Le sort en est jeté

Le sort en est jeté
Delmot Bolger
Flammarion, 2015

Le prix d’un voeu

Par Christine Moulin

CVT_Le-Sort-en-Est-Jete_9493Le premier chapitre est à l’image du livre entier, mouvant, trompeur, intrigant : l’action est datée de 1932, alors que tout le roman se déroule de nos jours, en Irlande ; la narration est à la troisième personne, alors que le narrateur, dans les deux autres chapitres, est Joey, le héros (cette alternance sera la règle) ; il présente un personnage qui réapparaîtra et jouera un rôle essentiel, sans pour autant être toujours sur le devant de la scène, Thomas; il introduit le thème du jazz, « la musique du diable » et le mythe du « changeling », « créature maléfique qui ne serait ni vraiment morte ni vraiment vivante » ; il met en place un des lieux importants, le Hellfire Club, diabolique… en diable (Hell : l’enfer, fire : le feu, n’est-ce pas ?) et raconte une des histoires clés du livre, celle d’un débauché, Dawson, qui, dit-on, aimait à parier avec le diable, justement. C’est dire combien ce premier chapitre installe une atmosphère quasi gothique.

Le contraste est d’autant plus fort avec le chapitre suivant : Joey prend la parole et laisse deviner sa triste histoire. On l’apprendra peu à peu, son père, un musicien raté, est mort dans un accident de voiture ; sa mère, qui lutte avec les séductions de l’alcool, l’élève seule ; il a déjà rencontré des problèmes dans les établissements qu’il a fréquentés. Stradbrook College, où il vient d’arriver, est le lycée de la dernière chance. Un autre nouveau lui vole la vedette : Shane, dont l’air d’ « assurance amusée avait quelque chose de fascinant » et qui « donnait l’impression d’avoir tout vu ». Shane semble connaître la fille que Joey a tout de suite repérée, Aisling. C’est avec lui que Joey devient ami, contre toute attente.

La suite du roman va permettre de connaître le passé de chacun des personnages et même de leurs ancêtres. La figure de Shane va devenir inquiétante, ambiguë : ce jeune homme sûr de lui est si séduisant a été malheureux et timide. Est-il vraiment un ami pour Joey ? Menteur, il mène une double vie, dans laquelle il entraîne Joey. Celui-ci ne devrait-il pas suivre les conseils d’Aisling et se méfier de Shane ?

Et progressivement, ces éclairages sur le passé vont se rejoindre dans le présent. Les chapitres, très courts pour la plupart, entrelacent les intrigues et délivrent des indices savamment disséminés, qui inquiètent, assombrissent et obscurcissent le personnage de Shane, Grand Meaulnes satanique, et tiennent en haleine le lecteur, l’obligeant à reconstituer la vérité, à l’instar des personnages embarqués dans cette histoire noire et passionnante. L’unité est maintenue à la fois par la solidité de l’ensemble et par l’entrecroisement de certains thèmes, musicalement introduits dans le roman : la phobie de l’eau, la musique, l’amour, le voyage…

Mais si ce roman fascine, c’est surtout parce que les caractéristiques du genre fantastique (il ne manque rien, pas même la maison hantée ; le fiacre dont les chevaux se sont emballés est devenu une voiture volée, mais qu’importe, l’effet est le même) ont été mises au service d’une évocation à la fois juste et terrible des tourments de l’adolescence : comment être accepté ? Comment se détacher de ses parents tout en continuant à les aimer ? Comment être soi-même en se libérant de ce qui nous a été transmis, et qui nous entrave ? Quel prix faut-il accepter de payer pour réaliser ses rêves ?

Bref, on se dit que ce livre a réussi ce que Twilight n’avait même pas tenté.

Les Rêves rouges

Les Rêves rouges
Jean-François Chabas
Gallimard (Scripto), 2015

Pourquoi les humains aiment-ils les monstres ?

Par Anne-Marie Mercier

« On ne sauvelesrevesrouges pas les gens malgré eux », ces mots clôturent le premier chapitre et l’on croit qu’ils s’appliquent à l’un des personnages, mais tout le roman diffracte ensuite cette affirmation sur chacun d’entre eux. Ce qui commence comme un roman mi sentimental-mi policier avec un zeste de fantastique s’avère être une réflexion sur ce thème de l’impuissance et de la culpabilité, tout en ouvrant une voie vers l’espoir.

