Akané, la fille écarlate

Akané, la fille écarlate
Marie Sellier – Minna Yu
HongFei 2023

Pour sauver un arbre…

Par Michel Driol

Aîko accompagne souvent son père, gardien de la forêt sur le mont Takara. Un matin, d’énormes machines déracinent des arbres, creusent un trou pour y déverser on ne sait quoi. La forêt dépérit lorsqu’Aïko entend le gémissement d’une fillette allongée près d’un petit érable. Conduite chez les parents d’Aïko, la fillette ne cesse de dépérir, tout en murmurant « Erable, ô mon érable ». Aîko et son père vont alors transplanter l’érable dans leur jardin, et lorsque l’arbre et la fillette vont mieux, elle révèle son secret. Elle ne fait qu’un avec l’arbre.

Deux portes d’entrée pour cet album : l’illustration de la couverture d’abord, avec son côté naïf, enfantin qu’on peut percevoir dans la représentation des deux animaux souriants qui se courent après, mais aussi avec la façon dont des éléments naturels  se terminent en mains. Au milieu de ce monde féérique, où le merveilleux côtoie le réel, deux enfants, en tenue japonaise assez traditionnelle, une fille et un garçon. Puis une adresse au lecteur, comme une ouverture de conte, dans laquelle ce sont les grands pins chevelus qui murmurent la légende de la fille écarlate. Ces deux portes font accéder le lecteur à ce qui apparait comme un univers merveilleux, porté à la fois par la nature et par des enfants.

Le texte fait alterner deux discours, l’un en capitales, imprimé en bleu, sorte de poème en quatre strophes adressé au petit érable, l’autre le récit du sauvetage de l’érable et de la fillette. Il faut bien sûr lire ce texte comme un conte, dont il reprend les éléments traditionnels et merveilleux. La fillette, sorte de double humaine de l’arbre, la mission, sauver le petit érable du péril qui le menace. Du conte, le texte reprend aussi les aspects oraux : reprises, inversions verbe sujet. Mais, on l’aura bien compris, c’est aussi un texte qui fait appel à l’imaginaire pour dénoncer les dangers que les hommes font courir à la nature (enfouissement de déchets qui empoisonnent la terre), mais aussi pour dire à quel point nous sommes liés à la nature. C’est cet aspect que renforcent les illustrations où se multiplient les mains, à la fois tendues, protectrices, mais aussi parfois blessées.  Au final, l’album nous invite à vivre plus en harmonie avec la nature, en se gardant bien de donner des leçons ou de faire la morale. A chaque lecteur de comprendre le sens de cette allégorie.

Un album qui associe un texte où le merveilleux côtoie la poésie à des illustrations faussement naïves, pleines de détails à la fois enfantins et symboliques, pour évoquer le lien que les humains entretiennent avec tout ce qui est vivant dans la nature.

La Pierre maléfique

La Pierre maléfique
Chris Van Allsburg
Traduction (anglais) par Christiane Duchesne
D’eux, 2023

Étrange, vous avez dit étrange?

Par Anne-Marie Mercier

Publié auparavant en 1991 sous le titre « The wretched stone »,  cet album est de la grande période de Van Allsburg. Les images, aux dessins cernés de noir, combinant différentes techniques de peinture, sont superbes : magnifiques tons de bruns, marines souples, blancs crémeux, le vaste océan violet et bleu, les ciels immenses, tout cela impressionne autant que les paysages de jungle.
L’histoire, fantastique, se présente comme le journal de bord d’un capitaine, avec tous les garants d’authenticité nécessaires. Lors d’une escale dans une navigation parfaite (trop?), on trouve une pierre étrange. Celle-ci est chargée sur le bateau, et à partir de là tout va mal : les marins sont fascinés par cette pierre et elle a des effets bizarres sur eux…
Les cadrages hardis surprennent à chaque page et le lecteur est embarqué dans d’étranges points de vue avant d’entrer dans des métamorphoses plus étranges encore tandis que le narrateur garde son flegme dans un « understatement » qui procure une distance plus étrange encore. Quant à la chute, elle est bien dans le style de l’auteur : tout semble rentrer dans l’ordre, sauf…
L’occasion de relire Boréal express ?

