L’Etranger

L’Étranger
Chris Van Allsburg
Traduction (anglaise, USA) de Chrisitane Duchesne
D’Eux, 2022

            Allsburg solaire

Par Anne-Marie Mercier

Un nouvel album de Chris Van Allsburg est un tel événement qu’on ne va pas se priver de le célébrer plutôt deux fois qu’une (et n’est-il pas publié par les éditions D’Eux ?). Je renchéris donc sur la belle chronique de Christine Moulin dans lietje qui célébrait sa beauté et sa générosité. C’est un album solaire, aussi bien par ses couleurs (magnifiques, aux crayons de bois, qui rappellent un Allsbug coloriste que l’on connaissait depuis Boréal express et surtout L’Epave du Zéphyr), que par son histoire. C’est aussi comme la plupart de ses albums, une énigme à laquelle chaque double page semble donner un fragment de réponse sans que jamais le puzzle ne soit complet.
Tout se passe en fin d’été, dans une belle lumière rasante, même lorsque l’automne semble avoir gagné tous les bois avoisinants : l’étranger amnésique et muet, recueilli par la famille Bailey après un accident, aurait-il le pouvoir, par sa présence, d’arrêter le temps ? ou bien le cycle des saisons ? D’autres pouvoirs semblent l’habiter : il est infatigable, il a un contact particulier avec les animaux, un souffle qui est comme le vent, une température anormale… Mais sa présence est une bénédiction pour tous. Qui est-il ? et d’où lui viennent ces vêtements étranges, en cuir brut ?
Devant ces belles images parfois étranges, le temps s’arrête en effet et on aimerait rester encore un peu avec cet étranger, ou du moins y revenir souvent, comme le suggère la dernière double page. Un automne trompeur est bien là, pour un perpétuel recommencement, invitant à reprendre la lecture au début.

Tout se transforme

Tout se transforme
Tony Durand
Møtus, 2022

Images imaginaires

Par Anne-Marie Mercier

« Rien ne se perd, rien ne se perd, tout se transforme ».
Cette phrase de Lavoisier est illustrée de bien des façons. Elle invite le lecteur à se souvenir que les objets en bois ont été des arbres, que l’eau a voyagé avant de venir jusqu’à nous, etc.
Mais très vite on décolle du réel : le tuyau d’arrosage se souvient qu’il a été serpent, le glaçon qu’il a été iceberg… Puis des questions viennent : d’où vient la musique ? comment arrêter le temps ?
Les images faites de papiers découpés aux couleurs et textures variées sont drôles, poétiques, vont loin…

 

La Reine des grenouilles ne peut pas se mouiller les pieds

La Reine des grenouilles ne peut pas se mouiller les pieds
Davide Cali, Marco Somà
Traduit (portugais) par Alain Serres
Rue du monde, 2022

La résistible ascension d’une reinette

Par Anne-Marie Mercier

Cet album paru au Portugal a été publié en France par Rue du monde en 2013. Il vient d’y être réédité; il est toujours d’actualité, surtout en ces temps où l’on s’interroge sur la dimension politique de la littérature de jeunesse (voir la chronique sur le livre de Christian Bruel).

Tout commence pourtant dans la lignée du conte : une bague tombe dans l’eau et une grenouille s’en empare ; cela nous approche de « La Princesse Grenouille » ou du « Roi Grenouille », deux contes célèbres qui commencent par la chute d’un objet dans une mare. Mais ici point d’humains pour lancer l’histoire : les grenouilles s’en chargent elles-mêmes. La bague posée sur la tête de la découvreuse devient une couronne et voici que le petit peuple du marais a une reine qu’il doit nourrir, distraire, et à qui il doit obéir – pourquoi demande l’un, vite puni. Mais un coup du sort rendra la bague à l’eau (et aux amoureux qui l’y avaient fait tomber) et le peuple grenouille retrouvera sa liberté.
C’est une belle fable sur la servitude volontaire et les ressorts de la soumission. Cela peut inviter à s’interroger sur les ressorts de l’autorité : qui doit commander ? Faut-il que quelqu’un commande ? A-t-il tous les droits ? Jusqu’où faut-il obéir ? etc.
Les images sont étranges et magnifiques, dans un décor de verts et de bruns délicats, avec des batraciens vêtus comme des vacanciers d’une autre époque, occupés à de multiples activités heureuses jusqu’à ce que le goût du pouvoir de l’une  et de quelques autres s’en mêle.

S’il en faut plus pour vous convaincre, écoutez une belle analyse dans l’émission l’as-tu lu mon p’tit loup ?

