Pom Pom Pomme Amos

Pom Pom Pomme Amos
Anne Cortey, Janik Coat

Grasset jeunesse, 2024

Tout en rondeur

Par Anne-Marie Mercier

Pour les amateurs de la série des histoires d’Amos, cet album ajoute une jolie pierre à l’édifice délicat qui construit ce presque personnage : animal proche du lapin par ses oreilles, de la chouette par ses grands yeux, il a un corps potelé d’enfant au milieu duquel un joli nombril montre qu’il n’a ni plumes ni poils. De plus, sa tête est bleue, ses oreilles et son corps sont rouges… Amos est une incarnation d’enfance, il ressemble à un dessin d’enfant. Les formes sont justes esquissées, ou remplies aux crayons de couleur sur un papier à gros grain.
ici, nous voyons Amos dans une activité encore plus simple : il se réveille, il a faim, il prend son petit déjeuner (thé fruité et pommes), il va faire un tour. Tout cela est rythmé par une petite chanson (« pom pom »), mais aussi par la déclinaison des différentes couleurs de pommes (jaune, vert, rouge) et par l’envie de décrocher la grosse pomme jaune qui luit dans le ciel.
C’est mince mais charmant, sensible aux petits bonheurs et adapté aux tout petits. Les pages ne sont cependant pas cartonnées et l’album est de format assez grand pour suggérer une découverte avec un adulte.

 

Demain n’aura pas lieu

Demain n’aura pas lieu
Iuna Allioux
Sarbacane 2024

Apocalypse now

Par Michel Driol

D’un coup, la Terre s’est réchauffée, et le soleil la brule. Dans trois jours, elle sera invivable. Nous suivons durant ces quelques jours la narratrice, Asumi, qui, bien que d’origine japonaise, vit à Paris avec sa mère, repartie au Japon pour y conclure un contrat.  Trois jours où la jeune fille est seule, accompagnée de Maxence et de sa famille, de son ryukin, d’un traiteur Bo Wang, et à la recherche de son auteur coréen préféré Ji Eunji de passage à Paris, trois jours pour lire un carnet qui lui révèle un terrible souvenir lié à son enfance, qu’elle avait enfoui au fond de sa mémoire.

Ce roman est le premier d’une toute jeune autrice, Iuna Allioux, un texte prometteur et mutliforme. D’abord par la forme, puisqu’il mêle le récit à la première personne d’Asumi, mais aussi des fragments brefs de pièce de théâtre aux multiples personnages, comme un contrepoint imaginaire offrant d’autres points de vue. Ensuite par le mélange des cultures qu’il propose : culture japonaise, culture coréenne, culture française. C’est un roman sur le mal-être d’une adolescente, qui s’évanouit souvent sans savoir pourquoi, et dont les relations avec sa mère sont compliquées. Cette dernière est souvent absente, plus préoccupée par son travail et la signature de contrats que par sa fille. Toutes deux vivent dans un superbe hôtel particulier, une grande demeure symboliquement vide.

C’est aussi un roman sur l’urgence du temps qui reste à vivre : que faire en trois jours, avec qui passer ces trois jours, qu’y apprendre quand on est seule ? Là où le temps s’accélère, là où la chaleur monte, rendant tout irrespirable, Asumi, dont le nom en kanji signifie belle lumière du soleil ou lumière qui brille dans le futur, a la rétine brulée. Ce fil narratif de la lumière en croise deux autres. Celui de l’eau, des lacs, des piscines, comme un contrepoint apaisant, dont on découvrira à la fin la signification profonde pour l’héroïne. Et surtout celui de la littérature, de la poésie en particulier, avec le personnage de l’écrivain coréen qu’Asumi adore, qui révélera que la littérature n’est pas toujours l’expression du vécu personnel, et la poésie qui traverse le roman, souvent sous forme de petites notations.

Ce roman dystopique explore avec finesse la tragédie intime, intimiste d’une héroïne attachante, seule dans un monde qui finit, avec tous ses rêves impossibles de futurs. Emouvant et réussi !

