RC 2722

RC 2722
David Moitet
Didier Jeunesse, 2020

Ce n’est pas Mad Max…

Par Christine Moulin

Tous les ingrédients sont là, en ordre de marche: nous voilà plongés dans un monde post-apocalyptique où l’eau manque, où une pandémie créée par l’homme décime les populations, où s’affrontent des bandes rivales, où la survie implique sans cesse la méfiance et la violence. Le héros, un jeune homme de 17 ans, Oliver, celui qui se pose des questions, qui n’est pas tout à fait satisfait de la façon dont vont les choses, est entraîné dans un roman d’aventures qui se veut haletant. Il doit se tirer de situations inextricables et il y parvient, bien sûr, sans pour autant être vraiment sûr de lui ni de ce qu’il tente. Une fois qu’il est sorti de son abri, il est happé dans un road movie où se succèdent combats, trahisons, rebondissements de toutes sortes. Et même, même… il rencontre l’amour en la personne de l’ombrageuse Tché. Parallèlement, il visite son passé et, nouveau Télémaque, va à la recherche de son père, grâce à un implant qui lui permet de vivre les événements à travers ses yeux: c’est là un élément original qui permet des retours en arrière intéressants. La vision du monde que propose l’auteur, sans être pesamment moralisatrice, incite à privilégier la lutte collective et le plaisir d’être ensemble. De quoi se plaindrait-on?

Tous les éléments sont là, donc, mais justement… Rien n’est très surprenant. Sauf le beau personnage du Fossoyeur, Joker héroïque, qui donne une réelle profondeur à l’ensemble. Rien que pour lui, la lecture vaut le détour.

Mon papy perce-neige

Mon papy perce-neige
Betina Birkjær & Anne Margrethe Kjærgaard
Didier Jeunesse 2021

Quand les mots s’en vont…

Par Michel Driol

Bout-de-Chou va souvent voir son papy Kay et sa mamie Gerda. Le premier cultive plus d’une centaine de fleurs dans sa véranda, dont il connait les noms latins. La seconde fait des mots croisés. L’un des passe-temps favori, ce sont les puzzles. Mais un jour Kay ne retrouve plus certains mots, que Bout-de-Chou ramasse et enferme précieusement dans une boite. Au fil des saisons, Kay perd de plus en plus de mots, ne sait plus où il est, et quitte la maison  en chaussons  par une nuit d’hiver. Gerda prend alors conscience de ce qui se passe, et Bout-de-Chou a l’idée d’une fête pour Kay.

Le sujet, on le voit, est sérieux, mais il est ici traité avec poésie, à hauteur d’enfant. En effet, c’est la fillette la narratrice, que la dernière phrase, au présent, montre comme en filigrane à l’âge adulte, gardant encore vivace le souvenir de son grand-père amoureux des fleurs et des mots. L’album aborde avec tendresse les relations entre grands-parents et petite fille, au travers des rites d’un cocon familial chaud et plein d’amour, même lorsque la maladie se déclare. Maladie non nommée, bien sûr, mais évoquée à travers ses symptômes : la perte de mémoire, la perte de repères, et la réaction des autres, comme la volonté de ne rien voir de la grand-mère. Les illustrations accompagnent cette dégradation du grand-père, la suggérant au travers des mots écrits sur le sol, puis de couleurs qui se refroidissent avec l’arrivée de l’hiver et la progression de la maladie, mais aussi au travers des fleurs, luxuriantes dans les premières pages, et qui fanent de plus en plus. La fin n’est pas pessimiste : les couleurs reviennent lorsque la grand-mère prend conscience de la situation, et métaphoriquement décide de s’occuper des fleurs, tandis que le grand père retombe en enfance, symbolisée par le lapin de ses souvenirs que Bout-de-Chou lui offre et qu’il caresse. Les illustrations, particulièrement travaillées, offrent à voir et comprendre avec sensibilité ce que le texte évoque.

L’album joue donc sur une émotion retenue, perceptible surtout dans la dernière phrase, pour évoquer le drame que constitue pour l’individu et ses proches la maladie d’Alzheimer – une partie du prix de vente est d’ailleurs renversée à l’Association France Alzheimer. Il ne se veut ni misérabiliste, ni tragique, occulte bien sûr certains aspects, mais choisit de mettre l’accent sur les relations entre les personnages et les réactions pleines d’amour de l’enfant face à ce qui le dépasse et qu’il ne comprend pas.