Les Nuits magiques de Nisnoura

Les Nuits magiques de Nisnoura
Jean-François Chabas – Alexandra Huard
Ecole des Loisirs – kaléidoscope – 2022

Ensorcelée…

Par Michel Driol

Nisnoura est une petite fille ordinaire, fille d’un directeur de théâtre et d’une mère costumière dans un pays oriental. Le jour de ses trois ans, elle découvre son mobile en pièces dans son lit. A sept ans, elle retrouve les magnifiques costumes du prochain spectacle en lambeaux. Et, à neuf ans, invitée chez une amie, elle constate des inscriptions sur les murs de la chambre, malveillantes pour cette amie et sa famille. Pleine de honte, elle fuit le village, et trouve refuge dans un palais désert, où elle découvre le pouvoir de ses cheveux, véritables serpents. Alors un mendiant lui révèle l’origine de la malédiction qui pèse sur les fillettes aux yeux verts nées le mois de la lune rousse, et le moyen de s’en débarrasser.

Les premières pages donnent le ton : un monde partagé en quatre royaumes, des personnages inquiétants, des dons extraordinaires, tout ceci pour créer un effet d’attente lié à ce mystérieux royaume de l’Est et à cette petite fille. Dans une ambiance proche des Mille et une nuit, dans un pays oriental lointain, mais contemporain, cet album propose un conte dont la simplicité apparente, celle de son récit, celle de son écriture, aborde des problématiques féministes avec ce pas de côté propre à la fiction. C’est une histoire de malédiction et de libération qui nous est proposée ici. Malédiction millénaire pesant une petite fille, bien innocente, liée au refus d’une autre femme d’épouser un puissant sorcier. Malédiction liée aux cheveux, aux belles et longues tresses qui s’animent le nuit et prennent leur autonomie pour agir, essentiellement mues par jalousie. Malédiction qui conduit la jeune fille à l’exil… Tout cela ne parle-t-il pas de la condition de la femme, aujourd’hui, pas seulement dans certains pays orientaux ? De ces femmes victimes et accusées, alors qu’elles ne sont coupables de rien, et ne peuvent que s’étonner de ce qu’on leur fait subir ? C’est aussi quelque part le thème de la sorcière qui est abordé, c’est-à-dire celui d’une femme jugée par les autres pour des pouvoirs prétendument diaboliques, mais également celui du double, du bien et du mal qui coexistent en nous, comme dans Docteur Jekyll et Mister Hyde. Mais le fort de cet album est de montrer que cette malédiction peut être vaincue par la volonté de celle sur qui elle pèse, voire se retourner à son profit, ce que montre, non sans malice, la fin de l’histoire qu’on laissera au lecteur le soin de découvrir. Bien sûr, le conte parle de cela, mais il en parle à travers l’imaginaire d’une fiction, au travers d’un récit plein de vie, épousant autant que possible le point de vue de son héroïne, dans une langue qui décrit avec précision et pittoresque les richesses de ce monde oriental. Particulièrement soignés, les dialogues campent les personnages et leurs interactions, leurs doutes, leurs colères, leurs peurs, leur sagesse aussi. Les riches illustrations d’Alexandra Huard sont pleines de détails pittoresques elles aussi, et contribuent à plonger le lecteur dans cet univers coloré d’un Orient imaginaire, entre désert et palais hindou. A noter l’adroite utilisation des mosaïques pour évoquer les légendes et le surnaturel au début de l’histoire, façon de planter un décor hors du temps, mosaïques que l’on retrouvera lors de l’illustration des propos du vieux mendiant.

Sous forme de conte oriental, une belle histoire féministe bien actuelle, pour prouver que « les filles ne sont pas si faciles à tourner en bourriques », un récit d’initiation intrigant pour apprendre à dominer les malédictions, ou le destin auquel nous serions condamnés.

