Quand Hadda reviendra-t-elle ?

Quand Hadda reviendra-t-elle ?
Anne Herbauts
Casterman 2021

L’absence, la voilà…

Par Michel Driol

Lancinante, la question qui donne son titre à l’album revient, sur toutes les doubles pages, en haut à gauche, tandis qu’en bas, à droite, revient comme un leitmotiv la réponse, « Mais je suis là », adressée à un personnage nommé tantôt mon amour, mon ange, bonhomme, ma mésange, ou mon tout grand…, suivie d’une petite phrase, écoute, regarde, va, tu as ma dignité, ma force, ma beauté… Sur l’autre page, une illustration pleine page montre un coin d’appartement, cuisine, couloir, balcon, rempli d’objets du quotidien, mais sans personne.

Anne Herbauts aime à dire qu’elle fabrique des albums, comme façon de faire dialoguer texte et illustrations, mais aussi façon de proposer au lecteur un objet dont il lui faudra combler les lacunes. C’est bien ce qui fait la force de cet album, de laisser le lecteur avec le sentiment d’une absence et des questions auxquelles il cherche la réponse dans le texte et les illustrations. Tout se passe dans un appartement que l’on dirait abandonné, alors qu’on y vivait il y a peu. Appartement aux carrelages un peu vieillots, aux meubles surannés.  Qui est Hadda ? Mère, grand-mère, peu importe. A qui s’adresse-t-elle ? Au même personnage, enfant, petit enfant ? Ou à plusieurs ? Qu’importe… Hadda est partout dans les illustrations, sans doute sur les photos que l’on voit reproduites dans un pêlemêle.  Dans les ustensiles et ingrédients de la cuisine. Dans le linge qui sèche. Mais dans les illustrations, ce qu’on voit aussi, ce sont les traces de l’enfance,  des chaussettes plus petites aux petites voitures sur la table, ou aux cartes et illustrés par terre. A chacun de construire son propre récit du lien entre les deux personnages évoqués par l’album… Hadda a donc disparu, avec toute la polysémie de ce mot, mais, à travers son appartement, elle continue de dire son amour à ses descendants, elle continue de vivre à travers eux, leur transmettant rires, force, beauté et ailes pour aller plus loin. Car c’est bien cette transmission de force vitale léguée par ceux qu’on aime et qui nous aiment que rend sensible cet album. Comme toujours avec Anne Herbauts ces questions existentielles sont traitées sans forcer, sans s’appesantir, avec à la fois gravité et légèreté. La poésie de l’autrice parvient, avec des moyens simples à rendre présente cette absence, à parler de ce lien intergénérationnel, de la façon dont les disparus continuent à vivre en nous, tout en disant aussi la liberté d’aller plus loin, de vivre sa propre vie, magnifiquement symbolisée par les oiseaux qui s’envolent dans les dernières pages.

Un riche album, qui fait appel à tous les sens, pour dire tout ce que nous portons en nous de ceux qui nous ont précédés, sans tristesse, sans pathos, mais avec une grande confiance dans les destinées individuelles.

La Capucine (Les filles du siècle)

La Capucine (Les filles du siècle)
Marie Desplechin
L’école des loisirs, « Médium », 2020

