ABC…

ABC…
Antonio Da Silva
Rouergue 2020

Pourtant rien n’a été simple illusion*

Par Michel Driol

Passionné de basket, Jomo est repéré dans un faubourg pauvre de Bamako par un dénicheur de talents, qui lui propose un contrat pour la France. A Lyon, à son arrivée, le jeune homme est pris en charge à l’Académy Tony Parker. Comme il ne sait pas lire, il suit des cours d’alphabétisation dans une MJC, et tombe amoureux de la fille de la formatrice, Rosa-Rose.

Ce roman est d’abord un beau portrait d’un personnage droit et positif, capable de résister aux pires tentations au nom des valeurs transmises par ses parents et de l’espoir qu’il a de devenir, à l’instar de son idole Toni Parker, un champion de basket. Il n’est pas le seul personnage positif du roman : que ce soient les parents de Jomo ou toute l’équipe de l’Academy,  ou les femmes de différents continents qui suivent les cours d’alphabétisation et partagent leurs spécialités culinaires, ou encore les amis portugais de rosa-Rose qui préparent un spectacle pour la fête des consulats, Antonio da Silva propose une collection de portraits variés de personnages qui ont en commun le souci des autres et la solidarité. Une mention spéciale pour Tony Parker, personnage du livre, plein d’humanité,  incarnation de valeurs sportives positives d’altruisme et de sens des responsabilités. Pour autant, tout n’est pas rose dans ce roman qui laisse rôder autour de son héros le danger et les menaces. Blessure au genou lors de son premier match. Bagarre contre un dealer qui le conduit au poste de police où il doit faire face à des policiers peu compréhensifs. Suicide du père de Rosa-rose, dont toute la vie a été tournée vers les autres, qui fait écho au suicide de Mário de Sá-Carneiro dont sa fille lit un poème. Drogue enfin, dont Rosa-rose a beaucoup de mal à se passer. Le drame rôde donc autour de l’ascension du jeune basketteur, et l’on ne révélera pas ici la fin, dont on dira simplement qu’elle mêle la tragédie et l’optimisme, à l’image du roman tout entier.

C’est ensuite un roman d’initiation dans lequel un jeune homme, déraciné, découvre d’autres façons de penser, de voir le monde, grâce à l’amour d’une jeune fille. Initiation à la poésie, au cinéma, à la musique qui se font en parallèle à son entrainement pour devenir un sportif accompli. Allant au bout de cette démarche, Antonio da Silva propose un roman dont les numéros de chapitres sont remplacés par des lettres, de A à Z, qui se clôt presque par l’abécédaire de Jomo, façon de dire l’importance des mots, de la littérature, de ce que le héros ne perçoit au début que comme pattes de mouches avant de découvrir la force de la poésie, plus forte et essentielle que le basket. Quant à l’écriture même du roman, elle prend des formes variées, et sait mêler adroitement phrases nominales, évocations métaphoriques, et rythmer ainsi le récit.

En lisant ce roman, on ne peut que penser à  Je préfère qu’ils me croient mort, d’Ahmed Kalouaz, roman sur le même thème mais beaucoup plus sombre. ABC… est un roman humaniste sur les vertus du sport, de l’accueil, mais aussi de la transmission.

* Extrait d’un poème de Mário de Sá-Carneiro cité dans le roman

 

Quand les escargots vont au ciel

Quand les escargots vont au ciel
Delphine Valette – Illustrations de Pierre- Emmanuel Lyet
Seuil Jeunesse 2020

A l’enterrement d’un escargot/ Trois enfants s’en vont

Dans le parc avec Rachel et Amin, Alice écrase malencontreusement l’escargot que les trois enfants comptaient nourrir, adopter… A quoi jouer désormais ? A enterrer l’escargot. Mais quels rites employer pour la toilette funèbre ? Vers où tourner sa tête ? Et quelles prières dire ? Car Amin est musulman, Alice catholique et Rachel juive…

