la reine des truites

La Reine des truites
Sandrine Bonini, Alice Bohl
Grasset jeunesse, 2016

Aventure de camping

Par Anne-Marie Mercier

lareine des truitesDeux enfants, un tout petit garçon et une fille pas beaucoup plus grande, se promènent dans la pinède proche du camping où ils passent des vacances. Ils n’osent pas s’approcher de la rivière malgré la chaleur et leur envie de s’y tremper : la présence d’une fille brune les en empêche – on devine qu’ils s’y sont heurtés la veille, mais on n’en sait pas plus. Bravant leur peur, par des sentiers détournés, il s’y rendent malgré tout, et font la rencontre qu’ils craignaient : il s’agit d’une fille accompagnée de son « armée », trois autres enfants, emplumés de feuillages et portant des bannières de branchages, qui entendent garder leur territoire et empêcher l’accès à l’eau.

Frayeurs, menaces, négociation, puis ruse feront que les deux groupes n’en feront plus qu’un, réuni dans la joie de l’eau.

Le récit est charmant, avec les angoisses et les défis de l’enfance, et surtout la poésie des lieux, rendue avec délicatesse par les belles aquarelles présentant des décors forestiers et aquatiques.

 

L’Histoire perdue

L’Histoire perdue
Meritxell Marti (texte) – Xavier Salomo (illustrations)
Seuil Jeunesse 2016

Fictions…

Par Michel Driol

histoireÉva, pour son anniversaire, est invitée par son cousin à… une surprise. Éva se prépare, mais le dessinateur de l’histoire n’en fait qu’à sa tête. Au lieu de suivre le texte de l’auteure, il dessine autre chose : des vêtements d’exploratrice au lieu d’une robe, un paysage de campagne au lieu de la ville. Page de droite, dans une bulle, l’auteure proteste, en s’adressant au dessinateur. Mais trop, c’est trop, et au bout de quelques pages, l’auteure abandonne, et laisse l’illustrateur  dessiner tout seul, ce qu’il fait, dans un strip sans paroles, façon Bd, jusqu’à laisser l’héroïne démunie et perplexe. Alors l’auteure vient au secours du dessinateur, qui va alors suivre scrupuleusement son texte et conduire Éva, avec un peu de retard, chez son cousin. La surprise était un concert des  Bêtles… Mais la surprise sur la dernière page, c’est le mot d’excuse des Bêtles qui ont fait changer l’histoire à l’aide de l’illustrateur, car ils ne pouvaient pas arriver à l’heure !

Voici un album original et décalé qui met l’accent sur la complicité et la complémentarité entre l’auteur et l’illustrateur, montrant au lecteur à la fois le texte, premier, et les réactions de l’auteure face aux libertés que prend l’illustrateur, au point de détourner complètement l’histoire, dont on s’aperçoit, finalement, que les véritables maitres sont les personnages, les Bêtles, qui ont en fait conduit l’auteure à changer le fil de son histoire avec la complicité de l’illustrateur. Conduisant le lecteur de surprise en surprise, cet album plein d’humour s’avère être un véritable jeu sur la création qui évoque Borgès dans le côté labyrinthique – on se perd entre fiction et réalité – et le jeu avec les codes du récit.  En opposition avec la complexité de l’ensemble, les illustrations de Xavier Salomo et le texte de l’auteure ont un côté sage et lisse qui évoque les albums populaires sans recherche esthétique ou littéraire que cet album subvertit pour le plus grand plaisir des lecteurs.

Un album qui séduira aussi bien les plus petits, qui y verront un jeu – que les plus grands qui pourront commencer une réflexion sur la littérature comme détournement des codes.

C’est Papa qui découpe

C’est Papa qui découpe
Pierrick Bisinski
Ecole des loisirs 2015

Comme un air de tangram

Par Michel Driol

cpapaUn petit cochon voit son père découper des formes dans du papier noir : des triangles, des rectangles allongés, des cercles. Son père alors l’invite à assembler ces formes pour  s’inventer un nouvel ami.. et voici qu’il compose un loup, qui se précipite sur lui pour le manger, avant de se casser. Le petit cochon décide alors, avec les mêmes formes, de se fabriquer un grand chien. La 4ème de couv’ invite le lecteur à jouer en créant de nouveaux personnages.

Cet album cartonné s’adresse aux tout-petits, et propose, avec humour, un  dialogue simple entre un père et son fils. L’un propose, invite à inventer, à jouer, mais le jeu peut révéler les angoisses et les peurs.  Il suffit alors de peu de choses, changer quelques formes de place, pour que les ennemis inquiétants deviennent des amis rassurants. Le graphisme, coloré et très dépouillé, représente avec une fausse naïveté des personnages expressifs dont les émotions et sentiments seront facilement perçus par les plus jeunes.

