La Seizième clé

La Seizième clé
Eric Senabre
Didier jeunesse (romans), 2019

Seize ans de solitude

Par Anne-Marie Mercier

La seizième clé, c’est celle qui ouvre la porte des seize ans, autant dire de la connaissance, de l’émancipation, de la rencontre amoureuse. Mais chez Eric Senabre, cette porte n’est pas qu’une métaphore, ni la maison qui l’entoure. Elle est le support d’une intrigue complexe et se trouve, avec les quinze autres portes qui jouent comme elle un rôle dans les cérémonies d’anniversaire, dans une salle qui occupe le centre d’une maison si immense qu’elle semble infinie, labyrinthique, coupée du monde par une vaste forêt.
La forêt interdite, la clé de la porte interdite… on aura reconnu des thèmes de contes de fées ; d’autres genres sont convoqués, qui tirent davantage le récit vers le fantastique ou le roman à énigme : le héros est seul dans cette maison, uniquement entouré de gouvernantes et de précepteurs à son service, et gardé par de mystérieux serviteurs, les « Ratels », qui ne semblent pas tout à fait humains. On lui dit qu’il souffre d’un grave problème de santé qui a obligé ses parents à le mettre ainsi à l’abri. Génie bien entouré, il peut cultiver librement son talent pour la poésie et commente ainsi en vers ce qu’il vit et ce qui l’inspire, tout au long du roman, en toutes circonstances, même les plus dangereuses ; cela donne dans le roman de nombreux passages versifiés.
Prison dorée, où tout se plie à son caprice, la maison (on pense à La Maison sans pareil, merveilleux roman de lieux en expansion) devient une prison lorsqu’il rencontre une fille âgée d’un an de plus que lui qui lui conseille de fuir avant son seizième anniversaire et de ne surtout pas franchir cette porte…
Roman complexe et bien écrit, qui plie et déplie l’espace et le temps, c’est aussi le récit d’une aventure trépidante et semée d’embuches, et une belle histoire d’amitié – ou plus.

 

http://www.lietje.fr/wp-admin/post.php?post=4534&action=edit&classic-editor

Loup gris se déguise

Loup gris se déguise
Gilles Bizouerne ill. Ronan Badel
 Didier jeunesse, 2019  

 Les loupés du loup

Par  Chantal Magne-Ville

Depuis La chèvre et les sept biquets, la thématique du méchant qui se déguise pour tromper sa proie n’est pas nouvelle, mais  elle prend  dans cet album une fraîcheur toute particulière, avec les échecs successifs, mais presque réjouissants de loup gris, prêt à tester tous les déguisements pour assouvir sa faim.
Loup gris est déjà  bien connu des jeunes lecteurs, dans des  aventures où il se montre toujours maladroit et malchanceux, notamment dans sa quête de nourriture. Dans ce nouvel album, Gilles Bizouerne raconte les déconvenues  du loup  qui expérimente différents déguisements pour approcher ses proies.
Avec son  ton de conteur inégalable, il ponctue  d’onomatopées  pleines d’humour  les fanfaronnades de celui qui apparait comme un  grand naïf, rempli d’autosatisfaction, avant de déchanter. Héros positif pourtant, que ce loup que rien ne décourage !
L’illustration est un régal par les mimiques de chaque animal, croquées avec un humour jubilatoire. Le jeune lecteur sait toujours que rien n’est bien grave et identifie immédiatement les sentiments de chacun.
Ce bel album séduira  à coup sûr  les fidèles  amis  de loup gris, familiers de ses vaines tentatives pour apprivoiser le monde, mais celui-ci  aura sans doute un écho plus profond, puisqu’il incite à ne pas renoncer devant l’adversité, et à être porté par les encouragements de tous ceux qu’il aurait pourtant bien voulu berner.

