E-machination

 E-machination
Devenez le héros dont vous rêviez
Arthur Ténor
Seuil,  2013

 

 Entre virtuel  réel

Par Maryse Vuillermet

 

 

 

e-machination image Comment résister au nouveau jeu Héros ? En effet, il vous propose, moyennant une coquette somme et l’achat d’un matériel hautement sophistiqué,  de devenir le héros dont vous aviez toujours rêvé : un petit peu de vous et beaucoup de traits de vos héros préférés au cinéma ou dans les jeux vidéo. Lucile, jeune professeur timide et en mal d’amour, est devenue dans le jeu, Luciole, une superbe combattante à la plastique de rêve, Clotaire, geek terne à la vie ennuyeuse, devient Compagnon d’Ambre, un magnifique guerrier. Leurs avatars sont envoyés en mission dans le jeu, se rencontrent et se plaisent. Mais le lendemain, dans la vraie vie, ils lisent dans la presse que le crime commis dans le jeu a vraiment eu lieu.

Que faire ? Comment comprendre cette horreur qui les rend criminels ? Qui les a manipulés ? Pourquoi ? Contre les règles du jeu, ils vont se rencontrer dans la vie réelle, et former un couple de rebelles, de résistants.

Avec d’autres résistants ? Mais comment les reconnaitre, les réunir ? Ils doivent se méfier de tous !  Le maitre du jeu les a d’ailleurs condamnés à mort !

Le mélange vertigineux de réel et de virtuel est habile et le lecteur plonge avec les personnages dans un monde halluciné et dangereux : peur d’être tué, et surtout de perdre la raison !

Chemin faisant ces deux solitaires apprennent l’amitié, l’amour, la confiance, le vivre ensemble, et la solidarité, finalement, ce n’est pas si mal.

Le Passage du diable

Le Passage du diable
Ann Fine
L’école des loisirs, 2014

Maison de poupée… gothique

Par Anne-Marie Mercier

lepassagedudiableQuel beau roman gothique que celui que vient de publier Ann Fine ! Original, touchant, et passionnant autant qu’inquiétant, il tourne autour… d’une maison de poupée. Cette maison, magnifique et gigantesque est le seul objet qui nourrit l’imaginaire d’un enfant, un garçon reclus depuis son enfance par sa mère. Il n’a jamais vu personne en dehors d’elle et a eu, pour seul contact avec le monde, la lecture de romans et de récits de voyages. Jouant en cachette avec cette maison et avec les poupées de bois qui la peuplent, il s’invente des aventures, dialogue, se confronte à toutes sortes de personnages.

Il sort de son isolement avec l’intervention de voisins et d’un médecin qui fait interner celle-ci. La suite du récit est à la fois tragique et heureuse : Daniel se trouve une nouvelle famille chez le médecin, joue avec ses filles, et continue avec la plus jeune à jouer avec la maison dans laquelle la petite découvre des choses qu’il n’avait jamais vues, notamment une poupée mystérieuse et maléfique.

Le médecin trouve la trace d’un oncle de Daniel dont le visage ressemble curieusement à cette poupée, comme les autres ont des airs de famille avec sa mère. Il est envoyé chez lui, dans la maison qui a servi de modèle à celle qu’il a connue, mais bien changée, sinistre et entourée de mystères. Grâce à l’aide de deux vieux serviteurs, Daniel découvre l’histoire de sa mère, les raisons de sa folie et la menace que représente son oncle pour lui. Personnage étrange, tantôt séducteur tantôt inquiétant, profondément diabolique, l’oncle et sa poupée vaudou introduisent une dimension fantastique dans le final de ce roman qui va progressivement du réalisme classique à un thriller passionnant. Les fils se nouent, les mystères se dévoilent peu à peu et le destin des deux maisons se scellent dans un superbe final.