Norbert

Norbert
Marie Colot et Ariana Simoncini

Cot cot cot,  2024

Norbert : Un personnage en quête d’histoire

Par Lidia Filippini

Norbert est une toute petite idée, logée dans la tête de quelqu’un. Mais dans cette tête, il y a déjà beaucoup d’autres toutes petites idées en souffrance. De temps en temps, certaines s’étoffent. Elles se transforment en princesses, en fées ou en d’autres personnages incroyables et quittent soudain les lieux pour devenir des histoires. Norbert, lui, semble coincé dans sa minuscule prison pleine à craquer. Il n’en peut plus, Norbert, il crie, il hurle : « Hey, tête de linotte ! Tête de nœud ! Sors-moi de là ! » Mais rien n’y fait. Celui qui lui a donné un prénom semble l’avoir tout à fait oublié. Jusqu’à ce qu’un jour, une étincelle apparaisse…
Simple et facile à lire, cet album n’en aborde pas moins un sujet complexe : celui de la création littéraire. Le lecteur voit le personnage se construire peu à peu au gré de l’imagination de son auteur. Au départ, Norbert ressemble à un arbre tout noir avec quelques branches et quelques racines. Puis, quand l’écrivain repense à lui, il se retrouve pourvu de bras, de jambes et de dents. L’auteur hésite. Il fait de lui un prince, puis changeant d’avis, lui donne des ailes et une crête. Norbert est fou de rage. Il ne sera ni le héros d’un conte, ni une vulgaire poulette ! L’écrivain semble alors se désintéresser de lui.  Mais, tout à coup, alors qu’il n’y croyait plus, Norbert, éjecté hors de la tête, se retrouve sur une page blanche. Le personnage est libre, comme dans la pièce de Pirandello, Six Personnages en quête d’auteur. Il va pouvoir, aidé de son auteur, écrire sa propre histoire : celle que nous venons de lire !
Marie Colot propose ici un album original et riche dans lequel le lecteur, à chaque âge, trouvera de quoi s’interroger, ou juste s’étonner. Le choix d’un petit format carré, facile à manier est judicieux. Le lecteur a l’impression de se plonger dans un cahier intime et précieux. Les très belles illustrations d’Ariana Simoncini, dont Norbert est le premier album pour la jeunesse, ont su se saisir du texte. Les couleurs pastel sont propices à une douce rêverie. Les personnages, tous plus loufoques les uns que les autres, évoluent dans un univers onirique peuplé de références au voyage, mais aussi à la lecture. C’est un album réussi qui donne envie d’écrire à son tour des histoires !

Feuilleter sur le site de l’éditeur

Enfin tranquille !

Enfin tranquille !
Barroux
Seuil jeunesse, 2024

La sieste, c’est sacré

Par Anne-Marie Mercier

Un échassier (héron ?) tout blanc est bien planté sur ses deux pattes (vérifier dans Comment dorment les animaux ?). Il est au milieu d’un plan d’eau idéal (aquarellé de bleu clair) bordé de roseaux bordés de vert. Il dort : les Zzzz au-dessus de sa tête et son œil fermé le montrent. Sur le fond blanc se détache une grenouille verte qui lâche un joyeux CROAA. A la page suivante, les grenouilles se sont multipliées, et les CROAA aussi, le héron est réveillé. Il s’envole vers un endroit plus tranquille, le feuillage d’un arbre. Le même scenario se répète, avec un petit oiseau et son Cuiii. Il essaie le sol, une allée de jardin : même chose, cette fois avec une taupe : Frrrrrttt !
Nouvel essai, un désert parsemé de quelques cailloux et de buissons : enfin, l’endroit parfait, enfin seul ! Le héron s’endort et ronfle bruyamment. Un lapin fâché émerge du buisson…
La répétition, la simplicité des situations, l’humour et la chute sont parfaits, comme toujours chez Barroux.

