Le Petit Chaperon rouge

Le Petit Chaperon rouge
Perrault, Dedieu
Seuil jeunesse, 2011

Double classicisme

par Anne-Marie Mercier

Dedieu joue avec la tradition et la sert bien : le texte intégral de Perrault s’inscrit dans des scènes composées à partir de motifs de toile de Jouy, répétitives, qui semblent tracer une histoire immobile. Mais des détails supplémentaires les animent ; on voit courir un lapin, travailler des bûcherons en arrière plan. Enfin, certaines pages décomposent une scène en plusieurs moments, comme celle de l’attaque de la grand-mère, ou celle de l’habillage du loup, avec un grand dynamisme. Dans ces décors monochromes, les couleurs rythment aussi le récit : le rouge du chaperon rouge, le bleu du linge de la grand-mère, le brun-rouge du loup tranchent sur les tons sépias de l’arrière plan.

Ce loup est effrayant à souhait et la cruauté de la scène finale n’est pas escamotée, au contraire, dans une dernière double page rouge où le regard des chouettes dit l’horreur de la situation. C’est beau, c’est fort : un futur classique de classique ?


Les Pakomnous

Les Pakomnous
Anne Jonas, Christophe Merlin

L’Edune, 2012

« En ces temps lointains, le monde s’occupait doucement de ses commencements »

Par Dominique Perrin

La fable est ancienne comme l’humanité, et son humour piquant aussi : deux peuples vivent en ennemis chacun de leur côté d’un fleuve, jusqu’à ce qu’un(e) innocent(e) convertisse la défiance atavique en désir de rencontre. L’histoire n’a pas une ride, et rayonne de tous ses feux sous les plumes d’Anne Jonas et de Christophe Merlin, qui semblent la réinventer, l’une dans une écriture « des commencements » associant de façon remarquable simplicité syntaxique et puissance métaphorique, l’autre dans un style graphique évoquant ici une tradition populaire russe mâtinée de clins d’oeil à Nicole Claveloux, là les stables paysages de Cézanne.

 

Plupk (D’après un conte ruthéanien)

Plupk (D’après un conte ruthéanien)
Olivier Douzou, Natali Fortier
Rouergue, 2012

Entre Pinocchio et Petit Poucet, un conte d’aujourd’hui

Par Dominique Perrin

Habitant d’une maison nichée dans la forêt, Plupk est sans doute, entre ses deux parents et de multiples compagnons animaux, un enfant choyé par la vie. Sa silhouette effilée de Pinocchio souple au petit nez et aux longs pieds annonce cependant un destin plus tumultueux, né de la lecture du Petit Poucet.
Et si Plupk devait un jour être perdu par ses parents, si ceux-ci étaient pauvres ? (L’hypothèse est loin d’être absurde, se redit le lecteur amateur de relations entre histoires et Histoire). La volonté secrète du jeune héros de prévenir cette épreuve imaginée l’entraîne dans bien des épreuves réelles, au sein de la forêt vibrante de présences sortie des doigts de Natali Fortier. Le lecteur l’y suit avec très vite un immense attachement, et apprend avec lui ce qu’enseigne l’aventure : les significations multiples de l’amitié et de la solidarité, l’impossibilité pour l’être humain d’être à hauteur de ses expériences au moment où il les vit, l’humilité moelleuse qui en découle. « Dehors, le ciel est rempli de cailloux blancs », dit la page finale, en vis-à-vis d’un ultime hommage au trait inaltérable d’Odilon Redon.

Cendrillon : le petit théâtre d’ombres

Cendrillon : le petit théâtre d’ombres
Charles Perrault, Juliette Binet
Gallimard jeunesse (Giboulées), 2011

 Théâtre de (lampe de ) poche

Par Anne-Marie Mercier

 Boîte de jeu, livre d’activité, castelet… il y a de tout à l’intérieur de ce livre de la collection « théâtre d’ombres » : on y propose un castelet de dimensions réduites, des décors en plastique rigide transparent, des figurines de même matière pour les personnages (humains et animaux), avec même quelque gros plans hardis (une figurine entière pour le pied de Cendrillon). Une lampe de poche à dynamo est fournie : fini le cauchemar de la recherche des piles…

Un petit livre propose le conte dans le texte de Perrault, illustré d’images dans le même style (mais en couleurs pastels) et accompagné de conseils pour le jeu dramatique, seul ou en groupe, tout à fait bien venus (comprendre l’histoire avant tout, essayer de ressentir l’émotion des personnages). Pour ceux qui n’arriveraient pas à improviser, des idées de mise en scène et de « jeu d’acteurs » et un texte théâtral très court sont proposés.

