Les Bonnes Manières pour les petits dragons à Noël

Les Bonnes Manières pour les petits dragons à Noël
Caryl Heart – Rosalind Beardshaw
Gallimard Jeunesse 2024

Civilité dragonnesque et honnête

Par Michel Driol

Dans la série Les Bonnes Manières pour les petits dragons, voici un nouvel opus, consacré à Noël. Un petit dragon doit-il râler « Moi je veux Noël aujourd’hui » ? – Certainement pas ! Mais il peut chanter Noël aider son petit frère à choisir des cadeaux, partager ses bonbons et ses jouets…

Avec humour, parodiant les ouvrages de bonnes manières, l’album évoque l’impatience des enfants au moment de Noël, modélise un bon comportement et stigmatise les impatiences,  les exigences, l’énervement suscités par ce moment si particulier. Alternent ainsi les pages consacrées aux comportements à proscrire, gentiment signalés par une sanction « Surement pas. Les dragons ne font pas ça » et celles qui valorisent les attitudes attendues. C’est un album malicieux et fin, en raison d’abord de la distanciation qu’introduit le personnage du dragon, implicitement (et avec humour !) chaque enfant, même si les illustrations font coexister la famille dragon avec des enfants très humains. En raison ensuite du ton adopté par le texte, et des nombreuses phrases interrogatives qui questionnent sur les attitudes du petit dragon, invitant le lecteur à les rejeter avant que le texte lui-même ne le fasse. En raison enfin de la bonne humeur qui se dégage des regards, des sourires, des situations évoquées qui dédramatisent certains comportements enfantins en nous montrant ici un petit dragon adorable, parfois maladroit, et si désireux de jouer, car, après tout, il n’est qu’un petit dragon !

Un album qui donne à voir une certaine morale, qui valorise un certain type de comportement socialement admis de la part des enfants, sans pour autant être moralisateur !

Occupé !

Occupé !
Joëlle Écormier, Claire de Gastold
Seuil jeunesse (Le grand bain), 2024

« Je peux pas, j’ai solfège… »

Par Anne-Marie Mercier

La fin du premier trimestre scolaire approche, et avec elle l’échéance de bien des parents qui ont fait promettre à leur enfant de se tenir à l’activité à laquelle ils les ont inscrits au moins jusqu’aux vacances. Ce livre sera-t-il pour eux ou pour leur enfant rebelle?
Lundi, solfège. Le narrateur traverse le parc pour s’y rendre et rencontre les Triplettes, un garçon et deux filles, qui lui proposent de jouer au ballon avec eux, tout simplement. Mais il ne peut pas : il a solfège.
Le lendemain, natation, il fait grève en s’enfermant dans les toilettes (d’où l’autre sens du titre), pareil pour les cours qu’il aime bien. Impossible d’expliquer aux parents ce qui se passe. Mais le médecin qu’on l’envoie consulter lui révèle un passage secret à travers le petit réduit au fond du jardin de sa maison. Il l’emprunte avec son chat et plusieurs voyages lui font retrouver ses amis dans le bois, ne pas les trouver, s’y endormir et rêver… Il découvre un monde magique lié à la nature et vit une vie parallèle faite de petits bonheurs et de grands mystères : le serpent rouge qu’ils ont tracé avec des fleurs existe-t-il, pour avoir les pouvoirs que les Triplettes lui accordent ? Un dessin ou un poème peut-il influer sur la réalité ? La tentation de rester toujours dans ce monde le happe de plus en plus…
La collection « Le grand bain » est une jolie surprise : avec l’idée de faciliter la lecture pour les lecteurs de 8 ans et plus, elle joue sur plusieurs tableaux : de belles images, nombreuses et colorées, une jaquette qui se déplie en affiche, une typographie claire et aérée, et, dit-on dans la présentation, des « récits forts ».
Mon premier essai s’avère très concluant ; c’est un sujet fort que celui de la surcharge d’activités prévues dans l’emploi du temps des enfants, et il est bien traité, sans ton moralisateur, à travers un récit prenant et étrange.