Ö

Ö
Guridi
CotCotCot, octobre 2023

Plaidoyer sans parole pour protéger l’environnement tout en douceur et en poésie

Par Edith Pompidou-Séjournée

Histoire sans parole au titre énigmatique et aux illustrations assez minimalistes essentiellement en noir sur fond blanc, cet album ne peut, d’emblée, qu’interroger. Une petite note sur la quatrième de couverture précise l’intrigue, le titre « Ö » correspond au nom de l’ours qui a décidé de ne pas hiverner cet hiver. Ce nom n’est pas banal, il rappelle peut-être la tête de l’ours avec ses deux petites oreilles ou le grognement de celui-ci ou encore les interrogations suscitées par ce livre. Le lecteur découvrira par la suite que l’ours ne va d’ailleurs pas cesser de se questionner au fur et à mesure de ses découvertes dans la nature environnante. Le décor s’étend sur chaque double page comme si la neige blanche avait tout envahi. Il n’y a aucun cadre, juste la silhouette de l’ours et quelques éléments de la nature végétale ou animale avec qui l’ours semble communier. Le lecteur est comme plongé dans cette ambiance hivernale. L’ours se recouvre ainsi de la neige qu’il fait tomber d’un arbre, se coiffe d’un branchage et danse, puis s’arrête face à un cerf dont les bois font écho à la couronne de branches qu’il s’est mise sur la tête. Un élément construit par l’homme apparaît ensuite : il s’agit d’un bonhomme de neige qui semble surprendre l’ours par sa silhouette. Il regarde ensuite son reflet dans le sol gelé, il patine sur la glace mais bientôt il réalise qu’elle se fissure et s’arrête. Alors il découvre un petit élément avec une tache légèrement colorée de jaune. On peine à distinguer de quoi il s’agit. Et si l’ours semble d’abord l’ignorer pour jouer à faire des empreintes, couché dans la neige, observé par de petits oiseaux, il finit par s’approcher et déterrer l’objet : on réalise alors qu’il s’agit d’un sac de déchets. L’ours paraît stupéfait mais il les prend et les dépose dans une poubelle avec d’autres colorés en vert. Il s’en va, retourne dans la forêt qu’on imagine profonde car ses arbres tiennent cette fois une grande partie de l’illustration. L’ours y disparaît et sur la troisième de couverture, on ne distingue plus que ses yeux sur fond noir… Cet album pourrait très bien servir de support de production orale ou écrite pour des enfants dont le capital sympathie de cet animal n’est plus à démontrer. Mais l’album aborde surtout de manière très poétique et juste des questions environnementales majeures qu’il est parfois difficile d’aborder avec les plus jeunes sans tomber dans un discours prescriptif et moralisateur, comme le réchauffement climatique ou la gestion des déchets.

Les Aventures farfelues de dix chaussettes

Les Aventures farfelues de dix chaussettes perdues (quatre droites et six gauches)
Justyna Bednarek, Daniel de Latour (ill.)
Traduit (polonais) par Lydia Waleryszak
Helium, 2024

Chaussettes en liberté !

Par Anne-Marie Mercier

Où vont les chaussettes qui disparaissent, remplissant nos placards de chaussettes « veuves » ou « célibataires »? Ce grand mystère existentiel, question que tout le monde ou presque se pose, trouve une réponse dans ce livre : il y a un trou sous les machines par lequel les chaussettes, en quête d’aventures, de consolation, de célébrité ou de bien d’autres choses s’enfuient.
Après un prologue résumant cette vérité fondamentale, dix histoires illustrent la question : selon leurs couleurs et leurs motifs, selon qu’elles sont de fil, de laine ou de soie, chaussette droite ou chaussette gauche, neuve ou vieille, les chaussettes ont une personnalité et même un destin quand elles décident de se l’inventer. Certaines restent chaussettes mais couvrent des pieds plus intéressants, une autre devient nounou d’une famille de souris, une autre conseillère royale, ou détective privée, ou animatrice dans un service d’enfants malades, ou devient morceau de pull… une autre rentre à la maison pour retrouver sa jumelle.
C’est drôle, surprenant, plein d’invention, bien raconté et bien traduit et les illustrations sont cocasses à souhait, transformant toutes ces chaussettes en héroïnes d’histoires en tous genres. Les recueils de nouvelles sont rares en littérature de jeunesse. Celui-ci part d’une belle idée, très originale, et illustre  bien ce genre.

Le Livre Jaloux

Le Livre Jaloux
Ramadier et Bourgeau
L’école des loisirs, 2024

Le livre en thérapie

Par Anne-Marie Mercier

Après Le Livre qui a bobo et Le Livre coquin, voici un nouvel opus du duo Ramadier et Bourgeau, qui explore sentiments et émotions à travers un personnage récurrent et étonnant : le livre lui-même. Le lecteur se doit d’être actif et il lui faut aider le livre à surmonter sa difficulté. Pour commencer, on explore le sentiment à travers le symptômes puis le diagnostic. Ici, la jalousie se voit à travers la bouderie. La petite souris interlocutrice devine l’origine de la contrariété : elle a un petit livre dans la main et celui-ci est, d’après le livre, « petit, mignon, tout le monde a envie de le câliner. » On devine qu’il s’agit ici de proposer un miroir à un enfant qui sans doute vient d’avoir un petit frère ou une petite sœur. Le lecteur, cet enfant, va devoir traiter ce livre tout en se soignant lui-même, bel emboitement de soins : il faut le rassurer, le faire rire, et lui donner envie d’aller à la rencontre de ce petit autrui.

