Chevalier d’Eon, vol. 3: La forteresse

Chevalier d’Eon, agent secret du roi, vol. 3: La forteresse
Anne-Sophie Silvestre

Flammarion (grands formats), 2011

Le feu sous la glace

par Anne-Marie Mercier

9782081265356.gifPas plus que dans les autres tomes (moins, même) Anne-Sophie Silvestre ne s’embarrasse ici de la véracité historique. Il semble même qu’elle ait décidé de s’en amuser de plus en plus, d’un volume à l’autre et de jouer avec le vraisemblable, le vrai et la chronologie. Puisque le chevalier d’Eon lui-même a tout inventé de cette histoire russe, pourquoi ne pas le suivre, en effet?

 Et, vrai de vrai, c’est un régal de fantaisie et d’aventures. On rit beaucoup, par exemple à l’idée des chants de carabins français qui s’échappent de la terrible  forteresse… Les thèmes se rapprochent des romans populaires (le prisonnier mystérieux, l’enlèvement, l’enfant-roi caché…) comme du roman d’espionnage (il s’agit de faire évader un espion français puis de l' »exfiltrer » incognito). Les descriptions des paysages du nord emportent loin, on va à bride abattue en troïka sur la glace des lacs gelés, on boit de la vodka pour se réchauffer, on chante, on rêve… enfin  , on apprend beaucoup sur l’histoire russe des 17e et 18e siècles. Et on laisse le pauvre chevalier bien mal en point à la fin du livre : à suivre!

Quand la révolte gronde

Quand la révolte gronde 
Anne Lecap
Illustrations Marcelino Truong
Flammarion jeunesse

 C’est la lutte…. !

Par  Chantal Magne-Ville

Quand la révolte gronde.gifUn roman dont l’héroïne est une fille, et qui plus est syndicaliste de la première heure, est suffisamment rare pour que le salue. L’histoire retrace avec une extrême fidélité la découverte par Emilie des rapports d’oppression au sein d’une usine textile ardéchoise, au moment de l’avènement du Front Populaire. Face aux tout récents accords de Matignon auxquels les patrons résistent, les ouvriers, menés par Emilie, osent faire grève et obtiennent gain de cause. Agrémentée d’une histoire d’amour, la peinture des conquêtes sociales est précise et parfois si exhaustive qu’elle rejoint davantage le docu-fiction que le véritable roman. Ces quatre mois de l’été 36 dépeignent en effet le bonheur des congés payés, les augmentations de salaire et surtout la réduction du temps de travail à 40h, qui invente le week-end et permet de prendre le temps de vivre. Mais le caractère stéréotypé des personnages et l’intrigue souvent un peu trop prévisible n’emportent pas toujours l’adhésion, à l’image du personnage mystérieux du mercenaire briseur de grève. Le dénouement façon happy-end a également du mal à convaincre. Une lecture très instructive cependant, dont le style simple et extrêmement classique facilitera l’approche des jeunes lecteurs.

La septième fille du diable, tome 2 : Les Maudits

La Septième fille du Diable, tome 2, Les Maudits
Alain Surget, couverture : Rébecca D’Autremer

Flammarion, 2011

En route pour l’aventure au Moyen-Age !

par Sophie Genin

1000 Petits Poucets.gifYann Autret a choisi de broder sur le conte de Perrault en le prenant comme point de départ : un couple pauvre a trop d’enfants ; la femme, méchante, exige que son mari les en débarrasse. Seulement voilà, les enfants connaissent l’histoire du Petit Poucet et tout se passe à l’envers du résultat escompté. Cette version fantaisiste est un peu légère mais elle est assez joliment illustrée par des pastels gras très colorés et expressifs et une typographie qui imite celle des livres anciens.