Le ver vert

Le ver vert
Bruno Gibert
La Partie 2021

De Nevers à Versailles…

Par Michel Driol

Le héros, comme l’indique le titre et la couverture, c’est un ver vert. Un ver vert aux yeux vairon qui souhaite aller à Versailles rencontrer le roi. Emporté dans les sacoches d’un cavalier, le voilà en présence du roi soleil que, par mégarde, il nomme Vercingétorix… Mis illico sous les verrous, sa petite taille lui permet de s’enfuir et de se cacher dans l’herbe verte. Malheureusement pour lui, il finit dans le bec d’un pivert…

Prenant la forme d’un conte, ou d’une comptine, le texte est saturé du son ver. Cette contrainte oulipienne est soulignée par la typographie : les syllabes « ver » sont écrites en vert, bien sûr ! Ce procédé renforce le côté primesautier du récit qui joue avec l’absurde, la fantaisie et le non-sens, les mots en ver ajoutant souvent des détails saugrenus (la verrue sur le nez du garde par exemple). Pour autant, ce récit ne manque pas d’une certaine morale portée par ses personnages. Un ver minuscule qui oublie sa condition pour aller à la rencontre du roi, échappe à tant de dangers pour finir dans le bec d’un oiseau,  un monarque plein de vanité et d’outrance dans sa façon de poursuivre l’imprudent, un jardiner plein de sagesse qui refuse de tout détruire pour retrouver un ver…  Les illustrations font, bien évidemment, la part belle au vert dont elles sont saturées. Vert de l’herbe, vert de la poire ou des fruits… Elles se jouent aussi des clins d’œil, au portrait en majesté de Louis XIV fait écho celui du ver en couverture. On joue parfois à un « cherche et trouve » tant le ver est minuscule, mais reconnaissable à ses yeux vairons…

Plaisir du jeu avec les mots, plaisirs des sonorités, plaisir aussi de rire aux dépends d’un ver pas très malin…

Un orage dans ma tête

Un orage dans ma tête
Nemo
Tom Pousse – Collection AdoDys 2024

Une éducation sentimentale

Par Michel Driol

Fils de parents divorcés, Tom découvre un matin que sa mère aime une autre femme, sa marraine qui plus est ! Profondément choqué, l’adolescent trouve refuge chez son père, policier, qui l’envoie chez son grand-père, l’Amiral, dont la sœur monarchique est catholique convaincue. Entre ses grands-parents paternels, figures de l’ordre sa grand-mère maternelle, militante infatigable contre toutes les injustices, Tom parviendra-t-il à séduire, malgré sa dyspraxie, la jolie Pam, et à se réconcilier avec sa mère et sa compagne ?

Nouvel opus de la collection AdoDys, le roman dont la typographie est adaptée aux lecteurs dyslexiques, aborde avec humour et bienveillance des problématiques auxquelles sont confrontés les adolescents d’aujourd’hui. Il s’agit de la découverte de différentes formes de sexualités dans une société qui a du mal à les reconnaitre, et le roman sait conduire Tom à accepter la nouvelle relation de sa mère. Tom est bien entouré par toute une famille haute en couleur, pittoresque, soudée malgré le divorce et les opinions politiques. C’est cet amour qui va aider Tom à grandir, à la fois dans ses relations avec les autres ados et avec sa mère et sa marraine. Grandir, c’est pour Tom se sentir capable, malgré le handicap que lui procure sa dyspraxie, son surpoids, d’inviter Pam au cinéma. Grandir, c’est pour lui accepter sa différence : quelque peu en marge, il veut devenir parfumeur, « nez ».  Tous les personnages sont attachants, bien dessinés, situés dans des milieux parfois peu représentés en littérature pour la jeunesse : ébéniste pour la mère, commandant de sous-marin nucléaire à la retraite. Originalité donc des individualités, des milieux et des décors dépeints, qui ont tous en commun d’être accueillants, sympathiques et aimants.

Un récit enlevé, agréable à lire, pour dédramatiser la dyspraxie, l’homosexualité et le divorce !

