Petit Papa Noël

Petit Papa Noël
Thierry Dedieu
Seuil 2025

Noël en noir et blanc

Par Michel Driol

Le refrain de ce classique chanté par Tino Rossi, Petit Papa Noël revient, à destination des enfants de 0 à 3 ans, avec des illustrations de Thierry Dedieu dans la collection d’albums cartonnés  bon pour les bébés.

Un Père Noël goguenard, à l’œil vif et pétillant, dans des illustrations en ombres chinoises qui sont le propre de cette collection de format géant. L’imaginaire traditionnel est bien là, avec le traineau, les rennes, les jouets (où bilboquet et ballon font bon ménage avec console et fusée), la cheminée… Quant aux lutins, ils apportent au père Noël bottes, bonnet et gants.  Les illustrations dynamiques, qui vont à l’essentiel, sont facilement décodables par les plus petits auxquels cette collection s’adresse.

Une chanson revisitée avec humour par Thierry Dedieu dans un style graphique d’une grande simplicité qui respecte la vision traditionnelle de Noël.

Au bout des pieds

Au bout des pieds
Marie Poirier
(Les Grandes Personnes) 2025

D’un chemin à l’autre

Par Michel Driol

Les enfants connaissent bien  la concaténation J’en ai marre/ marabout… ou encore la comptine Derrière chez moi, savez-vous quoi qu’y n’y a … Marie Poirier reprend ce principe, pour entrainer le lecteur au bout des pieds, puis au bout du chemin, au bout du caillou… au bout du livre où il y a toi, et on recommence avec au bout des pieds qui conduisent à un autre chemin.

Une proposition par page, qui se clôt sur au bout de…, la réponse étant donnée page suivante, un dispositif et une structure syntaxique répétitive rassurante destinée aux plus petits, dans un livre solidement cartonné. On accompagne ainsi une première découverte du monde, l’air, le caillou, la graine, le jardin, la maison dans laquelle se trouve le lecteur et le livre, comme pris entre deux chemins, celui qui conduit à la maison, celui qui en part, comme une invitation à continuer cette exploration infinie du monde.  Le graphisme est coloré, réduit au minimum pour donner à voir du concret, le jardin, la maison, mais aussi du  moins visuel, comme l’air. L’ensemble tient quelque part de l’imagier, un imaginer qui fonctionnerait par métonymies successives organisées autour du corps de l’enfant, présent au début, au milieu et à la fin, dans une sorte de mouvement perpétuel qui joue sur la répétition et la nouveauté. On peut lire là tout un programme éducatif, dans lequel se conjugue la découverte du monde environnant avec la stabilité rassurante.  C’est simple, plein de charme et de poésie, et donne envie de lire et de relire pour faire sien le texte tout en tournant les pages.

Un album destiné aux plus jeunes, pour stimuler la curiosité, l’envie de parcourir l’un après l’autre les chemins de la vie, et de s’intéresser à ce qui est plus loin que le bout de ses pieds… ou de son nez !

Les Secrets du Père Noël

Les Secrets du Père Noël
Saskia Gwinn – Daria Danilova
La Martinière 2025

A la découverte de la magie de Noël

Par Michel Driol

En plus de vingt-cinq chapitres, l’album explore des contenus liés à Noël, allant du costume du père Noël à la poste du pôle Nord, en passant par les sapins, la cuisine, et les lutins. Une exploration de tout ce qui constitue l’imaginaire de Noël, un imaginaire lié au personnage du Père Noël. De ce fait les origines de la fête liée au solstice d’hiver et à la Nativité sont exclues.