Graal, t.1, Le Chevalier sans nom

Graal, t.1, Le Chevalier sans nom
Christian de Montella
Flammarion (2003), 2010

Lancelot, héros moderne ?

par Anne-Marie Mercier

Graal, t.1, Le Chevalier sans nom.gifLes aventures de Lancelot sont ici racontées en langue moderne, de façon très explicite, un peu trop pour ceux qui ont en mémoire le texte original. Certes, il est plein de suspens, d’aventures et d’amour (l’histoire racontée l’est en elle-même) mais la modernisation gomme l’étrangeté du récit et ce qui est magie devient fantastique, ce qui est poésie est ramené à une certaine rationalité, la religiosité est gommée.

Un exemple, dès les premières pages. La mort de son père, le roi Ban de Bénoïc est présentée comme l’effet d’une crise cardiaque ; dans la version de Boulenger, on lit : « un si grand chagrin le poignit et l’oppressa, que ne pouvant verser des larmes, son cœur l’étouffa et qu’il se pâma »; tombé de son cheval , il prie Dieu, puis, « son âme se serra si fort en songeant à sa femme et à son fils, que ses yeux se troublèrent, ses veines rompirent et son cœur creva sans sa poitrine ». Ce n’est peut-être pas scientifiquement exact, mais cela nous introduit dans l’étrangeté de ce monde.

Le grand cheval bleu

Le grand cheval bleu
Irène Cohen-Janca
Maurizio A.C. Quarello

Rouergue, 2011

« Bleu comme le ciel de Trieste »

Par Dominique Perrin

     « Un jour de 1974, un immense cheval bleu, accompagné d’un cortège de malades et d’artistes, a vraiment parcouru les rues de Trieste. Il était le symbole de ce mur entre la ville et l’hôpital que le docteur psychiatre, Franco Basaglia, voulait abolir. Il m’a inspiré cette histoire… »
Un voyage vers l’Est et vers le Sud  – l’Italie vue depuis Trieste –,

Un voyage dans le passé – les années 70 et le mouvement de contestation de la crimininalisation et de la relégation des malades mentaux –,
un voyage dans la société – la mère du narrateur est lingère au grand hôpital psychiatrique de San Giovanni –,
un voyage dans le vivant – le personnage central est un cheval de charge –,
un voyage dans les âges de la vie – le narrateur passe de l’enfance à l’adolescence, le cheval auquel il consacre son témoignage approche de la fin de sa vie –
un voyage dans les possibles politiques – des débats naissent, des mondes étrangers se rencontrent, des paupières battent –
un récit très ample et très bref, ouvert sur des pages vierges et des illustrations en noir, blanc et bleu comme un rivage sur l’élément liquide.

La Buse, pirate de l’île de la Réunion

La Buse, pirate de l’île de la Réunion
François Vincent, Maryse Lamigeon

L’Ecole des loisirs (Archimède)

La Buse ou la vie !

Par Mathieu Freyheit

La Buse, pirate de l’île de la Réunion.gifLa Buse est un pirate, un vrai. Né en 1680 à Calais d’un père corsaire, il plonge dans la piraterie et hante les eaux de Madagascar et de Bourbon (aujourd’hui la Réunion) autour des années 1720. Navires, batailles, naufrages, trésors et pendaison : tout dans la vie d’Olivier Levasseur, dit La Buse, dévoile de la piraterie ce que…nous en savons déjà. Et, heureusement pour nous, Maryse Lamigeon n’a pas l’intention d’y revenir.

Au détriment d’un titre qui se révèle inopérant, l’histoire est celle d’un jeune garçon, Paul, habitant de la petite île Bourbon. Un drame familial conduit Paul à travailler dans une plantation, accompagné de la belle Malgache Flora, dont il est épris. Contraint à la fuite, il prend la décision de s’embraquer en mer. Sur son chemin, il croise, à plusieurs reprises, le tristement célèbre pirate La Buse.

