Et Hop ! et La Course

Et Hop !
Malika Doray
L’école des loisirs (Loulou et Cie), 2020

La Course
Malika Doray
L’école des loisirs (Loulou et Cie), 2020

Menues histoires pour les petits

Anne-Marie Mercier

Voilà deux nouveaux Malika Doray, avec ses drôles de bestioles colorées, heureusement identifiées par leurs noms (renard, lapin, chauve-souris font une joyeuse farandole). Ce sont deux menues histoires (ou non-histoires?) rythmées par des vers de mirliton dans des albums cartonnés aux bords arrondis, parfaits pour les tout petits.

Pas d’histoire, aucun évènement marquant, mais une question brûlante dans Et Hop ! : que faire d’un enfant qui crie en attendant son repas ? Le père crocodile le confie à une fourmi, qui l’envoie à un renard, etc. Comme les animaux n’ont rien à lui donner à manger ses cris se poursuivent jusqu’à ce qu’il revienne à son point de départ : les bras de son papa et le lait qu’il attendait. Toutes ces étapes sont marquées d’un « hop ! » qui lance le rebond et qui rythme le plaisir de la répétition, chaque étape introduisant un nouvel animal coloré et croqué de manière très stylisée.

La course prend son départ sans que l’on sache vers où (à l’arrivée on verra que c’est l’école) : chaque petit animal (sauf ceux qui sont trop petits pour aller à l’école) part, à pied, à dos de papa, en avion… et en emportant qui son doudou, qui son tee-shirt préféré, etc.
Le trajet vers l’école devient un jeu, un parcours de petits obstacles drôles, jusqu’à l’arrivée. Et la maitresse et l’Atsem, elles courent ? non, elles font une belle arrivée pleine de dignité.

 

 

Les Elèves de l’ombre

Les Elèves de l’ombre
Anaïs Vachez
Casterman 2020

Prof maléfique

Par Michel Driol

Jade entre en cinquième, la boule au ventre, car elle n’a pas vraiment d’ami au collège. Mais le pire est qu’elle a un nouvel enseignant de français, M. Erbenet, qui plus est son professeur principal , un homme inquiétant, sévère, qui pour un rien colle les élèves. Et après les heures de colle, ces derniers sont métamorphosés, deviennent à la fois vides et élèves modèles. Qui est-il vraiment ? A l’aide d’Adry, Jade mène l’enquête…

Les lecteurs ados aiment à avoir peur, et on se souvient du succès de certaines collections. Ce roman, de la collection Hanté, chez Casterman, reprend un certain nombre de caractéristiques du roman d’épouvante pour ados : un milieu familier, le collège, un personnage inquiétant qui semble doté de pouvoirs surnaturels, une transformation progressive des personnages, une héroïne qui risque à son tour d’être transformée mais finalement permettra de rétablir l’ordre et d’éliminer le mal. La narration est conduite avec efficacité, narration à la troisième personne qui établit une distance entre le narrateur et ses personnages. On a donc affaire à un bon « page turner », qui confronte une adolescente au mal, incarné ici par un des tenants de l’autorité morale, un professeur, adolescente que l’épreuve fera grandir tant dans ses rapports avec sa mère qu’avec les autres.

Une histoire juste assez cruelle pour mettre à distance ses propres terreurs sans en être traumatisé.

Le Fils du Père Noël

Le Fils du Père Noël
Nadja
L’école des loisirs, 2020

La vie secrète du Père Noël

Par Anne-Marie Mercier

Si vous voulez tout savoir sur les secrets de la vie du Père Noël, vous en apprendrez beaucoup : on y découvre sa maison, qui semble toute petite, vue de l’extérieur (telle que nous le montrent les cartes de vœux). En réalité (enfin, selon Nadja dont on connait l’inventivité et l’humour caustique), elle possède un nombre infini de pièces, chacune dédiée à une occupation des lutins – ceux-ci ne manquent pas d’imagination pour occuper leurs longues 364 soirées tranquilles. Le Père Noël se tient ordinairement dans son salon (bureau-chambre-salle de réflexion-home cinéma), à regarder sa série favorite avec de jolies lutines… Son majordome, un lutin qui tient à se faire appeler Alfred (en hommage à celui de Batman…), tente de faire régner l’ordre et y arrive en gros jusqu’à l’arrivée, dans un paquet cadeau, d’un enfant, le propre fils du Père Noël. On imagine le désordre que ce petit être insupportable et braillard (voir la couverture) va mettre dans ce petit monde paisible.

