Les trois petits cochons

Les trois petits cochons
Mélanie Baligand
La Martinière jeunesse 2022

Théâtre d’ombres

Par Michel Driol

Tout le monde connait le conte des trois petits cochons, leurs maisons de paille, de bois et de brique, et le loup qui souffle, qui souffle… puis qui descend par la cheminée jusqu’à se faire bruler le postérieur…

Mélanie Baligand propose un fabuleux livre objet à partir de ce conte, un livre qui permet de projeter l’illustration de l’histoire. L’idée est originale et particulièrement réussie. Lorsqu’on ouvre le livre, six maisons en relief apparaissent successivement, avec juste ce qu’il faut d’espace pour y glisser son téléphone allumé (ou une autre source lumineuse), et les découpes au laser sont projetées sur le plafond – voire sur les murs pour la fin conçue comme un final de feu d’artifice -, tandis que l’on peut lire l’histoire grâce à des découpes aménagées au bas des maisons. Du pur noir et blanc, formant tantôt plusieurs scènes l’une sous l’autre, à la façon de bandes dessinées, tantôt une seule image. Les détails sont soignés, les images projetées précises, à la façon des anciens théâtres d’ombre que l’ouvrage modernise et actualise. Quant au texte, il est illustré avec la même technique, du noir (ou plutôt du bleu foncé, moins inquiétant, plus apaisant) et du blanc, avec beaucoup de virtuosité, dans une belle unité graphique.

Une mise en scène magique d’un conte bien connu, pour métamorphoser la chambre entière avant de s’endormir. Un ouvrage qui montre aussi que l’inventivité en matière d’édition jeunesse n’a pas de limites !

Tout noir

Tout noir
Gilles Baum – Amandine Piu
Amaterra 2022

La petite New-yorkaise aux allumettes

Par Michel Driol

Une petite fille aime être sur le toit de son immeuble le soir quand soudain tout s’éteint. Inquiète, elle se demande si sa maman retrouvera le chemin de la maison, et elle décide de partir à sa recherche, 3 allumettes en poche. A la première allumette, un girafon l’accompagne, tandis que les objets, comme pris de folie, quittent les devantures des magasins. A la deuxième, un homme-de-rien, saxophoniste, l’accompagne. Et à la troisième, sa maman, assise sur un banc avec son amie Et la petite troupe de rentrer à la maison, guidée par cette allumette, devenue magique.

C’est d’abord un bel objet livre, particulièrement soigné et original, qu’on retire d’un long étui en carton, comme une longue boite d’allumettes. Une fois ouvert, c’est un magnifique leporello qui montre un univers urbain nocturne, sombre, avec juste ce qu’il faut de découpes pour laisser paraitre la lumière jaune  des fenêtres, puis des allumettes. Des dessins délicats, en gris sur fond noir, laissent entrevoir les personnages qui déambulent dans la ville sans lumière. Personnages minuscules, jusqu’aux retrouvailles attendues, comme pour souligner l’immensité de la ville devenue étrangère et inconnue, menaçante. Tout ce dispositif iconique est au service d’un récit à la première personne, un récit qui dit l’angoisse de la narratrice, qui part en quête de ce qu’elle a de plus cher au monde pour lui permettre de retrouver son chemin. Cette quête urbaine se situe en fait dans un univers poétique et onirique, dans lequel les objets échappent à leur condition. D’eux-mêmes ou fruits de larcins provoqués par cette panne d’électricité géante ? Dans ce désordre, la fillette fait deux rencontres. Celle de la nature, avec ce girafon improbable, tout aussi perdu qu’elle, et celle d’un saxophoniste, dans un quartier des théâtres aux enseignes éteintes, comme pour dire la permanence de l’art et de la musique. Cette petite fille dont la maman qui travaille la nuit a gardé son tablier sur elle, belle façon de la situer dans un certain milieu social que pudiquement on qualifierait de défavorisé, devient à la fin de l’histoire celle qui va éclairer le monde par le pouvoir de sa lumière : superbe symbole de la lumière plus forte que la nuit, de l’espoir plus fort que la désespérance.

Au fond, quelle meilleure façon de parler de ce superbe album que de citer Eluard ?