 

 

Les Whisperwicks, t. 1 / le Labyrinthe sans fin

Les Whisperwicks, t. 1 / le Labyrinthe sans fin
Jordan Lees
Traduit (anglais) par Juliette Lê
Auzou, 2024

Errance magnifique dans le dédale des conte et des mythes

Par Anne-Marie Mercier

« Je suis très très vieux, dit le Minotaure. Et je n’ai jamais rencontré un lecteur qui ne soit pas spécial d’une manière ou d’aune autre. Lorsqu’on lit, on fusionne avec le monde. On peut visiter les mondes passés, les mondes d’aujourd’hui, et les mondes qui existeront peut-être plus tard. Nous ne sommes que poussière, des brefs moments d’æther. La lecture et la curiosité sont les plus étonnantes formes de magie. » (p. 450)

Les éditions Auzou ont déniché une jolie pépite avec le premier roman de Jordan Lees paru la même année chez Penguin. Malgré le court délai, la traduction est fluide et le texte beau, quant à l’invention, elle est riche, s’inspirant aux meilleures sources mais proposant aussi des chemins originaux. Il est difficile de résumer l’intrigue de ce gros roman – écrit en gros caractères, il n’est pas difficile à lire ni matériellement ni littérairement – je n’en donnerai que quelques traits.
Lorsque l’histoire commence, Benjamiah tient la librairie familiale, nommée « Il était une fois » en l’absence de ses parents. Tout va commencer dans cette librairie, comme dans L’Histoire sans fin de Michael Ende pour se poursuivre dans une autre (il y aura de nombreuses librairies dans ce livre, décrites avec mystères, humour et délices). Plus loin, un texte de l’historien de ce monde (le double de l’auteur?) affirme « Quant à moi, de toutes les merveilles et les mystères du monde, les lieux que je préfère sont les toutes petites librairies. Une librairie est un petit paradis, c’est un vrai chez-soi : une librairie ouvre les portes de milliers de mondes, et bien plus encore » (p. 492).
Contrairement au héros de Ende, Benjamiah n’est pas un imaginatif, il ne croit qu’aux sciences, mais comme lui il est solitaire et malheureux. Il reçoit par la poste un mystérieux paquet, une poupée. La nuit, elle se transforme en singe, puis en oiseau, et l’attire dans un monde parallèle, Dedaleum, aux allures de XIXe siècle, où tous les habitants portent à la ceinture une poupée métamorphe (un peu comme les daemons de La Croisée des mondes, dont on retrouve l’influence avec, dans le passage cité plus haut, la référence à la poussière et à l’æther).
Benjamiah rencontre une fille qui est à la recherche de son frère et promet de l’aider à retourner dans son monde s’il l’aide dans sa quête. Ce garçon, son jumeau, a disparu en tentant d’affronter une menace terrible pour leur univers. On découvrira peu à peu l’influence d’un mage noir qui fait penser à Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom… Ils partiront dans le vrai dédale de ce monde étonnant : chaque carrefour est une transition entre différents espaces, différentes saisons, différentes atmosphères ; la cartographie change constamment et les cartographes détiennent bien des secrets. Le frère de son amie a laissé des énigmes (les Whisperwicks) qu’ils doivent  chercher jusque chez la Veuve terrible, puis au cœur le plus dangereux de ce monde, le Palais du Minotaure, où les attend le monstre…
C’est un magnifique parcours, mené à un rythme soutenu, avec des pauses tendres ou humoristiques, notamment à cause de la poupée-singe-oiseau de Benjamiah : ce n’est pas par hasard qu’il l’a nommée Nuisance. De nouvelles interrogations émergent à chaque carrefour, des créatures étonnantes, des échos de toutes sorte de veilles légendes.