Dark Glory

Dark Glory
Thibault Vermot
Sarbacane, X’, 2024

Conte de Grimm à Hollywood, ou « quand la peur sort des livres »

Par Anne-Marie Mercier

Thibault Vermot avait montré dans un roman précédent (La Route froide) qu’il était très fort pour fabriquer des scènes inquiétantes avec pour décor l’Ouest ou le Nord sauvage. Ici, il en fait à nouveau la démonstration de manière originale. C’est tout d’abord un récit enchâssé dans une histoire a priori banale : en 1949, à Durango, un groupe d’adolescents de douze ans se retrouve tous les dimanches dans leur « cabane ». Il y a le raconteur, Michael, son petit frère de 6 ans Calvin, George, Don, Durham et Suzy, seule fille de la bande. Et puis il y a un volume des contes de Grimm qui semble traîner là par hasard :  George l’a emprunté à la bibliothèque ; on comprendra plus tard que c’est important car ce volume revient à plusieurs reprises. Michael raconte une histoire de chercheurs d’or devenus anthropophages à faire dresser les cheveux sur la tête.
Au chapitre suivant, on est en 1955, Suzy est partie faire des études à Denver, Don a eu un enfant, George est policier et Michael qui rêve de devenir scénariste part pour Hollywood. L’histoire suit son cours et on pense être confortablement installé dans un récit de formation qui au passage nous ferait découvrir les « métiers du cinéma ». Michael devient coursier puis à force de ténacité et de culot devient l’ami d’une actrice, puis scénariste à l’essai. Il y a une scène « explicite » dont Michael ne sait pas s’il l’a rêvée après un quasi coma éthylique – très improbable : on se demande si la présence de scènes de ce type ne fait pas partie maintenant du cahier des charges de la collection, ce qui serait assez drôle : Anastasie [nom de la censure], faut pas énerver les éditeurs !
J’abrège : le scenario est plein de rebondissements, de scènes tragi-comiques, de poursuites et de suspense. L’alternance avec le récit de Michael hanté par l’anthropophagie se poursuit, faisant monter l’inquiétude. Elle est remplacée par des chapitres qui montrent George, enquêtant sur la disparition d’une enfant de huit ans, retrouvant son vélo, sa robe jaune et un livre de contes qu’elle avait emprunté à la bibliothèque, le même volume qu’au premier chapitre. Ceci rappelle à George et aux habitants un cas non élucidé : l’enlèvement d’un enfant, cinq ans plus tôt au même endroit (j’essaie de ne pas trop divulgâcher mais je vais en dire sans doute un peu trop…).
D’autres chapitres mettent en scène le petit garçon qui a échappé au monstre de justesse après des horreurs dont il ne se souvient pas, mais boiteux et avec un doigt en moins. Depuis, il ne dort plus et la figure du monstre mangeur d’enfants plane sur la ville, le temps de 1949 et de l’enfance insouciante est loin, un temps « ou la peur n’était pas encore sortie des livres ». On voit cet enfant qui tente de conjurer sa peur entrer dans la bibliothèque. Il y est attiré par une musique : quelqu’un joue au piano, au sous-sol (il n’y a jamais eu de piano à la bibliothèque lui confirme la bibliothécaire, un peu inquiète) une musique qu’il n’identifiera que plus tard : les Kindertotenlieder (chants pour les enfants morts)…  George enquête avec l’aide de Suzy, Michael, alerté par sa mère affolée est route pour Durango, avec son nouvel ami coursier, tandis qu’un enfant semble bien être en train de se jeter dans la gueule du loup.
Comme un bon feuilletoniste, Thibault Vermot nous laisse au milieu du gué. C’est risqué de sa part : les fils sont si multiples que le lecteur pourrait bien se perdre au deuxième volume après avoir oublié ceux du premier. Mais cette incursion dans le monde du cinéma est drôle et dynamique et son autre versant, l’univers des contes plein de mangeurs d’enfants entrelacé avec le plus noir de la réalité, est particulièrement intéressant. Le rappel des raisons de la fureur d’Alma Mahler au moment où son mari composait cette œuvre, également. Quand George, qui est devenu policier à cause d’une histoire entendue quand il était enfant, retrouve le livre perdu par la fillette, celui-ci s’ouvre par hasard sur le conte de « La Sage Elsie » : « l’histoire ressemblait vraiment à ce qui était en train de se passer. Est-ce que le réel engendre les histoires ? Est-ce que les histoires sont capables d’engendrer une sorte de réel ? » (À suivre !)

