Un automne avec M. Henri

Un automne avec M. Henri
Fanny Ducassé
Seuil Jeunesse 2024

L’autre saison des amours

Par Michel Driol

Monsieur Henri est un blaireau qui adore l’automne. Mais lorsqu’il reçoit la lettre anonyme d’une inconnue lui déclarant sa flamme, lui, le solitaire, s’en trouve bien intrigué. Il ne change rien à ses habitudes : vêtements choisis, promenades en forêt, recettes gourmandes… Il reçoit la visite de son amie Mouflette, l’exact contraire de lui : intrépide, toujours nue… Une nouvelle lettre l’informe qu’il saura, lors de la fête de l’automne, qui est son amoureuse. Il la reconnaitra à une odeur particulière…Mais n’en disons pas plus !

Qu’il est doux et réconfortant l’automne de M. Henri ! D’abord par ce personnage de blaireau, animal peu représenté dans les albums jeunesse comme personnage positif : un grand sentimental, qui aime se promener longtemps en forêt, se vêtir avec soin et élégance, et se cuisiner de bons petits plats avec des ingrédients de saison (dont l’autrice donne les recettes, faciles à réaliser !).  Le texte suit le point de vue du personnage, fait pénétrer dans ses pensées, ses sentiments, ses émotions, avec parfois une petite pointe d’humour et de poésie, lui donnant réellement corps. Ensuite par les illustrations qui sont des véritables tableaux aux innombrables détails qui montrent de magnifiques forêts aux teintes ocre, ou un intérieur confortable auprès d’un poêle où brule un bon feu. Enfin par l’histoire d’amour improbable, avec ses lettres mystérieuses et sensibles, ses jeux de séduction passant par la cuisine, et les questions que se pose M. Henri : est-il vraiment l’individu idéal décrit par les lettres ?

Un album qui sait évoquer les petits bonheurs simples et réconfortants de l’automne, la flamboyance des couleurs de la forêt, et le tendre espoir d’un futur à deux. Un album épicurien et tendre qui sait allier les plaisirs des yeux, du cœur, et des papilles.

Le Livre extraordinaire du Japon ancestral

Le Livre extraordinaire du Japon ancestral
Peter Chrisp, Eugenia Nobati

Traduit (anglais) par Emmanuel Gros
Little Urban, septembre 2024

 

Une plongée dans l’art ancien du Japon

Par Lidia Filippini

Depuis son lancement en 2016, la série « Le Livre extraordinaire » de Little Urban est devenue emblématique de la maison d’édition. Dans un premier temps consacrée au documentaire animalier, elle se diversifie désormais en s’intéressant à l’art antique. Après l’Égypte, Rome et les Vikings, le nouvel opus est l’occasion de découvrir le Japon ancestral à travers ce qu’il nous reste de son art.
Chaque double-page présente un objet illustré de manière ultraréaliste par Eugenia Nobuti. Les images, qui se déploient sur la page de droite, offrent une précision telle qu’on croirait des photographies. Elles vont jusqu’à montrer les traces d’usure et la patine du temps. C’est un travail minutieux et précis qui, tout en dévoilant le talent des artistes ancestraux, fait apparaître celui de l’illustratrice argentine.
Sur la page de gauche, le texte permet à la fois de découvrir l’œuvre et d’en apprendre davantage sur le mode de vie des japonais de l’époque. En bas à gauche, une fiche d’information indique les lieux de découverte et de conservation, la date, les matières utilisées ainsi que les dimensions de l’œuvre. Un dessin à l’échelle permet de bien visualiser la taille réelle de l’objet, qui est mis en perspective à côté d’un homme ou d’une main.
Le lecteur découvre des statues, des estampes mais aussi des objets usuels tels que les inrōs, ces boîtes magnifiquement décorées que les hommes accrochaient à leur kimono pour pallier l’absence de poches.
Le grand format cartonné (28×37,8 cm), caractéristique de la collection, de même que le papier épais donnent à l’objet livre un côté précieux. Le grand soin apporté à la mise en page (chaque double-page est entourée d’un cadre orné d’un motif de vagues, le seigaiha ; dans le texte, chaque nouveau paragraphe est précédé d’un éventail stylisé) renforce cet aspect.
Cet album documentaire peut être lu d’une traite. Il peut aussi être utilisé comme une petite encyclopédie où les jeunes passionnés de la culture nippone pourront venir piocher des informations au fur et à mesure de leurs envies.