L’album joue sur le mélange entre l’imaginaire et le documentaire. Ainsi se côtoient des informations exactes (sur l’origine de la fête autour  de la légende de Saint Nicolas, sur l’histoire des jouets depuis la préhistoire, ou sur la gastronomie de Noël dans les différents continents) et une approche plus ludique, féérique, poétique ou merveilleuse (comment fonctionne la poste du pôle Nord, le rôle de la mère Noël, ou la technologie du traineau).  L’ensemble constitue donc une riche encyclopédie qui allie réel et fiction, avec de superbes illustrations pleines de détails. Des illustrations qui jouent sur le réalisme de la représentation avec un côté quelque peu rétro dans les dominantes de couleur vert et marron, de rouge aussi, bien sûr ! A la façon des documentaires, plusieurs planches montrent des cartes, des plans, des écorchés de bâtiments, que l’on prend plaisir à parcourir attentivement .

L’ensemble est, bien évidemment, placé sous le sceau du secret, celui du serment S.A.P.I.N. (on laissera au lecteur curieux le soin d’en savoir plus !), comme une façon de ne pas vouloir tout révéler, tout dire, et de préserver une magie de Noël, faite d’un voyage improbable dans un traineau tiré par des rennes tout autour de la terre et de cadeaux offerts aux enfants. Pour conserver cette magie, et conférer plus d’authenticité aux faits rapportés, le narrateur de l’album n’est autre que le lutin en chef.

On ne peut que saluer l’originalité de l’ouvrage, qui montre que, même sur un sujet aussi rebattu que les albums de Noël, les autrices savent faire preuve d’imagination pour renouveler le genre, tout en s’inscrivant dans une tradition bien établie, en mêlant ici humour et indications sérieuses, magie et réel. A l’image du Noël tel que les enfants le perçoivent, tant qu’ils n’en ont pas percé la triste réalité commerciale.

Noël

Noël
Cecilia Cavallini
D’eux 2025

L’ours qui n’avait jamais vu la neige

Par Michel Driol

Cette année, comme il fait encore doux, Ours n’a pas encore hiberné. Tous ces amis attendent avec impatience Noël. Noël, cela ne dit rien à Ours, qui décide de mener l’enquête avant de découvrir un arbre décoré, la neige, et une fête entre amis.

Reprenant le principe du récit en randonnée, Ours rencontrant successivement chacun de ses amis qui lui donne son regard sur Noël, voici un album qui est d’abord une tendre ode à l’amitié et à la découverte des coutumes inconnues. Amitié bien sûr entre tous ces habitants de la forêt, ours au naturel, les autres souvent affublés d’un bonnet ou d’une écharpe, animaux de toutes espèces et de toutes tailles. On est dans un entre-deux, entre une nature représentée avec réalisme (l’ours qui hiberne, en boule, sous terre) et le merveilleux du conte dans lequel les animaux parlent et ont des coutumes très humaines. Le texte construit progressivement, à travers le questionnement d’Ours, une représentation du Noël : quelque chose qui met de bonne humeur, associé à la neige, à un arbre décoré, et, au final, surtout, à une fête entre amis. Un Noël laïc donc.  Les illustrations, aquarelle et crayons de couleur, sont pleines de douceur, de tendresse, mais aussi d’humour dans la façon de montrer l’excitation des animaux à l’approche de Noël… Toute ressemblance avec des enfants ne serait que pure coïncidence ! L’ensemble respire la joie de vivre et la bonne humeur, l’acceptation de l’autre, des changements dans ses habitudes.

Pour autant, c’est sur un arrière-plan de réchauffement climatique que s’inscrit l’album. Si Ours n’a pas encore hiberné, c’est qu’il ne fait pas encore froid. Voilà qui modifie les habitudes de certains animaux, devine-t-on. Et quant à la neige de Noël, si elle tombe, miraculeusement, à point nommé dans cet album, on sait bien qu’elle risque de n’être qu’un souvenir, conduisant à modifier les représentations et le vécu de chacun. Tout ceci n’est pas dit brutalement, mais reste comme une toile de fond posant un fond réaliste sur cette histoire pleine de fantaisie et de bons sentiments.

Qu’est ce que Noël pour chacun d’entre nous ? Voilà une des questions que cet album nous incite à nous poser, sur fond d’amitié, de sapin décoré, de cadeaux, d’hiver. Et si Noël c’était avant tout l’occasion de faire la fête ensemble ? Voilà une belle leçon pleine d’humanité portée par les animaux !