Une invitation à jouer avec les formes !

 

On se fâche, Ce sera une fille, On dort

On se fâche, Ce sera une fille, On dort
Malika Doray

L’école des loisirs, « Loulou et compagnie », 2011

Des livres marionnettes

Par Sophie Genin

9782211207591_1_mUn crocodile aux sourcils froncés, une sorte de chat blanc qui regarde son ventre sur lequel on peut lire « ce sera une fille » et un ourson les yeux fermés au recto, tous de dos au verso, trois petits livres cartonnés proposent très courts récits à chute.

On reconnaît immédiatement les illustrations de Malika Doray matérialisées par des personnages-animaux cartonnés, comme des marionnettes, faciles à manipuler pour de très jeunes enfants. L’auteure illustratrice a réussi à trouver des chutes qui feront sourire les parents puis, petit à petit, les enfants, grâce à des fins surprenantes !

Encore une belle création de cette auteure prolixe et si efficace avec de très jeunes lecteurs !

Le Voyage dans le temps de la famille Boyau

Le Voyage dans le temps de la famille Boyau. Un roman à lire et à jouer
Yves Grevet et Julien Meyer (illustrations)
Syros, 2014

Le passé est un jeu comme un autre

Par Matthieu Freyheit

Le Voyage dans le temps de la famille BoyauL’auteur reprend ici les codes du livre-jeu et, en sous-main également, ceux plus discrets du cahier de vacances auquel Le Voyage dans le temps de la famille Boyau s’assimile parfois davantage. Tutoyé dès les premières lignes, le lecteur est pris à partie par Victor, douze ans, fils d’un inventeur et d’une historienne. Victor, enfant typique du début du quatrième millénaire. Victor toujours, donc le père décide d’emmener sa famille dans un voyage interdit vers un passé mystérieux de l’humanité : le 21e siècle. Le voyage proposé par Yves Grevet a l’intérêt de mettre le lecteur en relation avec son propre passé récent (saura-t-il reconnaître les ancêtres de son téléphone bien-aimé ?), mais aussi d’engager l’idée qu’il appartient lui-même à un présent qui passera bientôt au rang de passé explorable, d’Histoire. Déjà dépassé, le 21e siècle ? Une leçon de relativisation, donc, diluée dans une succession de jeux, de codes, de rébus à déchiffrer, d’indices à découvrir qui mettent constamment le lecteur-joueur en rapport avec les différentes temporalités qui l’entourent, avec lesquelles il dialogue parfois sans en avoir conscience. Les illustrations elles-mêmes ne cherchent pas une quelconque poésie mais se mettent au service du jeu et de la redécouverte de son propre univers. Un voyage qui se prête, sur un mode ludique, à l’introduction de motifs complexes, et pourquoi pas au récit d’un certain Huron venu en France…

Bloub, bloub, bloub

Bloub, bloub, bloub
Yuichi Kasano
L’école de sloisirs, 2012

 Plouf!

Par Yann Leblanc

Petit album Bloub, bloub, bloubcarré qui déplié propose avec ses doubles page un format haut ; scènes similaires : sur un fond crayonné et aquarellé, mer bleue, ciel jaune, soleil orangé, un enfant flotte. Son père surgit de l’eau en dessous de lui, puis une tortue, puis un morse puis un cachalot… puis une pieuvre, formant une pyramide qui monte d’un étage à chaque page, toujours surmontée par le père tenant l’enfant dans sa bouée. A la fin, la pyramide s’effondre, et le livre se clôt sur ces mots « on recommence ».

Dispositif simple, empilement jubilatoire qui évoque celui d’Alboum de Christian Bruel et Nicole Claveloux, souvent imité, s’achevant par le mot « encore ! »

Un Jardin sur le bout de la langue

Un Jardin sur le bout de la langue
Constantin Kaïtéris, Joanna Boillat

Motus (Pommes Pirates Papillons), 2014

Greffes langagières

Par Anne-Marie Mercier

UnJardinsurleboutdelalangueComme les autres albums de cette collection, ce recueil de poèmes joue avec les choses comme avec les mots. Ici, il s’agit de légumes, ceux que l’on plante, ceux que l’on mange, mais surtout ceux que l’on regarde.

Les jeux sur les mots et les lettres n’est jamais gratuit mais invite à voir autrement : c’est une invitation à mieux les considérer dans leur forme, texture, couleur, croissance, comme à mieux prendre en compte les mots qui les désigne. Comment la cerise et la fraise en se décomposant finissent par revenir au même, comment le poireau et la pomme se rejoignent… Les illustrations crayonnées donnent aux végétaux formes et sentiments humains et l’on peut méditer sur la mélancolie du champignon ou la légèreté des navets.