Les Fuyants de Maxfield Academy

Les Fuyants de Maxfield Academy
Robison Wells
Le Masque (Msk), 2013

par Anne-Marie Mercier

 

lesfuyantsSuite des Variants (voir la chronique précédente), Les Fuyants tient les promesses du précédent. Benson s’est enfui avec Becky, chargée de maintenir l’ordre dans le pensionnat, mais saisie par le doute. Ils sont arrivés à traverser la forêt et les limites du parc malgré l’attaque de personnages parmi lesquels certains qu’ils croyaient leurs amis mais sont en réalité des copies  de ceux-ci, mi-clones mi-robots…

Le deuxième volume propose un deuxième enferment : ils sont bloqués dans le village des rebelles (où ils retrouvent des ami(e)s qu’ils croyaient morts et les originaux de clones qu’ils ont connus au pensionnat (vous suivez?) : débats cornéliens : qui Benson aime-t-il vraiment, l’amie disparue et retrouvée, ou Becky? A qui obéir? qui est un traitre ? On commence à entrevoir l’explication de tous les mystères sous la forme d’un complot international ourdi par… qui ?

Le suite au prochain volume!

Les Variants de Maxfield Academy

Les Variants de Maxfield Academy
Robinson Wells
Le Masque (Msk), 2013

Sa majesté des mouches au pensionnat

Par Anne-Marie Mercier

Les VariantsCe roman emprunte à une thématique classique, celle de l’orphelin : se retrouvent dans un pensionnat situé dans un grand parc proche d’une forêt des adolescents de douze à dix huit ans, sans famille et sans amis, que personne ne viendra réclamer. Depuis Harry Potter (et même avant) le pensionnat est un des lieux favoris du roman pour adolescents. Il rejoint la thématique de la maison, souvent infinie (L’Autre de P. Bottero, La Maison sans pareil de E. Skell , Le Mystérieux Cercle Bendict de T Lee Stewart, et surtout Méto de Yves Grevet) mais aussi de la maison-labyrinthe et de la maison-prison. Le personnage principal des Variants y arrive plein d’espoir, et déchante très vite.

C’est un lieu sans adultes, géré par les élèves,  bien loin des îles désertes idéales. On pense à Sa majesté des mouches, mais on se situerait ici après l’épisode final de ce roman : le drame a eu lieu, plusieurs enfants sont morts, massacrés lors d’une guerre de gangs. Depuis, les enfants se sont organisés pour maintenir une paix plus ou moins armée. Le groupe le plus nombreux qui se désigne lui même comme la « Société », fait régner l’ordre. Un autre, le « chaos », fait contrepoids et fait peser une menace permanente. Les « variants » accueillent ceux qui ne veulent appartenir à aucun des deux blocs. C’est le groupe le moins nombreux et c’est celui que choisit – ou plutôt ne choisit pas -le héros;

Mystères : qui est derrière tout cela? pourquoi les retient-on ? A quoi riment les leçons qu’on leur fait apprendre sur toutes sortes de sujets incohérents? Que deviennent ceux qui arrivent à l’âge où ils doivent quitter l’école? et ceux qui se sont enfuis? Qui est à l’origine des fumées que l’on voit parfois? En qui peut-on avoir confiance? (la réponse est bien sûr, comme l’indique la couverture : personne).

C’est original et efficace, le lecteur se pose toutes ces questions et est porté par l’énergie et la capacité de révolte du héros qui semble infinie : à suivre… dans la chronique suivante.

WARP, Livre I : L’Assassin malgré lui

WARP, Livre I : L’Assassin malgré lui
Eoin Colfer

Traduit (anglais) par Jean-François Ménard
Gallimard Jeunesse, 2013

Le mystère des Londres

Par Matthieu Freyheit

WARP1Chevie Savano, jeune agente du FBVI, est envoyée à Londres après avoir fait échouer une mission d’infiltration. Sa nouvelle mission ? Attendre, sans sortir, quelque chose ou quelqu’un qui, prévient-on, ne devrait pas arriver : loin d’être évident pour une jeune fille au tempérament plutôt explosif et à la personnalité piquante.

Riley, miséreux londonien de la fin du XIXe siècle et jeune adolescent, vit au service de son assassin-magicien de maître, l’infâme Garrick, en quête de véritable magie. Leur prochain coup comme mercenaires : un nouvel assassinat, que devra perpétrer Riley pour prouve sa ‘valeur’ auprès du maître. Au moment du meurtre, cependant, le jeune garçon hésite, avant que sa main, forcée, ne s’enfonce. Et que l’imprévu ne s’en mêle, projetant Riley, avec le corps de l’assassiné, dans un futur qui n’est autre que le présent de l’agente Savano.