Le texte est drôle et les dessins ne le sont pas moins. Voila le mythe revisité, juste un tout petit peu égratigné, il reste de quoi faire rêver avec cette maison, sa forêt enneigée et ses rennes susceptibles.

 

Bien rangés à l’école

Bien rangés à l’école
Elo
Sarbacane, 2020

Range ta classe !

Le petit théâtre de l’école, c’est aussi bien la cour que le couloir, le dortoir, la cantine, la classe. Tous ces lieux sont représentés très colorés et très pleins : pleins d’enfants-patates aux nez pointus, de sexe indéterminé, de diverses couleurs (bleus, rouges, rose, vert…), très actifs et coopérants, quand ils ne sont pas rêveurs et contemplatifs, et plein de meubles, de décorations, d’objets de toutes sortes (aquarium, crayons, ciseaux et colle, papier hygiénique, gâteaux, chaussons..).

Toute cette animation sans parole se combine avec celle que propose le dispositif : un disque à faire tourner sur lequel apparaissent toutes sortes d’objets lorsqu’ils se trouvent face aux découpes de la page. Ainsi, il faut chercher où placer la chaussette qui se promène dans un endroit incongru, sortir les biscuits de la table où l’on dessine, découpe et colle, remettre le serpent dans le vivarium, attribuer à chacun son doudou, et ne pas mélanger les bottes et les bonnets…
Il y en a des choses à ranger, désigner, commenter ! Cet album est un support drôle pour nommer les choses, les apprivoiser… et peut-être apprendre à ranger en comprenant la logique de chaque classement. Malin !

Le Dernier Petit Singe

Le Dernier Petit Singe
Sarah Cohen-Scali
Casterman 2020

Piège diabolique ?

Par Michel Driol

Devant se rendre en voyage scolaire aux Etats-Unis, Karim voit sa photo d’identité refusée par l’agent chargé d’établir son passeport, qui l’envoie à trente kilomètres de là dans un centre commercial pour y faire LA bonne photo qui conviendra. Y arriver n’est pas aisé. Le GPS a du mal à fonctionner. Mais la cabine a un fonctionnement étrange : elle donne des pièces et des billets de 5 €, puis se transforme en un cube qui emprisonne le héros. Pour en réchapper, il est contraint d’accepter une mission. Commence alors un angoissant compte à rebours… qui conduit Karim une nuit, seul dans son appartement, à assister à d’étranges phénomènes.

Voilà un roman complexe qui s’inscrit parfaitement dans le genre fantastique et offre de nombreux rebondissements propres à maintenir une atmosphère inquiétante tout au long du récit. D’abord par les personnages, comme l’employée de la mairie, vieille femme à l’allure de sorcière malfaisante, qui va envoyer le héros en mission. Ensuite parce que la mission du héros ne se révèle à lui que par bribes : qui est la jeune fille à sauver dont il reçoit l’image ? Par l’atmosphère de peur qui envahit peu à peu le roman, et culmine dans cette soirée que le héros passe seul dans l’appartement de ses parents. Enfin parce que la Mal n’est pas là où on l’attendait, et renvoie au un mal présent dans notre société, que l’on ne révélera pas, bien sûr, ici. C’est ainsi que la fin du roman bifurque vers un roman plus social, invitant à ne pas adopter la posture des trois singes qui sont aveugles, sourds et muets, mais au contraire à réagir. Tout au long du texte le fantastique est mis en abyme, laissant le lecteur se questionner sur la frontière ténue entre le rêve et la réalité, avant de réapparaitre à la fin, comme une espèce de pirouette ou de clin d’œil.

Un roman fantastique de qualité qui parle aussi de notre monde où l’horreur existe.

De l’embarras au choix

De l’embarras au choix
Romane Lefebvre
CotCotCot éditions, 2020

Le choix du choix

Par Christine Moulin

Romane Lefebvre nous offre son premier album et fait preuve, à cette occasion, d’une certaine audace. Ne serait-ce que par la place du texte: à la dernière page, il vient à la fois nous rappeler notre lecture, la conforter dans ses hypothèses et la relancer car il est clair alors que certaines choses nous ont échappé et qu’il vaut mieux vérifier.