Voilà un roman qui aborde avec beaucoup de légèreté et de sérieux des problématiques graves, sans se départir du regard des enfants sur les mystères dont ils parlent : mystère de la mort, mystère des  rituels, mystère de l’amour aussi. Tout cela avec une évidence qui ne va pas sans évoquer Debussy, et ses Children’s corner. Car c’est un bel après-midi dans un parc, où l’on s’ennuie un peu, où l’on évoque des secrets sur les amoureux que l’on a, sur les escargots qui sont hermaphrodites. C’est un roman qui parle de religion et de laïcité avec un angle original, celui de la mort, et qui confronte trois rituels liés à ce passage, trois rituels plus ou moins connus par les enfants, qui n’ont pas vraiment tous eu l’occasion d’assister à des funérailles. Se pose alors la question de la meilleure façon d’enterrer l’escargot, dont, bien sûr, on ignorait la religion. C’est le grand père de Rachel qui apporte à la fin du roman la possibilité de vivre ensemble, d’abord en évoquant le fait de l’athéisme, puis en proposant que chacun prie à sa façon, multipliant ainsi les chances de l’escargot d’aller au paradis. Le roman est écrit en faisant la part belle au dialogue, et l’on se dit qu’une adaptation théâtrale serait bienvenue, et somme toute facile à faire. L’important est en effet ce que se disent ces personnages qui ont une réelle épaisseur, sont bien individualisés, parfois un peu stéréotypés dans leurs réactions, ce qui les rapproche des lectrices et lecteurs. C’est un roman d’initiation, d’initiation à la vie, à la mort, mais aussi à l’amour et aux relations entre filles et garçons, traitées ici avec subtilité.

De la jaquette du livre, une affiche grand format, aux illustrations pleine page ou de petite taille, les couleurs de Pierre-Emmanuel Lyet éclatent, pleines de gaité et de joie. Ses personnages sourient toujours, façon de dédramatiser la mort dont il est question ici.

Un roman original qui aborde la question de la laïcité et des religions au travers des rituels mortuaires, en montrant bien ce que les enfants en comprennent, et comment ils peuvent vivre ensemble. On se souviendra longtemps de cet après-midi ensoleillé au parc, et l’on saura qu’il n’est rien de plus sérieux, pour les enfants, que le jeu pour apprendre à vivre…

 

L’âge au fond des verres

L’âge au fond des verres
Claire Castillon
Gallimard Jeunesse 2021

Les désarrois de l’élève Guilène

Par Michel Driol

Fille unique, assez bonne élève docile, Guilène vient d’entrer en sixième. Avec la découverte de nouveaux codes, elle prend conscience de la vieillesse de ses parents, 53 et 71 ans, alors que les parents de ses camarades de classe sont de fringants bobos trentenaires. Se rajoute à cela une professeure de maths particulièrement tyrannique qui terrorise la classe entière. La classe s’unit avec l’élection d’un délégué et la volonté de monter des spectacles.