Dansons la capucine, Y’a pas de pain chez nous…

Par Anne-Marie Mercier

Deux romans de la trilogie « Les filles du siècle » avaient paru en 2004 et 2005, Satin grenadine et Séraphine. Ils présentaient de beaux portraits de filles et de femmes libres au XIXe siècle ; l’une des héroïnes était issue de la bourgeoisie, et rêvait d’émancipation, l’autre, une orpheline issue du peuple, vivait à Montmartre, après la Commune et cherchait les traces de ses parents dans les décombres des espoirs du « temps des cerises ».
La Louise de La Capucine (titre de la fameuse chanson qui donne le ton au roman) vit à Bobigny, mais on la voit souvent à Paris, où elle se rend pour vendre les légumes du « marais » qu’elle cultive sous les ordres d’un maitre brutal, qui la bat, dont le fils étrange est de peu de ressource. La mère de Louise a dû la laisser pour aller travailler à Paris. Une vielle voisine, Bernadette est son seul appui, un appui bien faible. Mais un beau jour Bernadette. (qui pense être habitée par Victor Hugo) vient aussi à Paris et fait découvrir ses talents de médium à une dame de la bourgeoisie qui l’installe chez elle pour épater ses amis et chasser les fantômes… Grâce à Bernadette, Louise rencontre bien des gens, et parmi eux, brièvement, Alexandre Dumas, le fameux métis qui a une chevelure pareille à la sienne.
Réveils au petit matin, trajets de la banlieue au « ventre de Paris », en carriole, en péniche, à pied… dialogues savoureux, cris de Paris, errances… Marie Desplechin nous emporte avec une magnifique écriture et un rythme soutenu dans un autre temps, fait de sensations, de bruits et de couleurs, d’étrangeté aussi. On s’y bat et on se bat : il faut cela pour survivre, dans le monde des misérables, ouvriers agricoles, domestiques, forts de halles, bateliers… Mais on est comme Louise plein de vie et d’espoir, d’amour du métier et de fierté. Et on rit aussi, et le lecteur également.
Et si tout finit bien, ce n’est pas par un mariage. Louise, comme les autres filles du siècle, fabrique elle-même son destin, avec une énergie et une ténacité digne d’une héroïne, et avec un caractère affirmé bien campé dans la belle couverture de ce volume.

Père Montagne

Père Montagne
Sara Donati
Rouergue 2021

Ainsi est ma vie, pierre, comme toi (León Felipe)

 

Par Michel Driol

Agathe, petite fille de la ville, participe pour la première fois à un camp dans la montagne. Elle s’y sent étrangère à tout : les autres enfants ont des habitudes et des savoir-faire qu’elle ne possède pas. Elle s’enfuit et chute. C’est là qu’elle se sent en communion avec la nature et la montagne, qu’elle commence à regarder avec un autre œil. De retour au camp, elle se sent à sa place, tandis que la montagne s’interroge sur les humains…

Trouver sa place dans la nature, voilà ce dont parle cet album. L’héroïne, habituée à la ville, aux codes urbains, a tout à apprendre lorsqu’elle se retrouve en pleine montagne. Mais cet apprentissage n’est pas seulement celui de techniques (monter une tente ou traverser un torrent), il est surtout philosophique. Au cours de sa chute, Agathe perçoit la montagne comme un être vivant, qui rit. C’est alors qu’elle devient sensible, dans son propre corps, à la vie de la nature, à son cycle (celui des fleurs qui naissent et se fanent) comme à sa permanence. C’est cette expérience sensible du monde que montre l’album, celle de la nature qui peut se révéler à qui la regarde. Tout tourne autour du symbolisme des pierres. D’abord le prénom Agathe,  et une note à la fin de l’album rappelle opportunément que ce prénom est aussi le nom d’une pierre protectrice selon les anciens. Puis le cadeau d’une petite pierre offert par son père, cadeau jugé sans valeur au départ, et jeté, puis retrouvé et investi d’une valeur moins sentimentale que métaphysique, symbole de la juste place qu’on occupe dans le monde, ni trop grand, ni trop petit, entre l’immensité du cosmos – les étoiles vues comme autant de petits cailloux lumineux – et l’infiniment petit des insectes qui peuplent la nature. De façon très pascalienne, l’album invite à sentir la place de l’homme dans un univers à la fois minéralisé et vivant. Cela passe par un renversement des perceptions, ce que l’album montre parfaitement lorsque le sens de lecture est modifié au moment de l’expérience que fait Agathe : elle peut alors nouer un lien primordial avec la nature, fait de simplicité et de modestie, proche d’une vision orientale du monde.

Les illustrations, très expressives, ne cherchent pas forcément le réalisme des couleurs, mais sont plutôt en harmonie avec les sensations et les états d’esprits d’Agathe.

Un album pour questionner la place que nous occupons dans l’univers, à partir d’images simples et sensibles.