La nuit n’est jamais complète.
Il y a toujours puisque je le dis,
Puisque je l’affirme,
Au bout du chagrin,
une fenêtre ouverte,
une fenêtre éclairée.
Il y a toujours un rêve qui veille,
désir à combler,
faim à satisfaire,
un cœur généreux,
une main tendue,
une main ouverte,
des yeux attentifs,
une vie : la vie à se partager.

Une frise à déployer pour illustrer le combat de la lumière, toujours fragile, et de la nuit si menaçante, avec une petite fille, vraie héroïne de conte attachante. Comme une petite fille aux allumettes pleine d’espoir et d’optimisme.

Mon beau sapin

Mon beau sapin
Pauline Kalioujny
Seuil jeunesse 2022

Écoute, bûcheron, arrête un peu le bras…

Par Michel Driol

Ce beau sapin est un objet livre original à plus d’un titre. Un premier texte nous raconte l’origine celte du sapin de l’arbre décoré fin décembre, au plus froid de l’année. Pus on suit les paroles de la chanson, Mon beau sapin… Au milieu de l’ouvrage, un sapin en relief à déployer, tandis que la chanson s’accompagne d’un récit.  Celui d’une tribu celte à la recherche d’un arbre à décorer de pommes de couleurs et de marrons, un arbre qu’on n’aura pas l’idée de couper. Puis c’est la chanson qui continue. Avant de retrouver le récit. L’arbre a grandi, est devenu majestueux, refuge pour les animaux, et source de sagesse. Et, avant de refermer l’ouvrage, un calendrier de l’avent pour évoquer, dans 24 fenêtres à ouvrir, les animaux et les créatures mythologiques qui peuplent les arbres.

Un mot d’abord des splendides illustrations de l’autrice, des illustrations pleine plage, fouillées, précises, pleines d’une verdure foisonnante pour rendre hommage à ce sapin toujours vert. Mais aussi pleines d’éclats jaunes pour célébrer la lumière dont on attend le retour. Images pleines de sens aussi surement, avec ces feuilles étincelantes jaune-orange au sol, qui contrastent avec le noir profond du ciel. Alternent ainsi les pages vertes et les pages jaunes, le jaune  des enfants et des animaux qui dansent, le jaune des étoiles. Cette symphonie en vert et jaune dit bien, à sa façon, la symbolique de Noël et l’attente d’un renouveau de la nature.

En rattachant la coutume du sapin de Noël à ses origines celtes, à cette façon de célébrer le solstice d’hiver en décorant  un arbre symbole de vie, en l’apparentant avec la tradition chamanique sibérienne d’attacher des tissus colorés à un arbre, Pauline Kalioujny fait pénétrer le lecteur dans une autre façon d’envisager le lien que nous avons avec les arbres et la forêt. Le sapin n’est pas qu’un objet décoratif : il est capable de faire retrouver de paix et d’harmonie (voir en particulier l’image très parlante qui superpose la silhouette d’une posture zen avec celle d’un sapin). C’est ce que dit le calendrier de l’avent qui à la fois donne à découvrir les animaux abrités par le sapin, qui recherchent leurs petits, ou se préparent à jouer des tours, mais aussi les créatures fantastiques (Sirine, la sirène russe, les nymphes de la mythologie gréco-romaine, voire la figure de la sorcière-guérisseuse connaissant le pouvoir des plantes…). C’est bien là une plongée vivifiante dans l’imaginaire humain associé aux arbres, à la forêt, un imaginaire dont la civilisation actuelle nous éloigne de plus en plus et que cet album permet d’approcher de façon sensible.

Un album aux illustrations magnifiques, qui  inscrit Noël dans une histoire des rites humains de célébration du solstice d’hiver et des arbres. On rapprochera cet album de Promenons-nous les bois, de la même autrice, qui évoque la destruction de la forêt au détriment de ceux qui y vivent. Après cela, qui aura envie d’un sapin de Noël coupé chez lui ?

