Le Bus jaune

Le Bus jaune
Loren Long
HongFei 2025

Ainsi va la vie…

Par Michel Driol

Chacun connait les bus scolaires jaunes des Etats Unis ou du Canada. Loren Long en prend un comme héros de cet album, sans tomber dans les travers de l’humanisation outrée de la série Cars. D’abord il est affecté au transport d’écolier. Puis il transporte des personnes âgées. Abandonné dans les faubourgs de la ville, il devient le refuge des sans-abris. Remarqué à la campagne, ce sont les chèvres qui viennent s’y installer. Et quand, englouti par la montée des eaux due à un barrage, il se retrouve submergé, il est occupé par les poissons.

Loren Long réussit le tour de force de nous émouvoir du destin d’un bus jaune, qui n’est pas doté de parole, mais n’est pas dénué d’émotions, en témoigne le refrain qui clôt chacune des étapes de sa vie : Et ils le remplissaient de joie, sans que l’on sache si cette joie est la sienne ou celle de ses occupants. Le texte joue des répétitions, répétitions de phrases montrant la constance de ce bus consciencieux, infaillible, totalement dévoué à sa tâche. Répétition aussi des onomatopées mimant les bruits de passagers ou occupants divers. Dans sa construction, le texte dit le destin du bus, tantôt sujet, acteur, conduisant ou abritant ses passagers,  tantôt objet, objet des autres qui le conduisent et l’abandonnent. Quant aux illustrations, elles jouent sur le contraste entre le jaune du bus et un décor urbain, puis rural, représenté en grisaille au fusain. Jaune éclatant du bus dans le premier acte. Jaune un peu plus terne  pour le second acte, qui montre une transformation de la porte arrière pour accueillir les personnes en fauteuil roulant, mais aussi les peintures d’inspiration très hippies que ses passagers font sur ses parois. Le troisième acte le monte grisaillant, portières enlevées, capot levé. Et ainsi de suite se lit la lente dégradation du bus sur les illustrations. Parallèlement à cela, l’atmosphère est aussi induite par les saisons et le temps évoqués dans les décors. Eté et soleil pour les deux premiers actes,  puis froid, pluie et neige qui arrivent rendant ainsi sensibles l’inexorable passage du temps.

Le Bus jaune évoque ainsi, avec émotion et nostalgie, la vie qui passe, la lente dégradation des objets familiers, leur mise au rebut – notre propre mise au rebut lorsque nous devenons incapables de remplir nos fonctions. Pour autant, cet album conjugue avec talent cette nostalgie avec un réel optimisme. Le bonheur est là, il suffit de le saisir, de savoir le prendre comme il vient, voire de pouvoir être utile aux autres en toutes circonstances. C’est un peu l’art de la joie que délivre cette fable toute en simplicité et en douceur.

Un album particulièrement bien construit – l’auteur avoue, dans la postface, avoir construit une maquette du lieu – pour évoquer, à partir d’un objet familier, de manière allégorique,  la fuite du temps, la dégradation physique tout en chantant une ode à la vie. Simple, profond, étonnant  et magnifique !

Le Concours de fées

Le Concours de fées
Camille Garoche
Little Urban 2025

De la nature et des fées…

Par Michel Driol

Quelle fée fabrique la magie la plus extraordinaire ? Pour réponde à cette question, la grenouille invite l’escargot à examiner sept fées. On observe successivement les fées de la rosée, des flocons, des bourgeons, de l’écume, estivales, celles des feuilles rouges, et enfin celles de la nuit, A la fin, chacun vote, et les lecteurs sont aussi invités à adresser leur vote à l’éditeur.

Différents animaux sont mis à contribution pour véhiculer les voyageurs, chat, poissons…, et leur faire découvrir l’univers des fées. Chaque étape répète le même dispositif : un court texte de présentation page de gauche sur une illustration souvent en double page montrant le voyage, et une superbe double page qui fourmille de détails, de fleurs, d’animaux, de fées bien sûr, et de légendes, parfois. La magie des fées n’est autre que celle de la nature, de ces mystères qui font rêver les enfants : la rosée du matin, la neige, le printemps, l’automne, la nuit. Il faut prendre le temps d’examiner en détail chacune de ces doubles pages, véritable enchantement visuel. Dans une nature sereine, les fées s’agitent, dansent, nagent, tandis que les animaux et les plantes prolifèrent. On n’entrera peut-être pas dans cet imaginaire des fées, mais on reconnaitra à cet album le mérite de dire à quel point la nature est féérique au fil des saisons, et qu’il faut prendre le temps de découvrir chacun de ces écosystèmes.