Dès lors s’engage une longue et haletante (pour les personnages) course-poursuite, semée de meurtres, Chevie et Riley étant amenés à faire alliance contre le terrible magicien lancé à leurs trousses. L’intérêt n’est pas là, mais plutôt dans les allers et retours entre deux époques, et dans l’imagination des possibilités offertes par ces voyages temporels, propres à comparer deux réalités urbaines. Par ailleurs, si le Londres contemporain est somme toute assez peu précisé, Eoin Colfer propose en revanche de restituer un Londres romantique des bas-fonds, fidèle (ou presque…) au portrait qu’en dresse Dominique Kalifa (Les Bas-fonds, 2013).

On se demande, toutefois, si tout le dispositif mis en place est bien utile. Les voyages temporels sont certes l’occasion de rappeler l’idée qu’il n’y a pas d’homme éternel, mais la problématique n’est que très légèrement soulevée. De fait, les situations sont souvent simplifiées par une multiplication d’effets qui agissent comme un semblant de complexité (Garrick fusionne par exemple avec un agent du XXIe siècle et intègre ainsi ses connaissances et compétences, brisant la nécessité de l’adaptation). L’emprunt générique au steampunk, devenu un peu trop globalisant pour fédérer ou générer une idée spécifique, semble donc lui aussi un peu gratuit.

Quant à Riley, sa présence manifeste le désir de l’auteur de proposer/propulser un personnage ‘à la Dickens’, auquel hommage est rendu, et fonctionne également (un peu ?) comme un argument marketing. Mais cela importe peu : on se réjouit, tout se même, d’acquérir un texte qui pourrait, justement, aider à conduire les élèves jusqu’à Oliver Twist. Là réside sans doute l’un des atouts (il y en a d’autres, quand même) du nouveau roman d’Eoin Colfer.

Enfin, le ton prêté à l’agente Chevie Savano restitue la nouvelle esthétique (mode) des héros adolescents à l’insolence mordante. Là encore, Eoin Colfer s’en sort bien, en montrant notamment, quand l’ironie tombe à plat, que l’humour nécessite une forme d’intelligence, et de maturité.

Le démon des brumes

Le démon des brumes
Luc Blanvillain
Seuil, 2013

 Des démons et de la magie

Par Maryse Vuillermet

le démon des brumes imageUn alchimiste de l’an 1013 laisse brûler sa femme et son enfant dans l’incendie de son laboratoire,  sans rien tenter pour les sauver.

Deux adolescents de 2013,  Laura et Raphaël,  s’aiment. Mais le nouvel élève Melvil attire tous les regards dans le lycée. Et,  dès son arrivée, des faits étranges se succèdent à un rythme effréné, des accidents et même deux morts d’enseignants. Personne ne sait qu’il est le Masque, le démon des brumes, métamorphosé en adolescent qui doit plaire à Laura, s’en faire aimer, et qu’il est chargé de réaliser une prophétie millénaire. Il est capable, aidé de son assistant, l’orfèvre, de faire souffrir les êtres qui l’entourent en leur causant, par magie, leur plus atroce terreur ou le type de mort qu’ils craignaient par-dessus tout.

Je n’ai pas vraiment apprécié ce roman, les personnages adolescents ne sont pas approfondis, très stéréotypés, malgré un dispositif d’écriture original, le journal mental de Laura qui nous permet de suivre les méandres de sa pensée et de ses peurs. Trop de magie tue la magie : trop d’êtres maléfiques ou avec des pouvoirs puissants mais différents et pas toujours expliqués, Melvil, son assistant, Laura, fille de la brume, parce que sa mère enceinte s’est baignée dans un étang et qu’elle a la bague, Apolline, son amie et ses visions, Villeneuve, le médiéviste. Les péripéties, maladies, comas, meurtres, incendies, les fluctuations dans les amours, les amitiés, les métamorphoses et les retournements de situation, comme des sorties de coma ou de mort cérébrale,  se suivent à un rythme trop soutenu pour moi et peu crédible. Le style, qui se veut lisse, ne sauve pas le roman.

Alice Crane. Les Corbusards (Tome I)

Alice Crane. Les Corbusards (Tome I)
Naïma M. Zimmermann

Seuil, 2014

Fantasy urbaine

Par Matthieu Freyheit

alicecrane_corbusardsCorbusards. Un mot-valise qui sonne plutôt bien. Ce qu’il recouvre n’a pourtant pas grand-chose d’original : des vampires, des gargouilles, des mages, et j’en passe. Le roman de Naïma M. Zimmermann n’a pourtant que peu de choses en commun avec une mode postromantique versée dans la résurgence de créatures nocturnes de tous genres.