Enfin, tout cela est quasiment parfait. Seul reproche : le style du texte du mode d’emploi est un peu trop relâché.

Dans la même collection on retrouvera le Petit Poucet, le Chat botté, le Petit Chaperon rouge, Ali Baba, la Belle au bois dormant et les personnages des fables.

 

L’effaceur de couleurs

L’effaceur de couleurs
Guy Coda
Editions du Mont Jeunesse, 2010

 Une fable shadockienne

par Christine Moulin

guy coda,editions du mont,fable,écologie,couleursAu début il y a une planète, Aïeaïeaïe. Comme elle s’est livrée sans frein aux excès de la consommation, elle est très vite menacée par un méchant nuage qui lui enlève ses couleurs. Ses dirigeants vont voir ceux de la planète Oulàlà, leur voisine. Mais celle-ci n’est pas « aideuse », c’est là son moindre défaut.

Je vous laisse découvrir la suite. Vous le voyez, le scénario n’est pas renversant. Mais les illustrations (des photos d’êtres étranges fabriqués en papier et en ferraille) sont surprenantes, le style assez enlevé, même si l’ironie est parfois un peu facile (« Heureusement, le Président des Douillets était un homme intelligent, sinon on ne l’aurait pas nommé président, c’est sûr ! »).

Bref, une initiation contemporaine au genre de la fable.

Cendrillon et l’oiseau de feu

Cendrillon et l’oiseau de feu
La luciole masquée, Joël Cimarron

Karibencyla, 2011

méli-mélo

par Anne-Marie Mercier

Cendrillon ,oiseau de feu,  La luciole masquée, Joël Cimarron,  Karibencyla, Anne-Marie MercierInstallées à Perpignan, les éditions Karibencyla se sont fait une spécialité des contes et notamment des « contes mélangés ». Après Barbe-Bleue et Compè lapin, la Belle et Ganesh, Petit Poucet et le Minotaure,… vient de paraître l’histoire de Cendrillon et l’oiseau de feu, qui mélange folklore français et folklore russe de façon harmonieuse.

Cela n’appporte pas grand-chose à Cendrillon, et lui ôte même une part de magie puisque la fée marraine est remplacée par l’oiseau de feu. Mais cela a l’avantage d’introduire le conte russe, peu connu en France et de manifester la plasticité des contes,  souvent greffés les uns sur les autres. Le texte est écrit dans une belle langue et les images offrent un mélange de classicisme et de modernité relativement réussi.

Le Yark

Le Yark
Bertrand Santini

illustrations de Laurent Gapaillard
Grasset jeunesse (lecteurs en herbe), 2011

Le monstre de Madeleine 

Par Anne-Marie Mercier

Le  Yark est le monstre à l’état pur : il est plein de poils, il a des ailes de chauve-souris, des mains de sorcière et de grandes dents. Il mange les petits enfants…

– Rien de neuf, direz vous ?

– Mais si !
D’abord, contrairement au croquemitaine classique, ce ne sont pas les petits diables qui font sa nourriture, ceux qui ne finissent pas leur soupe, non. Il ne peut digérer que les enfants sages. Ce goût et la dévoration en elle-même sont évoqués avec un délice de détails qui fait penser à la Modeste proposition de Swift : on en croquerait ! D’ailleurs, la phrase de John Locke placée en exergue au livre ajoute à ce ton d’irrévérence face à sa majesté l’enfant.
Le problème du Yark, c’est que les enfants sages ne courent plus les rues, avec cette éducation permissive : « Les cours d’école grouillent d’un peuple bête et méchant, portrait craché de leurs parents » ; « réfractaire aux pensées profondes et à la poésie, le gamin d’aujourd’hui ne rigole plus qu’aux histoires de caca et de zizi ».
Le Yark cherche donc toutes sortes de solutions pour trouver un enfant sage (notamment à travers les listes des lettres au Père Noël, belle idée !), chaque tentative se solde par une erreur et une diarrhée gigantesque et rabelaisienne (l’auteur tient compte des goûts des enfants !). Le Yark fait des rencontres surprenantes et drôles – à condition d’aimer l’humour noir. Par exemple, celle de la troupe d’enfants abandonnés par des parents avisés : les voyant évoluer vers l’adolescent boutonneux, ils s’en sont débarrassés – «l’abandon s’impose alors pour rester sur un bon souvenir ».
La rencontre d’une délicieuse Madeleine, qui sera un peu la Zéralda du Yark, change tout et la morale est enfin sauve, in extremis. Les dessins sont hirsutes, merveilleux de drôlerie. A proposer aux lecteurs capables d’ironie, où (et ?) à ceux qui aiment se faire peur.

