La voix du vent

La voix du vent
Rolande Causse
Gallimard Jeunesse, 2011

L’inflexion des voix chères qui se sont tues

par Christine Moulin

Tout, dans ce roman, est délicatesse : à commencer par la couverture et les illustrations dues au poétique pastel de Georges Lemoine. L’exergue est à l’unisson: « Les douleurs ont une clef de sol pour qui est musicien de l’intérieur » (Eric de Lucca, Le commentaire du un).

Le ton est donné car c’est bien de musique qu’il s’agit, tout au long du livre. L’héroïne, Sonia, est particulièrement sensible aux sons, comme le révèlent les premières lignes: « J’écoute le bruissement des arbres. Je n’ai pas besoin de les regarder, je les connais par cœur. Seul leur chuchotement m’importe ». Elle a perdu sa mère, Anna, et à l’ouverture du livre, elle ne parvient pas à s’ « éloigner de sa peine », comme dit son père. C’est de sa mère qu’elle tient son amour pour la musique, même si elle ne veut plus entendre parler de son piano depuis…

Peu à peu, malgré tout, elle va parvenir, à petites touches, à surmonter sa douleur. Grâce à la psy qu’elle affuble de sobriquets (« La Mère Michel », « Déteste déteste ») mais qui va vaincre son silence et ses résistances, en accueillant ses rêves. Grâce à son père, qui, bien qu’il soit très occupé par son métier d’architecte, ne sait que faire pour la distraire. Grâce à Gravie, sa grand-mère, pour qui elle nourrit pourtant une grande hostilité au départ. Grâce à Ludovic, son presque frère (« Si j’avais eu un frère, j’aurais aimé qu’il lui ressemblât, trait pour trait ») Grâce à Berthe, une jeune Ivoirienne : « Nous sommes devenues amies, très amies, une amitié partagée au cœur de nos peines inavouées ».

Le roman s’écoule doucement. Les évènements sont souvent infimes même s’ils ont un grand retentissement sur les émotions de Sonia. On assiste ainsi à une bagarre à l’école (Emilie a lancé à Sonia: « Si ta mère était à la maison, tu serais plus aimable! »); à l’entrevue avec une prof qui accuse Sonia d’avoir copié sa dissertation sur Phèdre, oeuvre qu’elle a particulièrement aimée et bien comprise; à un voyage en Jordanie; à la visite d’une cousine importune; à un pèlerinage vers l’endroit où son père a dispersé les cendres de sa mère, etc. Jusqu’au jour où arrive Olivier… Ce courant narratif nous mène jusqu’à l’épilogue qui, comme on le sent depuis le début, célèbre les droits de la vie, portée par le vent: « Toujours j’écoute la voix du vent, il m’a ouvert une voie. La voie d’Anna ». Tout l’enjeu de ce récit de deuil est là: faire d’une voix une voie.

Même si le parcours que suit l’histoire n’est pas toujours très lisible, même si la musique, à force d’être discrète, peut sembler atonale, on se rend compte, finalement, que ce roman a su épouser le rythme du deuil: rien de fracassant, de spectaculaire, mais l’impression, au bout du chemin, que l’on a surmonté l’insurmontable. Le tout est orchestré par la langue pure et classique de Rolande Causse, comme racinienne.