Le processus

Le processus
Catherine Verlaguet
Editions du Rouergue, 2021

Deux pilules dans ma main

Par Christine Moulin

Des livres qui ont un thème « sociétal » comme il est de bon ton de dire maintenant, on peut tout craindre. Un roman qui traite de l’avortement d’une adolescente de 15 ans peut donc susciter a priori la méfiance. Mais il faut le dire, le titre est déjà un bon point: pourquoi Le processus? Le format est un autre atout: court, le récit démarre sec et reste efficace, centré sur l’essentiel. Centré sur l’essentiel qui n’est pas forcément ce qu’on croit: bien sûr, le choix que doit faire l’héroïne, Claire, est au cœur de l’histoire. Mais pas seulement: tout ce qui est attaché à cette décision et la rend complexe, effrayante, tout ce qui en fait une forme d’initiation, a sa place dans ces quelques pages, sans pour autant donner l’impression de fourre-tout ou de superficialité: la découverte de la force du désir,  la spécificité des amours adolescentes, les difficultés de communication dans un couple quand le corps de l’une est en jeu, sans que l’autre puisse réellement la comprendre, la déception devant la lâcheté de celui qu’on croyait aimer, la nécessité de se défendre contre les adultes qui se veulent trop protecteurs et qui ne sont pas toujours à la hauteur, l’obligation de grandir plus vite qu’on ne voudrait. L’efficacité est encore renforcée par le parti pris d’insérer les dialogues comme des répliques de théâtre, qui claquent, évitant les incises lentes et convenues. Enfin, bien sûr, c’est la personnalité de Claire qui fait de la lecture de ce bref roman un moment dont on se souvient: intelligente, sensible, elle se cherche, souffre, résiste, trouve sa voie et affirme sa liberté. Sans mièvrerie, sans que rien ne paraisse caricatural, elle propose une vision attachante et encourageante des jeunes filles d’aujourd’hui.

La pré-histoire de Boucle d’Or

La pré-histoire de Boucle d’Or
Paule Battault – Géraldine Cosneau
Casterman 2021

A la recherche de la maison idéale

Par Michel Driol

Prequel, disent les anglais, antépisode disent les québécois. Voilà que le genre touche aussi la littérature de jeunesse, où il fait bon ménage avec les salades de contes. Boucle d’Or est à la recherche de la maison idéale, qu’elle veut tout de suite. Or  l’une est trop petite, l’autre trop haute, ou trop humide, ou trop froide… Ne reste plus que la maison des trois ours et l’histoire peut commencer…

Chacune des maisons visitées est celle d’un personnage de conte, et l’on reconnaitra aisément le Petit Poucet, Raiponce, ou le Petit Chaperon Rouge. Le dispositif narratif, avec un rabat pour voir l’intérieur de la maison, invite le lecteur à faire une hypothèse sur le conte ainsi évoqué, à partir de quelques indices donnés par le récit. L’auteure reprend ici le principe du conte en randonnée, dans lequel la même situation se reproduit un certain nombre de fois, pour le grand plaisir du lecteur qui revisite ainsi les grands contes de notre culture.

A la fois précises et stylisées, les illustrations nous conduisent dans le monde des contes, des forêts qu’on traverse et où il fait toujours beau, peuplées d’animaux sympathiques.

Un album plein d’humour, qui fait de l’héroïne une petite fille capricieuse et exigeante, recherchant ce qui lui conviendra le mieux, comme un clin d’œil aux autres contes, et qui reprend avec esprit le refrain de Boucle d’Or « trop petit, trop grand » pour l’adapter à d’autres situations.

Je balayerai la terre

Je balayerai la terre
Susie Morgenstern – Chen Jiang Hong
Saltimbanque – 2021

Des gestes simples pour sauver la planète

Par Michel Driol

L’album commence par une première double page dans laquelle on parle de la Terre et on s’adresse à un tu. Puis c’est un « je » enfantin qui développe une série de gestes propres à sauver la planète, pour être digne de la confiance qu’elle place dans le bon sens humain. Recycler, réparer, consommer moins, trier, éviter le gaspillage… pour profiter des fruits et légumes offerts en abondance. Et l’album se termine sur une double adresse, à la terre d’abord, au lecteur ensuite pour l’inviter, comme le personnage du livre, à  délivrer la planète.