Carlo

Carlo
Jean-Baptiste Bourgois
Seuil Jeunesse 2024

Stade oral ?

Par Michel Driol

Trois parties, comme dans un menu, pour cet ouvrage qui se présente comme un album qui emprunte de nombreux traits à la bande dessinée. En entrée, on découvre Carlo, petit garçon désireux de tout gouter, du sel aux fleurs, des gouttelettes aux poignées de porte. Jusqu’au jour où, chez sa grand-mère, il goute et apprécie un tableau. C’est une révélation et on retrouve, en plat, Carlo, quelques années plus tard, devenu un restaurateur de tableaux renommé. Toujours la même technique : un coup de langue sur l’œuvre pour la gouter… Jusqu’au jour où il ne goute plus rien… En dessert, on retrouve Carlo de retour au pays de son enfance, à la recherche des sensations perdues, chez sa grand-mère dont la maison s’est dissipée… avant de ressentir le frisson qui vient de l’intérieur, odeurs, sons, gouts et impressions de son enfance.

Cet ouvrage fait le portrait d’un personnage à fois inquiétant et attachant. Attachant, car il est curieux de tout et a sans arrêt envie de découvrir de nouvelles saveurs. Inquiétant, car sa boulimie n’a pas de limite, et que, sans en avoir la carrure, il tient de l’ogre ou de Gargantua dans sa façon d’absorber, par la bouche, le monde entier. Attachant, car sa différence en fait l’objet de la moquerie des autres. Inquiétant, car il semble ne pas avoir dépassé le stade oral décrit par Freud… Carlo est l’occasion d’évoquer le rapport à l’art. L’art est d’abord affaire de sensations, c’est-à-dire de ce que l’on perçoit par les sens. L’originalité de Carlo est de percevoir la peinture par un autre sens que celui de la vue, par le gout.  C’est ce sens, incongru ici, qui lui révèle aussi ce qui est représenté que les hésitations du peintre. Ensuite, tout passe par les sens pour lui faire percevoir le monde représenté dans sa complexité. C’est ainsi qu’on le voit pénétrer à l’intérieur de l’Hiver, de Peter Brueghel, pour s’intéresser à ses multiples détails, comme une façon d’inviter les lecteurs à ne pas en rester à une approche superficielle des œuvres, mais, pour les gouter véritablement, à s’y attarder.  Pour autant, dans la deuxième partie, Carlo ne crée pas, il se met au service des œuvres abimées, les restaure, renforce leur couleur. C’est la crise de la troisième partie qui l’invite à chercher en lui ce qui lui manque pour, à son tour, devenir un créateur. Et ce qui lui manque, c’est la part d’enfance qu’il a perdue et dans laquelle il va devoir puiser. Carlo peut ainsi se lire comme une théorie de la création, une théorie dans laquelle il est question à la fois de l’humilité face aux œuvres existantes, qu’il faut savoir gouter, et du vide à emplir, vide du monde de l’enfance disparue, vide à combler par une nouvelle création, afin d’en faire renaitre le gout et les saveurs. Comme une recherche très proustienne du temps perdu.

Bien sûr cette théorie du temps, de la création, de l’oubli de l’enfance échappera aux plus jeunes lecteurs, qui seront néanmoins séduits par ce personnage, par son rapport singulier au monde, par son désarroi lorsqu’il perd le pouvoir qu’il avait, par sa quête pour le retrouver. Il seront aussi séduit par les illustrations, ces paysages aux couleurs comme effacées, aux formes souples sur lesquelles se détache un personnage blanc, sans couleur, sans relief, comme une sorte de fantôme qui s’efface devant la création, seule importante.

Un ouvrage  qui aborde des sujets philosophiques avec un récit d’une grande simplicité, et qui conduira à discuter des différences, des gouts de chacun, de la façon qu’a chacun de percevoir le monde environnant, et, bien sûr, de ce qui caractérise la création et ses ressorts.