Un trou dans le tout

Un trou dans le tout
Eleonora Marton  traduit par Laure Meier
Helvetiq 2025

Tentative d’épuisement d’une forme circulaire

Par Michel Driol

On commence avec une tache de rousseur sur la joue, on passe par le dernier biscuit sur l’assiette, le soleil à travers mes lunettes de star, et on termine avec un rond invisible sur la page. Toutes les pages sont identiques, à quelques détails près. La taille du rond, de plus en plus grand, les couleurs, avec l’inversion des couleurs entre le rond et le fond de page entre la page de droite et la page de gauche, et la légende qui renvoie à des choses le plus souvent très concrètes.

Cet album, à la fois très conceptuel et très graphique est aussi très poétique, dans la mesure où il invite le lecteur à voir, à regarder objets qui ont tous en commun d’être circulaires. Pas des trous, non, contrairement à ce qu’annonce le titre, mais des choses tantôt plates, tantôt sphériques, parfois plus complexes. Les légendes des pages de gauche et de droite établissent des connexions parfois évidentes, parfois plus subtiles, rapprochant ainsi, à la manière des surréalistes, des éléments bien éloignés. Si on passe du plus petit au plus grand, on passe aussi du visible à l’invisible, du bon côté à l’autre côté. Tout se passe comme si les choses évoquées disparaissaient à la fin, devenaient invisibles, sombraient dans le grand trou, une fois le livre fermé. Parfois ne restent que des traces, comme celle de l’horloge enlevée du mur, un détail oublié. Ces trous deviennent aussi trous de mémoire, souvenirs, rêves, prenant ainsi une autre dimension, plus humaine, éléments d’un échange entre un « je » et un « tu » dont on ne pourra jamais cerner les contours. Des souvenirs, pensera-t-on…

Comme de nombreux albums contemporains, on a une proposition qui se situe  entre l’album pour enfant et le livre d’artiste, entre le jeu de devinette et le jeu littéraire, pour inviter petits et grands à s’émerveiller, rêver, parcourir et découvrir un monde à la fois concret et abstrait.

Le Cadeau de Minuit

Le Cadeau de Minuit
Hong Soon-mi
L’élan vert 2025

Des couleurs et des ombres…

Par Michel Driol

Ils sont cinq lapinous, Aurore, Matin, Midi, Soir et Minuit, fils de Jour et Nuit, petits fils de grand-mère Temps. Cette dernière offre à chacun d’eaux un cadeau : bleu pâle pour Aurore, bleu  pour Matin, jaune pour Midi, rose, orange et rouge pour Soir, mais, dans le noir de la nuit, Minuit ne voit rien, et pleure. Pourtant grand-mère Temps veille sur lui, et invite ses frères et sœurs à lui offrir quelque chose. Nuage de brume, brise, confettis de soleil, couleurs du ciel. Et Minuit de tendre à chacun un petit bout de lui-même pour faire naitre les ombres…

Voici la réédition d’un album paru en 2020, un album plein de douceur et de poésie. Douceur et poésie des illustrations, pleines de la sérénité de la nature à différents moments de la journée, habitée par cette fratrie de lapins représentés de façon si touchante… Des petits lapins que l’on voit côtoyer d’autres animaux, poissons, oiseaux, papillons, écureuils… autant de vie et de couleurs qui s’opposent à la nuit noire de Minuit  juste peuplée d’une lune et d’étoiles qui sont plutôt ses larmes… Douceur des lapins, des nuages,  des formes diverses représentées de façon duveteuse, cotonneuse, comme de gigantesques doudous moelleux…

C’est dans cet univers que le texte dépoile une mythologie bien loin d’un Chonos dévorant ses propres enfants. Dans cette cosmogonie, on en laisse personne de côté, et les plus anciens veillent sur les plus jeunes, afin de s’assurer une parfaite égalité des dons reçus. Dans ce conte en randonnée, il est question de la beauté originale de chacun des instants de la journée, pleine de sensibilité, de vie, avec sa couleur propre. Et, dans ce jeu, si les lapins de jour apportent à Minuit de quoi rêver, lui leur offre les ombres, comme une façon de donner de l’épaisseur aux choses. De cet échange nait un univers plus complet, les rêves étant le lieu de toutes les couleurs, façon de dire le pouvoir de l’imagination, de la poésie et de la création.