Petite histoire de la calligraphie arabe

Petite histoire de la calligraphie arabe
Mohieddine Ellabbad
Le port a jauni 2019

L’écriture arabe dans tous ses états

Par Michel Driol

Tout commence par des légendes qui racontent l’invention de l’écriture arabe… avant d’en arriver à l’histoire. On apprend ainsi que l’écriture arabe est la lointaine descendante de la cursive araméenne. Puis on suit le patient travail des calligraphes pour rendre cette écriture plus lisible, pour rendre son écriture plus rapide ou plus esthétique. On en suit les variations géographiques, du monde Arabe à la Perse et à la Turquie. Bien sûr, cette écriture est liée aux mouvements religieux et politiques, et cela est explicité. On y apprend comment on devient calligraphe, de quels instruments on se sert, puis comment l’imprimerie, et l’informatique, ont modifié cette calligraphie…
Les éditions du Port a jauni proposent ici une véritable somme encyclopédique qui permet d’aborder, dans une langue simple, mais précise et qui n’a pas peur des termes techniques, cette histoire d’une écriture. L’ouvrage est magnifiquement illustré, à la fois d’exemples commentés de calligraphies, d’objets, d’enveloppes, de photos, de reproductions de journaux, de signatures… L’érudition ici va de pair avec l’humour de certains dessins de Mohieddine Ellabbad. Bien sûr l’ouvrage, comme tout livre arabe, se lit en commençant par « la fin ».
C’est aussi l’occasion de rencontrer l’auteur, décédé en 2010 au Caire, dont c’est ici un ouvrage publié de manière posthume. Mohieddine Ellabbad, l’une des grandes figures de la littérature de jeunesse du monde arabe, est un auteur qui, par sa réflexion, ses exigences, a contribué à faire naitre une nouvelle littérature de jeunesse en Egypte. Pour ceux qui veulent en savoir plus sur cet auteur, les Editions du Port a jauni ont aussi publié son autobiographie graphique, sous le titre Le carnet du dessinateur.
Voyage dans l’histoire, dans la géographie, dans les techniques, cette Petite Histoire de la calligraphie arabe est un grand livre qui répond à de nombreuses questions sur l’écriture et permet de mieux connaitre et comprendre d’autres civilisations.

Hariki

Hariki
Lucie Félix
(Les Grandes personnes), 2019

Jeu-Leçon de chose pour tout petits

Par Anne-Marie Mercier

Les albums de Lucie Félix publiés depuis 2012 chez (Les Grandes personnes) offrent chaque année un délice nouveau. Après Coucou publié l’an dernier, Hariki surprend encore par son inventivité, sa drôlerie et sa perfection graphique.
Après un incipit invitant ( « J’avais trois Harikos, harikos chéris, mais ils se sont sauvés. Aide-moi à les retrouver »), les doubles pages présentent un, puis deux, puis trois (on a donc un album à compter) harikos de couleurs différentes (on a donc un album qui présente les couleurs) ; ils ne veulent pas dormir : comment faire ? (on a donc une situation miroir) Un autre arrive, de forme différente, « molle, bizarre » (observation de formes). L’intrus est chassé (idée de tolérance ?) ; il revient avec un autre encore différent pour former avec des harikos de nouvelles formes : image de la symbiose des cellules (c’est donc un livre sur le vivant).

Mais c’est surtout un livre jeu, un livre objet en carton épais et aux bords arrondis à manipuler : il y a  des reliefs à caresser, des formes à faire glisser le long de rails, un texte drôle et rapide, des couleurs éclatantes.

Hurluberlures d’une grand-mère pas très sage

Hurluberlures d’une grand-mère pas très sage
Françoise Coulmin – Séverine Perrier
Motus 2019

Comme une recette du bonheur

Par Michel Driol

Le livre donne d’abord quelques recettes en cas d’insomnie : recettes, comme le titre l’indique, pas très sages et quelque peu burlesques ou farfelues. Puis suivent d’autres recettes de choses à  faire, quand on est éveillé, la dernière étant se préparer à écrire un poème… Mais, quand toutes les conditions sont remplies pour l’écrire, peut-être a-t-on envie d’autre chose : réaliser un dessert nuage qui rendra heureux toute sa vie…

Un grain de folie plane sur cet album drôle et malicieux. Plaisir des mots, plaisir des actes défendus en temps normal, plaisir de la transgression : la grand-mère propose des listes de solutions, de choses à faire qui tiennent de l’inventaire à la Prévert et d’une envie de liberté sans contrainte, de magie à hauteur d’enfance où tout peut se mêler, de monde à l’envers où la sagesse traditionnellement prêtée aux grand-mères est devenue folie douce. Avec une grande poésie, le texte développe cet univers proche de celui d’Alice au pays des merveilles, où l’on croise des dragons, des limaces, où l’on guette les signes du poème à venir. La graphisme lui-même est pris de cette folie : taille et couleur des lettres, lignes d’écriture brisées, circulaires, ondulées Tout participe de cet univers burlesque, sorte d’éloge de la folie pour lutter contre une trop grande sagesse, invitation à utiliser les forces de l’imaginaire contre un réel trop contraignant.