Voilà encore une chronique familiale et scolaire, pensez-vous… Une de plus… Certes, mais une qui sort du lot par la force de l’écriture de Claire Castillon, et sa façon de s’inscrire avec bonheur dans la tradition du roman psychologique à la française. Laissant la parole à son héroïne, elle montre à quel point l’entrée en sixième constitue un rite de passage, avec un avant et un après, qui conduit à remettre en cause, douloureusement, des certitudes enfantines. C’est aussi la découverte d’autres milieux sociaux qui font envie à Guilène, d’autres parents plus beaux et plus fringants que les siens, d’autant plus que ses camarades ne sont pas tendres avec ses parents, que l’auteure n’a pas cherché à arranger : le père est chauve et bedonnant, la mère se complait à des chaussures qui vont bien à ses pieds… Dès lors Guilène est déchirée entre l’amour qu’elle porte à ses parents et sa honte à leur égard. Ce que l’autrice pointe avec finesse, c’est la relation entre parents et enfants, les plus âgés n’étant pas forcément les plus rétrogrades ou les moins ouverts à l’épanouissement et au bonheur de leur enfant. Elle y parvient avec toute une série de petits détails réalistes qui font pénétrer dans l’intimité de la famille de Guilène, dans l’évocation et la description d’objets ou d’attitudes à la fois dérisoires et symboliquement forts qui marquent le lien familial, objets « ringards » comme le coucou dont la famille attendait la sortie de l’oiseau, mais qui se retrouvent chargés d’émotion, rituels comme l’anniversaire du père, les jeux de société ou le gouter dinatoire du dimanche soir. L’entrée en sixième bouleverse tout cela, et Guilène apprend à vivre avec ses différences, et prend lentement conscience qu’elles ne constituent pas un handicap : ce sont ses parents qui ont le courage d’inviter toute la classe à la maison, ce sont eux seuls qui, à l’écoute des souffrances de leur fille en mathématiques, prennent rendez-vous avec le proviseur. Guilène découvre aussi le danger à ne croire qu’aux apparences, car sous des dehors attirants peuvent se cacher bien des douleurs et des souffrances.

Le roman parle de la difficulté à accepter les différences, différence de classe, différence d’âge, différences psychologiques et de l’envie d’être comme tout le monde, de ne pas se singulariser. L’une de ses forces est qu’il sait s’inscrire dans le temps court : entre la rentrée et les vacances de février, dans des lieux bien identifiés (l’appartement, le parc, le collège) et autour de quelques personnages (Guilène, Cléa, Aron) avec une écriture pleine de drôlerie et de malice, car, tout en laissant la plume à son héroïne, l’autrice reste présente pour, en quelque sorte, la mettre à distance dans sa prétention un peu naïve à penser que tout a changé depuis qu’elle est en sixième. Rien de tragique donc dans ce roman dont certains passages, pourtant, ne sont pas loin du drame, façon pour l’autrice de souligner la fragilité des enfants face aux problématiques qu’elle évoque : les relations avec les adultes, avec les autres, les rites de passage, la conscience du temps qui passe. Car, au fond, ce qui terrifie le plus Guilène dans l’âge de son père, c’est qu’il peut mourir.

Un roman émouvant, tendre, drôle, optimiste, mais aussi cruel, un roman dont l’auteur aime ses personnages, et qui saura toucher ses lecteurs.

Proxima du Centaure

Proxima du Centaure
Claire Castillon
Flammarion jeunesse, 2018

Adolescent en chrysalide

Par Anne-Marie Mercier

« « Je l’appelle Apothéose parce qu’il n’y a aucun prénom logique à lui mettre sur le visage. Je la klaxonnerai avec ma tête jusqu’à ce qu’elle se retourne. Un jour elle me dira son vrai prénom, à l’oreille, elle le prononcera avec le souffle. Son souffle réveillerait un mort. »

