Le Coffre enchanté

Le Coffre enchanté
Jean-François Chabas, David Sala
Casterman, 2011

Fable désenchantée

par Anne-Marie Mercier

« Ce que nous croyons posséder ne compte-t-il pas autant à nos yeux que ce que nous possédons vraiment ? »

Cette conclusion à la fable proposée ici est fort bien illustrée par le texte de Jean-François Chabas dans un récit très classique, sous forme de randonnée avec de belles variations subtiles, un peu d’humour et de cruauté. Les illustrations de David Sala (inspirées de Klimt)  mêlent les techniques et les couleurs de façon somptueuse.

Enfin, tout cela est bien « habillé », comme le coffre de l’histoire, avec une couverture évidée en forme de fenêtre à ogive et une tranche dorée. Cet habillage n’est pas là pour masquer du vide, mais donne une belle allure à la morale finale. Celle-ci est cependant peut-être trop cynique pour être comprise et acceptée par de jeunes enfants.

Caroline Baldwin

Caroline Baldwin, vol. 15 et 16 : L’ombre de la chouette et La conjuration de Bohème
André Taymans
Casterman, 2011 et 2012

La privée piégée

Par Anne-Marie Mercier

On aime Caroline Baldwin pour son côté roman noir : les héros se promènent avec des sparadrap sur la figure car ils se font piéger sans cesse, ils ne comprennent pas grand chose à ce qui leur arrive (nous non plus). On aime aussi l’esthétique ligne claire et le dynamisme des images. Et puis une femme détective et séropositive, comme ça nous change !

Partie de pêche

Partie de pêche
Béatrice Rodriguez
Autrement jeunesse (Histoires sans paroles), 2011

Sans paroles, tout est dit

par Anne-Marie Mercier

Suite du Voleur de poule et de La Revanche du coq, cet album nous présente le renard et la poule (couple formé dans le premier volume) couvant leur premier œuf… Le frigo étant vide, c’est madame qui part à la pêche, confiant l’œuf au renard. On frémit… on a presque raison ! mais chut.

La partie de pêche de la poule se déroule comme les autres épisodes des merveilleuses histoires sans paroles : parcours « homérique », par monts, vaux et océans, enchainements, répétitions, accumulation, exagérations, humour, et retour à la maison, avec une surprise (des deux côtés).

Les Voisins musiciens

Les Voisins musiciens
Junko SHIBUYA

Autrement, 2011

La mélodie de l’amitié

Par Anne Vivant master MESFC Saint-Etienne

Un petit garçon ne sait plus quoi faire après le départ de ses voisins. Heureux de voir arriver une nouvelle famille, il se met à jouer du violon et finit par rencontrer une petite fille. Un lien d’amitié se crée entre les deux enfants et se transforme en mélodie au cours des pages.

L’ouvrage se compose d’un ensemble d’images séquentielles montrant deux fenêtres d’un immeuble. Le lecteur est spectateur et les fenêtres sont une scène où les personnages apparaissent comme des artistes en représentation.

C’est aussi un bel album inspiré de l’art japonais : l’illustration n’occupe que partiellement la page, ce qui donne de l’importance à l’espace. Au centre de chaque page, une seule fenêtre est représentée autour de laquelle formes et couleurs surgissent sobrement sur un beau papier. L’auteure utilise des symboles au cours de l’histoire, comme le papillon qui renvoie à la jeune femme dans la culture japonaise. De même, la feuille morte se déplaçant de gauche à droite est un signe du temps qui passe. Cette culture est sensible à l’éphémère, ici, la musique des deux enfants.

Junko SHIBUYA cherche au cours de son histoire à mettre l’accent sur les sensations, les émotions. Elle guide le lecteur dans la découverte de l’album par ses dessins puis par la musique des couleurs. Toutefois, le sens de l’histoire reste à construire puisque c’est bien le lecteur qui lui donne vie.