Alice Crane, médecin légiste, est conduite malgré elle à découvrir l’existence de créatures qu’elle pensait de fiction. Cette découverte se double de sa propre mise en danger, d’un quiproquo qui la suivra tout au long du livre pour en faire une héroïne de hasard, comme c’est souvent le cas dans la littérature contemporaine. Heureusement pour elle, Alice Crane trouve un compagnon efficace dans la personne de James Flynn, agent de l’Organisation, structure secrète en charge de gérer les relations entre les différentes espèces. Car il faut bien protéger les humains, et s’assurer qu’une guerre entre mages et djinns, pour ne citer qu’eux, ne fasse pas un carnage parmi la population ‘civile’.

Anti-héroïne et vrai héros font une équipe souvent bancale pour découvrir, au gré des indices, quel complot se joue présentement chez les Corbusards, mais aussi les secrets des uns et des autres, y compris ceux des membres de l’Organisation, qui ne semble pas toujours si protectrice.

Tout ne brille pas d’originalité, c’est vrai. Mais enfin, l’originalité parfois échoue, tandis que la récurrence fonctionne. Car l’auteure se situe bien dans la récurrence plutôt que dans la reproduction. En particulier, son roman trouve sa singularité dans l’appel au film noir, tandis qu’Edencity, lieu de l’action, n’est pas sans rappeler la sombre Gotham. Voix française ajoutée au nouveau succès de la fantasy urbaine (on pense au grand succès d’Eoin Colfer avec Artemis Fowl), Alice Crane ne démérite nullement en proposant une intrigue resserrée et sans surenchère. Bars louches, appartements sombres, fêtes populaires dangereuses, quartiers à contourner, et un fantastique qui frôle avec les frontières du réalisme magique, la série de Naïma Zimmermann a un relent dix-neuviémiste de mystères urbains qui est loin de nous déplaire. D’autant plus que, s’il s’agit bien de vampires et autres créatures surnaturelles habituelles, l’auteure leur prête un traitement sensiblement différent, excluant (dans ce premier tome au moins) les affres romantiques dont sont affublés nombre de récits de ce type. Un très bon premier volume, en somme, qui mérite d‘être défendu dans un panorama de fantasy parfois confus.

Angel, l’indien blanc

Angel, l’indien blanc
François Place

Casterman, 2014

Atlas imaginaire et songes de nuits australes

Par Anne-Marie Mercier

angel-l-indien-blancJusqu’ici, François Place romancier n’arrivait pas à la hauteur (magistrale) de François Place auteur-illustrateur, malgré de belles échappées (j’en avais parlé dans ma chronique du Secret d’Orbae). Cette fois, avec Angel, il propose une œuvre impressionnante et fascinante, qui reprend les caractéristiques qui ont fait sa marque tout en ouvrant d’autres voies.

La tribu des Woanoas dans laquelle Angel, esclave en fuite, et Corvadoro, noble vénitien, séjournent est décrite avec le souci d’un ethnologue qui rappelle les autres romans de François Place et son Atlas des Iles d’Orbae : coutumes, division en classes d’âge, mode de pêche, structure sociale, religion… tout cela et bien d’autres  sont évoqués,  sans tomber dans un catalogue artificiel : tout est vu par les yeux d’Angel, ou à travers le témoignage de son compagnon de captivité, avec des incertitudes, des interrogations, des terreurs et des charmes puissants.

C’est aussi un récit d’aventures plein de rebondissements qui entrelace plusieurs thèmes : Angel est un bâtard, un métis (comme le titre l’indique) né au XVIIIe siècle d’une gouvernante française expatriée en Argentine puis enlevée par des indiens de ces terres, peuple systématiquement massacré par les conquérants européens. L’histoire de sa mère et la période de son enfance où il est un paria parmi eux est brièvement retracée dans le premier chapitre. Le personnage de sa mère vite disparue, marque l’esprit du lecteur par son originalité comme il marque la destinée de l’enfant. Vendu comme esclave après une razzia des blancs sur le village, Angel vit les durs travaux de sa condition et est un souffre-douleurs dans les distractions de son maître et des amis fortunés de celui-ci. Modèle de résilience, il puise dans ces épreuves ce qui lui fera réussir par la suite toutes ses entreprises dangereuses et mortelles. Tout cela fait l’objet d’un texte bref, le deuxième chapitre : autant dire que François Place excelle dans les narrations brèves, apparemment simples, mais denses.