Boucle d’or et les trois ours

Olivier Douzou
Boucle d’or et les trois ours

Rouergue, 2011

 Boucle d’or, dans l’alphabet des chiffres

 Par Dominique Perrin

Boucle d’or et les trois ours, une histoire chiffrée, voire une histoire de chiffres ? Une décennie après la version géométrisante de Rascal (Ecole des loisirs, 2002), Olivier Douzou donne un corps littéral à cette intuition tout droit issue d’une fantaisie d’enfant. Le conte est là, transmis dans sa fraîcheur et sa simplicité retorse ; l’image espiègle et sérieuse en offre une interprétation plaisante, d’une évidence renouvelée : dans l’algèbre virtuose et désinvolte de la culture humaine, le conte offre une mise en équation du connu et de l’inconnaissable, dédiée à la célébration ludique des formes symboliques sorties de l’esprit humain.

L’heure du Grimm

L’heure du Grimm
Bruno Heitz

Casterman (mini BD), 2011

Petit ? – concentré !

Par Anne-Marie Mercier

L’heure du Grimm.gifC’est une « mini BD », et pourtant il y a une foule d’histoires et de jeux : d’abord l’histoire de Hansel et Gretel, racontée par Louisette la taupe, héroïne de la série (9 volumes parus), puis celle des trois jeunes lapins kidnappés par une belette qui veut réécrire cette histoire à son profit, et celle des sauveteurs qui se déguisent en renard pour les délivrer. On pense à Sylvain et Sylvette : un décor réduit, la maison, la forêt, le stupide ennemi. On pense aussi aux Musiciens de Brême, petits animaux unis contre un plus gros.

C’est aussi une BD bien faite, dynamique, qui enchaîne les cases de divers format et de formes variées sans que ce soit jamais artificiel et qui intègre un récit (le conte de Hansel et Gretel) dans le récit de façon astucieuse pour être lisible par de jeunes lecteurs. Les personnages sont croqués parfaitement et ont chacun leur caractère : lapins peureux et gourmands, belette à demi rusée, écureuil peureux, raton laveur couturier borné, taupe sagace à lunettes.

Enfin, le conte rejoint l’actualité à travers la lecture du journal qui raconte les conflits des humains, celui de la « guerre des truffes » qui a défrayé la chronique cet automne. Conte, récit policier, actualité, c’est un festival où l’humour est présent partout, y compris dans le drame et le suspens.

Le Duc aime le dragon

Le Duc aime le dragon
Chun-Liang Yeh et Valérie Dumas

HongFei, 2011

Chengyu

par Christine Moulin

 chun-liang yeh,valérie dumas,dragon,chine,fable,art,réalité,philosophie,christine moulinUn chengyu est une formule de quatre mots, une expression proverbiale porteuse de sagesse. Dans cet album, nous avons le droit à deux histoires, deux fables, qui illustrent deux chengyu, sur le thème des dragons. L’un, « Duc Ye aime le dragon », nous parle de l’opposition entre l’image que nous nous faisons de quelque chose et ce qu’elle est vraiment; l’autre, « peindre la pupille sur l’oeil du dragon », nous parle de la puissance de l’art, du risque que doivent savoir prendre les génies; les deux réfléchissant aux rapports entre le réel et sa représentation.

Dans notre époque qui privilégie les illusions de l’apparence, qui nous pousse parfois à nous laisser nous aveugler par la séduction de nos chimères, mais qui en même temps foule aux pieds la grandeur de l’art et de la culture, leur refuse toute efficacité, tout poids concret dans nos vies, nous avons besoin de cette philosophie décalée dans le temps et dans l’espace, de sa fausse simplicité, du message qu’elle nous apporte, qui retentit en nous, une fois le livre refermé. Les illustrations riches, colorées, drôles parfois, participent de ce dépaysement salvateur.

C’est avec ce genre de lecture que l’on expérimente ce que c’est que de s’enrichir au contact d’une autre culture et en quoi il est vital de permettre aux civilisations de se rencontrer.