Laurent tout seul

Laurent tout seul
Anaïs Vaugelade
L’école des loisirs, 2022

… comme un grand

Par Anne-Marie Mercier

Ce grand album à couverture cartonnée est la reprise du livre qui avait été publié en 1996 chez le même éditeur, avec une couverture un peu différente. C’est en effet un « classique », lu et relu, présent dans bien des classes et méritant plusieurs lectures.
Si le titre insiste sur la solitude (la couverture actuelle reprend la page où le héros jouit de son voyage et de la nature qui l’entoure tout en se disant que, à deux, ce serait mieux), l’album est aussi une leçon d’indépendance.
En été, sans école, sans personne avec qui jouer, Laurent le petit lapin s’ennuie : les jeux qui lui plaisaient ne l’intéressent plus et jonchent le plancher ; à la page suivante on les voit rangés, empilés dans un coin, tandis que la pomme qui aurait pu servir de jeu est épluchée. Pour rompre cet ennui, il obtient de sa mère la permission d’une première sortie, d’abord jusqu’à la barrière, mais il va « un tout petit peu plus loin », ensuite jusqu’au châtaignier et il va « un tout petit peu plus loin », puis jusqu’à la rivière, et le long voyage commence… Lors de chaque retour il raconte à sa mère jusqu’où il était allé. Pas de remontrances, mais à la fin elle fait le constat qu’il est devenu grand et qu’il peut à présent voyager seul, ce qu’il fait.
La brièveté du texte, les belles pages aux couleurs franches et les formes simples (proches du style de Solotareff), les angles de vue affirmés et variés, l’élargissement progressif de l’espace, la variation des paysages et des heures, tout cela donne un rythme à l’album. La fête finale à laquelle tous les amis et la mère sont conviés, l’au-revoir, en forme d’adieu à l’enfant, de celle-ci, et la rencontre de celle qui pourrait partager sa vie ensuite font que l’on devine que Laurent ne sera plus jamais seul, et que décidément il est devenu grand.

Déclaré « sublime » par Télérama (voir la belle chronique de Marine Landrot) :

 

 

Une nuit

Une nuit
Grégoire Solotareff – Julien De Man
Ecole des Loisirs 2022

L’étoffe dont sont faites les histoires…

Par Michel Driol

Une nuit, le narrateur, un jeune enfant, entend de drôles de bruits dans le grenier. Il y découvre une malle, qui se révèle être en fait la maison d’un lutin, qui va lui apprendre comment on fabrique les histoires, et qui a conservé toutes les peluches de l’enfant. Malheureusement, celles-ci s’enfuient par la porte entrouverte, et les deux partent à leur poursuite jusqu’à la maison de la sorcière où elles sont réunies, autour d’un formidable gouter : la sorcière attend l’enfant pour qu’il lui raconte des histoires. S’ensuit une bagarre entre le lutin qui veut manger les pâtisseries et la sorcière. L’enfant et ses peluches en profitent pour s’échapper et se retrouver dans le lit, comme autrefois…

Evoquons d’abord les illustrations somptueuses de Julien De Man. Ce graphiste a rencontré Grégoire Solotareff à l’occasion de Loulou, l’incroyable secret. Une nuit est illustré avec  un souci de la lumière qui fait penser aux grands peintres hollandais. L’univers représenté est à la fois apaisant et inquiétant : arbres torturés, clairs obscurs qui nous entrainent dans un monde merveilleux où le meilleur des pâtisseries et des jouets côtoie le plus terrifiant, la nuit et ses ombres, l’inconnu menaçant. Ces décors pleins d’expressivité, ces détails minutieux sont au service d’un récit qui joue avec différents codes et permettra différents niveaux de lecture. C’est d’abord un récit d’aventure fantastique, dans lequel les jouets s’animent, un récit qui fait la part belle aux personnages de contes, comme le lutin et la sorcière. C’est ensuite un récit de rêve ou de cauchemar, dans lequel un enfant part seul explorer le monde nocturne et fait face à ses peurs. Dans ce sens, c’est bien à un récit initiatique que l’on a affaire, c’est-à-dire un récit dans lequel s’effectue un apprentissage à l’issue d’une quête. La nature de cette quête est sans doute la grande originalité de l’album. Le narrateur rêve d’écrire des histoires. L’enseignement du lutin le fait pénétrer dans la fabrique des histoires, qui précède leur écriture, et lui enseigne une manière d’art poétique dont le premier précepte est de ne rien oublier. Ne rien oublier de sa vie, de son enfance sans doute, à voir les peluches souvenirs perdus qui se mettent à prendre vie et, à peine retrouvées, s’échappent pour conduire le héros vers un second personnage symbolique. Dans une atmosphère à la Hansel et Gretel, entourée de pâtisseries trop appétissantes pour être honnêtes, des peluches « comme hypnotisées », la sorcière conserve une ambiguïté fondamentale. Veut-elle les histoires pour elle ? Ou tend-elle un piège pour emprisonner l’enfant ? Quels dangers représente-t-elle, elle qu’il est nécessaire de vaincre pour libérer l’enfant apprenti auteur et ses peluches souvenirs ? Danger de la complaisance, du plaisir facile ? L’album laisse chaque lecteur libre d’interpréter comme il l’entend ce symbole. L’album se clôt sur un présent fragile et tenu, qui est comme un entre-deux entre le futur (j’écrirai cette histoire) et le passé (comme quand j’étais petit), entre le réel et la fiction sans doute aussi.