Le « Méchant du lac », autrement dit Ogopogo, ou N’ha-a-itk comme le nommaient (et le nomment encore secrètement) les natifs, indiens du Canada, existe-t-il ? Ce monstre aquatique est-il si méchant ? pourquoi semble-t-il vouloir ne se révéler tout d’abord qu’aux deux adolescents qui sont au cœur de cette histoire, le narrateur, Lachlan, indien par sa mère et celle dont il est amoureux, Daffodil, fille aux yeux mauves venue d’Ottawa, qui souffre de trichotillomanie : elle s’arrache littéralement les cheveux. Cela fait d’elle une souffre douleur au collège, notamment pour la bande de petits voyous qui jusque là étaient les amis de Lachlan.

Tous les personnages sont fortement typés : les parents de Daffodil, maniaques eux aussi, mais dans un autre sens, la mère du narrateur, Flower Ikapo, forte femme qui a rompu avec les siens, Edward le pervers, Farren le drogué, un masseur tatoué accompagné de son  fils énorme et simplet, une pseudo-écossaise, une policière abrupte… Et les sentiments de Lachlan explosent comme la chaleur qui écrase les jours et les nuits de la petite ville et de son lac endormi…

Si Lachlan ne sait toujours pas à la fin du roman qui est son père, il en sait pourtant un petit peu plus ; si Daffodil n’est pas guérie de sa manie, on en découvre les raisons ; si les mères de l’une et de l’autre ne sont pas sauvées elles sont sur la bonne voie, quant aux anciens amis de Lachlan, ils lui montrent qu’on ne connaît jamais vraiment les autres : chacun a quelque chose à cacher et le dévoilement, tout en apportant la honte, ouvre une possibilité de libération : c’est ce que fait Ogopogo.

Oui, mais qu’est-ce qu’un rêve rouge? au delà de la symbolique populaire des rêves (« voir rouge », exprimer une frustration ou une passion, la violence…), on peut y voir une référence à la « couleur » de Lachlan et de sa mère, indiens en marge de la société des natifs comme de celle des blancs, mais rattachés au passé par le mythe, et inventant un avenir meilleur à travers lui.

Des ados parfaits

Des ados parfaits
Yves Grevet
Syros, 2014

Mini « Meilleur des mondes »

Par Christine Moulin

des-ados-parfaits-505670-250-400La science-fiction pour les plus jeunes n’est pas très abondante. On ne peut donc que se réjouir de la publication de ce livre qui peut être lu dès 10 ans, me semble-t-il. Le narrateur, Antoine, est un élève parfait, parfait au point que dès les premières lignes, son ton compassé met en alerte un lecteur habitué aux débordements de l’adolescence: « J’apprécie d’être à ses côtés [aux côtés de Célia, une camarade] parce qu’elle ne parle que pour dire l’essentiel et que je tiens à rester concentré pendant les cours ». Suspect…! Dès les premières pages, un mystère s’installe: certains élèves de la classe (dont Antoine et Célia) reçoivent une mystérieuse enveloppe, destinée à leur famille. Quand Antoine donne la sienne à ses parents, ils paraissent inquiets… On apprend également que sur le Tableau Blanc Interactif (science-fiction oblige!) est apparu, quelques jours plus tôt, une menaçante inscription : « Dehors les sept usurpateurs ».

Au début, Antoine ignore tous ces signes car il a une « totale confiance » dans les adultes. Mais peu à peu, en même temps que Célia, il est de plus en plus intrigué, d’autant que celle qui va devenir son amie, elle, a lu le papier: « Elle a le droit de savoir »…

C’est ainsi que débute une intrigue haletante sur fond de meurtres et de secrets, parsemée d’indices qu’il s’agit de relier entre eux pour découvrir, presque en même temps que les héros, l’effrayante solution que l’on a trouvée, dans ce monde à peine futuriste, pour régler les problèmes d’éducation.

Le thème en est passionnant et devrait parler aux enfants et aux adolescents à qui on serine toujours qu’ils ne sont pas parfaits et qui ont l’impression de ne pas répondre aux attentes démesurées, voire déraisonnables, de leurs parents. Antoine et Célia vont braver les dangers, abandonner la sécurité anesthésiante d’un foyer faussement protecteur, pour affirmer leur identité et pour affronter la vérité, même douloureuse. C’est le prix qu’ils doivent payer pour être libres.

PS : Une première version est parue dans le magazine Je bouquine, janvier 2012

Ava préfère l’amour

Ava préfère l’amour
Maïté Bernard
Syros, 2014

Et de quatre !

