Le Gros Livre

Le Gros Livre
Delphine Perret
Les fourmis rouges, 2024

Super Méga Extra Mini

Par Anne-Marie Mercier

Le Gros Livre est petit, épais mais tout petit. Ça commence bien ! Sur la couverture, dans une petite barque, quelques personnages : un poney (qui refusera d’être mignon), un cochon (qui se croyait sans talent mais découvrira qu’il sait raconter des histoires), et un monstre poilu indéfinissable qui nous regarde avec des yeux hallucinés. Nous voilà embarqués dans une succession d’histoires courtes et hilarantes ou philosophiques. Certaines nous interrogent sur nos habitudes, nos convictions, d’autres sur ce qu’il faut pour vivre.
Celles de du super héros Super content est la préférée d’une petite fille de 5 ans : Super content cherche à aider les gens. Mais ils vont parfaitement bien et Super content, pas du tout vexé, partage leurs activités. Ça n’a l’air de rien, mais c’est super bien.
Un canard bourré de talents, des élèves qui s’interrogent sur les bruits bizarres venant d’une autre classe, un poussin maladroit, des pages face à face disant ce qu’on ne peut pas faire et ce qu’on peut faire de façon loufoque… tout est super drôle, fantaisiste et poétique. Les dessins à la plume de Delphine Perret font vivre ces mini scènes avec l’efficacité qu’on lui connait, bref un petit (pardon, un gros) bijou.

Poisson Fesse

Poisson Fesse
Pauline Pinson, Magali Le Huche
Les fourmis rouges, 2024

Par Anne-Marie Mercier

« La beauté des laids se voit sans délai, délai… (S. Gainsbourg)»

Il était une fois un petit poisson rose qui avait « une tête de fesse. Tour le monde le lui dit ».
Perplexité d’être différent, tristesse devant les moqueries, tentative (plutôt réussie) pour se faire accepter en surjouant sa difformité… solitude et lassitude : il part vers les profondeurs. Chaque palier lui fait découvrir qu’être rejeté peut être une force, et aider à survivre. Il rencontre surtout une nouvelle faune, jusqu’aux poissons les plus bizarres qui enchantent les enfants dans les grands aquariums, tant par leurs noms que par leur allure : poisson-pilote, poisson-chat, poisson-scie, poisson-clef à molette…
Arrivé tout au fond, il arrive au comble du bizarre et rencontre un poisson triangulaire, jaune citron et tout grêlé, appelé poisson-tome de Savoie. Très détendu, celui-ci (qui s’appelle en fait Steven) fait découvrir beaucoup de choses à son nouvel ami (qui s’appelle en fait Damien) : des jeux à l’infini et des idées comme notamment celle qu’un laid peut devenir beau, selon les yeux qui le regardent ou selon l’angle sous lequel il apparait. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises et Steven et Damien, en remontant vers la surface, vivront bien des aventures avant d’arriver chez la maman de Damien, jusqu’au « retournement » final.
Merveilleuse histoire, drôle, traitant sérieusement d’un sujet grave, et portée par des images formidables, des couleurs flash, des poisons stylisés et plein de caractère, jusqu’aux mimiques comiques des deux héros. Le texte est court et simple, explicite quand il le faut (on explique ce qu’est une tome et ce qu’est la Savoie) mais pas quand c’est au lecteur de construire le sens et de déchiffrer les émotions. La couverture et les pages sont douces au toucher, lisses comme un poisson pris dans le sens des écailles. Une lecture de plaisir total.

Le Soleil se lèvera demain

Le Soleil se lèvera demain
Aurélie Massé

Editions Slalom, 2024

Cinq voix, un espoir

Par Pauline Barge

Alexis, Nadia, Théodore, Camille et Jules ne se connaissent pas. Ils ne se sont jamais rencontrés auparavant. Pourtant, ils se retrouvent là, tous les cinq, dans ce lieu désert et effrayant. Alors ils se posent des questions. Que font-ils là, dans cet endroit à l’allure d’un vieux réseau de métro ? Pourquoi sont-ils ensemble ? Mais surtout : qui a bien pu les réunir ? D’abord méfiants les uns envers les autres, ils finissent par se parler. Petit à petit, chacun raconte des morceaux de sa vie. Ils expriment leurs peines, leur désespoir, leur mal-être. Dans ces couloirs inhospitaliers, l’amitié s’installe se répand. Ils s’aident, s’écoutent, se pardonnent. Ensemble, ils affrontent ces douleurs qui les rongent tous différemment.