L’Arche que Noé a bâtie

L’Arche que Noé a bâtie
Henri Galeron
Les Grandes Personnes, 2022

Et tous ses animaux

Par Anne-Marie Mercier

L’Arche que Noé a bâtie est un petit bijou qui devrait figurer dans toutes les bibliothèques des lieux où il y a des enfants. D’abord parce que c’est un album du merveilleux Henri Galeron, qui fait de si belles images. Ensuite, parce que c’est un livre total, tout en étant très court : un livre objet à rabats, montrant la même image de l’arche dans toutes ses pages, mais chaque fois en ajoutant un nouvel animal, et s’achevant sur une foule d’animaux faisant une grande fête pour oublier leur dispute. C’est aussi une histoire, des chamailleries qui commencent avec le rat qui veut grignoter le riz que Noé va embarquer, chahuté par la chouette, qui elle-même est chassée par le chat ; le pélican pique le chat, etc. Jeu d’assonance, texte à empilement, proche de la comptine et du poème, différents animaux qui vont entrer dans l’arche y apparaissent, plus ou moins par ordre de taille.
Et tout se termine en chansons, avec Noé à la batterie, avant le grand départ, dans une image saturée de détails.

Voir l’animation sur le site de l’éditeur.

 

 

 

 

Pleine Mer, Plein Soleil

Pleine Mer
Antoine Guillopé
Gautier-Languereau, 2018

Plein Soleil
Antoine Guillopé
Gautier-Languereau, 2018

Pleines pages

Par Anne-Marie Mercier

Pleine Lune, Pleine Neige, Plein Soleil, Pleine Mer…  Antoine Guillopé a créé toute une série de grands albums chez Gautier-Languereau, beaux et variés, avec peu de texte. La magie de ces albums réside en partie dans ce laconisme et dans la solitude de ses personnages. Issa, seul à l’aube dans la savane, comme Jade, en plongée dans l’océan tropical, poursuivent chacun un but secret. L’album, page après page, en montre les étapes, sans que le lecteur sache jusqu’à la toute fin, ce qu’il trouvera à la fin du parcours.

 

Les papiers découpés font partie du charme particulier de ces albums : ils découpent les noirs et blancs intenses de Plein soleil, où apparait parfois le disque doré du soleil, les bleus et verts de Pleine mer, éclairés par le maillot de Jade et ses palmes fuchsia, les coraux, les poissons aux couleurs lumineuses. On s’y plonge et on y avance avec délice.

La Case 144

La Case 144
Nadine Poirier – Illustrations de Geneviève Després
D’eux 2019

Le jeu de la Marelle / Va de la terre jusqu’au ciel

Par Michel Driol

Pour explorer la ville sans s’y perdre, Lia dessine sur les trottoirs une marelle géante, grâce à la boite de craies que sa mère lui a données. Mais lorsqu’il ne lui reste qu’un petit bout de craie, et qu’elle doit dessiner la case 144, le trottoir est occupé par un vieil homme couché sur un carton. Sans doute un personnage des Mille et une nuits, possédant un génie, capable de lui redonner une boite de craies neuve…

C’est donc l’histoire d’une rencontre à la fois probable et improbable que raconte cet album tendre et chaleureux. Celle de deux personnages, une fillette et un vieillard, un SDF épuisé et une fillette dont on devine qu’elle vit seule avec sa mère, qui n’a pas beaucoup d’argent. Celle d’une fillette pleine d’imagination et d’un vieillard dont on ne saura rien, si ce n’est que la vie n’a pas été douce avec lui jusqu’à ce qu’il rencontre Lia, qui saura le faire rire et lui offrir un peu de compagnie et de douceur. Le texte épouse le point de vue de Lia, donnant à comprendre sa façon de percevoir une réalité qui lui est étrangère au travers de ses lectures, de sa culture, de son imaginaire. Après l’avoir vu comme un obstacle l’empêchant de continuer de construire sa marelle, elle pense qu’il peut lui être utile grâce à ses pouvoirs magiques. C’est cette grille de lecture faussée – le SDF n’est pas un prince oriental – qui lui permet d’accepter progressivement l’autre tel qu’il est, au moment où elle prend conscient qu’aucun génie ne laisserait un homme dans cet état. Ce sera donc à elle de prendre soin de cet homme, et de lui offrir  ce qu’elle peut, une maison dessinée à la craie : quelque chose d’à la fois sublime et dérisoire. Les illustrations inscrivent l’histoire dans une ville canadienne vue comme un labyrinthe ou un formidable terrain de jeu pour Lia. Quelques pages centrales utilisent des calques, belle trouvaille graphique pour matérialiser l’imaginaire de Lia, qui fait obstacle à sa perception du réel. Les gros plans des personnages montrent des visages très expressifs : rires partagés, commisération, souffrance pleine de dignité du vieil homme.