6 Phares

6 Phares
Dominique Ehrard, Anne-Florence Lemasson
Les Grandes Personnes, 2024

Grands mats

Par Anne-Marie Mercier

S’il y a un sujet qui méritait d’avoir son pop-up, c’est bien celui des phares. Cordouan, Chassiron, Les Poulains, Ar-Men, Eckmühl et Les pierres noires, sont ici célébrés et déployés. C’est beau, inventif, et bien informé : chaque double page est accompagnée d’un commentaire donnant les caractéristiques du phare, en données chiffrées (dates, localisation, latitude, longitude, hauteur, portée et surtout feux, chaque phare ayant un éclairage et un rythme particulier).
Chaque phare est aussi implanté dans son sol, tantôt fixe et herbeux, tantôt mouvant et écumant, comme celui des Pierres noire et celui d’Ar-Men flanqué à sa base, en relief, d’un petit bateau de papier relié par un fil au sommet du phare. Délicatesse, précision, grandeur, couleurs vives, verts tendres, bleus océan et noirs d’encre, un régal.

 

 

La Perle

La Perle
Anne-Margot Ramstein & Matthias Arégui
La Partie 2021

Tribulations…

Par Michel Driol

Un enfant pêche une perle au fond de l’océan, et en fait une bague de fortune qu’il offre à son amoureuse. Mais une pie vole la perle puis c’est un chat qui la trouve dans son nid au sommet du mat d’un voilier. La perle va se retrouver vendue à un bijoutier, élément central du diadème d’une reine, volée, naviguant dans les égouts,  au milieu d’un barrage de castors…avant de retourner dans un flacon de sirop d’érable chez le pécheur initial qui reconstitue la bague de fortune.

Cette perle, objet inanimé, connait bien des aventures et un destin fabuleux dans ce récit en randonnée composé uniquement d’images. Pas besoin de texte pour raconter cette odyssée qui, comme celle d’Ulysse, se termine par un retour au pays d’où elle est partie. Les illustrations se veulent particulièrement réalistes, plaçant, le plus souvent, la perle au centre de la page. Elle font voyager le lecteur comme la perle : pays des mers du sud, cabine de voilier, intérieur d’une bijouterie… Scènes de jour, scènes de nuit alternent au gré des péripéties. Palais royal, cabane, maison, décharge, usine : les décors dessinent aussi une géographie mondialisée,  un regard sur notre civilisation. Si le rythme de du récit est enlevé, la fin de l’histoire,  les cheveux blancs, les rides du personnage initial montrent que le temps a passé, celui d’une vie.

Ce récit montre que, sans un seul mot, on peut aborder de nombreuses questions philosophiques. Celle du destin d’abord et du libre arbitre. La perle, objet inanimé, est le jouet des circonstances, passe de main en mains, jusqu’à revenir à son point de départ. Heureux qui, comme Ulysse…  Le hasard décide de son destin, dans une boucle qui, à l’instar de la roue de la fortune, la conduit vers les sommets avant de la faire retomber dans les ordures. Question du temps aussi, et de la fidélité à l’enfance, aux sentiments amoureux éprouvés alors. Les images parallèles du début et de la fin montrent cette permanence des relations au-delà du changement des corps.

Les illustrations, pleines de délicatesse sont bien à l’image des sentiments et de la vie qui y est représentée. Pas de froideur dans cet album dont l’héroïne est pourtant un objet, car on croise des personnages (adultes, enfants) de toutes les classes sociales, des animaux (sauvages, domestiques…) : bref, un véritable microcosme de notre monde.

Celle qui reste, L’Été de la reine bleue, Le Roi des sylphes

Celle qui reste
Rachel Corenblit, Régis Lejonc
Nathan (Court toujours), 2024

L’Été de la reine bleue
Estelle Faye
Nathan (Court toujours), 2024

Le Roi des sylphes
David Bry
Nathan (Court toujours), 2023

Une belle collec’