Mais non, celle que Wilco nomme Apothéose n’a pas ce pouvoir, et Wilco va mourir.
C’est un peu à cause d’elle : pour la suivre des yeux plus longtemps, il s’est trop penché au balcon de l’appartement où il vit avec ses parents et sa sœur, au cinquième étage, et il est tombé.
C’est lui qui raconte son histoire, conscience intacte et corps brisé mais sans souffrance, depuis son lit d’hôpital. Il raconte les visites, et les non-visites, les amis qui ne viennent pas, comme celle qu’il aime qui, suppose-t-il (rêve-t-il ?) vient jusqu’à la porte de sa chambre mais n’ose pas entrer ; il raconte la fête organisée par un ami de sa classe, lors de laquelle il pensait pouvoir enfin lui parler, à laquelle il ne participe pas, mais qu’il vit en imagination comme si tout était vrai. Et à la fin, il meurt.
Pourtant ce n’est pas une lecture triste : si Wilco ne peut plus bouger ni parler, il voit, il entend, il juge, il comprend. Il a de l’humour et beaucoup d’amour ; le roman en est irrigué tout au long des pages. Il a aussi du style, celui de l’auteur bien sûr. Et le regard que Wilco porte sur l’hôpital, sur ses parents qui espèrent toujours et sur sa sœur, révoltée et battante, prête à tout pour lui tout à coup. Leur courage simple, leur amour, la façon que chacun a de faire face : la mère en répétant qu’il est tombé à la même heure qu’il est né, le père en se fixant sur des questions concrètes comme la vue que son fils doit avoir de sa chambre (prêt à revoir la façade de l’hôpital pour cela), la sœur en offrant de petits ou grands sacrifiant (ses cheveux pour commencer).  Les souvenirs cocasses de la vie de la famille et de la vie du collège donnent un rythme et une énergie à ce long soliloque. On pense à « Johnny got his gun », le film de Dalton Trumbo, on aime Wilco, on a envie de lui tenir la main longtemps.
Claire Castillon, connue pour ses romans pour adultes, a réussi ici un superbe roman sur un sujet difficile. C’est un beau cadeau qu’elle a fait aux jeunes lecteurs.

 

 

Paloma, papi et moi

Paloma, papi et moi
Julie Rey – Illustré par Anne Simon
Ecole des Loisirs – Neuf – 2021

Entre ciel et mer…

Par Michel Driol

Paloma, c’est le nom du Cessna à bord duquel Marin adore voler avec son grand père. Jusqu’au jour où le grand père, victime d’un problème cardiaque, doit cesser de voler. Alors le père de Marin décide, en secret, de réapprendre à piloter pour lui faire plaisir.

Ce roman est une petite chronique familiale bien inscrite dans une région, la Bretagne, et une réalité sociologique : le père de Marin est pêcheur, sa mère, d’origine algérienne, est enseignante. Cette chronique, écrite à la première personne, met l’accent sur la relation privilégiée entre un enfant et son grand-père, mus par une passion commune. Entre les deux c’est à la fois une histoire faite de complicité, représentée ici par les bonbons que le grand père achète, des Tudisrienatamere, et d’intimité, matérialisée par le cockpit et les échanges qu’ils ont à bord, lorsqu’ils commentent le paysage. C’est un « feel good » roman, dans lequel les personnages sont bienveillants, où le lien familial est solide. C’est aussi un roman pudique, dans lequel le lecteur pressent le drame toujours possible, plus ou moins perçu par le narrateur (les adultes disent toujours que ce sont les oignons qui les font pleurer…). C’est enfin un roman à l’écriture soignée, qui offre un regard d’en haut sur la terre, les falaises, la mer. Les illustrations, souvent en tête de chapitre, en pleine page, qui reprennent la technique de la ligne claire, sont chaleureuses et colorées, dessinant un monde parfait.

Un roman agréable à lire, qui parle de relations familiales et de transmission avec optimisme.

Le printemps des oiseaux rares

Le Printemps des oiseaux rares,
Dominique Demers
Gallimard, scripto, 2021

Des oiseaux pour références

Maryse Vuillermet

Un roman à deux voix, les voix des deux héros, deux adolescents : lui, Jean-Baptiste, dit JB, surdoué, passionné, d’oiseaux et de tous les animaux, solitaire, gentil, gaffeur, vivant à Montréal dans une famille nombreuse de catholiques pratiquants, elle, Mélodie, vit seule avec sa mère et se remet très difficilement de son premier amour qui s’est terminé par un viol.