Un album poétique et philosophique à destination des plus jeunes, les invitant à profiter pleinement de chaque moment de la journée, et à prendre soin les uns des autres, au delà des différences.

Polaire le petit renard de feu

Polaire le petit renard de feu
Mathilde Joly
Saltimbanque 2025

Un périple vers l’Arctique

Par Michel Driol

Polaire, un petit renard blanc, s’enfuit du zoo où il est enfermé, pour retrouver son milieu naturel. En chemin, il rencontre un renard roux, qui lui indique qu’il doit continuer sa route vers le nord, comme les oies sauvages qui passent. Après avoir échappé à un chasseur, il retrouve dans un pays tout enneigé une meute d’autres renards blancs, et admire les aurores boréales.

En format paysage, avec de grandes illustrations en double page, voilà un album qui donne à suivre un parcours vers les grands espaces, vers la liberté, vers les racines. Le récit fait silence sur les conditions de libération de Polaire, mais l’illustration montre des cages ouvertes d’où les animaux s’enfuient. Ce qui suit est d’abord le récit d’une découverte du monde, un monde inconnu pour Polaire, qui n’a connu que le zoo. Découverte de la ville, découverte de la forêt, découverte de la neige, découverte des dangers que représente l’homme qui chasse, découverte des autres, presque semblables comme le renard roux, ou bien différents comme les animaux du grand Nord. C’est aussi la découverte de soi, portée par le texte avec ses formes interrogatives, comme autant de signes indiquant l’attitude de curiosité inquiète de Polaire face à ce monde nouveau pour lui. Ce qui guide Polaire, et qui est signalé au début et à la fin du récit, c’est son instinct qui lui permet de retrouver les racines qu’il n’a pas connues. C’est enfin un récit d’émancipation, permettant au petit renard de sortir des cages, de sortir du monde des hommes, pour retrouver une nature sauvage et splendide, symbolisée par les aurores boréales finales. A noter que Polaire n’est pas seul dans cette aventure : est présent, sur toutes les pages, un petit animal que le texte a la malice de ne signaler que vers la fin, invitant ainsi le lecteur qui aurait été inattentif à revenir en arrière, et à reparcourir l’album à sa recherche… A la fin du texte, un petit texte documentaire indique la liaison effectuée par les légendes nordiques entre le renard blanc et les aurores boréales. Les illustrations, peinture et papiers découpés, créent un univers coloré, plein de douceur. A noter en particulier deux illustrations, très frappantes, l’envol des oies vers les nord, une composition presque abstraite dans sa façon de montrer cette migration sur un fond de ciel blanc, et le personnage du chasseur, double page qui oblige à retourner le livre en position verticale, montrant par les couleurs toute la noirceur de ce personnage inquiétant, tandis que, dans l’obscurité, brillent les yeux des animaux traqués, invisibilisés.

Un album poétique, hymne à la nature, à la vie sauvage, au respect des différences, dont le héros poursuit sa quête vers ses origines avec opiniâtreté et détermination, tout en restant bien fragile et inquiet quant à la façon dont les autres vont le recevoir.

Le Bus jaune

Le Bus jaune
Loren Long
HongFei 2025

Ainsi va la vie…

Par Michel Driol

Chacun connait les bus scolaires jaunes des Etats Unis ou du Canada. Loren Long en prend un comme héros de cet album, sans tomber dans les travers de l’humanisation outrée de la série Cars. D’abord il est affecté au transport d’écolier. Puis il transporte des personnes âgées. Abandonné dans les faubourgs de la ville, il devient le refuge des sans-abris. Remarqué à la campagne, ce sont les chèvres qui viennent s’y installer. Et quand, englouti par la montée des eaux due à un barrage, il se retrouve submergé, il est occupé par les poissons.