Bien sûr, une fillette ne peut pas changer le monde et sa dureté. Mais l’album est une incitation à aller vers l’autre, et à prendre soin de lui, dans la mesure de ses moyens, et c’est déjà ça ! Un feel-good album lumineux, poignant et serein.

Rue de la peur

Rue de la peur
Gilles Baum –  Illustrations d’Amandine Piu
Amaterra 2021

Freaks !

Par Michel Driol

Une petite fille sort de chez elle, et, pour aller à la maison de son grand-père, doit longer la rue de la peur. Dans chacune de ces maisons habite un monstre redoutable, que l’on aperçoit si l’on ouvre la porte ou les fenêtres. Un cerbère, un cyclope, une pieuvre… et enfin le grand père, dont on découvre avec surprise les trois yeux, et qui serre sa petite fille dans ses bras, avant de lui montrer l’arrière du décor. Et l’on apprend alors que le yeti adore les légumes surgelés, que les fantômes aiment défiler… et que la petite fille a aussi trois yeux, pour mieux voir le monde ?

C’est d’abord un beau livre objet, en forme de maison, qui se déplie comme un leporello, donnant à voir la totalité de la rue de la peur, tandis que l’autre côté montre les monstres dans leur intimité, pas effrayante du tout ! Voilà une belle façon de jouer avec les peurs enfantines, représentées ici par la petite fille pas très rassurée tout au long de son parcours, courant, marchant sur la pointe des pieds, ou sifflotant, l’air dégagé… Chaque maison, plus inquiétante que la précédente, renvoie aux imaginaires des cauchemars et des personnages inquiétants, pour le plus grand plaisir du lecteur. La seconde partie du voyage, la visite guidée que propose le grand-père, est d’une autre facture. Il s’agit d’un réel apprentissage, apprentissage de la diversité, de la tolérance, et découverte des autres dans ce qu’ils ont de positif au-delà de leur apparence repoussante. Ainsi chaque personnage devient sympathique et quelque part, a son grain de folie, mais peut aussi être la victime de sa propre monstruosité, comme une infirmité. Toutes les angoisses éprouvées par la fillette se renversent alors en sympathie pour les personnages dont le grand-père donne à voir la vérité profonde au-delà de l’apparence. Si tous les archétypes de la peur sont bien présents, c’est pour être mieux déconstruits dans la seconde partie par l’adulte bienveillant. Après tout, tout n’est qu’affaire de regard et de point de vue. Ainsi nous lecteurs avons nous été bernés par la représentation de profil de la fillette, et ne découvrons qu’à la fin qu’elle fait aussi partie des monstres. Peu de textes dans cet album, mais fortement encadrés par deux expressions qui en disent toute la philosophie : Parfois l’enfer mène au paradis, et Merci Papy tu m’as ouvert les yeux !

Un beau livre objet pour jouer à se faire peur, mais, au-delà de ce jeu, un album qui aborde le thème de la différence avec un humour indéfectible !

La Grande Escapade

La Grande Escapade
Clémentine Sourdais
Seuil jeunesse, 2021

Là-haut sur la montagne…

Par Anne-Marie Mercier

« Livre randonnée », ce livre à découpes mérite bien son nom : nous suivons l’itinéraire d’une jeune fille, Brume, partie au matin en laissant un mot sur a table « pour dire qu’elle reviendra » : on traverse la forêt, les champs de fleurs, l’alpage, on découvre les sommets, à la fois proches et lointains, et puis on redescend, le cœur plus léger qu’à la montée : Brume s’est disputée la veille avec sa mère, et toutes deux ont fait la même chose, chacune de leur côté.

Une journée seule, à côtoyer les animaux, les plantes, à manger des myrtilles et rêver, et tout s’arrange. Pour le lecteur aussi cette promenade pleine de fraicheur est un parfait dépaysement. Les rabats, nombreux, lui font découvrir la faune et la flore, ouvrent les perspectives, déploient les nuances en pages composées en camaïeux. C’est une belle promenade, pleine de surprises.
C’est aussi une petite encyclopédie sur la montagne : on trouve en fin d’album quatre doubles pages qui reprennent en les nommant les animaux et plantes rencontrés dans l’album. Certains sont accompagnés d’un court texte explicatif.