Le Jeu de la bonne aventure

Le Jeu de la bonne aventure
David Dumortier, illustrations d’Aude Léonard
Motus, 2014

 Le jeu de la vie

 Par Anne-Marie Mercier

Le Jeu de la bonne aventure« Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? » Rien de plus agaçant parfois, cette question. Sauf lorsqu’elle est énoncé sous forme de jeu, où le hasard est un des biais de la poésie. C’est ce que propose David Dumortier, avec un véritable jeu de cartes au format allongé comme un jeu de tarots.

La règle demande de tirer une carte « pour connaître son avenir ou celui de quelqu’un d’autre » ; on a le droit d’en changer si on n’en est pas content, et il y a même un joker, une carte qui ne dit rien à part qu’on est libre de choisir ce qu’on veut. Il y a des As, aussi, la chance… Mais tout est aussi affaire de décision ou de regard.

« Tu joueras au ballon parce que tu aimes la lune. La médaille d’or n’est pas loin, regarde, elle est juste au-dessus de toi…

« Tu es né sans coquille, comme un brin d’herbe, alors tu te déguiseras avec la carcasse d’une tortue et tu prendras les chemins tortueux…

« Tu seras riche, riche, riche, riche, riche, riche, riche, Oh ! Que tu seras riche, riche, riche, riche, si tu connais plus de mots que le mot argent.

« Ton métier sera de combattre le feu. Avant de te coucher, tu éteindras aussi les lumières de ta maison et le soleil qui a brillé dans tes yeux. »

Pompier, espion/ne, berger/ère, chercheur/e d’or, traducteur/trice, footballeur/euse, voyageur/euse magicien/ne, jardinier/ère, pilote d’avion… Tous ces métiers sont évoqués, et bien d’autres qui n’existent pas (?), mais toujours sous une forme détournée, métaphorique, poétique et rêveuse. Une très belle façon de dédramatiser le futur et de poétiser la vie.

Fusée

Fusée
Edouard Manceau
Seuil jeunesse, 2013

Boum !

Par Anne-Marie Mercier

fusee10, 9, 8, 7…. Les chiffres du compte à rebours s’égrènent sur chaque double page paire, tandis qu’en face, sur l’autre page, se combinent peu à peu les éléments qui feront l’image de la fusée. Lorsque tout est en place et que les deux petits spationautes sont installés, départ! … puis explosion et chute de tous les éléments à recomposer.

Il y a du jeu jubilatoire dans cette accumulation et dans cette destruction explosive, une invitation à recommencer, un peu comme dans le grand petit album de Christian Bruel et Nicole Claveloux, Alboum, souvent imité, jamais égalé. Ici, Edouard Manceau a ajouté une pointe d’originalité dans la mesure où c’est une image qui se construit et où l’album entier tourne autour de la création / destruction d’une image. Les couleurs franches explosent elles aussi de page en page.

Le Petit Chaperon bleu

Le Petit Chaperon bleu
Guia Risari, Clémence Pollet

Le Baron perché, 2012

Le jeu des contes

Par Anne-Marie Mercier

Chaperon-BleuExercice n°1 : lire une énième histoire de chaperon, placée dans notre époque, et peu respectueuse des grands mères et des injonctions maternelles. Une jeune fille rencontre un garçon avec un costume de loup (Max devenu grand ?) qui tente de l’impressionner et de l’entrainer dans une histoire où il aurait le dessus. A la fin de l’histoire, ils sont devenus amis. Les illustrations de Clémence Pollet, qui présentent les deux enfants en bleu (la fille) et en rouge (le garçon) sur un fond blanc/beige et un décor urbain stylisé, suffiraient à elles seules à démontrer le côté décalé de ce Chaperon bleu. Pas très original.

Exercice n°2 : Un conte peut en cacher un autre : la fille propose au garçon de jouer d’autres contes, d’autres rôles. Les deux enfants se livrent ensuite au jeu des métamorphoses (les auteures nous invitent à imaginer en quoi la peur nous transformerait) : le jeu est une façon de décliner de multiples histoires et d’échapper aux rapports de forces.

Exercices N°3 : on lit les notes qui accompagnent certaines pages du texte. Faussement sentencieuses, elles commentent sur un ton moralisateur, disent le probable et le faux, proposent des listes, compléments, précisions, et donnent à l’ouvrage une bonne part de son originalité.

 Pour d’autres chaperons rouges, une page de croqulivre …