Un album de très grand format, au charme un peu désuet (ce qui n’est pas un défaut, loin de là !), qui célèbre la nature dans sa grande diversité, et invite sans doute les enfants à prendre soin d’elle, à l’image de ces minuscules fées bienveillantes qu’il nous montre.

Le Chat qui ne voulait pas fêter Noël

Le Chat qui ne voulait pas fêter Noël
Lil Chase, Thomas Docherty
Traduit (anglais) par Rose-Marie Vassalo
Flammarion, Père Castor, 2025

Qui est le dindon?

Par Anne-Marie Mercier

Le titre était prometteur et la jolie présentation aurait fait de l’ouvrage un cadeau parfait pour les fêtes : couverture crème, rouge et verte, avec du doré, cartonnée avec faux coins rouges, jolie dos rouge avec le chat en mini vignette,  beau papier résistant, nombreuses illustrations…
Mais voilà, on ne trouve que des banalités (qui certes feront rire certains, mais qui pour ceux qui vivent avec un chat sont sans surprise) : le chat fait tomber le sapin, mange la dinde et déchire les cadeaux, et la famille toujours de bonne humeur malgré cela, lui pardonne tout.
Bon, il y a à la fin une recette de chocolat chaud, des blagues, un bricolage pour faire un ange de Noël en carton… toute sorte de tentatives pour améliorer l’ensemble, mais cela ne suffit pas à faire un bon livre, même à Noël.
Le titre anglais était mieux adapté et avait le mérite de proposer un joli jeu de mot : The Cat who ate Christmas (jouant sur le verbe hate (détester) et ate, le passé de eat, manger). Manger Noël, c’est bien ce qu’il fait.

Nuit blanche

Nuit blanche
Florian Pigé
HongFei 2025

Une autre nuit d’Halloween

Par Michel Driol

Déguisé en fantôme le soir d’Halloween, Gaspard perd sa maman. Il erre d’abord au milieu des autres, tous déguisés, et tente de retrouver le chemin de sa maison, auquel il n’a jamais fait vraiment attention. Quittant la ville, il se retrouve en forêt, et tente de survivre, de se rassurer comme il peut. Enfin, au matin, c’est la voix de maman qui l’a retrouvé…

Un mot d’abord des illustrations, absolument somptueuses, avec un côté granuleux qui semble flouter le monde, avec des couleurs splendides de soleil couchant et de teintes d’automne, avec le bleu froid de la nuit. Les illustrations montrent la solitude du petit fantôme, forme blanche errant au milieu des passants, au milieu des bois, au milieu des animaux, biches, chauves-souris, araignées. Le temps semble s’arrêter, le temps d’une nuit, une nuit où Gaspard grandit.

Le texte et les illustrations ne sont jamais redondants. A plusieurs reprises, c’est l’illustration qui fait progresser le récit, montrant l’errance de Gaspard, les lieux où il se trouve, les retrouvailles pleines de chaleur avec la mère.

Le récit est conduit à la première personne, donnant à lire les sentiments, les inquiétudes, les peurs de Gaspard, mais aussi toutes ses conduites pour se rassurer, confronter un imaginaire à un autre. Ne devient-il pas un véritable homme des bois ? Dans la nature, face aux vraies chauves-souris, le costume de Batman qu’il convoitait lui parait dérisoire désormais. C’est donc un récit d’initiation, Gaspard se révélant à lui-même en ôtant son déguisement de fantôme pour devenir réel, grelottant certes, mais ayant été capable de surmonter l’épreuve de la séparation, de la perte, de l’inconnu. C’est aussi un récit dans lequel Gaspard révèle beaucoup de sa relation avec ses parents, de son milieu familial, de son comportement habituel, ce qui donne à ce petit fantôme une réelle épaisseur psychologique.

Un album poétique et féérique, qui s’éloigne des clichés faciles sur Halloween, avec des illustrations soignées, pleines de symboles, avec des animaux sauvages qui n’ont rien de menaçant, mais semblent plutôt protecteurs, avec un héros touchant dans sa fragilité et ses réflexions.

