieux accompagné, « illustré », au plus haut sens du terme.

 

Les Gens polis ne font pas la guerre à autrui

Les Gens polis ne font pas la guerre à autrui
Jacques Thomassaint, illustrations de Pierre Rosin
Soc & foc, 2014

Restons polis !

Par Anne-Marie Mercier

Les militaires (qlesgenspolisue le recueil nomme Mirlitaires) en prennent pour leur grade, à coup de vers de mirliton : à la manière de Prévert, Jacques Thomassaint se moque, caricature à gros traits, joue avec les mots et les expressions toutes faites. La poésie ne se prend pas au sérieux, tout en jouant à un jeu diablement sérieux.

De la poésie et de l’humour, donc, parfaitement accompagnés par les illustrations mélangeant peinture, photos, images d’archives papiers découpés, mais aussi une pointe de macabre, et beaucoup d’émotion. Sans gommer la gravité du sujet, l’auteur se situe à hauteur d’enfance et délivre aussi un message de confiance en l’avenir et dans le pouvoir de la littérature :

« Au ministère
De l’Education Mirlitaire
On chuchote :
Ne parlez pas de la guerre
Aux enfants de la terre
Il ne faut pas les effrayer
On ne sait jamais
Demain ils pourraient
Refuser d’y aller »

Jours d’école. Collectif de Haïkus

Jours d’école. Collectif de Haïkus
Collectif
AFH (Association francophone de Haïkus) et Renée Clairon (Canada), 2014

Poésie pour l’école ou école de poésie ?

Par Anne-Marie Mercier

C’est une rJours d’école. Collectif de Haïkusencontre inattendue, et pourtant évidente, que celle de la poésie scolaire d’autrefois (automne, école, sensations et souvenirs) avec les ateliers d’écriture et le haïku. Et pourtant ces petits poèmes en dix-sept syllabes (ou pas), évoquant une saison (ou pas) et structurés autour d’une césure (ou pas) sont proches dans l’esprit de beaucoup de nos classiques d’autrefois. Ce recueil franco-canadien propose des textes écrits par des adultes et des enfants, en français ou en espagnol (ceux-ci sont donnés avec leur traduction), lors d’ateliers d’écriture. Quelques témoignages sur ces ateliers en fin de volume éclairent les démarches et les buts de leurs animateurs, illustrant la variété des pratiques (à signaler, un beau témoignage de Thierry Cazals sur la pratique du choix d’un « nom de poète » par les scripteurs).

Des écrivains confirmés, membre de l’AFH, ont également contribué et le jeu qui consisterait à deviner qui a écrit tel ou tel poème (« haïkumane » ou débutant ? enfant ou adulte ? féminin ou masculin ?) est parfois difficile : on lit sans savoir, mais la solution est en fin de volume, c’est une très bonne idée. Un CD propose une lecture à voix haute pour accompagner ces évocations ; des illustrations en noir et blanc, sombres ou comiques, parfois nostalgiques, accompagnent ces évocations. De styles variés, elles sont dues à des étudiants canadiens en arts plastiques.

Les quatre saisons ordonnent la première partie, de la rentrée avec ses angoisses, la solitude, mais aussi les découvertes et les plaisirs de l’automne, au printemps, en passant par l’hiver, et finissant par la fin des classes et l’école abandonnée.

Cour de récréation –
seule au monde au centre
de son cerceau

Classe de neige –
les enfants apprennent à compter
avec les flocons

Deux élèves dans l’escalier
une ombre à quatre bras –
début du printemps

Marelle abandonnée
dans la cour de l’école –
un chat dort au ciel

Pour contacter l’Association francophone de haïku mavieen17pieds


Et pour lire un joli roman sur les ateliers d’écriture de haïkus à destination des adolescents : Ma Vie en dix-sept pieds de Dominique Mainard (école des loisirs, 2008)

 

Un Jardin sur le bout de la langue

Un Jardin sur le bout de la langue
Constantin Kaïtéris, Joanna Boillat

Motus (Pommes Pirates Papillons), 2014

Greffes langagières

Par Anne-Marie Mercier

UnJardinsurleboutdelalangueComme les autres albums de cette collection, ce recueil de poèmes joue avec les choses comme avec les mots. Ici, il s’agit de légumes, ceux que l’on plante, ceux que l’on mange, mais surtout ceux que l’on regarde.

Les jeux sur les mots et les lettres n’est jamais gratuit mais invite à voir autrement : c’est une invitation à mieux les considérer dans leur forme, texture, couleur, croissance, comme à mieux prendre en compte les mots qui les désigne. Comment la cerise et la fraise en se décomposant finissent par revenir au même, comment le poireau et la pomme se rejoignent… Les illustrations crayonnées donnent aux végétaux formes et sentiments humains et l’on peut méditer sur la mélancolie du champignon ou la légèreté des navets.

L’invité arrive

L’invité arrive
Du Fu, Sara

HongFei, 2014

D’un diamant tendre à la main

Par Dominique Perrin

saraL’invité arrive est un poème chinois du 8e siècle, dont l’apparente et comme impersonnelle simplicité semble contenir les plus anciens trésors de la convivialité humaine :

 « Les eaux printanières se répandent
au nord et au sud de ma maison,
tandis que des nuées de mouettes
passent jour après jour.
Je n’avais jamais balayé l’allée aux fleurs,
faute de visiteurs ;
mon portillon de paille s’ouvre enfin,
pour vous accueillir aujourd’hui. (…) »

Les éditions HongFei associent au rayonnement transhistorique de Du Fu l’art de Sara, maitresse en papiers déchirés évoquant la vie et sa poussée de sève. L’image pastel  très sobre superpose à la transparence du texte celle des choses mêmes : feuillages et fleurs, ciel et eaux, verres accueillants et portillon de paille… Notons enfin que l’ouvrage de haute taille qui en résulte associe à la plus grande classe plastique trois pages finales de contextualisation. Que de telles œuvres se publient en temps de crise incite à esquisser un pas de danse…