Bastien ours de la nuit

Bastien ours de la nuit
Ludovic Flamant & Sara Gréselle
Versant Sud 2020

Rêves imbriqués…

Par Michel Driol

Sébastien, sans domicile fixe, se prépare à passer une nuit dehors en plein hiver, dans une ville. Une fois endormi dans ses cartons, Bastien, un ours, sort de son corps et arpente la ville. Il y rencontre une dame avec ses chiens, un violoniste. Il rêve à un monde ancien, à la forêt, puis vient retrouver le corps de Sébastien.

Comment parler de la misère aux enfants ? Cet album apporte une réponse qui fait la part belle à l’imaginaire. Il y a cette figure imposante, inquiétante et tranquille de l’ours qui arpente la ville, véritable roi déchu (sa couronne est celle des rois de l’Epiphanie…), à la rencontre d’autres marginaux, d’autres exclus comme lui. Il y a les rêves qui s’enchainent, Bastien comme le double nocturne de Sébastien, à la façon du Cidrolin des Fleurs bleues de Raymond Queneau. Au cœur de l’album est enfoui le rêve d’un temps ancien, d’avant la ville, comme un paradis perdu, désormais inaccessible.  Le texte, concis, laisse la part belle à l’imaginaire du lecteur et à l’illustration : la grisaille de la ville le soir, le marron de la fourrure de l’ours, quelques taches de vert (une couverture, un lampadaire, des billets), comme une marque d’espoir ou de nature dénaturée. On le voit, c’est la sobriété qui prime à la conception de cet album pour dire la solitude, l’errance nocturne, la fatigue aussi.

La fin se veut à la fois ouverte et énigmatique : Bastien, c’est la chaleur de Sébastien en allée faire un tour… Au lecteur d’interpréter ce rapport entre les deux personnages, ce mouvement de va-et-vient, ce jeu entre le repos et le mouvement, le sommeil et l’errance, le réel et le rêve.

Un album onirique, sans moralisation, pour dire la solitude dans la ville, la misère des sans-abris, la force du rêve…

Pas l’ombre d’un loup

Pas l’ombre d’un loup
Natali Fortier
Rouergue 2021

Un Petit Chaperon Rouge à la mode du Québec

Par Michel Driol

Marcel et Giselle (voir Marcel et Giselle) sont inquiets. Leur grand-mère Lisette n’est pas venue pour la fête de leur père Eustache. Ce dernier est trop occupé par les préparatifs de la Saint Jean, son restaurant, la cabane à sucre… Ce sont donc les deux enfants qui vont parcourir les saisons pour aller chez leur grand-mère, qui habite au cœur de l’hiver. Traversant le Saint Laurent à l’aide d’une baleine, ils trouvent un loup dans le lit de la grand-mère, avec de grands yeux, de grandes oreilles, de grandes mains… Un loup qui sert de modèle à leur plasticienne de grand-mère. Rassurés, les enfants n’ont plus qu’à traverser le printemps pour rentrer chez eux.

Cette réécriture du Petit Chaperon Rouge  reprend à la fois les codes du théâtre (ce sont les personnages qui parlent), du conte oral, et de l’album pour les illustrations en pleine page (voire en double page), avec un vocabulaire qui fleure bon le Québec. Elle place les personnages au cœur de la nature, omniprésente et luxuriante : animaux (cela va du loup à la baleine, de l’orignal à la paruline à capuchon doré et aux multiples oiseaux qui peuplent les illustrations), plantes (arbres et fleurs des illustrations). L’espace devient temps : le voyage se fait au travers de quatre saisons, dont un hiver tellement long que l’autrice suggère de relire la page six fois pour en éprouver la durée. Symboliquement, on passe ainsi du début de l’été de la jeunesse à l’hiver de la vieillesse. C’est bien la thématique du lien entre les générations propre au conte original qui est ici renouvelée avec poésie. Toutefois, sa morale est à l’inverse de celle de Perrault ou de Grimm : le loup n’y est pas l’animal sauvage, dangereux pour les petites filles ou leur grand-mère, mais au contraire un puissant adjuvant capable de guider et d’aider les enfants dans leur quête de leur grand-mère. C’est ce qu’il annonce à la fin, et, du coup, on se reprend à feuilleter à nouveau l’album et y découvrir, cachés dans les illustrations, de nombreux loups dont on ne sait pas s’ils constituent une menace ou une aide. Quels sont dès lors les dangers qui menacent les deux enfants ? Des fantômes dans le ventre de la baleine, un diable et une tête de mort. La figure du loup est ainsi repensée comme source d’inspiration (on songe à John Chatterton détective d’Yvan Pommaux), mais aussi comme figure d’une alliance possible entre la nature sauvage et l’humanité. L’illustration de couverture est alors pleine de sens : les dents du loup sont des lutins bienveillants et souriants, et le loup lui-même devient une allégorie de la terre porteuse d’arbres et de végétation.