par Anne-Marie Mercier

Je découvre la collection de romans chez Nathan, «Court toujours», au titre intriguant. Oui, c’est court (pour celui-ci, il est écrit qu’il se lit en moins d’une heure et c’est exact). C’est joli, aussi, avec un format original, allongé, un graphisme travaillé, une esthétique inspirée par le style art nouveau de Charles Rennie Mackintosh (1868-1928) dont s’inspirent les belles couvertures de la série Blackwater de Michael McDowell, chez Monsieur Toussaint Louverture. Quant au contenu, la collection rassemble des auteurs bien connus de la littérature pour adolescent allant du réalisme à la SF dystopique (F. Hinckel, C. Roumiguière, C. Ytak, S. Servant, J. Witek, S. Vidal, T. Scotto, M. Causse, F. Colin, etc. On dirait que Nathan a passé commande à presque tout le monde). Les textes sont tous accompagnés d’une version audio accessible avec un QR code et certains sont aussi en version numérique

Celle qui reste est tiré de l’histoire d’Antigone. Celle-ci est la narratrice, et elle est « celle qui reste » et qui fait face. Elle commence à raconter ce qu’elle a entendu et vu depuis le moment où son père, Œdipe s’est aveuglé jusqu’au moment où elle part avec lui dans son errance en acceptant son destin. Le récit est sobre malgré l’horreur des faits. Chaque « acte » est une pierre de plus dans la dévastation d’une famille. Elle raconte comment elle a découvert son père ensanglanté, et comment celui-ci lui a expliqué son geste . Un autre acte la montre découvrant le corps de sa mère, pendue, un autre lui fait voir la brutalité et l’ambition de ses frères qui causeront ainsi indirectement sa propre mort dans un temps hors du récit, un autre l’oppose à Ismène sa sœur qui ne sait que sangloter. Le dernier est un temps de dévoilement de qui elle est, de ce qu’elle veut être. Après avoir été perdue dans la révélation de son origine, née d’un inceste, elle s’affirme dans sa vérité, se révoltant contre les dieux, « ces déments qui pensent que la vie n’est qu’une tragédie ».
La dignité d’Antigone et celle de son récit trouvent un écho parfait dans les beaux dessins de Régis Lejonc qui tracent des décors et des silhouettes en lignes épurées, comme dans les vases grecs peints,  et les rehaussent avec une palette réduite de blanc, noir et rouge.

 

L’été de la reine bleue se déroule dans un futur peu éloigné dans lequel les conditions de vie en Ile-de-France sont devenues difficiles : le niveau de la mer a englouti les zones côtières (et sans doute la Bretagne et les îles britanniques), les plus fortunés vivent à Paris, sous une coupole transparente qui les protège de la pollution, les autres sont relégués en périphérie, et sont très exposés au contraire ; les enfants souffrant de problèmes pulmonaires sont soit sont soit équipés d’implants, que l’on commence à expérimenter avec des succès variables, soit envoyés en centre de cure à la campagne. C’est ce qui arrive à la narratrice, désespérée d’avoir dû se séparer de son amie Chloé. Elle raconte, et en même temps elle écrit à Chloé, sur son téléphone, de longs messages qui ont du mal à partir, le réseau étant mauvais.
Dans un premier temps, portés par l’écriture fiévreuse de celle dont on ne connait pas le nom, ce qu’on lit est proche des récits d’enfants envoyés au loin en pensionnat : déchirure de l’éloignement, découverte des lieux, brimades, intervention d’une personne providentielle… C’est une fille, Jill, qui la sauve. Elle a son mystère, on la traite de monstre : elle a fait partie des premiers sur lesquels les fameux implants ont été installés. La suite est surprenante et belle, portée par la générosité de Jill et les choix de la narratrice. Nous allons de surprise en surprise, je n’en dirai pas plus.
En peu de pages l’autrice a pu installer un monde dystopique, une micro-société, des liens qui se défont dans le deuil et d’autres qui naissent, et presque un espoir de futurs possibles. La densité du récit n’empêche pas les moments méditatifs, comme les temps de plaisir face à l’océan que la jeune fille découvre, si proche enfin.