Les collages de Séverine Perrier sont des petites merveilles et composent un monde surréaliste, farfelu et plein de douceur. On y cherche la petite bête, le petit détail qui font jubiler au sein d’un univers onirique qui n’a rien d’inquiétant.

Un album qui serait comme un éloge poétique de la folie.

Petit Garçon

Petit Garçon
Francesco Pittau – Illustrations de Catherine Chardonnay
MeMo Petite Polynie 2019

Fantastique enfance

Par Michel Driol

Une dizaine de textes pour raconter quelques épisodes de l’enfance d’un personnage qu’on ne nommera que « Petit Garçon ». Façon d’en dire à la fois l’universalité, et, d’une certaine façon, la taille et l’âge très indéfini ici puisque l’on va du jardin d’enfants à la perte d’une dent de lait. Il est question de choses ordinaires, comme les relations avec les parents, les jouets, les activités comme le dessin, les accidents comme la fièvre.

C’est du ton que ce recueil tire son originalité. Car, si les situations évoquées sont assez fréquentes dans l’enfance, le recueil bascule dans l’imaginaire, le fantastique et le merveilleux de la vision du monde d’un enfant. Petit Garçon se métamorphose en mouche, donne abri à un morceau de nuit qui s’est endormi au lieu de repartir le jour venu, pénètre dans son dessin après avoir discuté avec les personnages bancals qu’il a créés, perd son reflet et part à sa recherche dans un monde étrange, voyage sur la lune. Même ses jouets préférés, ses amis, un crocodile, un hippopotame et un chien vivent des aventures extraordinaires dans une forêt inquiétante qui n’est autre que le lit, terrorisés par une main géante qui s’empare d’eux. Tout est donc jeu, mais le jeu a toujours quelque chose de très sérieux pour les enfants. Il est donc ici question d’identité, d’intégrité corporelle, d’un univers mouvant où tout peut se transformer. On songe en lisant certaines nouvelles à l’univers d’Arnold Lobel pour la façon de dire ce monde de l’enfance, fait de questions existentielles, de naïveté, de poésie et de merveilleux, dans une langue simple et accessible à tous.

Quant aux illustrations, elles semblent faites aux crayons de couleurs, ou aux feutres, et reprennent les codes du dessin enfantin avec humour et expressivité.

Un recueil de textes pour grandir debout, et partager ses sensations d’enfant.

La Fête d’anniversaire

La Fête d’anniversaire
Malika Doray
MeMo, 2019

« Même pas » une fête, de « même pas » anniversaire

Par Anne-Marie Mercier

« Il était une fois une souris qui voulait des biscuits. Elle décida donc de fêter son anniversaire et d’en préparer ».

Tout est dit. Le désir est affirmé, et réalisé. Il l’est même avec tous ses à-côtés car la souris ajoute aux biscuits quelques gâteaux et s’écrit à elle-même une jolie carte, affirmant son affection en post-scriptum. Elle met le tout dans un joli paquet qu’elle trouve à son réveil le lendemain et déguste avec délices en savourant sa tranquillité.
Le deuxième acte porte sur le partage : alors que la souris se félicite d’être seule et de n’avoir « même pas » invité personne, commençant à « même pas » s’ennuyer, on sonne à sa porte et « personne » entre, sous la forme (grenouille, lapin, renard, ours ?) de trois amis avec « même pas » un gâteau, des boissons, des bougies, et des cadeaux… que l’on voit entre leurs mains dans l’image. Tous se régalent ensemble et le mystère du « même pas » reste entier.
La structure de la page est sage au début : sur fond blanc, la souris est tantôt représentée une fois, parfois deux, trois, quatre fois, mais tout cela est bien aligné, avec des formes simples et des variations de postures qui lui donnent un air de pantin. A l’arrivée des amis, la structure explose, partiellement : le cadre reste bien en place, d’un trait bien droit orné de fruits et de feuilles. Simplicité et fantaisie garanties, dans un album grand format aux images très aérées et lisibles pour les petits. Et tout cela sur un beau papier avec une superbe impression (marque de fabrique de MeMo).