Angel vit une deuxième existence à bord d’un bateau faisant voile vers les antipodes, toujours maltraité et affamé (comme il se sera tout au long du roman jusqu’à un heureux dénouement). A bord de ce navire, un académicien mathématicien naturaliste, et arriviste , un dessinateur chargé de mettre en images les merveille, plantes, animaux, indigènes et monstres que rencontrera l’expédition, un vénitien aussi savant que sceptique, richissime et mystérieux, un capitaine compétent et autoritaire, un bosco rude, et tout le peuple qui fait vivre le Neptune. On apprend beaucoup de la marine à voile à travers les activités d’Angel, les parties du vaisseau, son approvisionnement, ses hiérarchies, ses avaries et réparations…

La troisième existence est retracée dans les deux derniers tiers du roman, parmi les mystérieux Woanoas, peuple à deux bouches, qui parle avec deux voix et sait vivre avec le froid et le feu, l’air et l’eau, les « gens de l’eau » et ceux de l’air. Et c’est véritablement un livre d’air et d’eau, fluide, miroitant, plein de courants subtils que ce livre. Les descriptions de ce monde pris dans les glaces sont envoutantes, tant lors de la course du Neptune que dans les moments passés chez les Woanoas. Angel est aussi un merveilleux roman initiatique où l’homme et l’animal s’affrontent et se complètent et où la magie et le rêve s’entrelacent.

vieuxfouLe roman porte aussi une interrogation sur la représentation par l’image et on retrouve ici des échos du Vieux fou de dessin. L’opposition entre le soin méticuleux du dessinateur naturaliste qui s’interroge sur les limites de son art et la méthode de Corvadoro qui procède par « visions » (« un souffle étrange traversait ses images qui ressemblaient plutôt à des intuitions, des impressions fugaces ou des chimères » p.79) semble refléter les interrogations de l’illustrateur. Enfin, l’épilogue qui pose le problème du mensonge, fiction dans la fiction, plus croyable qu’une vérité qui n’entre pas dans les cadres de pensée, est très subtil, tandis que le destin des cartes qui ont retracé ce voyage, cartes dont on sait l’auteur friand, est un beau clin d’œil.

Bravo, l’artiste !

Hemlock

Hemlock
Kathleen Peacock
La Martinière Jeunesse, 2013
Traduit de l’anglais par Nathalie Azoulai

Une épidémie de loups garous !

Par Maryse Vuillermet

hemlockUn mélange improbable d’ingrédients très classiques, qui ont fait leur preuve, mais le tout donne un premier roman de ce qui s’annonce déjà comme une série, somme toute, assez réussi.
Le roman commence par l’assassinat d’Amy, brillante lycéenne, par un grand loup-garou blanc. La ville a peur car c’est le troisième meurtre de la bête. Peu à peu, on s’aperçoit que les loups garous sont partout et pour cause, le SL, syndrome du loup-garou est une maladie qui s’attrape par griffure et morsure. Ceux qui sont contaminés en sont très malheureux, ils ne sont pas triomphants, ils sont honteux et désolés mais ne se contrôlent pas et ont besoin de sang. Par ailleurs, l’état, aidé par des milices, les Trakers, organise des chasses à l’homme féroces et les loups garous sont internés et maltraités dans des camps. L’originalité, dans ce cas, c’est que les Trakers sont les méchants et les loups garous et ceux qui les protègent, par amour de la nature et respect de la diversité, sont les gentils.
Donc, ce récit est à la fois une enquête policière sur ce crime, un roman d’épouvante sur une épidémie atroce, un roman politique car les autorités se servent de l’épidémie pour asseoir leur domination sur la ville, et bien entendu, c’est un roman d’amour ! Mackenzie, l’héroïne,  s’aperçoit qu’elle est aimée par Kyle, son meilleur ami et par Jason, l’amoureux d’Amy. Mais elle comprend peu à peu que tous, autour d’elle, cachent des secrets, des souffrances, Jason noie son chagrin dans l’alcool, Kyle se révèle être un loup-garou, sa meilleure amie protège son frère, le dernier à avoir vu vivante Amy. Alors, Mac décide de mener l’enquête et d’affronter les pires dangers, mais n’est-elle pas la fille d’un bandit qui l’a élevée dans les bas-fonds et la violence avant de l’abandonner?
Quelques invraisemblances et des personnages trop sommaires nuisent au plaisir de lecture, mais le mythe du loup-garou est le plus fort, l’ambiguïté des personnages, leur lutte contre leurs pulsions violentes, les scènes troublantes où le loup caresse l’adolescente rachètent les imperfections d’un premier roman.