Un album magnifique autant par sa réalisation (beau papier,  qualité de l’impression des illustrations) que par sa façon d’évoquer les souvenirs d’enfance et les pouvoirs de l’imagination en lien avec la créativité (voire la création littéraire). Du grand Solotareff !

Larmes de rosée

Larmes de rosée
François David / Chloé Pince
CotCotCot 2022

Une salade a besoin de sentir que tu l’attends

Par Michel Driol

Pour accueillir le 25ème Printemps des Poètes

Livret n° 2 de la collection Matière vivante, Larmes de rosée est un court poème de François David, devenu ici album illustré par Chloé Pince. De quoi y est-il question ? De la patience qu’il faut pour faire pousser une salade, ou plutôt du rapport qui se noue entre le jardinier débutant et la salade, qu’il a achetée en pot au marché, et qu’il consommera à la fin de l’ouvrage. A chaque lecteur d’interpréter plus ou moins métaphoriquement ce poème, qui se termine par le rapprochement homophonique entre deux verbes, elle attendait que tu la cueilles / que tu l’accueilles, et qui est dédié à « mes petites pousses ». Il est sans doute autant question d’éducation que de jardinage ici…

Dans une langue toute en retenue, très concrète, adressée à un « tu », figure du lecteur qu’on devine jardinier amateur, le texte évoque ce qu’il faut de patience, de lenteur, de soins dont on ne sait s’ils sont justes ou dans l’excès, de peine aussi pour faire grandir un végétal aussi humble qu’une salade, une matière vivante prise entre ses besoins et son désir de satisfaire le jardinier. Ce face à face qu’on dirait plein d’humanité est illustré d’aquarelles en vert et gris qui se concentrent avec humilité sur le sol, la salade et la terre, montrant ce jeu de développement à la surface, mais aussi le travail souterrain et invisible des racines, montrant aussi le temps qui passe avec le parcours d’une lune dans le ciel. Seule une limace, intrus rouge, vient dire un autre aspect de la vie de la nature.

Un poème plein de délicatesse pour évoquer avec douceur un aspect complexe de nos liens avec le vivant, avec la nature, car cette salade que l’on a fait pousser, on finit par la faire disparaitre en la mangeant.

De drôles de choses

De drôles de choses
François David / Syvie Serprix
Editions møtus –Collection pommes pirates papillons – 2022

Poétique des objets de tous les jours

Par Michel Driol

Pour accueillir le 25ème Printemps des Poètes

Une trentaine de textes, sobrement intitulés les ballons, les lunettes, le miroir, le pot de moutarde, la pierre ou l’assiette : autant d’objets familiers que François David examine, décrit, évoque. Son regard est à la fois précis, posant le concret des objets (leur forme, leurs qualités, leur matière) mais aussi quelque peu décalé, parce qu’il y a la langue qui vient se superposer aux choses. On n’est pas très loin d’un Ponge qui évoquait le parti pris de choses et le compte tenu des mots… Quel rapport entre les chaussons pour les pieds et les chaussons aux pommes ? Le mur n’est-il pas la moitié d’un mur mur e ? La langue vient, en quelque sorte, conduire à revisiter le monde, et c’est bien là l’un des attributs e la poésie de revisiter le lien entre le signifiant et le signifié…

Pour autant, rien de théorique ou de pesant, de lourd, dans ce recueil plein de finesse et d’astuces, qui joue à surprendre le lecteur en posant un regard neuf sur le monde et la langue. Comme un regard d’enfant qui voit apparaitre des liens là où ne pensait pas en trouver, regard de ce « je » aux contours indécis qui dialogue avec un «vous », la communauté des lecteurs, l’entrainant dans cet univers où, « si les draps deviennent des voiles de bateaux », on n’a plus qu’à « dormir sur la mer ». Univers ludique donc, univers qui fait la part belle à l’imaginaire conçu comme une fabrique d’images reposant sur des jeux de mots qui métamorphosent et animent les objets avec humour. Pour autant, le drame n’est pas loin : soucis que la gomme ne peut pas gommer, vieillissement quand le sac ado se fait trop lourd, poupée qui se met à pleurer par empathie pour sa propriétaire, règle incapable de tracer un cercle… Petits drames de l’enfance pourtant, présents mais vite oubliés dans la dernière phrase qui promet le paradis « pour tout le monde ». Voilà une poésie pour la jeunesse qui résolument tourne le dos à la mièvrerie, ou aux jeux gratuits avec la langue, pour donner à voir différemment le monde qui nous entoure dans sa quotidienneté même, une façon de dire que ce n’est pas le sujet éthéré qui fait la poésie, mais un travail qui conjugue le regard et la langue.  Les illustrations très colorées de Sylvie Serprix, qui jouent elles aussi sur le double sens, la métamorphose, la transformation, en particulier avec un intéressant travail sur les ombres et les reflets, sont aussi une ode au pouvoir de l’imaginaire.