Le pirate ne fait donc pas figure de héros, loin s’en faut, mais demeure au fil du récit ce qu’il fut en réalité pour ses contemporains : une ombre planant le long des côtes, un danger permanent, une rumeur. Un livre d’ambiance, pourrait-on croire, n’était l’irrésistible tentation de verser dans le récit d’aventure. On pourrait reprocher à l’histoire cet entre-deux, dont découle un certain manque de dynamisme : l’auteure ne ménage que peu de place au suspens – et au plaisir –, les évènements s’enchaînent parfois sans vie ; et sans grande émotion. A défaut de cela, Maryse Lamigeon parvient à conter les choses avec une simplicité qui n’est pas si courante.

D’autant plus que les manques de l’histoire sont parfaitement comblés par le travail de François Vincent. Finalement, La Buse, pirate de l’île de la Réunion est avant tout un livre à regarder. François Vincent a réalisé des planches d’une merveilleuse harmonie, confirmant son talent non seulement d’illustrateur, mais aussi de passeur de sensations. La maîtrise des motifs maritimes comme des scènes de nuit, dans une simplicité de tons, en font un superbe ensemble sur le plan esthétique.

Enfin, l’ouvrage se complète d’un intéressant dossier historique et pictural, d’un glossaire, ainsi que d’une efficace bibliographie.

Mesdemoiselles de la vengeance

Mesdemoiselles de la vengeance
Florence Thinard
Gallimard jeunesse (folio junior),
2009

De cape et de plumes

par Anne-Marie Mercier

Les Demoiselles de la vengeance.gifFlorence Thinard dit elle-même qu’elle écrit avec un chapeau à plume (mental, bien sûr), et ça se voit. Son récit situé au 17e siècle reprend les ressorts du roman populaire de cape et  d’épée, son modèle est la série des Pardaillan.
L’originalité de son roman est qu’elle a choisi des héroïnes et non des héros et qu’elle a exploré à travers elles une large gamme de possibles : jeune ou vieille, européenne ou orientale, amoureuse ou sauvage, riche ou pauvre, belle ou laide, chaque femme a une raison différente de haïr l’horrible et très caricatural et très méchant pirate.
Il y a beaucoup de suspens, une belle exploration de la côte charentaise (avec les falaises de Meschers), et force coups d’épée ou d’autres armes plus féminines.
Ce n’est pas cependant un roman absolument féministe car il faut l’intervention d’un amoureux puis d’un fiancé (noble de surcroît) pour tirer les belles du guêpier où elles se sont fourrées. La plume se laisse porter par le vent de la cape…

Les Enfants du Dieu soleil

Les Enfants du Dieu soleil
Odile Weulersse

Casterman (épopée), 2001

La mythologie égyptienne est-elle soluble dans la littérature de jeunesse?

par Anne-Marie Mercier

Les enfants du Dieu soleil.gifLes histoires des dieux de l’Égypte ancienne, autrefois présentées sous forme de plusieurs récits autonomes (on se souvient de la belle collection « Contes et légendes » de Nathan), sont ici réunies en un roman par Odile Weulersse, bien connue pour ses romans historiques.
La création du monde, la séparation du ciel et de la terre, la naissance des dieux, le meurtre d’Osiris et la quête d’Isis, tout cela forme une saga présentant une certaine unité. C’est à la fois le mérite et la limite de cette entreprise qui propose une lecture continue de textes d’époques et d’origines diverses. Une annexe en fin de volume permet de rétablir une perspective historique. Ainsi on donne au lecteur à la fois la possibilité d’une lecture naïve et d’un recul critique. L’ensemble est assez réussi, même si le projet est discutable, accentuant par trop l’aspect « histoire familiale » des mythes au détriment de leurs autres aspects.
Cela n’en fait  pas une épopée comme pourrait le faire croire le titre de la collection qui regroupe bizarrement aussi bien des textes qui s’en rapprochent comme l’Iliade et l’Odyssée que des textes pour lesquels on ne peut qu’être perplexe : Pinocchio, Sindbad le marin, etc. le terme de « classique » aurait sans doute mieux convenu mais ce serait moins bien inscrit dans les programmes de 6e du collège… Le nom de la collection dans laquelle il a paru en 2007, « les romans des légendes » (Pocket), était mieux choisi.
Ces remarques peuvent s’étendre à d’autres types d’oeuvres, les adaptations d’épopées. En effet, la plupart (je pense entre autres au cycle du Graal repris par Montella et à l’Odyssée de Honacker) opèrent un transfert de genre en adaptant : l’épopée se fait pour l’un roman d’aventures et d’amour, pour l’autre roman fantastique, et pour les deux, roman de formation : l’épopée ne serait-elle plus (ou pas) soluble en littérature de jeunesse? Voilà une belle question pour un colloque!