Pouce

Pouce
Raphaële Frier – Kam
Editions du Pourquoi pas ?? 2024

Insatiable ?

Par Michel Driol

Tout commence par la naissance d’un enfant attendu, mais qui nait pas plus grand qu’un pouce. Pour le faire grandir, ses parents se dévouent : il engloutit tout le lait de sa mère, puis celui d’animaux, puis les légumes du  potager qu’on fait pousser à la place de la forêt. Désespérés, les parents emmènent Pouce au plus profond de la forêt. Les animaux de la forêt se relayent alors pour le nourrir, au point que l’enfant, devenu un géant, la menace. La forêt exile alors Pouce sur  une haute montagne, où il mange des cailloux… et continue de grandir et grossir jusqu’à son réveil. Devenu volcan, il laisse échapper une lave épaisse qui engloutit tout avant de s’endormir. Au pied du volcan, la population se déchire en deux clans entre lesquels le récit ne tranche pas…

Voici un album qui, tout en conservant les caractéristiques du conte traditionnel, touche à l’écologie, bien sûr, mais aussi à la philosophie de façon très métaphorique et polysémique. Polysémie du titre d’abord, qui est à la fois le nom du héros, sorte de descendant du petit Poucet, mais aussi « Pousse », cette interjection par laquelle les enfants arrêtent un jeu. Polysémie ensuite du rapport entre le texte et les images, qui développent un autre discours en contrepoint, dans lequel on voit un paysage très naturel s’urbaniser et s’industrialiser peu à peu : maisons, centre commercial, mines, usines, c’est tout cela que détruit le volcan. Double narration donc qui fait de Pouce à la fois le personnage du conte et l’archétype de l’humanité, qui s’empare de tout, avale tout, tout pour assurer sa survie, jusqu’à tout détruire dans une coulée de lave, sans mesure, à son image.

Du conte traditionnel, l’écriture reprend les répétitions de formules symboliques et pleinement signifiantes, qui le rythment et en marquent la progression. Deux, en particulier, reviennent, l’une pour dire que le temps passe, avec l’image de l’horloge qui continue son travail, dont les aiguilles tournent toujours, inéluctable. L’autre, c’est la répétition de la formule Mange, mange, où la forêt / la montagne / le volcan /  te mangera. Cette dernière formule, comme un proverbe frappé au coin du bon sens, qui part de la bonne intention des parents de protéger le nouveau-né, subit très vite une inversion maligne, car la voracité humaine n’a pas de limite, et l’enfant, métaphoriquement, de petit poucet devient ogre… L’album nous fait glisser d’un niveau de lecture à un autre, pour nous questionner sur nos modes de vies, nos besoins, et notre rapport avec la nature environnante, jusqu’à la question finale. Devons-nous continuer à pratiquer cette philosophie qui nous oppose à la nature, comme un danger, qui nous mangera si nous ne la mangeons pas,  ou changer de mode de vie. La décroissance est-elle une option face au volcan – figure à la fois du risque naturel et figure de l’hubris humaine – qui menace de tout engloutir ? Sommes-nous condamnés à toujours conquérir d’avantage de terres, à détruire toujours plus de forêts, à détruire toujours plus la nature ou reste-t-il l’espoir d’une prise de conscience ? Si l’album ne tranche pas, le sens du récit est clair, mais laisse chaque lecteur libre de choisir une option.

Un album qui, sous la forme d’un conte, avec une belle écriture dont les formules rituelles ne demandent qu’à être oralisées, donne à voir un personnage ambigu, à la fois chétif, que tout un chacun veut protéger, un personnage qu’on abandonne plusieurs fois, mais qui devient le pire ennemi de ceux qui prennent soin de lui. Belle métaphore de l’anthropocène…

1, 2, 3… sommeil !

1, 2, 3… sommeil !
Bernadette Gervais
(Les Grandes Personnes) 2024

 

Longtemps, je me suis couché de bonheur…

Par Michel Driol

Un album  qui répète, de façon presque hypnotique, le même dispositif d’une page à l’autre. Page de gauche, un texte, commençant invariablement par 1,2,3 et se terminant par la répétition du même mot, dans une typographie qui s’efface progressivement, comme pour mimer le passage à un un état de semi conscience. Page de droite, une image aux couleurs franches, tranchées, une déclinaison des couleurs primaires où les aplats n’excluent pas un certain pointillisme. C’est un enfant qui évoque ses nombreux rituels du coucher, du coucher de soleil à la lune qui veille jusqu’au lendemain.

