Français à la petite semaine/Histoire à la petite semaine

Français à la petite semaine/Histoire à la petite semaine
Rachel Corenblit, Cécile Bonbon
Rouergue, 2014

Cahiers pratico-poétiques

Par Anne-Marie Mercier

Français à la petite semaineFaire du français dans les embouteillages le matin avant d’arriver à l’école, rien de plus facile : on récite les poèmes pour l’école à son père pour le distraire, dans les tunnels on révise les conjugaisons et on médite sur la différence entre futur et conditionnel, on transforme les insultes en langage soutenu, on repère les rues aux noms d’auteurs, etc.

Faire de l’histoire avec son grand père pendant les vacances, rien de plus simple : on l’écoute parler à ses fleurs et leur exposer sa philosophie de l’histoire, il en révèle les secrets à ses petits enfants ébahis, évoque le passé et le temps qui passe trop vite.Histoire à la petite semaine

Chacun de ces petits albums qui imitent la forme du cahier est illustré de manière originale et subtile par Cécile Bonbon, entre le dessin d’enfant et l’illustration subtile, le collage et l’emboitage de motifs ou le papier peint se fait fleur, et l’intime s’ouvre sur le monde.

Les Lois de l’été

Les Lois de l’été
Shaun Tan
Gallimard jeunesse, 2014

Apprentissages

Par Yann Leblanc

Curieux été queloisdelété celui dans lequel un aîné révèle à un plus jeune (son frère ?) ce qu’il a appris l’été précédent ; c’est un été urbain, solitaire, hivernal, un peu désolé, où les conseils en « jamais » font face à des images qui indiquent des mini catastrophes, ou des cataclysmes : chaque petit geste peut déclencher une tornade, une invasion de monstres, une honte, une exclusion. Chaque petit objet libère l’espace invente une aventure. La ville déserte se transforme ainsi en monde inquiétant où les deux enfants, seuls au milieu d’animaux bizarres jouent ou se battent, cueillent des fruits, vont voir le défilé, pratiquent des sports, regardent la télévision ensemble, des activités arrangées selon les règles de l’aîné.

Ces « jamais » sont suivis d’un très petit nombre de conseils en forme de « toujours » (« toujours avoir sur soi une pince coupante », « toujours se souvenir du chemin du retour »…), un vade-mecum du grand qui se veut alors rassurant. C’est une des dures lois qu’oublient les adultes : ce n’est pas parce que c’est l’été et qu’on est en vacances que tout se passe forcément bien : le monde hors de soi et en soi est toujours là. Le chemin initiatique que le grand propose au plus jeune est effrayant, mystérieux et fascinant, comme les merveilleuses images de Shaun Tan.

Comment te dire ?

Comment te dire ?
Edwige Planchin, Anne Cresci (ill.)
Editions Fleur de ville, 2014

Un peu, beaucoup…

Par Anne-Marie Mercier

Pas facilecommentdire de parler de l’amour sans tomber dans le pathos ou la niaiserie. Pas facile non plus d’en parler de façon générale, tant les amours diffèrent les uns des autres. L’album d’Edwige Planchin réussit les deux paris. Chaque double page propose une manière de décliner le sentiment : à travers des adverbes, des comparatifs, des mots doux, des images, des adjectifs et des comparaisons, l’intensité du sentiment, son allant, l’exaltation qu’il procure, tout cela est beau et juste. Seul regret : les illustrations ancrent souvent le propos dans un domaine purement enfantin.

Les éditions Fleur de ville, situées dans l’Ain, publient des albums dans deux collections. L’une propose des « ABC du sport «  pour explorer différentes activités comme le ski, l’escalade, le badminton… l’autre des récits de fiction orientés pour la plupart sur le vivre ensemble et les sentiments. Bienvenue chez les tous-pareils d’Edwige Planchin, a été chroniqué sur li&je.

La Pizza

La Pizza
Raphaël Fejtö
PlayBac ( « Les p’tites inventions ») 2015

Par Bérengère Avril-Chapuis

La Pizza de RapLa Pizzahaël Fejtö titille pupilles et papilles des jeunes lecteurs tout en nourrissant leur curiosité. D’où vient la pizza ? Qui l’a inventée ? Pourquoi la célèbre Margherita porte-t-elle ce nom ? Que savons-nous vraiment de ce plat familier tant prisé des petits (et des grands) ? Autant de questions auxquelles ce petit livre facétieux et malicieux se fera un plaisir de répondre avec humour et efficacité, nous faisant découvrir son histoire –mais aussi celle, conjointe, de la tomate.