Dans mon petit monde

Dans mon petit monde
Sandrine Bonini & Elodie Bouédec
Grasset 2019

Le syndrome d’Alice

Par Michel Driol

Les parents de la narratrice la conduisent chez un médecin pour soigner ses insomnies. Elle lui raconte son petit monde, fait d’une amie qui ne supporte pas les vêtements à boutons, d’un ami qui a peur des animaux, de parents qui ont chacun leurs tocs.  Et il y a dans ce petit monde la narratrice, qui a tantôt l’impression d’être une géante, tantôt une naine. Le docteur lui offre alors Alice au pays des merveilles, qui permettra à la narratrice de se calmer, de surmonter ses angoisses en suivant Alice dans son monde merveilleux, où elle se sent enfin à la bonne taille. Plus besoin alors de retourner voir le docteur. Alice est là, pour aider.

Voilà un album ambitieux et réussi, qui évoque d’abord le méconnu  syndrome d’Alice, décrit par le psychiatre John Todd en 1955, et dont souffrent de nombreux enfants. Il se caractérise par des distorsions visuelles qui modifient la perception de soi-même, du temps et de l’espace. Cet aspect-là est particulièrement traité par l’illustration d’Elodie Bouédic, avec une technique rare dans les albums : le sable photographié, puis coloré par infographie, qui donne un aspect mouvant aux êtres et aux choses, en particulier dans les scènes oniriques. Mais, au-delà de mettre l’accent sur ce syndrome, l’ouvrage met aussi en abime Alice au pays des merveilles, et montre en quoi la littérature peut avoir un rôle psychologique et curateur. Il ne s’agit pas ici d’être dans l’album médicament, encore trop fréquent, mais de montrer en quoi l’identification aux héros et héroïnes peut aider à mieux voir clair en soi même, dans la rencontre avec d’autres qui partagent les mêmes troubles, obsessions, problèmes. Cette identification n’est pas aliénation car la narratrice et Alice restent distinctes, l’une agissant presque comme un passeur conduisant dans un autre monde où les choses sont en harmonie avec la lectrice qui s’y sent à sa place. Cet aspect-là est parfaitement bien traité avec le symbole quasi final du miroir : l’une retourne chez elle en traversant le miroir, l’autre ne peut que se regarder dans le miroir de sa chambre et s’y voir pour ce qu’elle est, dans sa chambre, et non pas en train de s’y admirer, comme le croit son père.  Belle image que celle de ce miroir, qui renvoie à la fois au stade du miroir de la psychanalyse, mais aussi à Stendhal lorsqu’il définit le roman comme un miroir que l’on promène le long du chemin. C’est peut-être bien, au-delà du seul roman, la fonction de la littérature : nous offrir un miroir de nos peurs, de nos angoisses, de notre petit monde, fait de bonheurs et de doute, pour le confronter au petit monde d’autres êtres de papier, mais qui aident à vivre et à appréhender le réel.

Ce bel album séduira bien sûr tous les admirateurs de Lewis Caroll, car, dans les magnifiques illustrations, ils retrouveront le lapin, le chat et une atmosphère très merveilleuse. Mais c’est un album qui, dans une langue poétique, parle de la difficulté de grandir, des bonheurs et des doutes, du besoin de soutien et du rôle indispensable de la littérature pour aider à mieux percevoir et se situer dans le monde.

 

Le Marchand de sommeil

Le Marchand de sommeil
Luna Granada
L’avant-courrier, 2017

La noirceur du monde par les mots

Par Anne-Marie Mercier

Les éditons de La Tête ailleurs, issues des éditions de l’Avant-Courrier sont une de nos découvertes de Montreuil, découverte un peu tardive puisque celles de l’Avant-Courrier sont nées en 2016.