L’album accompagne ce lent glissement entre le jour et la nuit, entre l’extérieur et l’intérieur, entre la veille et le sommeil, ce moment qui peut être difficile pour de nombreux enfants, celui de l’endormissement et de la lutte contre les frayeurs nocturnes. Il le fait en prenant la forme d’une comptine dont les douces répétitions sont comme un écho aux rituels immuables, soir après soir. C’est d’abord l’extérieur de la chambre de l’enfant où un paysage se métamorphose, rougit, un paysage de campagne dans lequel glissent des ombres sombres, ombres des oiseaux, ombres de l’arbre et des collines. Puis arrive l’intérieur, avec la lampe allumée, des couleurs plus franches, plus claires. Si la nature est encore un peu présente avec les trois papillons de nuit, ce sont les objets familiers qui sont évoqués. Lampe, pendule, quilles. Puis on suit, à travers des objets, un rituel qui semble immuable, le pyjama, les pantoufles, la brosse à dents, le doudou, la couette, l’histoire su soir. Et enfin des baisers tout ronds, roses et doux font écho aux étoiles dans le ciel, autour de la lune, scellant ainsi le passage du microcosme de la chambre, au macrocosme de la nature.

Ainsi l’album brouille les frontières entre le jour et la nuit, l’intérieur et l’extérieur, la veille et le sommeil tant dans le texte qui s’efface progressivement, comme si, dans le sommeil, les paroles n’étaient plus perçues distinctement, que dans les illustrations qui font passer d’un univers à l’autre. Belle façon d’évoquer la perte de lucidité et le recours à la lumière rassurante pour veiller sur l’enfant, représenté ici seul, sans la figure de ses parents. Un enfant seul face à la nuit…

Goutte à goutte

Goutte à goutte
Philippe Ug
(Les Grandes personnes) 2024

L’eau, sur terre, sous terre…

Par Michel Driol

Philippe Ug est parmi les plus prolifiques et talentueux auteurs de pop-up contemporains. Livre jeunesse, livre d’artiste, sculpture de papier, tous ces termes s’appliquent bien pour tenter de définir ses ouvrages, et celui-ci n’y fait pas exception. En six tableaux, on assiste d’abord à la pluie, puis à une cascade. On entre ensuite sous terre, l’eau s’infiltre partout, puis on la voit créer des concrétions. Et c’est une grotte dans laquelle on la voit ruisseler, avant de la voir renaitre par les sources et jaillir, en fontaines.

Ce voyage qui suit le trajet d’une goutte d’eau  est une invitation à découvrir les mondes représentés dans ce théâtre de papier plein d’invention, où l’eau est toujours pure et blanche. Il faut voir la représentation de la pluie qui tombe, longues bandes blanches qui s’entrecroisent, créant un effet visuel étonnant. Il faut voir l’eau qui s’infiltre, dans un réseau en relief où les filets d’eau se divisent, se croisent. Mais il faut aussi voir jaillir du sol les concrétions qui montent et l’eau qui jaillit en fontaines et jeux. Le texte, court, saturé en verbes de mouvement, accompagne ce parcours vivifiant de l’eau et le commente, laissant tout l’espace aux illustrations pop-up.

On ne peut rester insensible à cette magie du pop-up, à cet accord parfait entre des illustrations, du texte, et une simple mécanique de papier qui donne du relief et du volume à des tableaux clefs, dans un univers graphique particulièrement géométrique. Il y a là une vraie recherche formelle, recherche d’effets, de surprise. Du pur travail d’artiste !