La Fête des bêtes à cornes

La Fête des bêtes à cornes
Gilles Bizouerne, Thierry Manes
Didier Jeunesse, 2023

Qui a dit que chien et chat ne font pas bon ménage ?

Par Edith Pompidou Séjourné

Dans cette histoire, dès le début, il s’agit de Frère Chat et Frère Chien qui ont l’air de s’entendre à merveille. Mais quel rapport avec les bêtes à cornes me direz-vous ? Une fête organisée par un rhinocéros, avec un buffle, une antilope, un bélier et bien d’autres animaux aux cornes plus subtiles, comme l’escargot, qui s’y rendent et auxquels nos deux compères aimeraient bien se joindre. Mais Monsieur Taureau en guise de videur intransigeant, leur interdit l’entrée faute de cornes. Le thème de l’exclusion associé à celui de la fête et donc de la musique avec des personnages zoomorphes et beaucoup de bovidés nous rappelle forcément l’incontournable album de Geoffroy de Pennart : Sophie la vache musicienne.
Pour tenter de s’amuser coûte que coûte, chien et chat usent de multiples ruses pour pouvoir se joindre à la fête et l’album prend alors des airs de bande dessinée. L’espace de la page se divise souvent en plusieurs images avec un texte en majuscules et ponctué d’onomatopées ce qui donne du rythme aux saynètes et accentue leur côté burlesque. Ainsi défilent leurs cascades rocambolesques pour pénétrer par le toit en se catapultant d’une éolienne ou en sautant en rappel par la grange ou encore en se dissimulant dans des buissons pleins d’épines. Mais toutes leurs tentatives sont vaines. Pourtant, ils finissent par trouver une corne de chèvre en essayant de creuser un tunnel. Le chien décide d’entrer en premier en la fixant sur sa tête et promet de s’amuser un moment puis de venir la donner à son camarade pour que lui aussi puisse profiter de la fête… Le plan marche à merveilles car Monsieur Taureau prend le chien pour une licorne et le laisse entrer, la fête est fantastique et le chien s’amuse tellement qu’il en oublie son complice. Le pauvre chat qui attend depuis longtemps, finit par trouver une brèche dans un mur pour voir ce qui se passe et aperçoit celui qu’il prenait pour son ami en train de faire le fou comme s’il l’avait complètement oublié. Il décide de se venger en le dénonçant à Monsieur Taureau qui tire alors sur les cornes de chacun des animaux présents et finit par démasquer le chien déguisé.
Les deux amis se retrouvent fâchés mais pas pour longtemps car le chien entraîne le chat vers une nouvelle fête… celle des bêtes à plumes… Fin ouverte donc, avec une nouvelle mission pour nos deux compères, déjà parés de plumes comme des petits indiens. Avec ce chien et ce chat qui se ressemblent et tantôt s’entraident et tantôt se fâchent pour mieux se réconcilier, on pense aux deux lapins d’un autre classique, l’album La Brouille de Claude Boujon.
La Fête des bêtes à cornes est singulier et plein d’humour, tous les animaux y sont très anthropomorphisés même s’ils évoluent dans l’univers de la ferme. Les illustrations donnent de nombreux détails sur leur apparence : avec lunettes, rouge à lèvres, chapeaux et autres perruques mais aussi sur les expressions très symboliques des visages qui feront rire tout en questionnant sur les parallèles humains à établir. Enfin, une foule d’histoires parallèles se joue en coulisses quand on regarde d’un peu plus près les images : on retrouve notamment deux oiseaux qui jouent aux cartes puis qui se regardent dans la frontale du chien, restée allumée, ou une petite souris qui nargue régulièrement le chat.