Par Christine Moulin

ava-prefere-l-amour-432957-250-400Nous avions déjà suivi les aventures d’Ava dans son périple à travers l’Archipel de la Manche. Dans ce quatrième volume de la série, cap sur Aurigny! On retrouve les ingrédients habituels: le cadre, brièvement décrit mais de façon assez évocatrice pour que le parfum de la mer arrive jusqu’à nous, la peinture de la société des fantômes, avec ses personnalités bien campées, ses drames et ses rivalités et surtout, l’analyse du caractère d’Ava, timide, pleine de scrupules, généreuse. Elle évolue doucement, au fil des tomes, grandit, s’émancipe (jusqu’à faire des « bêtises » en forme de fugue), tombe amoureuse de jeunes gens aussi beaux que gentils, mais malheureusement, un peu déboussolés par ses attitudes parfois déroutantes. Comme à l’ordinaire, elle se retrouve confrontée à toutes sortes de situations surprenantes et dangereuses et s’en sort avec brio, tout en se disant qu’elle est nulle! L’intrigue, d’ailleurs, plus linéaire que dans les tomes précédents, y gagne en clarté et en suspens.

Pourtant, cette fois, la « recette » semble moins réussie, ou elle est plus visible, justement: comme dans le tome III, c’est un secret qui constitue le coeur de l’action, un secret qui concerne la mère d’Ava, cette fois. Bien sûr, on comprend bien que c’est là la richesse de ces histoires, toutes fondées sur l’idée qu’il faut pour avancer, clarifier le passé pour qu’il cesse de nous hanter: les fantômes qu’il s’agit de « consoler » en sont les vivants (si j’ose dire…) symboles. Cela dit, on se demande quand même pourquoi tout d’un coup, le projecteur est braqué sur la mère d’Ava, alors qu’elle était jusqu’alors un personnage dans l’ombre, plutôt secondaire. Pour le cinquième tome, est-ce que ce sera son père qui tiendra la vedette?

Tout cela pour dire qu’on attend quand même avec intérêt ce cinquième volume, surtout qu’il est arrivé quelque chose à un personnage important et attachant…

Mingus

Mingus
Keto von Waberer
Traduit (allemand) par Jaqueline Chambon
Rouergue (epik), 2015

Pouvoir animal

par Anne-Marie Mercier

MingusUn monde futur sans animaux, dominé par un «  Präsi » éternel qui se dégrade de clonage en clonage (souvenir de Jodorowski et Moebius ?) et par une aristocratie qui profite de la misère du peuple ; un savant fou (mais peut-être pas tant que cela), sa créature (une chimère, mi homme-mi lion) et sa captive et future victime (une belle aristo qui tomera bien sûr amoureuse de l’homme lion), une secte masculine, une autre féminine, des religions, des guerres, un trésor enfoui, des poursuites… Il y a une multitude d’ingrédients dans ce roman, et des personnages secondaires attachants et originaux mais son charme principal réside dans le personnage de la chimère, Mingus, dans son langage, dans les chapitres où il prend le rôle du narrateur, et dans son évolution : Mingus grandit, apprend, comprend, et sent. Sa voix porte le récit et lui donne une allure particulière, à la fois naïve et brutale.

Le Voyage dans le temps de la famille Boyau

Le Voyage dans le temps de la famille Boyau. Un roman à lire et à jouer
Yves Grevet et Julien Meyer (illustrations)
Syros, 2014

Le passé est un jeu comme un autre

Par Matthieu Freyheit

Le Voyage dans le temps de la famille BoyauL’auteur reprend ici les codes du livre-jeu et, en sous-main également, ceux plus discrets du cahier de vacances auquel Le Voyage dans le temps de la famille Boyau s’assimile parfois davantage. Tutoyé dès les premières lignes, le lecteur est pris à partie par Victor, douze ans, fils d’un inventeur et d’une historienne. Victor, enfant typique du début du quatrième millénaire. Victor toujours, donc le père décide d’emmener sa famille dans un voyage interdit vers un passé mystérieux de l’humanité : le 21e siècle. Le voyage proposé par Yves Grevet a l’intérêt de mettre le lecteur en relation avec son propre passé récent (saura-t-il reconnaître les ancêtres de son téléphone bien-aimé ?), mais aussi d’engager l’idée qu’il appartient lui-même à un présent qui passera bientôt au rang de passé explorable, d’Histoire. Déjà dépassé, le 21e siècle ? Une leçon de relativisation, donc, diluée dans une succession de jeux, de codes, de rébus à déchiffrer, d’indices à découvrir qui mettent constamment le lecteur-joueur en rapport avec les différentes temporalités qui l’entourent, avec lesquelles il dialogue parfois sans en avoir conscience. Les illustrations elles-mêmes ne cherchent pas une quelconque poésie mais se mettent au service du jeu et de la redécouverte de son propre univers. Un voyage qui se prête, sur un mode ludique, à l’introduction de motifs complexes, et pourquoi pas au récit d’un certain Huron venu en France…

TYPOS. Fragments de vérité

TYPOS. Fragments de vérité
Pierdomenico Baccalario

Traduit (italien) par Faustina Fiore
Flammarion, 2014 [2012]

La presse est morte, vive la presse !