Bonjour Bébé

Bonjour Bébé
Marie Mirgaine
Les Fourmis rouges

Divin enfant

Par Anne-Marie Mercier

Dans ce joli petit album qui célèbre la venue d’un enfant, on retrouve certains aspects de l’album Kiki en promenade pour lequel Marie Mirgaine avait reçu le prix Opera Prima à Bologne en 2020 : collages, transparences, mélange de technique et de matériaux (papiers découpés, aquarelle, gouache…) et surtout dispositif de randonnée : un personnage-fleur surgit d’une grande fleur, coiffé de pétales mauves (beaux contrastes avec le vert de son bonnet et l’orangé de son costume) et il court. Il alerte des souris, Coline l’araignée, Frédéric le mille-pattes, un loir, l’escargot, les champignons… tous se rendent à sa suite, en file indienne, pour contempler le nouveau bébé merveilleux. Il est protégé par deux rabats; on le découvre en les soulevant et on le voit enfin, couché sur le sol et encadré d’une jolie variété de faune et de flore. Il ressemble à un poupon, bien potelé, couleur chocolat, avec un grand sourire et des yeux grand ouverts.
Il y a un peu de la légende des rois mages venus voir l’enfant de la crèche de Noël dans ce dispositif, et cela tombe bien, puisque Noël approche. Mais les visiteurs apportent à l’enfant en cadeau ce qu’ils sont : toutes les merveilles du monde vivant, en costume de cérémonie.

On peut se délecter de ces images en feuilletant les premières pages, sur le site de l’éditeur

 

Le Sourire de Wajma

Le Sourire de Wajma
Jack Chaboud – Alca (Léo Alcaraz)
Editions du Pourquoi pas ?? 2025

Avoir 12 ans en Afghanistan

Par Michel Driol

Son père l’a décidé : Wajda, à 12 ans, doit être mariée, comme seconde épouse, à un homme riche et âgé, ce qui permettra d’apporter un peu d’argent à la famille. Et c’est le départ avec son père, en camion, pour Kandahar, où réside son futur mari. Mais un soir, près d’un col, dans une auberge, passe une caravane de nomades, et Wajma ose parler avec un garçon de son âge.

Ecrit par un auteur co-fondateur des Amitiés Franco Afghanes, et bon connaisseur de l’Afghanistan, voilà un des rares récits dans la littérature jeunesse à choisir ce pays comme cadre. Mais comment parler de l’Afghanistan à des enfants, comment parler des talibans, du sort qui y est réservé aux femmes ? L’auteur choisit de situer son récit non pas à Kaboul, mais dans un petit village, où les femmes ne se voilent pas malgré le retour des talibans, puis sur la route, dans un interminable voyage – non sans danger – au milieu d’autres passagers.  En se centrant sur le personnage de Wajma, encore une enfant qui serre sa poupée au moment de quitter sa famille, en épousant son point de vue, il fait le choix d’évoquer le contexte géopolitique à l’arrière-plan, en en disant assez pour que de jeunes enfants français comprennent les peurs que tous éprouvent, victimes de la nature et des hommes.  En reprenant le motif du mariage forcé entre une fillette et un vieillard – le lecteur adulte songera alors à de nombreuses situations traitées au théâtre au XVIIème siècle – l’auteur met l’accent sur ce qu’a d’insupportable la pauvreté extrême, qui fait que les femmes ne sont plus des êtres humains qui ont des droits. mais des marchandises qu’on peut vendre.

Symboliquement c’est à un col – lieu de passage entre deux mondes – que se noue – ou se dénoue – le récit. Avec l’apparition de la caravane de nomades, avec la rencontre avec Daoud, la vie de Wajma bascule vers l’idée d’un autre futur possible, d’un apprentissage de la lecture, d’un autre destin que celui qui était tout tracé pour elle et auquel – grâce à un coup de théâtre final – elle va provisoirement échapper. Car, au final, c’est paradoxalement un ouvrage qui donne foi dans le futur, dans l’émancipation de toutes et tous.

Si sur le camion est inscrit un quatrain qui renvoie à la situation de Wajma, c’est tout le récit qui est écrit dans une belle langue qui parvient à associer le réalisme concret avec des formules bien plus poétiques. Et c’est la poésie qui s’impose à la fin du récit. Le texte et les illustrations sont en parfaite harmonie : elles représentent des paysages  de montagnes, désertiques, jaunes, des scènes de groupe (dans le camion, à l’auberge), mais aussi de magnifiques portraits dans lesquels les yeux grands ouverts sont toujours expressifs, et comme tournés vers l’autre, vers l’avenir. Dans les premières pages, une carte de l’Afghanistan, et sur le rabat de la 4ème de couverture, un glossaire , autant d’éléments qui aident à mieux situer ce pays et sa culture.