 

Les Ruines mystérieuses

Les Ruines mystérieuses
Max Ducos
Sarbacane, 2024

Blytonnerie en Dordogne

Par Anne-Marie Mercier

S’inspirant d’un jardin réel, le jardin de Sardy vers Vélines en Dordogne, Max Ducos nous propose une course au trésor. Elle est menée par le petit-fils des propriétaires d’un château qui sont obligé de le vendre, ne pouvant plus l’entretenir. L’acheteur est le maire, qui veut en faire un hôtel de luxe avec spa, etc. Au passage, remarquons qu’il est étrange que la figure du maire soit à ce point dégradée dans les publications pour les enfants (ça commence avec la Pat’Patrouille où le maire est le méchant chapeauté et fumant un cigare… un peu dix-neuvième siècle, comme vision).
Donc Octave fait appel à l’équipe de l’album Mon Passage secret (même auteur, même éditeur, 2021), Liz et Louis.
Inutile de dire qu’ils trouvent et arrivent juste à temps dans le bureau du maire (la mairie est reliée au château par le souterrain) pour empêcher la signature. Tout cela est bien sûr très invraisemblable, mais l’auteur arrive à ménager un certain suspense avec des découvertes partielles sans cesse interrompue jusqu’au moment où l’ensemble de l’énigme est résolu. C’est loin d’être à la hauteur des autres albums de Ducos, mais cela fait une jolie promotion de ces jardins remarquables peu connus, et du précédent volume également. Max Ducos va-t-il proposer ses services à d’autres jardins ? L’idée est bonne même si cela ne produit pas des chefs-d’œuvre. A suivre…

 

Petit Noun et l’abeille

Petit Noun et l’abeille
Géraldine Elschner – Anja Klauss
L’élan vert 2023

Fable égyptienne

Par Michel Driol

Pour ce 5ème opus consacré aux aventures de Petit Noun, l’hippopotame, nous le retrouvons par une journée de pluie en Egypte. Avec l’aide de deux canards, il vient à la rescousse d’une abeille tombée par terre, menacée par un faucon. Il la conduit au palais du roi, où il sait pouvoir trouver des ruches. Il y fait la connaissance du futur pharaon Ramsès II et de sa sœur.

Comme les autres ouvrages de la collection Pont des Arts, celui-ci s’appuie sur des œuvres, une stèle représentant Ramsès II enfant, le collier de la princesse Khnoumit dont les couleurs se retrouvent tout au long de l’album, bleu, rouge, vert et or. Le texte tient du conte et du documentaire. Au conte il emprunte le dialogue entre les hommes et les animaux, le merveilleux des animaux qui s’entraident.  Mais ce conte s’inscrit dans un documentaire qui montre l’apiculture égyptienne, reconstitue les abords d’un palais princier, ainsi que les vêtements des personnages. Au-delà de cet aspect historique, il s’agit aussi de montrer la préciosité et la fragilité des abeilles, qu’il convient toujours aujourd’hui de sauvegarder. Cette dimension écologique, cette façon de relier nos préoccupations contemporaines à celles des antiques égyptiens, constitue un message important.

Le texte épouse le plus souvent le point de vue de petit Noun, fait partager ses émotions, ses découvertes, ses étonnements, permettant ainsi au jeune lecteur contemporain d’entrer facilement dans le palais du jeune Ramsès II. Les illustrations, en pleine page, de très belle facture, sont d’une grande précision graphique et montrent un univers luxuriant, plein de verdures, d’eau et de vie. Bien sûr, les Egyptiens y sont représentés presque toujours de profil. Petit Noun et les deux enfants sont montrés souriants : une certaine idée d’un bonheur paisible se dégage de cet album !

Un album réussi pour donner envie d’en savoir plus sur l’art égyptien et sur l’apiculture à travers les millénaires. Le dossier documentaire en fin d’ouvrage apporte quelques réponses et contribue à attiser la curiosité du lecteur.

Des papillons dans la nuit

Des papillons dans la nuit
Olivier Ka – Christophe Alline
(Les Grandes Personnes) 2023

Sur l’écran noir de mes nuits blanches

Par Michel Driol

Les deux auteurs proposent ici un livre animé de rabats multiformes autour de la question de la nuit et de la peur du noir. Le narrateur y évoque les terreurs nocturnes, lorsqu’il pense que les meubles changent de place et se moquent de lui. Il suffit alors de fermer les yeux et de faire des grimaces pour être plus effrayant qu’eux. Mais les pensées sont là, qui planent, pensées qu’on peut attraper et qui emmènent le narrateur avec elles dans des univers lointains, dans le ventre d’un monstre ou dans l’espace intersidéral, comme une ode au pouvoir de l’imagination. Reste alors la solitude dans le lit, dans la nuit, loin des autres, sur un radeau entrainé par le courant pour une douce traversée de la nuit.