A & B, Bons Amis

A & B, Bons Amis
Sara Donati
Rouergue 2024

La vie, simplement

Par Michel Driol

Ils n’ont de nom que A et B… soit une grande oie blanche et un petit hérisson, et pourtant, ils sont amis, jouent, se disputent, se réconcilient et surtout prennent leur petit déjeuner ensemble avant de vaquer, chacun, à leurs activités. Comme un cadeau surprise, l’oie découvre l’écharpe jaune qui appartenait à la vieille loutre, et le hérisson une boite de mikados. Passent les saisons… reste l’amitié…

Cet album avec ses personnages atypiques et sympathiques évoque, à coup sûr, l’univers d’Arnold Lobel, un univers fait à la fois de légèreté, de fantaisie, et de la profondeur des pensées des personnages, qui savent aborder des propos sérieux sans jamais que cela ne soit pesant. Graphiquement, les pages font alterner des  pages colorées – les deux amis au milieu d’une nature que l’on voit ainsi passer de l’automne à l’hiver, puis au printemps précoce. – et des strips en noir et blanc, qui mettent l’accent sur les objets qui vont d’un animal à l’autre. Ainsi l’écharpe jaune, qui passe de la vieille loutre aux fourmis, puis à des oiseaux indéterminés avant de finir chez l’oie. Ainsi la boite de mikados, frêle esquif sur lequel l’oie sauve un jeune ragondin, boite que les castors utilisent ensuite avant qu’elle ne se retrouve devant le hérisson. De la sorte, au-delà des deux amis, c’est la vie de la forêt et de ses animaux, ses mystères, ses solidarités, qui est évoquée, vie liée au hasard des rencontres.
Les dialogues – autour de la pluie et du beau temps – des deux petits déjeuners racontés sont pleins d’une poésie du quotidien, entre un optimiste et un pessimiste – rôles qui s’inversent d’un petit déjeuner à l’autre. Des mots très simples pour dire deux états d’esprit face au monde, deux sentiments, deux émotions contradictoires. Certains jours sont-ils de pures merveilles ? Se sent-on, certains jours, comme une vieille chaussette ? Le texte ne tranche pas, qui évoque les hauts et les bas de la vie, roue de la fortune, jeu de balançoire… avant de terminer par un éclat de rire vantant le prix et la force de l’amitié.

Cet album a un côté minimaliste dans le texte et les illustrations, minimaliste au sens où il laisse le lecteur combler les trous du récit, et où il parvient à suggérer avec légèreté des émotions, des états d’esprits, des moments dont il faut profiter. C’est, en tous cas, un bel hommage à l’amitié !

Attention ! Ouvrir doucement. Ce livre a des dents !

Attention ! Ouvrir doucement. Ce livre a des dents !
Nick Bromley, Nicola O’Byrne
Traduit (anglais) par Rose-Marie Vassallo
Flammarion (Père Castor), 2024

Action ! (1)

Par Anne-Marie Mercier

La version en format poche de cet album, paru en 2013 et novateur à l’époque, est la bienvenue (même si le grand format permettait davantage de jeu) : l’auteur feint de vouloir nous raconter l’histoire du « Vilain petit canard » quand un crocodile vient s’introduire dans son histoire. Le lecteur doit être sur ses gardes car l’animal est affamé. Mais en réalité celui-ci mange le livre lui-même, les lettres, les phrases, les pages.
Le lecteur doit intervenir. On lui propose d’endormir l’animal en le berçant et en bougeant le livre, de le crayonner, de le secouer… Il finira par sortir à la manière de l’Histoire de la Petite souris qui était enfermée dans un livre (1980) de Monique Félix.
C’est un bel exemple de livre qui cherche à faire agir son lecteur et anime pages et mots. Depuis, Hervé Tullet a fait plus, Ramadier et Bourgeau aussi.
Après avoir inspiré ce livre à Nick Bromley, l’illustratrice a repris son crocodile dans Qu’y a-t-il derrière cette porte?: Ouvre-la pour voir! (2018), chroniqué sur lietje.

 

Qu’y a-t-il derrière cette porte ?

 

Leçons de piano

Leçons de piano
Evangeline Durand-Allizé
CotCotCot éditions 2024

Du jeu avant toutes choses

Par Michel Driol

On voit d’abord un enfant et une jeune femme monter une tour de kaplas tout en discutant. Si tu gagnes, on joue du Chopin et si c’est moi on fait du rap, dit l’enfant. Puis il est question de la main, qu’on arrondit comme une araignée, occasion pour l’enfant de raconter ses exploits avec une araignée. On explore ensuite les marteaux du piano. L’enfant joue avec ses pieds, fouille le sac de la professeure, où il découvre le mot improvisation, qu’elle lui explique. L’enfant dessine une partition où figure l’araignée et des boules de glace. Puis il chante, passant en revue les notes de la gamme. Et enfin tous deux saluent un public… imaginaire.