Un beau recueil de poèmes qui sait conjuguer une vision naïve du monde et un usage travaillé de la langue !

Jamais, jamais

Jamais, jamais
Marc Solal, Pierre Pratt
Møtus, 2022

Le garçon qui ne voulait pas grandir

Par Anne-Marie Mercier

Un enfant s’ennuie et pour se distraire fait une liste. Pas celle que lui suggère sa mère, celle des choses qu’il aime, mais celle de ce qu’il ne voudrait pas être quand il sera adulte : porter des lunettes, des fausses dents, une cravate… avoir des poils dans les oreilles, un gros ventre, etc. Mais il y a un happy end : on sonne à la porte, c’est son grand-père adoré, qui a des lunettes, du ventre, des poils, etc. Donc, tout finit bien, cet enfant acceptera de vieillir, mais pas tout de suite.
Cet album a le mérite de montrer le regard effrayé de l’enfance lorsqu’elle comprend qu’un jour elle finira comme les adultes qui l’entourent. Le happy end rassurant est-il suffisant pour gommer cette inquiétude?
Les images qui montrent ce petit garçon se transformant peu à peu sans perdre sa bouille ronde sont cocasses, comme le portrait qu’elles nous donnent de sa famille affairée. L’humour est certainement le ton le plus juste pour aborder cette question angoissante pour les uns cruelle pour les autres.

Vite, le loup ! Vite !

Vite, le loup ! Vite !
Coralie Saudo – Teresa Bellón
Amaterra 2022

Il court, il court, le loup…

Par Michel Driol

C’est un loup peintre qui travaille dans son atelier, reçoit un coup de téléphone, et se précipite dehors. Arrivé à l’hôpital, il est d’abord arrêté par mère grand, puis, son bouquet de fleurs à la main, il traverse la chambre où on soigne un petit cochon, blessé à la tête par une brique, une petite fille qui s’est assise sur une trop petite chaise,  un chevreau qui s’était caché dans une horloge, avant d’arriver dans la chambre où l’attendent une louve et ses quatre louveteaux…

Voilà un album en randonnée qui permet de revisiter quelques-uns des contes les plus connus, avec des angles particulièrement originaux. Passons sur le fait que le loup soit artiste et futur papa. Passons aussi sur le dispositif narratif, avec les portes ouvertes qui permettent d’aller d’une double page à une autre, et d’ainsi anticiper quelque peu sur la suite de l’histoire.  Passons sur certains détails pleins d’humour, comme le fait que le loup emporte le bouquet de son atelier pour l’offrir à la fin… La plus grande originalité vient sans doute du lieu où on se trouve, lieu inquiétant pour de nombreux enfants, l’hôpital. On y croise de nombreux personnages, tous souriants, malgré leurs infirmités (Mère grand est dans un fauteuil roulant, et nombreux sont ceux qui ont le bras en écharpe ou les jambes bandées). Cet hôpital est un lieu accueillant dans lequel le loup erre, sans trouver la chambre où il doit se rendre. Et quant aux patients ou à leurs visiteurs, si certains affichent une certaine peur du loup, d’autres se montrent rassurés et savent ce qui attend le loup, au point d’arriver dans la dernière page avec un cadeau qui réussit à rappeler leur propre histoire. Ce sont donc de nombreuses surprises, de nombreux clins d’œil qui attendent le lecteur curieux de les découvrir en explorant les multiples détails de chacune des pages qui représentent l’hôpital selon une perspective faussement naïve. Très intertextuel, l’album détourne les contes avec ce qu’il faut d’humour pour dédramatiser l’hôpital, et susciter l’attention du jeune lecteur jusqu’à la chute, attendrissante.

Un album étonnant pour apprendre aux plus petits à ne plus avoir peur du loup et de l’hôpital, et à se constituer une première mise en relation des histoires qu’ils connaissent.