Loren Long réussit le tour de force de nous émouvoir du destin d’un bus jaune, qui n’est pas doté de parole, mais n’est pas dénué d’émotions, en témoigne le refrain qui clôt chacune des étapes de sa vie : Et ils le remplissaient de joie, sans que l’on sache si cette joie est la sienne ou celle de ses occupants. Le texte joue des répétitions, répétitions de phrases montrant la constance de ce bus consciencieux, infaillible, totalement dévoué à sa tâche. Répétition aussi des onomatopées mimant les bruits de passagers ou occupants divers. Dans sa construction, le texte dit le destin du bus, tantôt sujet, acteur, conduisant ou abritant ses passagers,  tantôt objet, objet des autres qui le conduisent et l’abandonnent. Quant aux illustrations, elles jouent sur le contraste entre le jaune du bus et un décor urbain, puis rural, représenté en grisaille au fusain. Jaune éclatant du bus dans le premier acte. Jaune un peu plus terne  pour le second acte, qui montre une transformation de la porte arrière pour accueillir les personnes en fauteuil roulant, mais aussi les peintures d’inspiration très hippies que ses passagers font sur ses parois. Le troisième acte le montre grisaillant, portières enlevées, capot levé. Et ainsi de suite se lit la lente dégradation du bus sur les illustrations. Parallèlement à cela, l’atmosphère est aussi induite par les saisons et le temps évoqués dans les décors. Eté et soleil pour les deux premiers actes,  puis froid, pluie et neige qui arrivent rendant ainsi sensibles l’inexorable passage du temps.

Le Bus jaune évoque ainsi, avec émotion et nostalgie, la vie qui passe, la lente dégradation des objets familiers, leur mise au rebut – notre propre mise au rebut lorsque nous devenons incapables de remplir nos fonctions. Pour autant, cet album conjugue avec talent cette nostalgie avec un réel optimisme. Le bonheur est là, il suffit de le saisir, de savoir le prendre comme il vient, voire de pouvoir être utile aux autres en toutes circonstances. C’est un peu l’art de la joie que délivre cette fable toute en simplicité et en douceur.

Un album particulièrement bien construit – l’auteur avoue, dans la postface, avoir construit une maquette du lieu – pour évoquer, à partir d’un objet familier, de manière allégorique,  la fuite du temps, la dégradation physique tout en chantant une ode à la vie. Simple, profond, étonnant  et magnifique !

Le Concours de fées

Le Concours de fées
Camille Garoche
Little Urban 2025

De la nature et des fées…

Par Michel Driol

Quelle fée fabrique la magie la plus extraordinaire ? Pour réponde à cette question, la grenouille invite l’escargot à examiner sept fées. On observe successivement les fées de la rosée, des flocons, des bourgeons, de l’écume, estivales, celles des feuilles rouges, et enfin celles de la nuit, A la fin, chacun vote, et les lecteurs sont aussi invités à adresser leur vote à l’éditeur.

Différents animaux sont mis à contribution pour véhiculer les voyageurs, chat, poissons…, et leur faire découvrir l’univers des fées. Chaque étape répète le même dispositif : un court texte de présentation page de gauche sur une illustration souvent en double page montrant le voyage, et une superbe double page qui fourmille de détails, de fleurs, d’animaux, de fées bien sûr, et de légendes, parfois. La magie des fées n’est autre que celle de la nature, de ces mystères qui font rêver les enfants : la rosée du matin, la neige, le printemps, l’automne, la nuit. Il faut prendre le temps d’examiner en détail chacune de ces doubles pages, véritable enchantement visuel. Dans une nature sereine, les fées s’agitent, dansent, nagent, tandis que les animaux et les plantes prolifèrent. On n’entrera peut-être pas dans cet imaginaire des fées, mais on reconnaitra à cet album le mérite de dire à quel point la nature est féérique au fil des saisons, et qu’il faut prendre le temps de découvrir chacun de ces écosystèmes.