1. 2. 3… images

1. 2. 3… images
Catherine Chaine, Marc Riboud
Les trois ourses, Gallimard jeunesse, 2011

 

Photo-Abécédaire des chiffres

Par Anne-Marie Mercier

Les belles photos de Marc Riboud, en noir et blanc superbes, bien reproduites, sont classées de façon inhabituelle : non pas selon le lieu (Amérique, Europe, Russie, Chine, Ghana…), ni le sujet (beaucoup de photos de groupes, mais aussi d’objets, d’activités, de moments d’histoire ou de société), ni la date (des années 50 aux années 2000), mais le nombre – et le chiffre qui lui correspond : un promeneur, deux danseurs, quatre téléphones, onze couvercles de poubelle…

On n’apprendra peut-être pas à compter (à mon avis les images sont trop petites et difficiles à lire pour convenir à de très jeunes enfants), mais on aiguisera son sens esthétique, on s’amusera à chercher ce qui fonde la série et on sera curieux d’imaginer les histoires qui peuvent sous-tendre ces scènes ou bien l’on inventera une trame qui en réunisse quelques unes.

Le Bus de Rosa

Le Bus de Rosa
Fabrizio Silei, Maurizio A. C. Quarello
Sarbacane, 2011

 

De Rosa Parks à Obama : le chemin des USA

Par Anne-Marie Mercier

 Voilà une belle manière de donner une leçon de civisme qui mêle fiction et histoire, émotions et faits. Un vieil homme de couleur emmène son petit fils au musée Ford de Detroit et devant le bus dans lequel  Rosa Parks a commencé son combat, raconte la vie des noirs avant et pendant. L’histoire est à la fois très humaine, à travers cet homme qui se reproche sa lâcheté d’antan, et riche en éléments historiques : le Ku Klux Klan, la ségrégation, les débuts de la révolte pacifique, Martin Luther King sont évoqués sans que rien n’apparaisse comme trop didactique ou artificiel. Les images sont superbes, mêlant pastel gras aux couleurs vives et noirs et gris profonds, une façon juste d’opposer l’avant et l’après de la révolte des noirs.

La nuit des mis bémols

La nuit des mis bémols 
Manuela Drager

L’école des loisirs (« Medium »),  2012

Univers très fantaisiste

                                                                          Par Maryse Vuillermet

Voici le dixième livre de Manuela Drager où Bobby Potemkine, le personnage central de cette histoire étrange et poétique, mène une enquête farfelue dans un monde où tous les personnages, qu’ils soient humains, animaux ou végétaux, ont une  vie propre,  selon une logique qui pourrait nous échapper.

Cette fois, Bobby est assis au bord du quai, observant les icebergs qui dérivent quand un  corbeau transparent, Jean Gouanodon,  l’alerte sur une étrange affaire de clafoutis rebelle. Le gâteau s’agite et mordille, affectueusement certes, toute personne souhaitant le déguster.  Bobby est également troublé par la ravissante Lili Nebraska, qui peine à jouer sa Cantate golde depuis que tous les mis bémols ont disparu, et par Lalika Gul qui confectionne  des gâteaux délicieux. Billy lui-même vit  un terrible problème,  le temps lui échappe, le jour et la nuit se succèdent  toutes les heures, il ne peut les retenir.

Au début, quand on s’embarque dans cet univers, on cherche une logique, et on attend d’avoir parcouru une dizaine de pages,   pour se dire que non, il n’y a aucune logique, on navigue dans un univers parallèle, personnel, loufoque, gentil, affectueux, original et l’enquête n’est qu’un prétexte pour se poser des questions : Rêve-t-il ? Les pluies de météorite et le défilé des icebergs sont-ils un message d’alerte pour nous annoncer des dérèglements climatiques majeurs, ou ne sont-ils là que pour leur étrange beauté ? Les amours  de Bobby et de Lilli à l’odeur envoutante de savonnette au gingembre seront-ils récompensés ?  Je crois qu’il faut accepter ces énigmes non résolues.