Le texte évoque bien un certain nombre de fantasmes liés à la nuit, à l’obscurité, lorsque l’imagination supplée la perception visuelle. C’est l’univers qui se transforme. Ce sont aussi toutes les peurs d’être enfermé, dans le noir, et l’on passe successivement du ventre du dragon à la grotte préhistorique, puis la caisse fermée, à la cave.  Dans cet univers, le narrateur est à la fois acteur (nombre de phrases où « je » est sujet) ou jouet, jouet de ses pensées avec lesquelles se noue un scénario complexe fait d’abandon ou de domination. Le texte enfin propose un mouvement qui va de la peur de l’univers instable à la douce traversée de la nuit, du cauchemar à la paix, en acceptant le pouvoir de l’imagination.

Ce texte s’accorde avec le jeu des rabats, des formes et des couleurs. Dès la première page, le rabat propose des couleurs claires dans une page très sombre, opposant ainsi l’intérieur du personnage  (dont l’esprit devient papillon) au sombre de la chambre dont on ne voit rien. Puis on traverse une nuit sombre, animée par le motif du papillon. Quant aux pensées, elles sont représentées par des papillons colorés sur un disque rotatif que l’on perçoit par fragments. Les rabats épousent au mieux les formes du monstre ou de la grotte qui se déploient au-delà de l’espace de la page. Petit à petit surviennent des couleurs plus claires, plus lumineuses, qui vont finir par devenir la vague, la mer que l’on traverse.

Un album qui fait la part belle à l’imaginaire et à un travail graphique original pour rendre compte de cette peur du noir, pour l’illustrer, et pour donner à percevoir la puissance infinie de l’imagination enfantine. Rien n’existe que dans l’esprit, c’est ce que dit cet album qui laisse bien entrevoir le pouvoir des métamorphoses, des rêves, des fantasmes, mais aussi des terreurs.

Le Son du silence

Le Son du silence
Katrina Goldsaito – Julia Kuo
HongFei  2023

Choses entre lesquelles se glisse le silence…

Par Michel Driol

Sur le chemin de l’école, à Tokyo, Yoshio est sensible à tous les bruits qui l’entourent. Une musicienne, qui accorde son koto, lui révèle que le plus beau son pour elle est le ma, le son du silence. Commence alors pour Yoshio une nouvelle quête, celle de ce son. Mais tout est tellement bruyant, même la nuit. Le lendemain matin, à l’école, il entend enfin ce son, pendant un court instant, et prend conscience qu’il avait toujours été là.

Le ma, explique la dernière page, est un concept japonais qui, je crois, n’a pas son équivalent en Occident. Il désigne le moment où tous les musiciens, lors d’un concert, marquent un arrêt. Silence entre les sons, qui caractérise tous les arts du Japon, y compris la conversation. C’est ce silence entre deux bruits que Yoshio parvient à percevoir.

Le texte, plein de poésie, tout en douceur, se fait l’écho de tous les bruits que perçoit Yoshio, les énumérant, les décrivant, composant ainsi comme une symphonie de sons qui vont de celui de la pluie à celui des baguettes et des mastications au cours du repas. Yoshio se présente comme un amoureux des sons, qui, pour lui, parfois scintillent dans une correspondance très baudelairienne.  Cette recherche, très zen, du ma est, de fait, pour Yoshio, une façon de percevoir non pas à l’occidentale que le silence qui suit une œuvre de Mozart est encore du Mozart, mais, à l’orientale, que ce qui confère de la valeur aux choses est ce quelque chose qui se glisse entre elles, quasi imperceptible, ce quelque chose comme l’insoutenable légèreté de l’être qui donne sens à tout. La leçon de la musicienne devient alors une leçon de vie, le début d’une quête à la fois initiatique, physique et philosophique.