Dans cette sorte de huis clos en trois parties, Aurélie Massé explore l’adolescence et toutes ses difficultés. Elle livre une histoire bouleversante, qui touche au plus profond de soi. On s’attache aux personnages, tout aussi émouvants les uns que les autres par leurs caractères bien à eux. La narratrice ne mâche pas ses mots. Elle est percutante et franche, ce qui prend au cœur. Si on se révolte avec ces adolescents, on veut aussi les rassurer, être avec eux dans cet endroit repoussant, leur murmurer des « je suis là ». L’autrice a réussi à faire passer un message puissant, avec une plume à la fois pleine de violence et de poésie.

Les thèmes abordés sont lourds. Pourtant, il faut parler de tous ces sujets que sont le harcèlement, l’homophobie, les troubles du comportement alimentaire, les violences sexuelles… Aurélie Massé arrive à trouver les mots justes pour parler à ses lecteurs. Son récit est un roman nécessaire, qui ouvre au dialogue et à la prévention. Un roman que les adolescents peuvent découvrir, pour se rendre compte qu’ils ne sont pas seuls. Pour qu’enfin ils puissent lire ces mots si justes : « Ce moment que tu traverses n’est pas l’éternité. Même si ta nuit te semble interminable, le soleil se lèvera demain. »

 

La Colère de Banshee

La Colère de Banshee
Jean-François Chabas, David Sala
Casterman (2010), 2024

Colère noire en or

Par Anne-Marie Mercier

S’il faut absolument se faire peur avec la progression de la nuit, marquée par l’étape de Halloween, avant le solstice d’hiver (Noël, donc), autant le faire en beauté. Loin des récits stéréotypés de sorcières noires, c’est un conte doré que propose David Sala. Ses images montrent une banshee (sorcière irlandaise) à la chevelure d’or et à la robe lumineuse comme un soleil. Cela ne la rend pas aimable pour autant ; elle promène sa colère dans un petit bois (merveilleux bouleaux sur fond d’aurore rose) sur la grève (pauvres rochers qui subissent sa rage), elle déchaine l’océan et le vent (pauvres oiseaux, malheureux poissons), elle hurle enfin, d’un « hurlement si incroyable qu’il se rit du vent et des vagues, qu’il file au-dessus des flots, comme une flèche stridente ». Le monde va exploser. Jean-François Chabas sait convoquer la démesure, il l’a explorée dans ses romans où il faisait vire des sorcières irlandaises (Les filles de Cuchulain, Les sorcières de Skelleftestad), et avec David Sala, Le Coffre enchanté qui s’inspirait déjà de Klimt, Féroce
Comme c’est un album, et qu’il est destiné à de plus jeunes lecteurs, qu’il faut rassurer et à qui il faut dire que toute colère peut et même doit être calmée, on découvre enfin que la banshee est juste une petite fille qui a perdu sa poupée. Sa mère arrive, elle a trouvé la raison du désespoir de sa fille (sa poupée perdue), elle répare le mal, aussi bien celui de son enfant que celui qu’elle a infligé au monde. Tout se calme, dans une lumière d’or, avec un constat tellement simple qu’il surprend : « je trouve que tu exagères un peu. Tu n’as pas très bon caractère… ». Le conte mythique se replie en petite leçon aimante, l’or et la lumière envahissent encore une fois la page. C’est superbe.

Onomatopia

Onomatopia
Émilie Gleason
Grasset jeunesse (« lecteurs en herbe »), 2024

Grrr, plaf, woutchebam !