Les affamés

Les affamés (Zombies Panic II)
Kirsty Mc Kay
traduction (anglais) Daniel Lemoine

Seuil, 2013

Une faim de zombies ! 

Par Christine Moulin

Zombies-Panic-tome-2-les-affamésNous avions quitté Bobby, saine et sauve, à la fin du précédent tome. Nous la retrouvons « devant la gueule ouverte de la mort » (première ligne du roman…). C’est dire que le rythme ne faiblit pas, d’un opus à l’autre! Après quelques pages qui pourraient s’intituler « previously on Zombies Panic », nous revoilà tout de suite happés par une action endiablée: les zombies sont là, dans LE décor par excellence des histoires de morts-vivants, l’hôpital désert. Très vite, la petite troupe qui gravite autour de Bobby est (partiellement) reconstituée, augmentée d’un nouveau venu, Russ. Plus encore que dans le tome 1, les événements peuvent alors s’enchaîner et nous obliger à tourner les pages: comme d’habitude, il s’agit à la fois de se protéger des zombies et de sortir du lieu clos qui sert de refuge, ce qui fait dire à Bobby: « Autrefois, je ne réfléchissais pas ainsi, je ne me préoccupais pas des issues, des possibilités de fuite, des armes ou des barricades. Mais, dorénavant, je ne pourrai plus jamais m’en empêcher. Même quand je serai vieille et acariâtre, et que je raconterai tout à mes petits-enfants pour leur faire peur. A supposer que j’arrive à l’âge adulte. ». Manière de dire, mine de rien, que le récit de zombies s’inscrit dans un genre, certes, mais que c’est pour mieux jouer son rôle de récit initiatique et de moteur de l’écriture. Trêve de philosophie: aux monstres se joignent des humains aux intentions meurtrières, ce qui accélère encore le rythme. Tout cela aboutira dans un train, comme dans certains jeux video (Zombie Train, The Walking Dead).
A la fuite s’ajoute une quête, Télémaque-Bobby partant à la recherche de sa mère, dans une sorte de chasse au trésor parsemée de messages secrets dignes du Club des Cinq. Modernité oblige, ces énigmes voyagent par textos, ce qui permet d’ajouter au mystère un grand classique de la culture ado: « Je n’ai plus de batterie »!
Des ressorts inquiétants sauvent toutefois le roman de l’agitation effrénée et vaine : bien sûr, le soupçon généralisé, fondateur du mythe. La question lancinante devant l’autre est: « A-t-il été mordu ou pas? ». Comme le dit Bobby, « [je me demande] pourquoi on passe toujours pour un menteur quand on dit ça »… Dans le même registre, on retrouve la peur de la contamination et de l’Apocalypse, le tout sur fond de théorie du complot.
On pourrait craindre, bien sûr, que cette débauche d’actions ne se fasse parfois au détriment de l’analyse des relations entre les personnages. Mais ce n’est pas vrai de celles entre l’héroïne et sa mère: c’est ainsi qu’est traité un des problèmes brûlants de l’adolescence dans un contexte permettant, pour le moins, la décentration! Littérature-miroir, peut-être, mais déformant! De même, tout en s’efforçant d’échapper à une horde hostile, Bobby prend le temps d’analyser ses sentiments amoureux, dont l’expression est ainsi renouvelée: tout est forcément plus intense que dans une cour de lycée!
Enfin, comme dans le premier livre, l’auteur, qui connaît son zombie sur le bout des canines, joue avec les codes, multiplie les clins d’œil et les allusions aux films, aux jeux video (Resident Evil) ou aux comics (Captain America). Nombreuses aussi les touches d’humour, morbide ou non (les zombies écossais…), en tout cas du plus bel effet, qui font de cette lecture un régal.