Sous des allures de petit livre sans prétention, c’est en réalité une petite histoire pleine d’intelligence servie par des illustrations vives, savoureuses, vraiment drôles, un texte clair. Un bon moment de lecture partagée qui nous donne d’ores et déjà très envie de découvrir les prochains volumes de cette toute nouvelle collection centrée sur des objets familiers du quotidien.

Rose et l’automate de l’opéra

Rose et l’automate de l’opéra
Fred Bernard, François Roca
Albin Michel Jeunesse, 2013

Danse avec les ombres

Par Anne-Marie Mercier

Les auteurs ont vRose et l’automate de l’opérau grand : grand en volume (l’album est d’un format inhabituel), grand en espace. On parcourt l’opéra Garnier, le grenier, les vestiaires, comme la scène ou le toit. Quant à l’histoire, elle fait songer aux contes fantastiques où des automates s’animent, mais ici, rien d’inquiétant. Rose est une danseuse bien humaine, enfantine, aux joues rondes et roses, toujours vêtue de son tutu et de ses collants blancs ; l’automate (dont on apprend qu’il s’appelle Hermès), narrateur de l’histoire, attentif et bienveillant, se reconstruit, dans tous les sens du terme, progressivement.

Conte merveilleux, exploration de l’univers de la danse, le récit est porté par de superbes images pleine page, tantôt à droite, tantôt à gauche, et l’art du clair obscur de François Roca apparaît dans toute sa virtuosité.

Le Mystère de Lucy Lost

Le Mystère de Lucy Lost
Michael Morpurgo
Traduit (anglais) par Diane Ménard
Gallimard jeunesse, 2015

Sans famille, sans mémoire et sans patrie

Par Anne-Marie Mercier

Michael Morpurgo poursuit son exploration sur la Le Mystère de Lucy Lostpremière guerre mondiale, mais cette fois de manière détournée, du côté des civils et dans un lieu qu’il n’avait pas encore évoqué dans ce contexte, les îles Scilly, situées au sud ouest de la Grande Bretagne. Chacune de ces îles, célèbres pour leurs épaves, y est évoquée, avec le rythme des bateaux et des pêches, l’école où les enfants se rendent en bateau, les chevaux, les récoltes, les passages, les oiseaux de mer…

On y voit se dérouler une vie simple et tranquille, avec cependant la guerre qui fait rage. Les habitants en ressentent les effets à travers la disparition de jeunes gens partis en France et qui ne reviennent pas, ou avec le retour de certains, très abimés. Une famille de pêcheurs recueille une enfant qu’ils ont trouvée à demi morte de faim sur une île ; c’est elle le « Mystère » : qui est-elle ? pourquoi ne parle-t-elle pas ? est-elle allemande comme semble l’indiquer la couverture qu’elle porte sur elle ?

Progressivement, celle qu’on appelle du nom qu’on lui a entendu prononcer, Lucy (on découvrira par la suite que ce nom est en fait l’abréviation du mot Lusitania) revient à la vie, et très lentement à une forme de communication. Son journal nous révèle ses origines et l’histoire de son mutisme, un drame pathétique. Les désastres de la guerre, la cruauté humaine, et la xénophobie sont une fois de plus montrées, ici à l’occasion d’un beau récit de quête des origines. Les personnages sont divers et certains sont attachants : la famille du pêcheur, l’oncle un peu fêlé, le docteur, l’instituteur cruel, son assistante bienveillante… et la jument Peg.

Tout au bord

Tout au bord
Agnès de Lestrade (texte) et Valeria Docampo (illustrations)
Alice Jeunesse

Oser l’imaginaire

Par Michel Driol

toutaubordOn suit un ours bleu du bord de son lit au bord du bord, en passant par le bord de l’hiver, le bord de la mer, le bord de l’ennui, le bord des livres, le bord des larmes et le bord de toi. Le dispositif narratif se répète à chaque fois : une première double page, avec quelques lignes de textes posant la situation, puis une seconde double page, construite autour d’un mot valise (demain je moutonnerai, je m’hiverneigerai…).