Un récit émouvant qui permettra l’identification de nombreuses lectrices et lecteurs à son héroïne, afin de dénoncer l’horreur insupportable des mariages forcés, et illustrer un monde dans lequel ce sont les nomades qui ouvrent une voie vers l’émancipation de toutes et tous par l’ouverture à la connaissance et à la diversité du monde extérieur.

Une Vie de rêve

Une Vie de rêve
Ruth Quayle, Victoria Sandoy

Gallimard Jeunesse, août 2025

L’argent ne fait pas le bonheur

Par Lidia Filippini

Petit Pêcheur est un ours heureux. Tous les matins, il pêche quelques heures, ramenant juste assez de poissons pour sa famille et ses amis. L’après-midi, il joue ou s’offre une sieste bien méritée avant de déguster le produit de sa pêche avec ceux qu’il aime.
Mais un jour, Petit Pêcheur rencontre un ours très riche qui l’invite à monter sur son yacht. « Tu n’as rien compris ! », lui explique le milliardaire. « Il faut travailler plus, pour pêcher plus ! Tu pourras alors acheter un plus gros bateau, puis ta propre usine. » Petit Pêcheur ne comprend pas bien pourquoi. « C’est pourtant simple ! Quand tu seras très riche, tu pourras tout revendre et enfin te reposer et profiter de la vie ! »
Ruth Quayle et Victoria Sandoy proposent ici une fable moderne destinée aux plus jeunes. Dès la première page, le ton est donné : « Voici une vieille histoire. Mais ne t’en fais pas, elle n’est pas trop longue. Et il y a des images. » L’illustration pose les jalons d’un univers doux et coloré où la nature se déploie. Le lecteur découvre Petit Pêcheur à travers son reflet dans l’eau du lac. Assis dans sa barque, il sourit, serein. Le village de l’ours évoque celui de Oui-Oui : toutes sortes d’animaux anthropomorphes s’y côtoient, chacun salue son voisin et partage avec les autres ce qu’il possède. Les couleurs chaudes, le jaune, le rouge, dominent. Puis tout à coup, Petit Pêcheur rencontre l’homme très riche et un bleu froid envahit les pages. Bill, le milliardaire (le lecteur adulte est tenté de faire le lien avec un autre Bill américain bien connu) explique à Petit Pêcheur ce qu’il devrait faire pour devenir riche. On quitte alors le monde utopique de l’ours pour un univers triste dans lequel le personnage évolue seul en quête de profit. Sa famille le regarde s’éloigner, on le voit de dos. Sur la double page suivante, il porte un costume et ressemble de plus en plus à Bill jusqu’à se confondre avec lui quand il apparaît à la barre d’un yacht. Mais, heureusement, Petit Pêcheur ne se laisse pas convaincre. Saluant de la main l’homme d’affaires, il retourne dans sa barque. Une double page montre alors, Bill et son yacht, à gauche, nimbés de bleu tandis que Petit Pêcheur, à droite, se dirige vers sa maison dans un paysage jaune, chaud et accueillant où sa famille l’attend.
On l’aura compris, cet album évoque avec simplicité des sujets essentiels – et pas toujours faciles à aborder avec de jeunes enfants habitués à vivre dans une société basée sur le profit et la consommation. Qu’est-ce que le bonheur ? La richesse rend-elle heureux ? Quelles valeurs choisir pour mener une vie de rêve ? Bref, voilà un livre qui permet de comprendre que décroissance ne rime pas forcément avec austérité, et un tel message ne peut que faire du bien !

 

 

 

 

 

 

 

 

Mots-clés : album LJ,

Ma Peau

Ma Peau, le monde autour d emoi
Cécile Roumiguière, Marion Duval
Seuil jeunesse, 2025

Tout un monde par la peau

Par Anne-Marie Mercier

Si l’on trouve de nombreux livres à toucher, proposant aux enfants des expériences tactiles avec des matières et des textures différentes, on songe rarement à leur faire verbaliser ce que le sens du toucher leur donne au quotidien : toucher son corps et le découvrir aussi par le langage en nommant ses différentes parties, sentir le chaud, l’humide, le poisseux, le froid, le rugueux, le lisse, le piquant. Ces expériences se font à travers toute sorte de situations quotidiennes : le bain, le coucher, la tartine, le pull qui gratte… et enfin les délices de l’automne (les bogues qui piquent) et de l’hiver.
Le duo d’autrice- illustratrice parcourt les cinq sens avec des petits albums carrés et cartonnés, parfaits pour les tout-petits, aux images simples, lisibles, et colorées tout en douceur pastel. Déjà paru : Mes yeux.