Voilà un album qui séduit autant par son aspect formel particulièrement travaillé que par ce qu’il dit de l’enseignement de la musique. Pas de récit, mais du dialogue, imprimé en deux couleurs pour bien différencier les personnages. On est ainsi dans l’échange, dans la conversation où les deux jouent leur rôle, s’écoutent et se répondent. Tout commence par des illustrations en noir et blanc, puis, petit à petit, arrivent quelques notations colorées, toujours liées à la musique (le piano) ou aux oiseaux, métaphores de l’improvisation qui va quelque part, sans chemin tout tracé, comme une forme d’exploration. Se dégage ainsi de l’ensemble texte et illustration une grande douceur, l’impression d’un moment agréable, à la fois dans l’appartement, la ville et dans le monde aérien… à la fois dans le concret des désirs et besoins d’un enfant et dans un imaginaire commun qui se construit autour de la conception de la musique que la professeure, complice, fait partager. Pas de solfège, pas de répétition épuisante des mêmes accords ou études, pas de contrainte, mais du jeu et du plaisir, de l’exploration libre de l’instrument, de la musique. Ce que théorise, en fin d’ouvrage, bien mieux que je ne saurais le faire, Jea-Marie Rens, compositeur et professeur d’analyse musicale en Belgique. Il met en lien ce rapport entre exploration et connaissances, le travail de la gestion des gestes et du mouvement, et le développement socio-affectif et cognitif des plus jeunes. C’est bien ce que montre l’album, la façon dont se conjuguent le jeu, l’imaginaire, le plaisir, l’écoute et la connaissance mutuelle des deux personnages.

Premier album publié d’un jeune autrice belge, cet album respire la joie de vivre et l’envie de jouer, de la musique ou autre chose… et qui invite à chercher d’autres voies pour enseigner – la musique ou autre chose – en faisant davantage appel à la créativité !

Je plante des radis

Je plante des radis
Kate Petty Axel Scheffler
Gallimard Jeunesse, mars 2024

Livre pour jardiner, tendre et instructif

Par Edith Pompidou-Séjournée

Dès la première de couverture, on reconnaît le coup de crayon d’Axel Scheffler, le célèbre illustrateur de « Gruffalo ». Si le petit lapin, personnage principal de l’histoire, aurait bien pu rencontrer son autre héros, il ne s’agit pas cette fois de ruse ou d’amuser les enfants mais plutôt de leur donner le goût du jardinage. L’anthropomorphisme du personnage prénommé Charlie comme celui des autres sert, en fait, de support à cet album à mi-chemin du documentaire. En effet, si Charlie adore les radis et qu’il cherche à en faire pousser, le lecteur l’accompagne dans ses expériences et surtout dans les différentes étapes de la graine au légume en prenant conscience des éléments nécessaires pour la naissance du radis, comme le soleil, la chaleur et l’eau.
Des rabats ingénieux permettent même de voir ce qui se passe sous terre pendant que le petit lapin patiente. Ce sont les petits animaux du jardin qui renseignent Charlie en lui fournissant des éléments scientifiques mis en valeur dans des bulles de dialogue se détachant du reste de l’histoire : le ver de terre explique, par exemple, la nécessité de séparer les graines pour leur laisser la place de bien grandir, la coccinelle l’importance du soleil et celle de la pluie.
Finalement tous les radis ont poussé et Charlie en retire un géant de terre qui surgit du livre avec un immense rabat pop-up, il est ravi et réalise aussi, grâce à l’aide de la coccinelle que, si on ne les ramasse pas, les plantes donneront des graines et comprend ainsi le cycle de la germination. À la fin du livre, coccinelle et ver de terre redonnent des astuces au futurs petits jardiniers qui auront lu le livre. Un album tendre et ludique pour susciter l’envie de jardiner aux plus petits tout en leur faisant comprendre le cycle des végétaux.