Le Roi des sylphes se situe dans le genre de la fantasy, par ses personnages. Il comporte le même nombre de pages mais est beaucoup plus léger – l’auteur abuse des alinéas, ceci explique en partie cela. L’intrigue est simple : la reine des sylphes veut que son fils, adolescent passe son initiation pour abandonner sa part humaine et se préparer à lui succéder. Le garçon ne veut pas, il est amoureux d’une humaine et pour vivre la vie qu’il souhaite il participe au complot qui va causer la fin de son peuple. Peu de surprises, peu d’épaisseur des personnages, on a du mal à s’intéresser à l’adolescent boudeur qui n’a rien compris, les couples peinent à exister, autant celui des deux jeunes gens que celui de la reine et de son ex amante, comme les personnages secondaires. L’ensemble est bien léger, à l’image du vent qui balaie tout dans le monde des sylphes, mais la couverture est superbe.

 

Mon Petit Père Noël

Mon Petit Père Noël
Gabrielle Vincent
Grasset jeunesse, 2024

Bon anniversaire Père Noël !

Par Anne-Marie Mercier

Gabrielle Vincent n’est plus, mais comme le Père Noël elle semble inoxydable. La nouvelle édition de l’une de ses œuvres offre aux enfants d’aujourd’hui un album qui n’a pas pris une ride. Publié par Grasset en novembre 1994, il y a donc tout juste trente ans, avec une couverture légèrement différente, il apparait aujourd’hui comme un beau livre de collection (ou de prix comme autrefois), comme Perce-Neige de Solotareff (voir chronique précédente) avec un dos toilé rouge estampé, comme la couverture, de lettres dorées.
Un 24 décembre, dans l’après midi, alors qu’il fait encore grand jour, un père Noël atterrit en parachute devant les yeux ébahis d’une petite fille, Magali. Le sol est couvert de neige, les arbres dénudés. A Magali qui demande s’il est bien le vrai Père Noël, il répond que non, puisqu’il n’a rien : « pas un jouet, pas un bonbon, pas un cadeau. Je n’ai rien ».
Magali court vers sa maison et revient avec sa poupée préférée, qu’elle lui offre. Le Père Noël repart, enlevé par son parachute vers les airs, la poupée dans ses bras, en promettant de revenir le même jour, à la même heure, au même endroit. Tout est dans le rituel et Magali a acquis un merveilleux cadeau, la promesse d’une rencontre tous les ans, à Noël avec celui qu’elle appelle « mon petit Père Noël ».
Les dessins sont merveilleux de délicatesse, les personnages sont très expressifs, la poupée également, et le décor hivernal est esquissé à la perfection. Enfin, cette histoire de Père Noël avec « rien » fait un contraste heureux avec cette période de trop de tout. Un lien, la promesse d’une attente comblée et c’est tout. Merveilleux, non ?
Mais en réalité, ce n’est pas tout : il reste un très joli livre à ouvrir tous les 24 décembre.

 

 

 

Perce-neige, un conte de Noël

Perce-neige, un conte de Noël
Grégoire Solotareff, Emmanuel Lecaye
L’école des loisirs, 2024

Joyeux Noël !

Par Anne-Marie Mercier

Oh le beau cadeau que nous font les Éditions de l’école des loisirs ! Cela ressemble à un vieux livre d’étrennes, avec sa couverture en fort carton, toilé de rouge et estampé de lettres et de motifs dorés, mais c’est tout neuf et signé d’auteurs bien vivants, dignes représentant de la dynastie Lecaye (Olga la mère, Nadja, Alexis et Grégoire les enfants, et d’autres encore donc).
C’est aussi un vrai conte de noël, avec le père Noël, un traineau, des lutins… Mais comme on est chez les Solotareff – Lecaye, ça déraille : le Père Noël a des frères. Ils sont tous plutôt sévères. Et puis il y a un homme en rouge qui rôde et veut prendre le pouvoir (on rejoue ici l’histoire de Lucifer, disciple en révolte contre le maitre) : Noël risque de ne pas avoir lieu cette année, ni plus jamais… après l’empoisonnement des frères Noël, le vol du traîneau par l’homme en rouge, la révolte et la fuite des lutins, et surtout à cause ce qui les a motivés : le renvoi cruel par les frères de la jeune orpheline réfugiée chez l’un des leurs.
Les nombreuses péripéties et la complexité de l’histoire sont éclaircies par les superbes dessins et les peintures en pleines pages où les rouges flamboient et les bleus sont profonds comme une nuit polaire. Brrr !