Les illustrations de Natali Fortier (des pastels grattés à la plume, de la peinture à l’huile…) sont remplies de détails que ne renierait pas un Jérôme Bosch : animaux fantastiques, créatures mi-végétales, mi-animales,  oiseaux gigantesques… Rien d’inquiétant pourtant dans cet album qui invite à voir différemment le monde qui nous entoure.

Une réécriture inventive et très contemporaine du Petit Chaperon Rouge.

Le Faiseur de rêves

Le Faiseur de rêves
Laini Taylor
Gallimard jeunesse (pôle fiction), 2020

De la bibliothèque aux étoiles

Par Anne-Marie Mercier

Comme bien des héros, Lazlo Lestrange est orphelin et ne sait rien de ses origines – une partie de l’intrigue tourne autour de cette question : il en saura plus à la fin, pour son malheur sans doute. Sa passion est de percer le mystère d’une cité magnifique dont le nom a été effacé de toutes les mémoires, mais pas le souvenir, et dont il rêve souvent. Devenu aide bibliothécaire, il lit tout ce qu’il peut sur ce sujet, jusqu’aux lettres et archives de comptes (il y a de très belles pages sur la magie des bibliothèques et la passion pour la savoir). Il a face à lui un autre héros, qui incarne la figure du prince : Thyon, personnage solaire, beau, riche et noble, est un alchimiste acharné et doué et pourrait être celui qui sauvera le royaume affaibli grâce à ses découvertes. L’alliance improbable (et dangereuse pour Lazlo) des deux personnages est l’un des éléments de l’histoire.
Lorsqu’une délégation étrangère, venue de la fameuse ville mystérieuse, objet de tous les rêves de Lazlo, arrive pour demander de l’aide à leur peuple, les deux héros seront de l’aventure et l’intrigue, jusqu’ici assez simple dans un contexte de lutte de pouvoir, de distinction de classes et de secret, se complexifiera : les dieux de la citée que l’on croyait perdue ont été tués mais leurs enfants fous sont toujours là, prisonniers d’un vaisseau qui flotte au dessus de la cité. Il y a parmi eux une fille qui n’a jamais grandi et qui trame des projets de vengeance en manipulant les morts de la ville qu’elle met en esclavage, une autre qui fait pousser les plantes, un autre qui est maitre de la pluie mais aussi des orage et enfin une fille qui s’insère dans les pensées des habitants pendant leur sommeil et leur insuffle d’horribles cauchemars. En entrant dans les rêves de Lestrange, celle-ci voit d’étranges choses et une belle histoire d’amour tragique nait, à travers le rêve tout d’abord, qui pourrait réconcilier les deux mondes si Laini Taylor voulait bercer son lecteur. Or, c’est de cauchemars qu’il s’agit.
C’est un roman très ambitieux, qui mêle différentes traditions de l’imaginaire, du conte au récit de fantasy ou même de la mythologie et met en scène des personnages qui se complexifient progressivement, tous torturés par des désirs et des obligations contradictoires.

A la mer

A la mer
Emma Giulani
(Les grandes Personnes) 2021

Raconte-moi la mer

Par Michel Driol

On retrouve Prune et Robin – les deux personnages de Au jardin –  au bord de la mer. Ce documentaire animé les conduit dans les dunes, sur le plage, au port, à bord d’un bateau, sur une ile, puis enfin au départ d’une expédition océanographique.