JB rédige un mémoire sur les oiseaux pour intégrer un cursus universitaire d’exception et obtenir une bourse. Dans les extraits de son travail, on apprend avec émerveillement combien les animaux sont communicants, intelligents, fidèles et amoureux; Ils aiment passionnément et fidèlement, « 90% des oiseaux sont monogames, les chardonnerets échangent des baisers passionnés, les albatros sont unis pour la vie. ».  Ils sont aussi capables de jouir d’un acte gratuit comme certains vautours qui s’élèvent à 10 000 mètres d’altitude par gout de l’ivresse.  Ses connaissances, il va les partager avec Mélodie et avec nous. Mais aussi ses découvertes, une nichée de renardeaux, un rassemblement de sitelles, trois mésanges, un écureuil, il passe le plus clair de son temps sur le Mont Royal à Montréal à observer. Mélodie y fait beaucoup de sport, et c’est donc là qu’ils se heurtent et se rencontrent.
Tous deux ont un quotidien difficile, JB est en opposition avec la religion de son père qu’il juge intransigeant et peu aimant, Mélodie ne comprend pas ce que sa mère lui cache de sa relation avec son père, et d’un petit frère mort bébé dont elle trouve des photos cachées.  Tous deux sont à fleur de peau, écorchés et, de rebondissement en rebondissement, on s’attache à ces héros.
Beaucoup de thèmes sont abordés, l’existence de Dieu, le monde animal, la différence, la mort, le viol, ça parait beaucoup, mais tous sont abordés avec délicatesse et par la voix de ces deux jeunes intelligents et en recherche. Et les références constantes au monde des oiseaux les aident dans leur réflexion et leur combat et guident notre lecture, JB est un albatros, « ses ailes de géants l’empêchent de marcher, » ; JB surnomme tendrement Mélodie « Sauterelle » ; les autres personnages, les parents, les adultes en général, ne sont pas stéréotypés, tous ont leur part d’ombre, leurs doutes et leurs échecs.
Le titre original est « l’Albatros et la mésange », je le préfère, pour ce roman très original, profond et émouvant.

7 Rue des Ecolos / Touche pas à ma planète

7 Rue des Ecolos / Touche pas à ma planète
Sophie Dieuaide
Didier Jeunesse 2021

Jardin suspendu

On retrouve la joyeuse bande de l’immeuble sis au 7 rue des Ecolos, et leur jardin / rucher / poulailler sur le toit. Cet ouvrage est effet la suite d’un premier opus du même titre. On adopte une nouvelle poule, qu’on va chercher à la campagne. Et on attend avec impatience de nouveaux voisins, qui, malheureusement, sortent le règlement intérieur de l’immeuble pour demander la destruction du jardin, des ruches et du poulailler. Si la planète est fichue, l’utopie écologique du 7 l’est-elle aussi ? Surtout quand, en plus, le chat Glyphosate menace les poussins !

Sophie Dieuaide signe un roman joyeux sur des thèmes en apparence moins réjouissants : le sort de la planète et le vivre ensemble. Une galerie de personnages attachants, drôles, qui jouent aux journalistes et éditent Ecolo-Hebdo, entièrement fait à la main, dont les numéros sont bien sûr reproduits dans l’ouvrage. Chaque journaliste a ses spécialités, son rôle, et la parole est même donnée aux plus jeunes. Que faire quand le sort de la planète est entre nos mains, qu’on ne peut plus boire de coca-cola ni aller au Mc Do, quels plaisirs reste-t-il ? Vue à hauteur d’enfants d’une dizaine d’années, cette problématique est traitée avec légèreté comme pour dire que prendre conscience c’est déjà quelque chose, que des solutions – jardins partagés – sont possibles, et surtout qu’il ne faut pas perdre espoir dans les générations qui viennent et que le rire est toujours salvateur.

Un roman qui enchaine récit classique, petits mots, SMS, journal… pour rendre la lecture encore plus vivante et réjouissante, à l’image des personnages pleins de joie de vivre que l’on y croise.

Coup de boule Corneille

Coup de boule, Corneille !
Pascal Ruter
Didier Jeunesse 2021

Rodrigue et Chimène : Plus belle la vie !