 

Le Cerisier de Grand-Père

Le Cerisier de Grand-Père
Anne-Florence Lemasson et Dominique Ehrhard
Les Grandes personnes, 2020

Un album aérien pour toutes les saisons

Par Anne-Marie Mercier

Un scénario tout simple sert cet album pop-up qui parvient à être magnifique et surprenant tout en étant lui aussi marqué par la simplicité.
Grand-père a un cerisier. Au printemps les oiseaux y chantent et font leurs nids, des oisillons naissent, les fruits murissent, mais voilà les cerises grignotées : Grand-Père sort l’épouvantail. Les feuilles jaunissent, arrivent les premiers froids (des flocons même sur l’image, ce qui est un peu tardif, mais c’est bien joli comme ça aussi), les oiseaux s’en vont.
Les oiseaux tout ronds et colorés sont charmants, le système les anime de diverses façons, fait éclore les oeufs, fait voleter les oiseaux (et les papillons); on les voit pointer le bec, s’agiter en tous sens.
Le décor est constitué comme il l’aurait été pour un un leporello : la première page montre le bout des branches de la moitié gauche de l’arbre, puis la suite de ces branches attachées au  tronc, puis l’autre moitié de l’arbre. Et ainsi on passe du printemps à l’été, puis à l’automne, puis à l’hiver.
Les tirettes sont simples à actionner, l’ensemble est solide et un enfant même petit (3 ans) peut s’en régaler, avec une aide au début pour voir comment éviter de maltraiter le livre; c’est si joli que les adultes ne manqueront pas de vouloir participer à ce parcours.

Le Rat, la mésange, et le jardinier

Le Rat, la mésange, et le jardinier
Fanny Ducassé

Thierry Magnier, 2022

Un rat parmi les fleurs

Par Matthieu Freyheit

« Miroir, miroir en bois d’ébène, dis-moi, dis-moi que je suis… » Nous connaissons la suite. Mais le rat de cette histoire n’est pas la marâtre des frères Grimm. Convaincu de sa laideur, l’animal prend refuge dans un grenier où il aménage une maison de poupée, décorée à son goût. Pourtant, la laideur ici n’existe pas : Fanny Ducassé fait le choix d’un style naïf où dominent les fleurs et les couleurs. Pour ce rat qui ne s’aime pas, la laideur n’existe en effet que dans son miroir : partout ailleurs, son regard ne voit que de la beauté – ainsi de cette mésange qui lui apparaît, dans un éclat de lumière, « tel un hydravion ». La beauté trop consciente d’elle-même est cependant une beauté étourdie : alors qu’il emporte le rat dans les nuages pour voir le monde d’en haut, l’oiseau lâche le rat, qui quitte le ciel des autres et retourne à sa terre…parmi les fleurs.

Recueilli par un blaireau-jardinier, le rat est alors dorloté, soigné, choyé comme le sont les fleurs elles-mêmes : « Le rat se sentit alors précieux et délicat. » On se souvient avec chaleur que l’amitié qui lie monsieur Taupe et monsieur Rat dans Le Vent dans les Saules (1908) faisait écrire à Kenneth Grahame : « L’invisible était tout. » De fait, la tendresse du jardinier pour le rat opère et invite discrètement ce dernier à poser un regard neuf sur son reflet et sur le beau brun de son pelage.

Le rat comprend ainsi qu’il n’est plus en porte-à-faux avec la délicatesse des illustrations, et le soin à l’œuvre agit doublement : le soin apporté par Fanny Ducassé à ses dessins agit comme une projection du regard émerveillé que porte le rat sur le monde qui l’entoure ; le soin apporté par le jardinier au rat amène celui-ci à se sentir bénéficiaire, comme tout ce qui l’entoure, d’un soin plastique qu’il suffisait de regarder.

C’est bien un album sur le regard que propose l’auteure : un regard minutieux et attendri, au nom de l’attention que méritent les belles choses. Ce livre en fait partie : souhaitons-lui d’être vu, comme il donne à voir.