L’album trace un véritable parcours initiatique et poétique, qui explore d’abord l’univers connu de l’ours bleu. On y trouve aussi bien l’univers intérieur de la chambre, avec ses moutons de poussière, le jardin en hiver et l’éphémère bonhomme de neige des voisins,  la mer et les grains de sable de la plage, qui ont des milliards d’années. Dominent l’ennui, la solitude, le silence, le chagrin, sentiments que renforcent les illustrations, avec leur dominante de couleurs froides, qu’éclaire toutefois une toute petite tache jaune portée par un objet (arrosoir, grains de sable…). Les quatre dernières pages qui terminent le parcours, montrent l’ours allant explorer l’autre côté, l’autre côté de la montagne avec l’autre, un petit personnage jaune et ailé, avant d’aller dans l’inconnu, qui inquiète. Il faut oser sauter, prendre le risque d’affronter quelque chose de moche ou de raté…, pour finalement inventer. « Demain, j’inventerai » : avec ce premier verbe qui n’est pas un mot valise, sur une page aux couleurs chaudes (même l’ours est devenu jaune) se termine l’album, comme un appel à la créativité et à l’audace. Il faut sortir de soi, des routines du quotidien pour Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ? / Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! (Baudelaire Le Voyage).

Le texte d’Agnès de Lestrade, dans la rigueur de son écriture, a une véritable valeur poétique : strophes commençant par l’anaphore Tout au bord, incluant de façon régulière un « il y a », néologismes des mots-valises de la chute, autant de petits joyaux de création verbale (Demain, je m’enlarmerai), métaphores évocatrices (Est-ce que mes chagrins se jettent à la mer ?). Les illustrations de Valeria Docampo évoquent un univers surréaliste, à la fois naïf et inquiétant dans ses jeux d’ombres et de lumières.

Tout au bord, entre aujourd’hui et demain, entre réalité et rêve, invite subtilement les enfants à se placer dans les marges plutôt qu’au centre, à prendre le risque du déséquilibre, de la créativité et de l’audace plutôt que de se contenter du confort intellectuel.

Et la galette dans tout ça ?

Et la galette dans tout ça?
 Jean-Philippe Lemancel, Christophe Alline (ill.)
Didier Jeunesse, 2014

Encore un…

Par Christine Moulin

52188Voici encore un Petit Chaperon Rouge! Les quelques phrases qui ouvrent l’album et qui le concluent supposent d’ailleurs le conte connu et font d’un élément fort célèbre la vedette (comme l’indique le titre de l’album): « Le beurre dans la galette, la galette dans le panier, le panier dans la main du Chaperon ». Mais finalement, un instant mise en lumière, cette nouvelle héroïne devra attendre le dénouement pour jouer pleinement son rôle, sous la forme d’une galette des rois dont la fève échoit au chasseur, pour le plus grand bonheur de la grand-mère!

Le reste de l’histoire est « muet » et représenté à travers des illustrations surprenantes qui mêlent formes géométriques et éléments plus « mignons » (un lapin, qui assiste à presque toutes les scènes, accompagné parfois d’une grenouille, des fleurs, etc.). Certaines de ces illustrations nous font assister à toutes les scènes traditionnelles, en parvenant encore à nous effrayer: l’instant de la dévoration, en rouge et noir, fait son petit effet; la fumée en forme de tête de mort qui s’échappe de la cheminée de la maison de la grand-mère aussi… D’autres images ajoutent des éléments: on voit ainsi le Petit Chaperon Rouge et le loup se gaver de baies rouges ou sauter à la corde et l’on attend, tendu, que cette fausse complicité explose…

Une mise en abyme finale (« Le chasseur dans l’histoire ») et un commentaire métanarratif (« Et la galette dans tout ça? ») donnent à ce PCR (Petit Chaperon Rouge, n’est-ce pas ?) une légère saveur postmoderne. Sans que la lecture de ce conte n’en soit véritablement transformée, toutefois. Mais vivifiée, peut-être.

Poème à compter, Numéralia

Poème à compter, Numéralia
 Jorge Lujan, Isol (ill.)
Syros, 2014

Le porte-plume redevient oiseau (1)

Par Christine Moulin

numeraliaL’album à compter, comme l’abécédaire, « s’est peu à peu libéré du carcan pédagogique pour investir sans doute un autre territoire : celui de la création », pour « se métamorphoser, entrer en littérature » et devenir « une invitation à la rêverie, à la quête – plaisante, inédite, voire déroutante et subversive – du monde des mots [et des nombres, en l’occurrence] et de ses représentations imagées » (2). La réédition en petit format à couverture souple de Poème à compter, Numéralia nous le redit avec bonheur.