Le Marchand de sommeil propose jeu sur la confusion entre les expressions « marchand de sommeil » et « marchand de sable » est ici un jeu sérieux. Il s’agit de l’approche faite par une enfant d’un mystère linguistique qui masque une réalité pour elle inimaginable. La cruauté du monde réel n’est pas exposée de façon crue, mais métaphoriquement, à travers l’imaginaire, sans doute d’un rêve.
Line voit des fenêtres murées et entend parler de ces étranges marchands. Line voit des êtres s’affairer de nuit sur les toits pour fermer toutes les ouvertures de son quartier, elle imagine le sort de ceux qui ont pu y être emmurés, elle voit les flammes d’incendies menacer sa propre chambre : le malheur ambiant entre dans son monde.
Elle est sauvée et ramenée dans la sécurité par le veilleur de nuit (autre belle expression imagée qui fait sens pour un enfant) ; elle gagne une « clé » : solution à tous les problèmes ou compréhension plus grande du monde ?
Les illustrations sont magnifiques, faites aux tampons de gomme et à l’aquarelle, en teintes douces et bleutées où quelques flammes de rouge créent des contrastes. C’est un bel album qui traite de manière détournée, à travers une question de langue, d’une question dite « sensible » que l’on n’évoque pas d’ordinaire devant les enfants et surtout pas dans leurs livres (un peu comme les Petits Bonshommes sur le carreau d’Olivier Douzou).

Les éditons de La Tête ailleurs se présentent ainsi sur leur site (et dans leurs albums) :  « Ce sont des livres aux univers artistiques forts, pour petits & grands.
C’est une ligne éditoriale moderne, autour de la ville
C’est une structure responsable, qui imprime ses livres en France
C’est un territoire, le 93, où nous avons nos racines
C’est aussi une association, qui organise des ateliers artistiques et des événements socioculturels
…une maison d’édition écolo, sociale et urbaine ! »

Un exemple, à travers un ouvrage chroniqué par Ricochet : « Créé à partir d’ateliers réalisés par l’association « La tête ailleurs » et avec les habitants de Saint-Denis, Au cœur de la ville propose au jeune lecteur une plongée active dans sa propre ville afin d’en découvrir ses secrets. Muni de ciseaux, de colle, de feutres et du livre d’activité comme journal de bord, il est invité à parcourir les rues qu’il arpente régulièrement, mais avec une curiosité nouvelle. » (lire la suite sur Ricochet)

Poussin

Poussin
Davide Cali, David Merveille
Sarbacane, 2019

Petit traité de littérature

Par Anne-Marie Mercier

Comment devient-on écrivain ? et comment devient-on écrivain pour enfants ? peut-on écrire pour les deux publics ? Est-ce que les enfants ont bon gout dans leurs choix de lecture ? et les critiques ? Que faut-il penser des séries populaires ?

Dans cet album, par ailleurs très drôle, on aborde toutes ces questions.
C’est une fable acide créé par des auteurs qui se moquent d’eux-mêmes, ou plutôt de ce que d’autres voient dans leur profession. Le personnage principal apprend à écrire, dans tous les sens du terme : de la formation des lettres à la vocation d’écrivain. Il apprend moins bien à surmonter les échecs lorsque ses manuscrits lui reviennent avec un mot de refus d’un éditeur.. De rage, il envoie pour se venger ce qu’il juge être un torchon indigne, les aventures d’un personnage « idiot », « moche », « banal », qu’il dessine lui-même en faisant une tache jaune et qu’il nomme Poussin. Poussin fait du ski est, à sa grande surprise, immédiatement publié et connait un tel succès que l’éditeur lui commande une série de 12 titres : Poussin fait du vélo, est suivi de Poussin fait un gâteau, etc… Il espère dégouter l’éditeur et en finir en lui proposant Poussin fait un gros caca : c’est un immense succès.  Tout l’itinéraire d’un succès mondial est décrit : séries télévisées, produits dérivés…
La succes story est ailleurs : l’écrivain aigri finit par découvrir qu’il a fait quelque chose de sa vie avec Poussin et que là où lui ne voyait que banalité et laideur, les enfants voyaient tout autre chose.

C’est toute une réflexion sur le livre pour enfants et sa place dans la hiérarchie des « produits culturels », et, plus largement et plus philosophiquement sur la question de « pourquoi écrit-on ? », menée avec drôlerie, sans se prendre au sérieux, mais en prenant les enfants au sérieux.