Les illustrations, en double page, accompagnent ce mouvement vers une ascèse, nous faisant passer des couleurs vivres de la ville bruyante et animée, à l’espace intérieur de la maison, déjà plus dépouillé, puis à une salle de classe vide et en teintes d’une grande douceur. Le silence envahit aussi l’espace graphique, rendu visible par des couleurs dans lesquelles peuvent s’intégrer, à la fin, les autres personnages. Comme en écho à l’illustration de couverture, la dernière illustration montre le héros seul au milieu d’une foule, en noir et blanc sur la couverture, foule qu’on devine bruyante en pleine rue, et, à la fin dans la salle de classe, dans des teintes plus sépia, foule qu’on devine plus calme, laissant dans les deux cas au héros l’espace libre du silence qui s’installe dans les interstices. Beau travail d’adaptation graphique d’un concept !

On appréciera aussi dans cet album ce qu’il montre de la culture japonaise, de ses rues, de ses magasins, des costumes des écoliers, tout cela représenté dans des illustrations qui, au-delà de leurs couleurs symboliques, ont un aspect documentaire très précis.

La dernière page est une invitation à collecter les sons, ceux de l’album et d’autres encore, peut-être à la façon d’un des inventaires des notes de chevet d’une autre autrice japonaise du Xème siècle, Sei Shōnagon.

Lire aussi, sur cet album, la chronique de Lidia Filippini

Le Concert de Lapin

Le Concert de Lapin
Emmanuel Trédez, Delphine Jacquot
Didier jeunesse, 2023

Cyrano violoniste

Par Anne-Marie Mercier

Lapin, l’amateur d’art naïf de l’album précédent de Emmanuel Trédez et Delphine Jacquot, Le Portrait du lapin, est à nouveau amoureux. À nouveau, il tente de séduire sa belle en ayant recours à l’art. Ici, c’est la musique : Biche aimant la musique et les musiciens, il veut la séduire en apprenant à jouer d’un instrument. Lequel ? la question du choix prend un certain temps et c’est l’occasion pour les jeunes lecteurs de découvrir de nombreux instruments, du triangle au trombone. C’est selon moi la meilleure partie de l’histoire.
Son choix se fixe sur le violon ; il convainc le violoniste à la mode, Lion, de lui donner des leçons en lui proposant beaucoup d’argent. On devine la catastrophe à venir, non celle qui viendrait du couple lapin/lion, même si à la fin Lapin se fait avoir encore une fois, mais celle d’un apprenti musicien qui croit que l’argent peut tout acheter et qu’on peut devenir un virtuose en quelques mois, surtout en ce qui concerne le violon.
Une supercherie, qui évoque celle de Cyrano de Bergerac, et dans laquelle cette fois Lapin est complice, risque de laisser les jeunes lecteurs perplexes (l’âge indiqué par le service de presse, 4 ans ne me semble pas approprié). En effet, le narrateur triche et ne reste pas assez en retrait pour éviter de perdre son lecteur. L’argent est un sujet central également, du début à la fin : Lapin, à la fin de l’histoire, dépité, décide de revendre le violon de son grand-père et la luthière découvre que c’est un stradivarius… bon, on veut bien gober des lapins musiciens mais des professeurs de violon qui ne détectent pas un bel instrument, ce n’est pas possible.
Comme dans l’album précédent, les illustrations montrant tous ces animaux habillés en gandins et élégantes dans des décors kitsch, sont belles et pleines d’humour.

 

 

 

Les Enfants extraordinaires

Les Enfants extraordinaires
Vincent Cuvelier – Illustrations de Bruno Salomone
Gallimard Jeunesse Giboulées 2023

Enfants du Guinness Book 

Par Michel Driol

12 portraits d’enfants uniques. Marie, la plus rapide du monde, John le plus grand, Mathilde la plus moche, Carl le plus maigre, Makoto le plus âgé, Lila la plus belle, Jean-Philippe le plus peureux, Martine la plus forte, Miguel le plus gros, Vincent le plus sale, Michel le plus compliqué, Jeanne la plus drôle. Textes et illustrations se font face, entrainant le lecteur dans un univers plein de fantaisie et de tendresse.