 

 

La Souris verte de peur

La Souris verte de peur
Agnès Debacker Claire De Gastold
Gallimard Jeunesse, avril 2024

Une souris verte mais pas que…

Par Edith Pompidou-Séjournée

C’est l’histoire d’une souris mais pas n’importe laquelle, il s’agit de celle de la comptine. Oui, la souris verte celle que tout le monde connaît. C’est même le premier texte du livre… À moins que… Non ! En fait c’est une souris blanche qui va nous raconter l’histoire et, même si on peut la distinguer à chaque page, chaque illustration est perçue à travers son regard. D’ailleurs les « messieurs » arrivent et ils sont très grands par rapport à elle. Heureusement qu’elle est blanche et pas verte cette souris car elle n’a pas du tout envie de subir le sort de celle de la comptine et de finir en « escargot », dans un « chapeau » ou pire encore dans une « culotte » ! Mais voilà d’y penser, elle devient verte… de peur !… ce qui ne la rassure pas du tout. Elle essaie plusieurs moyens pour se calmer et retrouver sa couleur d’origine mais rien n’y fait et les messieurs sont là, tout près, « impressionnants », ils se penchent pour cueillir… une fleur ! Cette fois, la souris est vexée : comment ont-ils pu ne pas faire attention à elle ? Alors elle devient rouge de colère, puis rose de joie à leur retour, enfin bleue de tristesse quand ils s’en vont sans elle… Un album très imagé donc sur les émotions et les transformations corporelles qu’elles peuvent engendrer. Les illustrations sont drôles, colorées, la petite souris est attachante et ses expressions très anthropomorphisées. Cela propose une façon ludique de travailler autour des émotions pour mieux les comprendre et les appréhender ou encore pour jouer avec les mots. Les premiers vers de la comptine traditionnelle sont d’ailleurs repris et réinventés en fin d’album pour chacune des couleurs de souris proposées… Au lecteur peut-être d’en imaginer la suite ?…

Quand on arrive en France

Quand on arrive en France
Jena Michel Billioud – Michaël Sterckerman
Casterman 2024

Histoire de l’immigration en France

Par Michel Driol

De l’Ancien régime à nos jours, cet ouvrage constitue une véritable encyclopédie chronologique de l’histoire de l’immigration en France.

De la poignée d’artistes, banquiers venus d’Italie au XVIème siècle aux Ukrainiens fuyant l’invasion de leur pays par la Russie, le documentaire explore toutes les vagues d’immigration, en s’attachant en particulier à l’histoire des idées et des mentalités, à la façon dont la société française se les ait représentés, les a accueillis ou rejetés,  selon leur origine, leur religion, les convictions politiques qu’on leur prêtait, selon les époques.

Particulièrement bien structuré, l’ouvrage s’attache à être pédagogique et lisible par tous. Des paragraphes courts, clairs et bien écrits, toujours accompagnés d’un titre explicite, des encadrés qui mettent l’accent sur le regard porté sur les immigrés dont il est question, des parcours de migrants, explicites, montrant l’intégration réussie à partir d’exemples variés et particulièrement bien choisis. Ainsi l’ouvrage s’appuie aussi bien sur des figures individuelles que sur l’histoire collective des différents groupes évoqués. L’ouvrage a aussi recours à des bandes dessinées pour raconter, en double page, tel ou tel épisode historique. Régulièrement en quatre vignettes, sous forme de dialogue entre un personnage plus âgé et un plus jeune, il répond à quelques questions fondamentales : comment on devient français à telle époque, ou comment aujourd’hui demander l’asile en France. L’ouvrage est illustré d’une riche iconographie variée : reproductions d’affiches de propagande, couvertures de livres, photographies d’époque, cartes… à quoi il faut ajouter les illustrations de Michaël Sterckerman qui aèrent cet ouvrage à la fois très dense en informations et très agréable à lire.

A cela s’ajoute la volonté de donner des arguments pour répondre à cinq idées reçues. Dans des doubles pages, il s’agit de démonter des représentations ou des discours trop souvent colportés, et sans fondement. Les étrangers volent-ils le travail des Français ? Les Polonais ont-ils été le modèle d’assimilation que l’on donne en exemple ? Cet ouvrage s’inscrit pleinement dans un contexte social et politique qui veut faire de l’immigré le bouc émissaire, et entend remettre en perspective historique des faits de nature très diverse liés aux colonisations, aux besoins de main d’œuvre, aux révolutions et coups d’état ici ou là dans le monde. Il assume bien évidement une position antiraciste, n’hésitant pas à montrer, par des citations bien choisies et explicitées, la xénophobie, soulignant comment elle va se loger dans le vocabulaire, dans la façon de nommer les immigrés.

Cet ouvrage, édité en partenariat avec le Musée national de l’histoire de l’immigration, est une somme indispensable aujourd’hui, que tous les ados, qu’ils soient descendants d’immigrés ou pas, devraient lire pour mieux comprendre la société dans laquelle nous vivons. Souhaitons qu’il trouve rapidement sa place dans tous les CDI et les bibliothèques municipales !