On découvre ainsi une véritable encyclopédie de l’univers maritime, avec sa flore, sa faune, mais aussi les techniques spécifiques liées à cet univers : la signification des bouées, le fonctionnement d’un phare, ou encore la valeur des pavillons de marine. Il s’agit donc d’un ouvrage documentaire très complet, qui répondra à de nombreuses questions que se posent les enfants. La présentation est soignée et ludique, avec de nombreux rabats à soulever qui rendent cette exploration attrayante. Les textes sont accessibles dans leur syntaxe, mais ont parfois recours à un lexique de spécialiste en général bien reformulé pour le mettre à la portée des lecteurs et des lectrices. Les illustrations, souvent conçues à la façon d’un imagier, sont précises et pleines de détail.

Un documentaire animé, pédagogique, de très grand format, qui se termine en insistant sur les dangers courus par la mer et les animaux marins.

Le Grand Voyage de Quenotte

Le Grand Voyage de Quenotte
Jessica Minerve
Didier Jeunesse 2021

Sortir du terrier…

Par Michel Driol

Les lapins aiment rester entre eux, bien à l’abri dans leurs terriers. Mais voilà que, pour attraper une carotte, Quenotte se retrouve dans un mauvais trou, puis sous l’eau, confrontée à un géant velu et griffu. Prise de panique, Quenotte se construit un terrier dans lequel le géant dépose de la nourriture. Découvrant qu’il n’y a pas que les carottes dans la vie, Quenotte se met à explorer le monde, les arbres, y découvre d’autres animaux, et fait d’autres expériences. Tout le monde l’aide à retrouver son terrier… qui s’ouvre à d’autres que les lapins !

Avec beaucoup d’humour, cet album aborde des thèmes très actuels : le communautarisme, la peur de l’autre, les préjugés. Il montre, en effet, comment les habitudes, les routines, enferment, à la manière des lapins dans leur terrier, et interdisent d’aller vers l’autre, l’ailleurs, perçus comme des menaces. Il montre aussi la lente découverte de l’autre, sous la forme d’une espèce de tamanoir bienveillant, qui comprend le problème de Quenotte, lui vient en aide, déclenchant alors son envie d’explorer le monde, quitte à prendre des risques non mesurés (comme une tentative pour voler !). La bienveillance des autres s’avère illimitée et génératrice de nouveaux plaisirs et jeux. L’héroïne passe ainsi d’une vie sédentaire et monotone à une vie plus trépidante qui lui ouvre de nouveaux horizons. Cette leçon de vie est donnée avec un humour omniprésent. Ce sont d’abord les nombreux panneaux qui parsèment l’univers des lapins : du « Stop ! Frontière » au « On t’avait prévenue », ces panneaux définissent un univers mental fait d’interdictions, de mises en garde, ou de sagesse populaire (« Le bonheur est à portée de carotte ») qui définissent l’univers lapin autant que les nombreux détails du terrier tant en surface qu’en coupe. Les illustrations, aux tendres couleurs d’aquarelle, reprennent souvent les techniques de la BD pour multiplier les détails curieux et amusants. Et qu’importe que les lapins ou les chèvres ne grimpent pas aux arbres, et n’y dorment pas, l’utopie de cet univers  suspendu dans le ciel, loin des souterrains, fait plaisir à voir ! Le personnage de Quenotte enfin est particulièrement touchant, dans sa crainte du monde, mais aussi dans ses yeux grands ouverts, pleins d’étonnement.

Loin des préjugés et du politiquement correct, un album jubilatoire, tendre, et plein de malice !

Dans ta tête

Dans ta tête
Matthieu Maudet
L’Ecole des Loisirs, 2021

Les neurosciences pour les tout-petits

Par Christine Moulin

Le fait est bien connu: le cerveau ne connaît pas la négation et il suffit de dire à quelqu’un de ne pas pas penser à quelque chose pour qu’il y pense! C’est sur ce principe qu’est fondé l’ouvrage Dans ta tête, un album répétitif qui devient progressivement une histoire, grâce à la collaboration et à l’imagination du lecteur, sollicitées dès la première page: « Bonjour! Pour cette lecture, je vais avoir besoin de toi et surtout de ta tête! ». Les personnages et les divers éléments du récit sont introduits petit à petit de façon paradoxale, et comique: il NE faut PAS penser à un éléphant, à un parapluie, etc. et bien sûr… ce qui doit arriver arrive! Du coup, le tout-petit peut, sans coup férir, se rendre compte que lire, c’est se représenter les choses, faire des liens entre elles pour transformer le catalogue en événements qui se succèdent et qui sont liés par des relations de cause à effet, mais surtout… qui font rire! Le format cartonné, les illustrations colorées, très lisibles, la typographie qui met en relief les mots importants sans didactisme intempestif, tout est au service de cette métacognition subtile et joyeuse! Et last but not least, l’auteur n’a pas oublié la petite note tendre en forme de dédicace: sur la quatrième de couverture, qui pose la question clé, « Et là tu penses à quoi? », une réponse se glisse discrètement: « Moi, c’est à Abel. »