La Pierre contente

La Pierre contente
Bruno Gibert
Seuil jeunesse, 2025

Bonheur vivant

Par Anne-Marie Mercier

Il y a des gens qui ne sont jamais contents… et d’autres qui se réjouissent de tout. Cette pierre fait partie de ceux-ci. Bien installée dans une prairie d’alpage, elle profite de chaque heure du jour, des saisons, des va-et-vient des autres vivants, elle est une image du bonheur serein.
Mais, les gens heureux n’ayant pas d’histoire, il faut bien que le diable s’en mêle. Un peu comme celui du Livre de Job, le mauvais génie des montagnes qui n’aime « ni les gens heureux ni les choses tranquilles » attaque la pierre. Il la fait tomber en plaine, puis des années plus tard, la voyant toujours heureuse l’envoie dans le torrent, (« formidable ! » se dit la pierre), puis après bien des années, la propulse vers la mer (« quelle chance ! ») où elle devient galet. Enfin il la pulvérise en sable, et la pierre se réjouit des jeux d’enfants pendant quelques siècles avant de (re)devenir poussière et de s’envoler dans le ciel tout bleu.
Au passage, c’est aussi une jolie leçon sur l’érosion et le parcours de l’eau.Voilà une très jolie fable sur le principe du bonheur (savourer l’instant) et les joies du passage du temps : se transformer, découvrir de nouveaux paysages, s’ouvrir à la nouveauté, et enfin disparaitre dans le bleu du ciel.
Comme toujours, dans les livres de Bruno Gibert, la langue est belle, simple et précise, les mots sont autant de jolis galets à manipuler.

 

 

 

Le Talisman

Le Talisman
Ronald Curchod
Rouergue 2025

Furtive rencontres

Par Michel Driol

C’est l’automne. Un garçon suit un lièvre qui le conduit vers un lac, sur lequel il s’embarque avec une fille. Le lendemain, le garçon emprunte à son tour la barque, arrive sur une ile, où se trouve comme une église de bois consacrée au lièvre, qui y est reproduit en icone, en sculpture… De retour sur la rive, la fille lui tend un talisman et part. Maintenant vieil homme, il revient parfois dans le bois, et c’est l’hiver.

 C’est une histoire de voyage, de transmission, de souvenir et de temps qui passe, dans une atmosphère onirique pleine de poésie. Poésie du texte, et poésie des illustrations, réalisées selon la technique de la tempera. Texte et illustrations alternent, laissant ainsi pleinement profiter du plaisir des mots puis du plaisir des illustrations, de véritables tableaux qui font glisser de la chaleur des tons de l’automne à la froideur bleutée de la nuit.  Des tableaux qui reconstituent la magnificence de la forêt des contes, le mystère de la nuit peuplée d’étoiles et de quelques lumières,  et le somptueux intérieur de l’église peuplée  de statues de lièvres, éclairées à la bougie.

Le texte, dans sa forme, prend l’aspect d’un long poème dont les vers, tantôt courts, tantôt plus longs, proposent un rythme de lecture permettant de détacher certains mots, de les mettre en relief. Si le texte suit les actions du garçon, il laisse aussi entrer pleinement toutes les sensations liées à la nature : froissement des feuilles de l’automne, oiseaux qui se taisent quand vient la nuit…C’est une histoire éminemment symbolique à plusieurs niveaux de lecture. On retrouve, bien sûr, la trace d’Alice au Pays des Merveilles, avec un lièvre roux au lieu d’un lapin blanc, mais c’est toujours un animal qui guide, qui conduit, vers un autre univers, un univers clos, une ile, un lieu qui respire le sacré, mais un sacré à la gloire d’un animal, magnifié, à la quête de l’amour peut-être. Chacun interprètera à sa guise, bien sûr, le sens de ce talisman, gage donné par une fille à un garçon, gage conservé toute une vie… L’album, qui plonge le lecteur au sein d’une nature paisible et mystérieuse, n’en dit pas plus, et c’est très bien ainsi.

Un album sous forme de conte, à contempler, qui donne l’impression d’une suspension puis d’une accélération du temps. Magique.