De quoi est-il donc question dans cet album sans/avec texte? D’un petit bonhomme au visage tout rond, visiblement seul sur terre (est-ce sur terre? Le décor est réduit à l’essentiel), tristement recroquevillé sur son lit. Sous sa porte se faufile un tapis rouge. Il le suit. Mais bientôt, se présente un embranchement, vers la gauche, un autre chemin, orange celui-là. Le héros tire à pile ou face et continue sur le chemin rouge. Mais le voilà perdu dans le labyrinthe du doute et du regret. Il repart en arrière. Le tapis orange devient voie ferrée. Et c’est ainsi que le lecteur va pouvoir accompagner ce bonhomme attachant dans ses pérégrinations souvent semées d’embûches car le sol se dérobe sous lui et le précipite dans la blancheur existentielle de la page. Seul élément quasi permanent: ce ruban qui se métamorphose et ressemble décidément de plus en plus au parcours que la vie nous im/propose. Le lecteur souffre avec le personnage, participe à ses efforts, ressent son angoisse et c’est donc avec soulagement qu’il assiste à sa renaissance: au sortir d’un tunnel bordé de vert, le personnage chausse des lunettes couleur d’espoir et sourit. Il est revenu chez lui mais tout a changé: sa maison est en couleurs, la cheminée fume, notre héros s’installe tranquillement dehors et profite du soleil. Il semblerait que le voyage qu’il vient de faire ait été tout intérieur, à travers la dépression et le désespoir. Mais il pourrait tout aussi bien s’agir de l’évolution qui mène des tourments de l’adolescence à la sérénité de l’âge (plus) mûr.

Voilà donc un album audacieux, par son thème et son traitement. Réduit à l’essentiel, il parvient à matérialiser les tourments psychiques, à les suggérer en laissant au lecteur la part de liberté qui lui permet de projeter sur cette aventure minimaliste les accidents de sa vie intime. Il lui ouvre aussi la voie vers une lecture plus métaphysique: c’est bien le regard que nous posons sur les choses qui les colore et c’est au terme d’un cheminement vers l’acceptation de ce qui est que nous pouvons enfin jouir du présent. Mais chacun pourra sans doute donner un sens un peu différent à ce trajet car la sobriété du dessin, sans être sèche ou abstraite, éveille bien des échos chez le lecteur qui peut alors « porter un nouveau regard. Quelque part. »

PS: le livre est « imprimé en Europe sur papier issu de forêts gérées durablement ». Comme dirait Guillaume Gallienne, « ça peut pas faire de mal ».

Son héroïne

Son héroïne
Séverine Vidal
Nathan – Court toujours 2020

Relation toxique

Par Michel Driol

Rosalie, par sa présence d’esprit, sauve Jessica agressée par son voisin, dans le tram. Puis, petit à petit, Rosalie va s’imposer dans la vie de Jessica, qui vire insensiblement au cauchemar.

Son héroïne est le récit des relations entre deux jeunes filles de milieux sociaux différents (l’une est fille de petits commerçants, travaille comme caissière), l’autre est professeure des écoles. L’une est fiancée à un garçon coiffeur, Marlon, l’autre vit dans le souvenir d’un amour perdu, Armand. L’une veut sauver l’autre de sa condition, en lui faisant découvrir des expositions, des lieux, mais ne peut se passer d’elle, et va jusqu’à mentir pour l’attacher à elle. Mais qui est vraiment Rosalie ? Comment en arrive-t-elle à gifler un enfant ? Qui est vraiment Armand ? La force du texte est de ne pas répondre directement à ces questions, mais à conduire le lecteur petit à petit à se les poser, pour procéder à des renversements constants de l’évaluation de ce personnage : est-elle une héroïne ? une harceleuse ? une victime ? Le lecteur doit donc reconstituer le puzzle, à partir de pièces qui finiront par s’emboiter à la fin. L’autre force du texte est de jouer sur le sentiment d’oppression qui s’empare du lecteur dès le début, et qui ne se dissipe pas vraiment à la fin. Entre mensonges et vérités, manipulation et naïveté, ce sont toutes les gammes de la folie humaine qui se présentent devant lui, avec ce qu’elles comportent d’étrangeté dérangeante, alors que l’auteur les inscrit dans un quotidien dépeint avec un grand réalisme.

Un roman dont le lecteur ne ressort pas indemne…

Court toujours est une nouvelle collection intéressante proposée par les Editions Nathan, des récits brefs, d’une cinquantaine de pages, s’adressant à des adolescents ou à de jeunes adultes qui ont décroché de la lecture, accessibles en trois versions : papier, numérique, et une version audio, écrits par des auteurs jeunesse confirmés, et qui ne prennent pas leurs lecteurs pour des enfants.