Ecrit avec des mots simples, le texte se veut facilement accessible à tous. Il fait assez souvent appel à des rimes, sans doute moins pour avoir un côté poétique que pour se faire slogan, facile à mémoriser. Il se fait donneur de leçons, de conseils, pour « remettre sur pieds la Terre », qui est le véritable personnage de l’album, personnage ambigu, à la fois mère nourricière, chérie, et bébé dont il convient de prendre soin. Il met en évidence cette relation particulière que les hommes devraient entretenir avec leur planète sans dramatiser quant à l’urgence climatique. Il s’agit donc plus ici de sensibiliser les enfants au respect de l’environnement.

Les illustrations, très colorées, jouent sur différentes nuances et différentes ambiances :  le bleu de la planète terre, des océans et du ciel, le rouge des fleurs et des fruits, mais aussi le noir pour dire les déchets, le gaspillage, le noir qui menace d’envahir les pages si on n’y prend garde. Présent dans chacune des doubles pages, l’enfant et là, serein et souriant, chevauchant une baleine ou méditant, écrivant ou rangeant sa chambre. Les illustrations prennent parfois un côté surréaliste comme lorsque des racines poussent sous les poubelles.

Un album écrit à hauteur d’enfant pour montrer que de petits gestes peuvent beaucoup, et inviter les lecteurs à réfléchir aussi, sans leur faire la morale, sur l’impact de leurs actions quotidiennes sur la Terre.

Antigone sous le soleil de midi

Antigone sous le soleil de midi
Suzanne Lebeau
Editions théâtrales jeunesse – 2021

Qu’est-ce que gagner veut dire ?

Par Michel Driol

Antigone et sa famille ont-ils encore quelque chose à nous dire aujourd’hui ? C’est cette question, posée par le Coryphée, qui traverse ce texte de Suzanne Lebeau.

Trois personnages seulement pour raconter l’histoire d’Antigone : Antigone et Créon, bien sûr, ainsi que le Coryphée, façon de renouer avec l’essence même de la tragédie grecque. Dans une perspective très pédagogique (au bon sens du terme), ces personnages racontent l’histoire de la famille d’Antigone : celle de son père Œdipe, celle de ses frères, celle de Thèbes et de la peste qui la frappe. C’est comme terme à cette histoire que les « événements », comme dit le Coryphée, qui constituent le destin d’Antigone, se situent.

Cette réécriture du mythe toujours actuel par Suzanne Lebeau vaut, en particulier, par sa relecture des personnages, en particulier celui de Créon. Créon se réfère à la loi, mais la loi, c’est à lui, pour la première fois, de l’édicter, avec des doutes, et il a le sentiment de ne pouvoir l’abolir, faute d’y perdre sa crédibilité. Roi débutant, il ne sait pas comment faire, et a tout à apprendre. Antigone, dont Suzanne Lebeau explique ans la postface qu’elle voulait écrire, sans y parvenir, l’enfance, affiche sa calme détermination, entre souvenirs heureux de la vie de famille d’avant et le désastre du présent. On lit pourtant à travers le texte l’enfance heureuse d’Antigone dans une famille aimante, et ce qui l’a poussée à devenir ce qu’elle est.  On est dans un théâtre du récit plus que de l’affrontement : certes, la scène mythique de l’opposition entre les deux personnages existe bien, mais elle n’est pas centrale ici comme dans les autres versions de la tragédie. Elle s’inscrit dans le fil d’une histoire où il n’y a ni vainqueur, ni vaincu, mais des doutes et des questions.

La force du texte de Suzanne Lebeau est sans doute de poser plus de questions que d’apporter des réponses, invitant le lecteur à s’interroger sur les significations actuelles de cette histoire du préambule à l’épilogue. La pièce expose que le mythe repose sur des secrets de famille, sur la façon dont les meilleurs intentions du monde – sauver un enfant – peuvent conduire aux plus grands drames. Ce sont bien des questions morales qui se posent, sur le lien que nous pouvons entretenir avec la parole : ce sont bien les questions essentielles du théâtre.

Un texte très actuel, qui vise à mettre à la portée de tous l’histoire d’Œdipe et d’Antigone, et aussi de faire réfléchir sur notre propre vision du monde.