Si on entre, on laisse sa rationalité à la porte. Ce livre peut s’adresser à de jeunes lecteurs  amateurs  de loufoque et de fantaisie.

Gregor, t. 1, La prophétie du gris

Gregor, t. 1, La prophétie du gris
Suzanne Collins

Hachette jeunesse, 2012

Envols souterrains

Par Anne-Marie Mercier

Voici une nouvelle série de Suzanne Collins – moins violente que Hunger Games, qui a fait tant de bruit dernièrement, avec son adaptation au cinéma – qui propose les aventures d’un héros plus jeune accompagné de sa toute petite soeur qui parle à peine. Il s’adresse donc à de plus jeunes lecteurs et certains seront déçus, d’autres contents.

Dans cette histoire captivante, Gregor et sa soeur Moufle se retrouvent dans un monde souterrain peuplé d’animaux gigantesques : cafards, chauves-souris, rats et araignées, et d’humains aux yeux violets et à la peau pâle. Ils participent à un affrontement entre divers peuples, volant à dos de chauves-souris dans des tunnels interminables ponctués de grottes belles et inquiétantes, mais toujours sombres, très sombres.

C’est aussi un mélange intéressant d’ingrédients très classiques du roman d’aventure : une quête (celle du père, disparu), une princesse rebelle, une trahison… L’histoire est portée par le dévoilement progressif du sens d’une prophétie mystérieuse – thème que l’on trouve depuis les romans de la Table ronde jusqu’à la science-fiction (Dune) en passant par Le Prince Éric – comme par une poésie des mondes obscurs assez attachante. Enfin, si le prénom du héros évoque celui de La Métamorphose de Kafka et si sa chute dans le monde souterrain ressemble fort à celle d’Alice, on est loin de ces chefs d’œuvre. Mais l’invention de ce monde, peu merveilleux mais très original, n’appartient qu’à Suzanne Collins (je crois) et l’ensemble est remarquablement bien organisé. Le dosage des éléments est savamment combiné : un peu de suspense, un peu de sentiment (pas trop), un peu de stratégie, beaucoup de conflits de loyauté, un peu de violence (pas trop), enfin, un monde imaginaire auquel on croit, bien taillé pour plusieurs volumes.

L’âne Trotro a trop chaud

L’âne Trotro a trop chaud
Bénédicte Guettier
Gallimard jeunesse, Giboulées, 2012

La belle vie…

Par Caroline Scandale

Trotro est un personnage bien connu des plus petits. Ses aventures se déclinent en multiples albums. A la télévision, sur Youtube ou dans les livres, rares sont les moins de quatre ans qui ne l’ont pas déjà vu. Cherchons à en savoir un peu plus sur celui qui fait un tabac chez les lecteurs à biberons…
Trotro est un ânon stylisé, rieur et potelé qui découvre l’autonomie avec une bonne humeur contagieuse. Son charme  réside dans ses illustrations pétillantes et enfantines, ses couleurs contrastées et son humour subtil. Par exemple, dans cet album, Trotro, confronté à une forte chaleur, en profite pour lire à l’ombre d’un pommier, un livre sur la banquise… Quoi de plus rafraîchissant?
Dès 18 mois pour les albums cartonnés avec les oreilles de Trotro qui dépassent et aux alentours de 3 ans pour cette collection aux pages en papier glacé.

Pourquoi et comment adapter « La Reine des neiges » d’Andersen?

Les auteurs nous écrivent, et c’est extrêmement précieux pour comprendre comment ils travaillent. Lorsqu’ils réécrivent des classiques, cela nous permet de revenir avec eux à la source du conte  (ce que je n’avais pas fait dans mon article, par manque de temps, et parce que je croyais à tort en avoir des souvenirs précis…).

Merci à Marie Diaz pour son commentaire: allez lire son très beau texte sur « La Reine des neiges » (devenue « La Reine des glaces »), illustré par Miss Clara (Gautier-Languereau, 2010) :

http://bloghost.hautetfort.com/media/01/00/3311943723.pdf