Un album de très grand format, au charme un peu désuet (ce qui n’est pas un défaut, loin de là !), qui célèbre la nature dans sa grande diversité, et invite sans doute les enfants à prendre soin d’elle, à l’image de ces minuscules fées bienveillantes qu’il nous montre.

Le Livre de la jungle

Le Livre de la jungle
Claude Clément – Sanoe & Anita Oum
Larousse Jeunesse 2025

Mowgly entre deux mondes

Par Michel Driol

Claude Clément adapte les principaux épisodes du livre de la jungle, de Rudyard Kipling, dans une langue accessible aux plus jeunes. On retrouve ainsi la présentation de Mowgly au Conseil du clan, son éducation effectuée par Baloo et Bagheera, son enlèvement par les singes, sa capture du feu, son séjour parmi les hommes, au cours duquel il vient à bout de Shere Khan, son retour dans la jungle, et le combat contre les dholes.

Pas de découpage en chapitres, mais une mise en page qui permet de lire un épisode complet sur une page, au milieu d’une somptueuse illustration pleine de vie et de couleurs, montrant des animaux au cœur d’une jungle très orientale, et un Mowgly, toujours vêtu d’un pagne blanc, que l’on voit grandir quelque peu au fil de l’album. Ajoutons à cela l’arrière-plan très indien, avec les saris, ou le temple en ruine envahi par la végétation. On est très loin de Disney : pas d’humanisation des animaux, pas de recherche de comique, mais, au contraire, une fidélité à Kipling et à cette création d’un monde entre le conte et le réel, au service d’une vision du monde et d’une morale.

La morale, enseignée par Baloo et Bagheera, est d’abord celle du respect de l’autre, de celui dont on a appris la langue pour dialoguer avec lui, afin de vivre en bonne entente avec lui quels que soient les territoires et les différences. Leçon de sagesse, qui va de pair avec l’adaptation au milieu, car l’apprentissage vise à vivre dans un milieu hostile, dans lequel il faut apprendre à nager aussi bien qu’un poisson ou grimper aux arbres comme un félin.  Transgresser ces lois, comme le fait Mowgly lorsqu’il se rêve roi des singes, vit au milieu d’eux, qui ne respectent rien, ne peut que conduire à la dégradation physique (Mowgly a faim) et à la perte des valeurs.

La lecture proposée par Claude Clément met aussi l’accent sur la question de l’identité. Mowgli est tiraillé entre deux mondes. D’un côté, le monde de la jungle, un monde d’entraide dont le mal, incarné par le tigre ou les singes, n’est pas exclus, mais un monde dont il ne fait pas vraiment partie. De l’autre, celui des hommes – fourbes, menteurs, agressifs –mais le monde auquel, par son espèce, il appartient. Qui est vraiment Mowgly, la petite grenouille, que l’on voit faire des allers-retours entre les deux univers ? La dernière phrase le montre accédant enfin à une émancipation, qui est le propre de toute éducation réussie, « se sentant libre de tout clan, sinon de celui du monde vivant ». Tel est bien, en définitive, le propos de Claude Clément, propos destiné à ces enfants nés dans un siècle où les rapports entre l’homme et la nature sont à réinventer. Apprendre à la fois la loi de la jungle, c’est-à-dire apprendre à se fondre dans la nature, à respecter toute forme de vivant, apprendre les nombreuses interactions entre les végétaux et les animaux, et ne pas oublier qu’on est humain. Le monde dépeint ici n’est pas un monde de bisounours, le mal y rôde, partout, mais le vaincre ne peut se faire que  par l’union et la solidarité. Grandir, c’est apprendre à être soi-même.

Une adaptation réussie d’un classique de la littérature, pour les jeunes et les moins jeunes, parfaitement destinée dans son contenu et les valeurs qu’elle porte aux enfants d’aujourd’hui, souvent tiraillés eux-aussi entre des mondes bien différents.