Par Matthieu Freyheit

CommençoTypos-01ns par saluer le travail de Flammarion qui offre à cette série une couverture merveilleusement réussie – l’une des plus réussies depuis longtemps.

Dans une société (suffisamment différente pour révéler la fiction et suffisamment proche pour que s’impose le réel) dominée par un groupe tout-puissant, l’information est un concept redéfini par le pouvoir. Informer, c’est quoi ? Dire ce qui est, dire ce qui peut être, dire ce que l’on voit, au travers des prismes possibles du désir, du besoin, de l’avidité, de la sécurité. Le sous-titre à ce premier tome l’annonce : il s’agit bien d’interroger la vérité, sociale et politique, dans ses nombreuses et divergentes acceptations. « La vérité s’avance toujours seule et fragile, le mensonge au contraire a beaucoup d’auxiliaires », écrivait Jean-Claude Carrière.

Typos, organisation clandestine aux effectifs restreints d’étudiants et d’anonymes (mais pas que), entre en lutte contre la désinformation régulière. Leur modus operandi ? La presse clandestine. Un journal « sous le manteau », qui rappelle que le quatrième pouvoir est potentiellement un pouvoir d’autocensure, offrant un accès illimité à une information elle-même limitée et monolithique, et pourquoi pas construite de toutes pièces. Ici, quel que soit notre camp, « dire, c’est faire » : faire du monde ce qu’il est, ou faire le soulèvement. Le compromis s’efface.

Ce roman d’anticipation joue avec les frontières de son propre genre, fidèle à certains schémas classiques de la science-fiction : eux, c’est déjà nous. L’actualité en est d’autant plus brûlante que le livre est rattrapé par les événements récents. Le roman de Pierdomenico Baccalario constitue en effet une porte d’entrée intelligente sur une réflexion consacrée aux médias, pour celles et ceux qui, enseignants, préfèrent ne pas aborder l’actualité de front. Dans sa mise en place et dans la subtilité de ses propositions, l’auteur interroge notre identité informationnelle, notre rapport au discours, tout comme notre rapport au confort (de l’esprit). Tout en conservant, dans la forme, les mouvements et les reliefs propres à l’aventure et/ou au roman d’espionnage. C’est peut-être dans la forme, justement, que l’on regrette certains détails : des longueurs notamment, et une sensation au terme de ce premier volume de rester un peu sur sa faim. Gageons que, la mise en place achevée, le second n’en sera que plus réussi encore.

Le Royaume des cercueils suspendus

Le Royaume des cercueils suspendus
Florence Aubry,

Éditions du Rouergue, 2014

L’enfant différent

par François Quet

C’est une histoire d’adolescents, le récit de la fin d’une amitié royaume-cercueils-suspenduset de la naissance de l’amour : Lou-Ki aime Xiong qui aime Leï qui aime Huang. Au moment où les ailes poussent au creux des omoplates, dans le dos des jeunes garçons, la tempête se lève et bouscule l’ordre des choses. Huang n’est pas un enfant comme les autres. Les gestes rituels et la lame d’acier qui doivent libérer ses ailes révèlent un enfant étranger, un enfant sans aile, que la tradition condamne à mourir. Pendant qu’il agonise, suspendu à la falaise, seul vivant en compagnie des cercueils de la tribu, Xiong, l’ami déçu, le rival, imagine une vengeance plus terrible encore.

Le livre de Florence Aubry plonge son lecteur dans une société violente et industrieuse. On y file la soie, on y coule le métal, mais on y fait cruellement la guerre aussi et l’on arrache les oreilles des ennemis massacrés. Le don de voler, le Don, ne s’utilise qu’avec parcimonie pour triompher de l’adversaire ou pour transporter le cercueil des défunts sur les hauteurs. Des cérémonies étranges, des interdits bizarres — on ne touche pas le ventre de la femme qu’on aime —, des pratiques sauvages contribuent à conférer à ce monde barbare un exotisme sombre. La violence des passions adolescentes ne rend pas plus lumineux ce roman nourri de mythologie et de tragique ; entre Roméo et Juliette et Œdipe Roi, c’est La Guerre du feu visitée par Racine.