Chasseur de fantômes (chronique des temps obscurs, t. 6)

Chasseur de fantômes (chronique des temps obscurs, t. 6)
Michelle Paver
Traduit (anglais) par Blandine Longre
Hachette, 2010

Aventures préhistoriques : un garçon, une fille, un loup

Par Anne-Marie Mercier

Pour la sixième fois (dernière, si l’on en croit la quatrième de couverture), Michelle Paver emmène son lecteur à la suite des aventures de Torak et de son ami le loup, dans la forêt de l’âge de Pierre.
Les aventures sont assez classiques : un personnage maléfique à combattre, le destin de l’humanité suspendu aux choix d’un jeune garçon (et d’une jeune fille, tout de même, sans parler du loup, il y en a pour tous !). Avec cela on ajoute une pincée de magie noire ou blanche, deux doigts de suspens et de nombreuses scènes de poursuite, et l’affaire est enlevée.
Les interrogations de Torak et de son amie Renn sur leur identité et leur avenir sont à la fois spécifiques au contexte et pourtant très transposables vers celles d’adolescents d’aujourd’hui. Sur le plan de la vraisemblance documentaire, la psychologie des personnages est donc assez peu crédible et c’est encore plus vrai pour les personnages animaux (Loup et sa petite famille). Mais cela ajoute à la fantaisie et la liberté du texte et correspond aux contradictions d’un roman pris entre le roman (pré)historique, le roman d’aventure et le roman d’initiation.
Le charme particulier du récit réside surtout dans les descriptions de l’hiver de la forêt, des préparatifs, des vêtements et de leurs matières et textures, des abris rencontrés (on y fabriquer beaucop de cabanes…). Une précision méticuleuse (soutenue par une  traduction précise et élégante) fait voir et sentir ce monde du froid et la précarité des hommes des premiers temps, comme elle souligne leur proximité avec le monde naturel. Les animaux, réels ou inventé (belle idée d’un hibou diabolique), sont extrêmement présents et donnent à ce texte un autre ancrage sensible.

Taille 42

Taille 42
Malika Ferdjoukh et Charles Ollak
école des loisirs (Médium), 2010

Histoire/Roman

par Michel Diol

Charles Pollak a onze ans en 1939. Il est d’origine hongroise… et juif. Ce récit raconte sa traversée de la guerre de 39-45.

D’une certaine façon, Malika Ferdjoukh  joue le rôle du nègre pour Charles Pollak, et elle s’efface malheureusement derrière lui. Si on retrouve les thèmes chers à cet auteur (la lutte contre la bêtise et le racisme, le mal qui rôde sans arrêt… , la valorisation des « gens de peu ») on n’y retrouve ni l’écriture (la phrase longue de Rome l’enfer, par exemple), ni les personnages ou les situations dramatiques, voire paroxystiques (Fais moi peur), ni les révélations qui bouleversent une vision du monde (Sombres citrouilles).

Reste un documentaire sur la vie quotidienne « ordinaire » durant la seconde guerre mondiale, sans recherche d’effets de style. La guerre, le nazisme, la résistance sont vus à hauteur d’enfant qui ne comprend pas toujours le monde qui l’entoure. Et se pose la question du « mentir vrai » : n’aurait-il pas mieux valu un roman pour permettre à un jeune lecteur de percevoir la réalité de cette époque, quitte à prendre des libertés avec l’histoire vraie ?