 

 

Hirondelle, Mademoiselle Mangetou

Hirondelle, Mademoiselle Mangetou

Hirondelle
Géraldine Collet, Olivia Cosneau
Sarbacane, 2020

Mademoiselle Mangetou
Nicolas Codron, Julie Colombet
Sarbacane, 2020

Petits carrés animaliers

Par Anne-Marie Mercier

Ces deux albums cartonnés, livres à systèmes, proposent deux orientations différentes. L’un, Hirondelle, est un documentaire montrant la vie des hirondelles sur une année : du printemps où elles créent leur nid à l’automne où elles migrent, l’hiver où elles restent au chaud, et enfin le printemps où tout recommence. Dessins très stylisés et donc bien lisibles, couleurs douces, sont un premier plaisir. L’autre plaisir est celui des rabats, aux dispositifs très variés, qui introduisent une surprise, un rythme. On découvre ce qui est caché, ou la suite d’un mouvement…

Dans Mademoiselle Mangetou, le temps est très court : on suit le trajet de l’appétit de la gloutonne chenille en suivant son corps en accordéon qui traverse les pages, passant par une fraise (« trop sucré ! »), un morceau de fromage (« trop gras ! »), une botte en caoutchouc (« trop vide »), pour finir sur une feuille bien verte (qui la satisfait enfin).

Très maniables, jolis, lisibles, voilà de beaux objets pour les petits.

 

Siegfried et le dragon

Siegfried et le dragon
Pierre Coran, Charlotte Gastaud
Flammarion (Père Castor), 2021

Super héros touchés par la grâce

Par Anne-Marie Mercier

Pierre Coran et Charlotte Gastaud poursuivent leur adaptation de classiques de la littérature, de contes, ou de légendes : après La Flûte enchantée et Roméo et Juliette, voilà le célèbre épisode de la légende des Nibelungen adaptée par Wagner qui renait ici en superbes images. Les noirs profonds, les ors, les rouges, se découpent dans des décors de forets stylisées ; le dragon est très noir et très effrayant et Brunehilde est très belle et très blanche ; des vignettes traitées avec délicatesse en noir et blanc avec des touches d’or, charmantes, donnent un ton plus léger.
Le texte met bien en avant les traits saillants du héros de l’épisode : l’enthousiasme et la jeunesse, la force et la beauté. Et à la fin… c’est La colombe qui gagne : les héros amoureux  s’enfuient sur un grand cheval noir, abandonnant richesse et gloire pour vivre d’amour. La bête est morte, morte le venin !

Les Victorieuses ou le palais de Blanche

Les Victorieuses ou le palais de Blanche
Laetitia Colombani, Clémence Pollet
Grasset jeunesse, 2021

Un palais pour les femmes sans toit

 

Par Anne-Marie Mercier

Reprenant le dispositif de destins croisés utilisé par Laetitia Colombani dans son roman au titre semblable (en Livre de poche), cet album pour la jeunesse remplace le personnage de la jeune femme d’aujourd’hui (peu apprécié d’ailleurs par la critique du « Masque et la plume » au moment de la parution du roman) qui faisait le pendant de Blanche par une héroïne enfant : Sumeya a cinq ans ; elle est partie d’Afrique avec sa maman pour venir à Paris, où elle a trouvé refuge dans le « palais de la femme », un hôtel situé à Charonne, racheté par Blanche Peyron et son mari pour l’Armée du salut.
Salma, la réceptionniste, lui raconte l’histoire de Blanche, une histoire d’émancipation, de voyage, d’amour (la rencontre avec son mari, salutiste, est joyeuse, autour d’une découverte de la bicyclette et de multiples chutes). Document sur l’action d’une femme du XIXe siècle qui ne s’est pas laissée enfermée dans le rôle que l’on voulait lui assigner, évocation du travail d’une association caritative particulière, au service des plus démunis, constat de ses réussites et du travail qui reste à faire, c’est un album gai, très coloré, dans lequel on insiste davantage sur les réussites dans le domaine de l’accueil des réfugiées que sur les carences. Il n’ y a pas de misérabilisme, mais pas non plus d’aveuglement, pas de religion, ni d’austérité rébarbative, beaucoup d’élan et de jeunesse : les femmes sont des « victorieuses », ou sont en passe de le devenir.