Par Anne-Marie Mercier

Voici une sorte d’encyclopédie d’un nouveau genre : il s’agit de montrer les lieux que nous fréquentons à travers les bruits qui s’y font entendre. Chaque page fonctionne comme une planche de documentaire, montrant les éléments clés de chaque espace en noir et blanc : bibliothèque, école, toilettes, chantier, discothèque… et le peuplant de joyeux personnages caricaturaux, également en noir et blanc, réservant la couleur pour les bruits. Ceux-ci sont traduits par des onomatopées tracées en lettres épaisses et colorées : elles ont du corps et elles sont souvent très inventives. Ainsi, si la bibliothécaire fait «chhuuteuh», l’écriture fait «skritchin skritchè», le camion lance «prôônch », et bien d’autres sons. C’est une belle cacophonie !
C’est aussi une invitation à tenter de donner une traduction à tous les bruits et à être attentif à leurs accords et désaccords autour de nous.

 

Penny Sugar. La Sorcière des Everglades

Penny Sugar. La Sorcière des Everglades
Yan Le Gat, Pierre Fouillet
Sarbacane, 2024

Enquête écologique en Floride

Par Anne-Marie Mercier

Cet album de BD de facture assez classique présente une nouvelle enquête du détective Angus Nyper. Il se travestit en femme sous le nom de Penny Sugar (anagramme de son nom) pour mener ses enquêtes et pouvoir se dédoubler ainsi.
Un sinistre propriétaire de mine de phosphate fait appel à lui pour lutter contre une sorcière qui terrorise les mineurs avec des apparitions bruyantes au fond de la mine. Le méchant est très caricatural, comme sa femme (couverte de bijoux). Sa sœur en fauteuil roulant est plus mystérieuse, de même que les domestiques noirs et hispanos qui cachent quelque chose. Les moustiques, les crocodiles et les descendants de l’ancienne tribu des Séminoles rôdent en arrière-plan de tout cela.
Filatures, enquête, déguisements, laboratoire secret, histoires d’amour et de vengeance, tous les ingrédients sont là pour un joli imbroglio vite résolu par la fausse demoiselle. À tout cela s’ajoute la dénonciation de l’exploitation de mines sans respect pour les autochtones et les atteintes à l’environnement.

Attention ! Ouvrir doucement. Ce livre a des dents !

Attention ! Ouvrir doucement. Ce livre a des dents !
Nick Bromley, Nicola O’Byrne
Traduit (anglais) par Rose-Marie Vassallo
Flammarion (Père Castor), 2024

Action ! (1)

Par Anne-Marie Mercier

La version en format poche de cet album, paru en 2013 et novateur à l’époque, est la bienvenue (même si le grand format permettait davantage de jeu) : l’auteur feint de vouloir nous raconter l’histoire du « Vilain petit canard » quand un crocodile vient s’introduire dans son histoire. Le lecteur doit être sur ses gardes car l’animal est affamé. Mais en réalité celui-ci mange le livre lui-même, les lettres, les phrases, les pages.
Le lecteur doit intervenir. On lui propose d’endormir l’animal en le berçant et en bougeant le livre, de le crayonner, de le secouer… Il finira par sortir à la manière de l’Histoire de la Petite souris qui était enfermée dans un livre (1980) de Monique Félix.
C’est un bel exemple de livre qui cherche à faire agir son lecteur et anime pages et mots. Depuis, Hervé Tullet a fait plus, Ramadier et Bourgeau aussi.
Après avoir inspiré ce livre à Nick Bromley, l’illustratrice a repris son crocodile dans Qu’y a-t-il derrière cette porte?: Ouvre-la pour voir! (2018), chroniqué sur lietje.

 

Qu’y a-t-il derrière cette porte ?

 