Florence Aubry réussit à donner à son récit une beauté troublante. Sans doute l’excès des sentiments y est-il pour quelque chose, sans doute le caractère primitif des personnages, leur rapport au monde et à la matière, la proximité de la nature et des animaux y contribuent-ils aussi. L’apparition d’un paon luminescent, la chaleur d’un tapir, l’errance d’un homme et d’un cheval, l’évocation sensuelle d’une baignade improvisée aux milieux des têtards suscitent des images fortes et sensuelles. L’innocence et les mutations de l’adolescence participent de cet univers clair-obscur à la fois tendre et inquiet, d’une beauté sauvage.

Carabosse. La Légende des cinq royaumes

Carabosse. La Légende des cinq royaumes
Michel Honaker, d’après Charles Perrault
Flammarion, 2014

 

La Belle au bois dormant : une histoire de famille

Par Anne-Marie Mercier

Dans la versiCarabosseon complète de la Belle au Bois dormant, la dormeuse a deux ennemies : la méchante fée d’une part, qui est la cause de la malédiction, et, après son réveil, la mère du prince Charmant (sa femme, dans des versions du conte non expurgées). Dans la version de Honaker, Carabosse est sa tante Cara, sœur de sa mère. Bossue (d’où son nom – Honaker oulipien ?), et dépitée de ne pas avoir été choisie par le prince, père de sa nièce Aurore (nom donné à la fille de la dormeuse dans le conte – vous me suivez ?), elle est à l’origine du fuseau empoisonné et cherche à empêcher le réveil de la jeune fille autant par vengeance que pour régner sans partage sur les royaumes qu’elle a pu ainsi asservir.

Donc, le conte est un roman et ceci détermine l’ensemble : les personnages ont un passé, une psychologie, des désirs (brûlants). Les êtres mystérieux (Carabosse, mais aussi les autres fées) sont humanisés ; la parodie joue à plein, tant dans la partie où elle joue la carte de la fantasy et de l’horreur, que dans celle où elle se rapproche de la dérision. Les derniers chapitres montrant la quête désespérée d’un improbable prince salvateur dans un monde trop matérialiste sont cocasses.

Curieusement, le style (et même la syntaxe) de Michel Honaker s’arrange au fil du volume et a même une certaine allure dans la deuxième moitié.

La Dose

La Dose
Melvin Burgess
Traduit (anglais) par Laetitia Devaux
Gallimard (scripto), 2014

Révolution létale

Par Anne-Marie Mercier

Melvin BLa Doseurgess s’est fait connaître par ses romans provocants et celui-ci ne déçoit pas les attentes, il en rajoute même. On y trouve à la fois la question des drogues, celle du suicide, de relations sexuelles – consenties ou non–, de la violence, de l’action politique, des différences de classe… Au cœur de l’action et d’après les propos de Burgess, à la source du roman, se trouve l’idée d’une drogue qui donnerait à celui qui en prend une seule dose une semaine fantastique d’énergie et de désinhibition, puis la mort. Le comportement de ces sursitaires de la mort est décrit comme celui que l’on a observé lors d’épidémie de peste, ou plus récemment de SIDA : puisque la vie s’achève, que le monde croule avec moi.

Des activistes se servent de cette vague pour accompagner un mouvement révolutionnaire qui ressemble beaucoup aux récents « printemps arabes ». L’action se passe dans une Angleterre misérable, paralysée par l’action des gangs et la corruption. Faut-il y voir une projection de l’actualité, sachant que si le chômage y a un peu baissé, la quantité de nouveaux pauvres a augmenté dans ce pays, avec, comme dans d’autres pays européens, une exaspération grandissante vis-à-vis des banques et des riches, de plus en plus riches et arrogants?

L’action commence avec des scènes d’émeutes et s’achève avec la victoire de la révolution, proclamée sur la grande place de Manchester. A l’issue de la mort, programmée et mise en scène lors d’un concert, d’un chanteur qui a pris du Raid (« la dose »), Adam et Lizzie, 15 ans, se livrent avec allégresse au pillage des magasins du centre-ville, à l’attaque de la mairie et à l’affrontement avec la police. A l’issue de péripéties qu’il serait un peu long de résumer, Adam prend du « Raid » devient provisoirement délinquant, la jeune fille se livre à ce qui ressemble à un début de prostitution (certes, pour la bonne cause : elle se lie avec le fils d’un dealer richissime pour sauver son ami). Il se trouve que le fiston du dealer est un pervers fou, que le frère de l’ami qui était mort est un activiste kamikaze, que le papa dealer ne craint pas de faire assassiner ou torturer les gêneurs, jeunes ou pas, garçons ou filles… etc. Il y a de l’action, différentes intrigues qui se rejoignent toutes à la fin (un peu trop), tout cela est bien ficelé (un peu trop). Enfin, on en a sa dose.