Tout nous rappelle le monde scolaire: les pages de titre qui ressemblent à celle d’un cahier, le titre écrit au crayon de couleur, le graphisme délicieusement et artistiquement maladroit (voir la chronique consacrée à Mes chaussons toutous, des mêmes auteurs), jusqu’au 10 en rouge, à la fin de l’ouvrage, qui semble indiquer la reddition de l’institution, amenée à mettre la meilleure des notes à un élève pourtant très gribouilleur et fort peu attentif…

Car tout est rêve dans cet album poème. Les phrases qui accompagnent chaque nombre sont toutes plus inattendues les unes que les autres et, fragmentaires, ouvrent vers un univers suggéré de références qui font de la lecture une sorte de « lecture augmentée ». Tout commence par le zéro (ce qui est rare dans le genre, qui préfère sagement débuter par le 1) et ce zéro est un œuf, immense, couvé par un minuscule oiseau qui, les yeux clos (3), semble se réjouir d’une prochaine naissance,  mais aussi un œuf qui tient debout: c’est dire que nous embarquons pour une nouvelle Amérique… Le 2 fait allusion au Vilain Petit Canard (mais n’est pas canard celui qu’on croit -4-). Le 6 introduit les Trois Mousquetaires (eh oui, il suffit de les faire se refléter dans une mare!). Classiquement, le 7 est associé à Blanche Neige: on en serait presque surpris… Mais à côté des clins d’œil, on peut apprécier aussi les instants de pure poésie: les 5 doigts sont les « habitants secrets des gants », le 8, en forme de sablier, mais aussi bien sûr, d’infini, est là « pour que s’écoule le sable des heures ».

Et tout cela ne serait rien sans les illustrations qui créent des liens subtils entre la page de gauche (celle du texte) et la page de droite (celle de l’image): répartition qui est celle des livres illustrés, des livres de prix, mais sans cesse remise en cause, comme l’école par le cancre, comme l’album à compter par la poésie, par la circulation des formes, des personnages, des lignes, en un joyeux ballet subversif. Si bien que le lecteur est amené à voir dans les choses du monde les silhouettes des chiffres (dans un minuscule drapeau, celle du 1; dans une chaise renversée, celle du 4, etc.) mais aussi dans les chiffres les échos assourdis du monde.

Pour son plus grand plaisir.

(1) « Page d’écriture », Jacques Prévert, Paroles, Gallimard

(2) Nelly CHABROL GAGNE, « L’O de l’A littéraire ou rêveries à partir des lettres de quelques abécédaires », http://eprints.aidenligne-francais-universite.auf.org/371/

(3) cf. http://www.publishersweekly.com/978-1-55498-444-2

(4) cf. http://smithsonianapa.org/bookdragon/numeralia-by-jorge-lujan-illustrated-by-isol-translated-by-susan-ouriou/

Ogre vole

Ogre vole
Rascal (texte) et Edith (illustrations)
Pastel l’école des loisirs 2014

Il est bien peu de monstres qui méritent la peur que nous en avons. (André Gide)

Par Michel Driol

ogre-voleLe premier matin d’hiver,  un Ogre, au cours de sa promenade, voit une aile d’ange, puis deux se fixer sur son dos. Dès lors l’Ogre vole, et, dans le ciel, trouve sur des nuages tous les enfants qu’il a mangés. Alors ses ailes se détachent de lui, se divisent, et vont se fixer sur les enfants qui redescendent sur terre, tandis que l’Ogre reste prisonnier de son nuage.

Chaussé de bottes rouges, privé de nom et de prénom, Ogre est l’archétype de tous les Ogres.  C’est ainsi que le texte le présente, monstrueux personnage de légende, à la limite du vrai et du faux,  incarnation des peurs. Les cadrages de l’illustration mettent en évidence sa  stature, sa laideur presque touchante aussi, au moment où il gambade dans la neige de cette journée extraordinaire qui va lui permettre d’éprouver la peur : peur au moment de trouver l’aile, et le sentiment nouveau d’avoir à réfléchir, à ne plus se contenter des automatismes, Pour autant, mis en présence des enfants qu’il a mangés, Ogre éprouve un sentiment de culpabilité, et devient spectateur, du haut de son nuage, des retrouvailles joyeuses des enfants avec leur famille, avant de n’être plus que grondements les soirs d’orage. Il disparait de limage, qui laisse la part belle aux enfants.

Cet album vaut par le merveilleux de l’histoire – réécriture de certains contes ou légendes dans lesquels une intervention divine sauve des enfants victimes -, tout en abordant, avec des mots et des situations simples –  des thèmes particulièrement complexes : la solitude, la culpabilité, le regret, les peurs.