Douze enfants qui sont caractérisés par leur façon d’échapper à la norme, d’être uniques en leur genre, différents. Cette différence porte tantôt sur ce qui est considéré comme une qualité (la beauté) ou comme un défaut (la laideur). Douze records qui font frôler l’absurde, que ce soit explicite comme l’enfant le plus âgé du monde qui a 1000 ans, ou le plus lourd qui pèse exactement 1000 kilos, ou que cela reste implicite comme la plus drôle du monde, toujours triste. Douze enfants qui composent, chacun à sa façon, avec leur unicité, leur originalité, leur différence portée au paroxysme, et leurs fêlures. La fille la plus rapide du monde a peur du noir. Mais ces différences peuvent devenir des atouts : le plus grand du monde devient l’arbre le plus beau, la fille la plus moche effraie un terrible éléphant, et le plus compliqué du monde entre en communication avec des extraterrestres. Tous ces enfants restent des enfants, avec des rêves, des peurs, des secrets, comme une façon de dire l’enfance avec un humour qui oscille entre la tristesse et la gaité. Comme une façon de dire l’unicité de chaque enfant, de dire la tension qui existe entre la volonté de se fondre dans la masse et l’envie d’être extraordinaire, au prix de grandes souffrances ou de grandes joies. Comme aussi une façon de parler de l’identité de chacun, identité secrète ou apparence montrée. Ce n’est pas pour rien que le recueil se termine sur le portrait de Jeanne : « et personne ne saura que Jeanne Navalo est la petite fille la plus drôle du monde ». Oui, dit ce recueil, chaque enfant est extraordinaire en son genre, il a des talents, des dons qui peuvent être cachés, des rêves de voyage, l’envie de se faire des copains ou de se cacher derrière un rayon de soleil. A la poésie de ces douze portraits correspondent douze illustrations qui jouent aussi de l’exagération et entrainent le lecteur dans un univers imaginaire qui peut être terrifiant, habité de monstres, ou plein de tendresse. C’est peut-être surtout l’énergie de l’enfance qui se dégage des illustrations : enfants qui courent, s’envolent, sourient, avalent des grenouilles dans un joyeux désordre.

Douze portraits d’enfants qui ne font rien comme les autres, croquent la vie avec passion, comme un regard tendre sur le côté prodigieux de l’enfance.

Les maisons du jardingue

Les maisons du jardingue
Florie Saint-Val
(Les Grandes Personnes) 2023

C’est un jardin extraordinaire

Par Michel Driol

Page après page, on visite des maisons pleines de surprises : les escarghouses, la choumière, la saladachélème ou encore l’aubergine de jeunesse. Pour chacune de ces maisons, un petit texte d’explication en bas de page, et une illustration, avec des rabats, pour aller en visiter l’intérieur.

Le texte évoque les activités des habitants des maisons, activités familières qui se déclinent du matin (premières maisons) au soir (dernières maisons).  Activités qui tournent autour de la nourriture, des réparations faites ensemble, de la musique, des devoirs, de l’amélioration du cadre de vie… Bref, tous les enfants humains s’y reconnaitront, d’autant que tout se termine par des chansons et une fête. Les textes des rabats constituent soit la légende des différentes pièces montrées, soit l’identification de détails, soit le catalogue de la bibliothèque, soit la playlist de la fête… L’autrice s’en donne à cœur joie avec les jeux de mots, les mots valises, qui relèvent d’une invention verbale pleine d’imagination et de drôlerie.

Sous les rabats, c’est tout un univers graphique rempli de détails amusants, d’activités variées auxquelles se livrent des personnages toujours souriants dans des maisons pleines de couleurs. Les personnages ? Pour l’essentiel des insectes très anthropomorphisés, avec des antennes, des ailes, des jupes et des bonnets… Ce sont d’ailleurs des insectes qui nous conduisent de page en page, de maison en maison, pour explorer un univers enfantin où il fait bon vivre dans la joie et la bonne humeur !

Sens du détail, de la fantaisie, de la création verbale : voilà un album épicurien vraiment plein de vie et de poésie !