Comment bien rater ses vacances

Comment bien rater ses vacances
Anne Percin

Rouergue (doAdo noir), 2010

En fait, comment grandir

par Maryse Vuillermet

comment rater ses vacances.jpgAu début de ma lecture, j’ai été un peu agacée par un langage « djeun » un peu lassant et qui m’a semblé outré, par un personnage d’adolescent maussade, solitaire, mal dans sa peau,  comme on en a déjà beaucoup rencontré dans la littérature  pour la jeunesse : il passe sa vie devant son ordinateur, il joue de la guitare, il ne communique que sur face book sous un pseudo. Et puis, tout à coup, alors qu’il est tranquillement en vacances chez sa grand-mère, une série de petites catastrophes l’obligent à sortir de ses habitudes et de sa coquille. Sa grand’mère a une attaque cardiaque et tout s’enchaine et se déchaine contre notre héros. Et là, le charme opère, on est pris dans le récit. Mais Maxime, d’épreuve en épreuve, de rencontre réelle à l’hôpital  et dans l’entourage de sa grand-mère, ou virtuelles sur face book, finit par prendre des initiatives, des décisions, se livrer un peu, s’intéresser un peu aux autres, bref grandir et découvrir qu’il n’est pas plus si seul. C’est je crois ce qu’on appelle un roman d’apprentissage.

 

 

Premier chagrin

Premier chagrin
Eva Kavian

Mijade (zone J), 2001

leçon de mort, leçon de vie

par Anne-Marie Mercier

Eva Kavian  Mijade (zone J), grand-mère, accident,cancer, famille,mort,grandir,collègeAnne-Marie MercierLes concepteurs de la couverture ont choisi d’expliciter le titre, qui sans cela évoquerait les laborieuses « compositions françaises » comme celle sur le « premier chagrin » évoquée par Nathalie Sarraute dans Enfance. Sur cette couverture dont la couleur vive semble contredire le titre, l’image d’une annonce demandant une  « jeune fille pour baby-sitting » indique bien le début de l’intrigue. Le début seulement, car ce roman ne cesse de bifurquer et, de mystère en mystère, de nous surprendre.

Il y a trois ou quatre histoires entrelacées, et pourtant une seule. La jeune Sophie, 14 ans, vivant seule avec sa mère, bonne élève mais mécontente de sa vie en général et du collège en particulier, cherche à se faire un peu d’argent, à grandir. Elle est embauchée par une vieille dame, surnommée Mouche. Gravement malade, Mouche lui dit que ses petits-enfants vont venir pour être avec elle dans les derniers mois qui lui restent à vivre.

Les petits-enfants ne viennent pas. À leur place, des amis, nombreux, affectueux, touchants. Sophie aide Mouche à ranger sa maison, puis à préparer sa mort. Rien de morbide, tant Mouche à de goût pour la vie dans tous ses aspects. Sophie apprend avec elle la gaieté, l’insouciance, le pardon, la gravité. Elle découvre que la gaieté de Mouche masque une blessure terrible et explique pourquoi les petits-enfants ne viendront peut-être jamais.

Sophie grandit. Ses relations s’approfondissent, elle prend des initiatives, pose les questions qu’elle n’a jamais osé poser. D’adolescente morose, elle devient vivante et crée de la vie autour d’elle. Qu’on ne se méprenne pas : pas de miracle, mais la mort de Mouche est une belle leçon de vie et un moment presque heureux. Malgré une écriture assez plate, qui se présente comme la voix de Sophie racontant son histoire, c’est un beau livre, plein de petites trouvailles, de moments drôles, vrai, touchant et surprenant.

Marie et les choses de la vie

Marie et les choses de la vie
Tine Mortier et Kaatje Vermeire

Le Sorbier, 2011

Histoire d’amour intergénérationnelle 

par Frédérique Mattès

Marie et les choses de la vie.jpgTine Mortier évoque avec une grande sensibilité les rapports entre Marie et sa grand-mère. Une complicité sans faille les lie. Elles se racontent des histoires, partagent leur amour des gâteaux et de la vie, les mille et une choses du quotidien. Le temps qui apporte décrépitude n’aura pasde prise sur ce lien qui les unit…. Marie sera toujours aux côtés de sa grand-mère, même quand elle aura perdu la parole, le goût de la nourriture, de la vie…

Ces propos sont admirablement soutenus par les illustrations délicates et travaillées (collages, peinture au  pochoir et dessins réalistes au trait) de la jeune illustratrice flamande Kaatje Vermeire.

Une bien belle façon d’aborder un sujet difficile. Il faut toutefois oser au-delà de la première page un peu déroutante qui décrit la naissance de Marie.