Par Michel Driol

Quand la nouvelle maitresse d’Helena arrive sur sa nouvelle moto, c’est la stupéfaction au village. D’autant qu’elle veut leur faire jouer le Cid, que la classe adaptera. Parents divisés : que deviennent les devoirs ? les conjugaisons ? Enfants motivés qui réécrivent à leur façon les dialogues de Corneille, construisent les décors et recherchent les accessoires, tout en discutant des personnages, des dilemmes qu’ils vivent. Même l’inspecteur est conquis : c’est dire !

Voilà un roman burlesque qui ne manque pas d’humour, façon Petit Nicolas. Une narratrice enfant, une bande de copains, bien différentiés, la découverte naïve du monde des adultes vue à travers leurs comportements. C’est aussi l’occasion de rajeunir Corneille, de le faire gueuler, dirait la maitresse de la classe, de montrer sa vigueur et sa force, tout en le rapprochant de la culture de masse contemporaine : Plus belle la vie, Laurent Delahousse et Stéphane Bern, sont convoqués par la narratrice. Les dialogues, réécrits dans une langue enfantine et contemporaine, ne manquent pas de panache et de drôlerie, mais cette intertextualité risque peut-être de  séduire plus ceux qui connaissent l’original que ceux qui ne le connaissent pas… Les situations cocasses et les quiproquos s’enchainent à un rythme endiablé, pour le plus grand plaisir du lecteur. Tout en conservant cette force comique, le roman aborde quelques thèmes plus sérieux : le rôle du théâtre dans la vie (qui va permettre à un enfant différent de parler autrement que par des mots en A pour la première fois), les angoisses des parents projetées sur les enfants dont ils peuvent pourtant s’émanciper, la force de la dynamique de projet dans une classe pour souder le groupe.

On ne peut que rapprocher ce livre de celui de Sophie Dieuaide, Œdipe schlac ! schlac !, dont on a rendu compte ici. Voilà de belles façons, par la parodie et le burlesque, de faire connaitre des œuvres patrimoniales, en restant fidèle non pas à la lettre du texte, mais aux problématiques et aux conflits de valeurs qu’elles exposent.

Et les lumières dansaient dans le ciel

Et les lumières dansaient dans le ciel
Eric Pessan
Ecole des loisirs Medium + 2021

Etoiles dans la nuit

Par Michel Driol

Elliot vit avec sa mère, abrutie de somnifères le soir, au point qu’il a le sentiment de plus prendre soin d’elle qu’elle de lui, depuis le divorce. Il a hérité de son père la passion des étoiles, qu’ils observaient ensemble durant des nuits. Un soir, il sort, pendant que sa mère dort, rejoindre le point d’observation que son père et lui partageaient. C’est alors qu’il voit des lumières tournoyer dans le ciel. Cherchant sur Internet, il découvre le Geipan, groupe d’études et d’informations sur les phénomènes aérospatiaux non identifiés, un service du Centre National d’Etudes spatiales à Toulouse. Un fois le dossier rempli, il fugue pour aller le remettre en mains propres au Geipan. C’est là que, voyageant sans ticket dans le bus, il se retrouve au commissariat de police.

C’est d’abord un roman sur les blessures du divorce, traité de guerre par Elliot, le narrateur. Un divorce dont on ne connait pas les causes, mais dont on voit les conséquences : la déprime de la mère, le désarroi d’Elliot, qui ne peut que se souvenir des moments heureux, avant la séparation. S’il voit encore son père, sa mère cherche à les séparer, et Elliot ne le reconnait plus dans cet homme qui refait sa vie, dans un appartement dont la décoration tient plus de la nouvelle femme qu’il aime. C’est ensuite le portrait d’10un adolescent fragile, timide, attachant, qui a sans cesse le sentiment de gêner, d’être un poids inutile, un souci pour ses parents. Sa passion pour les étoiles l’éloigne des autres, dont il ne partage pas les gouts pour le football, et qui ne le comprennent pas plus que sa mère. C’est aussi un roman cosmique, qui s’interroge avec le narrateur sur l’existence d’autres formes de vie. Seul dans sa famille, dans son collège, Elliot a peu à peu le sentiment qu’il n’est pas seul dans l’univers, que d’autres formes de vie existent, qu’il en a été le témoin. C’est enfin un roman dans lequel deux solitudes se rencontrent, celle d’Elliot et celle d’une mystérieuse voisine qui laisse des petites annonces étranges dans le hall de l’immeuble. Ces deux adolescents vont finir par se trouver, et partager ce gout de la petite formule poétique qu’on affiche partout, comme un appel.