Cache cache carotte

Cache cache carotte
Maria Jalibert
A pas de loups, 2020

Cherche et trouve arcimboldien

Par Christine Moulin

Dès la couverture, on comprend le principe: l’image de la grosse carotte que laisse attendre le titre est formée de petits jouets en plastique, à la manière d’Arcimboldo. Cela suffirait à notre bonheur mais en plus, nous sommes embarqués, à la suite d’un lapin auquel le narrateur s’adresse dès la première page (« Lapin, vois-tu une carotte dans ce jardin? ») dans une quête charliesque tout à fait délicieuse puisque nous voilà sommés dès le début de trouver, à défaut d’une carotte dont on devine déjà qu’elle se fera désirer, trois grenouilles (bon, facile: euh, quoique…), deux chameaux et trois dromadaires (ça, c’est traitre!), un balai, un crabe, un bison… (j’en passe et des meilleures). Et le jeu de se poursuivre ainsi de page en page, grâce à l’accumulation d’objets monochromes (ou presque) qui dessinent des paysages et des décors tous plus ludiques les uns que les autres. Le texte est goûteux également puisqu’il s’amuse à faire des variations sur la question posée au lapin qui, décidément, ne trouve pas sa carotte! La chute est bien trouvée et engage, bien sûr, à repartir pour un tour!

On peut voir l’atelier de l’auteur ici.

Comme un homme

Comme un homme
Florence Hinckel
Nathan – Court toujours 2020

Traque en montagne

Par Michel Driol

Passant pour une fois quelques jours en hiver dans le chalet où il ne vient qu’en été avec sa mère, Ethan – un jeune homme de 18 ans – se retrouve nez à nez avec un homme, son grand-père, qu’il n’a jamais vu. Et le voilà parti à la traque de cet homme, avec la seule intention de le tuer. Cette traque le conduira, à la limite du conte merveilleux, dans l’antre d’un ours.

Comme un homme est un récit exigeant parce qu’il ne cherche pas à tout expliciter, et laisse au lecteur une part importante du travail de reconstitution de puzzle à partir des indices laissés ici ou là, de compréhension des non-dits. Quel est le secret dont la mère a voulu protéger son fils en punissant son propre père ? De quoi ce grand-père – personnage en général présenté comme sympathique dans la littérature jeunesse – est-il coupable ? Le texte de Florence Hinckel brise ainsi les codes et les perspectives auxquels les lecteurs sont habitués : disons-le d’emblée, il n’y aura pas le happy end auquel on peut s’attendre, la réconciliation, il n’y aura pas non plus de fin tragique. Le roman se tient sur une ligne de crête, s’inscrivant dans les codes du récit d’aventure en pleine nature, façon Jack London, pour questionner la masculinité aujourd’hui : qu’est-ce que grandir, devenir un homme, être confronté à des secrets, et finalement, accéder à son premier mensonge d’homme ? Est-ce faire preuve de courage, d’absence d’émotion, ou au contraire céder à la colère ? Le texte est le portrait d’un jeune homme durant une période de crise, portrait mêlant souvenirs et actions, dans une langue souvent poétique, épurée, travaillée, rythmée pour marquer les obsessions, la souffrance.

Un récit très contemporain pour parler avec sensibilité et intelligence des secrets de famille.

Court toujours est une nouvelle collection intéressante proposée par les Editions Nathan, des récits brefs, d’une cinquantaine de pages, s’adressant à des adolescents ou à de jeunes adultes qui ont décroché de la lecture, accessibles en trois versions : papier, numérique, et une version audio, écrits par des auteurs jeunesse confirmés, et qui ne prennent pas leurs lecteurs pour des enfants…

Nimbo

Nimbo
Olivier Douzou
MeMo, 2005

Métaphysique du nuage

Par Anne-Marie Mercier

Nimbo, petit nuage, pas encore un Nimbus, découvre la vie : il se fait un ami et le perd car celui-ci (un arbre centenaire), malgré son allure solide, disparaît. Il en rencontre un autre, qui lui ressemble (un bonhomme de neige), et comprend qu’il n’est pas non plus fait pour durer – et que lui-même n’est pas fait pour rester. Il apprend les larmes, la colère, « tonne et s’étonne »…
A travers son apprentissage de la perte, sa tentative de se reconnaitre en autrui, l’idée de l’évanescence des choses et des êtres, ce petit Nimbo nous fait voyager dans la pensée. Les images donnent au nuage un air d’enfant  et proposent des décors schématiques sur fonds monochromes (le plus souvent bleu ciel ou bleu nuit), comme la maison ou l’arbre, deux symboles de l’enracinement, en formes très simples.

Voilà des questions lourdes abordées par un être léger et avec une apparente simplicité. Voila un album qui n’est petit que par la taille.