Je plante des radis

Je plante des radis
Kate Petty Axel Scheffler
Gallimard Jeunesse, mars 2024

Livre pour jardiner, tendre et instructif

Par Edith Pompidou-Séjournée

Dès la première de couverture, on reconnaît le coup de crayon d’Axel Scheffler, le célèbre illustrateur de « Gruffalo ». Si le petit lapin, personnage principal de l’histoire, aurait bien pu rencontrer son autre héros, il ne s’agit pas cette fois de ruse ou d’amuser les enfants mais plutôt de leur donner le goût du jardinage. L’anthropomorphisme du personnage prénommé Charlie comme celui des autres sert, en fait, de support à cet album à mi-chemin du documentaire. En effet, si Charlie adore les radis et qu’il cherche à en faire pousser, le lecteur l’accompagne dans ses expériences et surtout dans les différentes étapes de la graine au légume en prenant conscience des éléments nécessaires pour la naissance du radis, comme le soleil, la chaleur et l’eau.
Des rabats ingénieux permettent même de voir ce qui se passe sous terre pendant que le petit lapin patiente. Ce sont les petits animaux du jardin qui renseignent Charlie en lui fournissant des éléments scientifiques mis en valeur dans des bulles de dialogue se détachant du reste de l’histoire : le ver de terre explique, par exemple, la nécessité de séparer les graines pour leur laisser la place de bien grandir, la coccinelle l’importance du soleil et celle de la pluie.
Finalement tous les radis ont poussé et Charlie en retire un géant de terre qui surgit du livre avec un immense rabat pop-up, il est ravi et réalise aussi, grâce à l’aide de la coccinelle que, si on ne les ramasse pas, les plantes donneront des graines et comprend ainsi le cycle de la germination. À la fin du livre, coccinelle et ver de terre redonnent des astuces au futurs petits jardiniers qui auront lu le livre. Un album tendre et ludique pour susciter l’envie de jardiner aux plus petits tout en leur faisant comprendre le cycle des végétaux.

 

 

Bibabop et Bidouwa

Bibabop et Bidouwa Un voyage au pays de la musique avec la fanfare Bric-Broc
Elsa Valentin Jean Lucas
Interprété par Jean Lucas, Erika et Frédéric Guérin
Trois petits points, 2024

Album audio d’une fiction sonore sous forme de CD à écouter

Par Edith Pompidou-Séjournée

C’est un voyage, celui d’une fille qui veut apprendre la musique et part donc à sa découverte. Son aventure se construit comme une chanson avec un refrain qui sert de fil conducteur en scandant l’histoire tout en rappelant sa quête. Quant aux couplets, ils peuvent s’écouter dans l’ordre. L’histoire se déroule comme un dialogue à deux voix entre la fille et celui que l’on peut penser être son professeur, et ses rencontres avec la fanfare et les instruments.
Ce périple est ponctué de devinettes musicales sur la reconnaissance des instruments mais aussi de la recherche des éléments caractéristiques du son comme la hauteur, la fréquence, l’intensité et la durée. La ballade est entraînante car elle s’accompagne de chansonnettes pleines de jeux de mots ainsi que de chansons et musiques qui invitent à bouger et danser en rythme.
Cet album audio n’est donc pas juste une histoire entraînante et amusante mais il peut encore servir de boîte à outils pour apprendre à découvrir les instruments et les sons qu’ils produisent, à prendre conscience du rythme et à le faire vivre corporellement, à travailler sur la prononciation et à différencier les sons pour savoir mieux les écouter et les apprécier. Une ode à la musique donc, certainement avec comme mission de passionner les plus jeunes et les plus novices de manière originale et stimulante.

Olbi

Olbi
Estelle Billon-Spagnol
Grasset jeunesse, 2024

Une promenade

Par Anne-Marie Mercier

Olbi est un petit être tout rond, sorti d’un œuf, il n’est pas pour autant un oiseau, malgré son bec pointu et ses trois poils en aigrette sur sa tête. Il n’a pas d’ailes mais de petits bras et de petits poings trop souvent serrés. A peine sorti de l’œuf, il lui arrive bien des malheurs : il est enlevé par un promeneur qui l’offre à sa fille. Celle-ci le maltraite puis s’en désintéresse et l’échange à un camarade un peu plus gentil mais ce n’est guère mieux. Olbi s’évade et retrouve la nature, mais celle-ci a quelques inconvénients, et il apprend au passage que ne pas prendre en compte les autres c’est mal (et dangereux). Il se sent seul et cherche un ami. Il décide de devenir riche et le devient en trompant son monde. Il jouit de sa richesse et commande des tas de colis qui l’encombrent (mais la critique s’arrête là, il a tout de même un super sous-marin et la vie est chouette). Il finit par arriver à Olbiville où se trouvent ses semblables et l’histoire peut s’arrêter là, ou recommencer si on y tient.
En résumé, ça part dans tous les sens, entre leçons morales et épisodes immoraux. Le texte, réparti entre propos du narrateur et propos des personnages, risque de rendre la lecture peu aisée. Avec Olbi, on se demande un peu où tout ça mène.
feuilleter sur le site de l’éditeur