Comme toujours avec Eric Pessan, les personnages sont soignés, les lieux évoqués avec précision (les vignes, les voyages en train, les villes…), et la société contemporaine bien présente en arrière-plan.

Un roman qui sait garder les pieds sur terre pour évoquer l’immensité du cosmos, et s’interroger.

Poing levé

Poing levé
Yaël Hassan
Le Muscadier 2021

Quelques jours en mai juin 2020

Par Michel Driol

Dans la famille Bellerose, d’origine antillaise, il y a le père kiné, la mère coiffeuse, deux jumelles en école d’infirmière, et Junior, le héros de l’histoire, bon élève de 4ème. Durant le confinement, il doit préparer un exposé sur une personnalité qui a changé le cours de l’histoire : il a choisi Tommie Smith, le coureur américain qui a levé le poing sur le podium aux jeux olympiques de Mexico en 1968. Tandis qu’il hésite entre Anissa et de Yasmine, deux filles de sa classe, c’est Anna, sa voisine, avec laquelle il va sympathiser, qui va l’aider à préparer son exposé, et dont il va finalement tomber amoureux.

Ecrit à la troisième personne, ce roman polyphonique rend compte d’une actualité brûlante, et de la période de la fin du confinement. S’y croisent en effet des extraits de l’autobiographie de Tommie Smith, la mort de George Floyd aux Etats Unis à travers des flashs du journal télévisé, des documentaires résumés, dont on a l’adresse pour aller les revoir, des articles sur les préjugés, mais aussi des échanges de SMS. S’y croisent aussi les paroles singulières des membres de la famille Bellerose, des amis de Junior, le regard d’Anissa et de Yasmine sur l’actualité française, l’affaire Adama Traore, les violences policières ou les contrôles au faciès. Le roman vaut donc par ces voix singulières, et par la galerie de personnages secondaires qui vont des grands parents de Junior restés aux Antilles à ses amis, Arthur, d’origine asiatique, Anna, d’origine polonaise, Yasmine et Anissa, d’origine maghrébine, voire à une ancienne déportée qui porte encore un numéro tatoué sur le bras.  Tout cela laisserait croire à une France black-blanc-beur, mais le roman s’avère moins optimiste qu’il n’y parait. Ce sont des clans, par origine, qui se forment au collège. C’est Anissa, jeune fille rieuse, qui est en fait sous la coupe de son grand frère, islamiste intégriste, et que l’on voit porter le voile. C’est Yasmine qui constate qu’on ne se mélange pas en fait, et que chacun reste dans son clan, son groupe, sa communauté pour sortir ensemble. Pour autant, le roman n’est pas complètement désenchanté. D’abord parce que l’histoire de Tommie Smith, reçu par le président Obama, montre que les choses peuvent changer, et qu’on n’est pas condamné au communautarisme. Ensuite parce que Junior veut échapper à ces déterminismes socio-culturels et veut combattre les préjugés, parce qu’avec ses sœurs et Anna il participe à un rassemblement pour protester contre les violences policières. Le roman est un appel à ne pas faire d’amalgame, à faire la part des choses, à s’interroger sur les préjugés, les manipulations d’opinion d’où qu’elles viennent, à dialoguer, même si les points de vue sont différents.

Un roman sur le monde contemporain, dans lequel on retrouve la force narratrice de Yaël Hassan, l’importance qu’ont pour elle l’histoire et le souvenir, et l’espoir en un monde plus fraternel.