Esther Andersen, Timothée de Fombelle

Esther Andersen
Timothée de Fombelle
Gallimard jeunesse, 2021

 

Vacances inoubliables

 

 Maryse Vuillermet

 

Un petit garçon va chaque année en vacances chez son oncle Angelo. Or, cette année-là, il décide de rouler en vélo plus loin que d’habitude, et il découvre en même temps la liberté, la griserie du lointain, la plage, la mer et l’amour fou d’Esther.

C’est difficile de décrire la grâce et la beauté de cet album. Le texte dresse avec délicatesse le portrait de l’oncle, son originalité, sa fantaisie, son désordre mais surtout son amour immense pour le petit vacancier qu’il comprend sans paroles.  Cet oncle est si farfelu et si pauvre qu’il pourrait faire honte au petit garçon, mais quand il s’agit de retrouver un chien perdu, il est à la hauteur de la situation, il fait preuve d’intelligence « je fais mes déductions, je connais mon affaire », d’intelligence du cœur.  Et ce petit garçon qui n’a jamais vu la mer, est-ce honteux, il demande à Esther « tu trouves ça bête ? ça te fait rire ?  Non. »  En un mot, voilà le petit garçon rassuré, et toute l’histoire est de la même veine, tout est suggéré, effleuré.

L’album raconte aussi la liberté, le bonheur simple de ces moments, l’amour immédiat pour Esther, sa recherche.

Les dessins d’Irène Bonacina s’accordent à cette douceur, elle dessine la grâce des silhouettes légères d’Esther, de l’oncle Angelo et du petit garçon, les paysages de la côte, l’immensité de la mer et l’émotion de la première baignade…

 

La fourmi, l’oiseau et le vaste monde

La fourmi, l’oiseau et le vaste monde
Niels Thorez, Valérie Michel (ill.)
Editions courtes et longues, 2021

Fable cruelle

Par Christine Moulin

 

Une fourmi croit avoir fait le tour du monde et le connaître parce qu’elle a pris la carte pour le territoire, ou plutôt la mappemonde pour la terre. Son orgueil et sa suffisance sont évoqués dès le début de l’album: sur la première double page, elle est affublée d’une ombre immense mais, à peine la page tournée, le lecteur doit la chercher pour la dénicher sur le globe où elle se tient. Un dessin ici vaut mieux qu’un long discours. Pourtant, un long discours, il y en aura un: celui de la fourmi qui veut absolument raconter ses aventures d’abord à une salle vide, puis à un oiseau à qui on ne la fait pas et qui la remet à sa place, par ses propos (« Mais vous êtes plutôt fanfaronne, menteuse/Qu’exploratrice, nomade, globe-trotteuse »), et par un coup d’aile qui, littéralement, envoie la fourmi au tapis.

Comme il se doit, le narrateur nous délivre la morale de cette fable, en vers, s’il vous plaît, comme au bon vieux temps. Le lecteur apprend donc à se méfier des « charlatans qui ont leur orgueil pour étalon ». A l’heure où l’on se vante, sur les réseaux dits sociaux,  des « meeeerveilleux voyaaages » que l’on a faits, à l’heure, surtout, où, quel que soit le domaine, le paraître compte plus que la vraie connaissance faite d’humilité et d’expérience,  la leçon peut être précieuse. Mais pour les jeunes lecteurs, il faudra sans doute en accompagner la découverte car le vocabulaire, la syntaxe et même le propos sont exigeants et pourraient paraître ardus. Il est vrai que les splendides illustrations qui jouent sur les échelles aident vraiment à la compréhension et contribuent beaucoup au plaisir de lire cet album.