Alice et le séquoia géant

Alice et le séquoia géant
Sébastien Gayet – Illustrations de Joséphine Forme
Editions du Pourquoi pas 2024

Du pouvoir des arbres

Par Michel Driol

Depuis la mort de sa mère, Alice est élevée par son père, qui n’a d’autre solution que la mettre en colo durant le mois de juillet. Mais, depuis ce décès, Alice est perturbée, solitaire. Dès le premier soir de son séjour, elle disparait, on ne sait où. Nuit après nuit, Alice se réfugie auprès d’un séquoia géant du parc, dans les branches duquel elle se réfugie, et qui lui permet, enfin, de se sentir bien.

En quatre chapitres, Sébastien Gayet brosse avec tendresse le portrait d’une Alice dans un pays de merveilles, fuyant un réel trop difficile à supporter pour se réfugier dans la nature, près d’un arbre consolateur, arbre dont on découvre à la fin qu’il abrite toute une forme de vies invisibles, mais pourtant bien présentes. Arbre qui, comme chez Lewis Carroll, est creux, mais ce n’est pas par son trou qu’il sera lieu de passage. Le récit touche à l’imaginaire et au merveilleux par un autre biais, lorsqu’Alice découvre que le nom de l’arbre est l’exacte anagramme du prénom de sa mère, donnant ainsi tout son sens à ce lien mystérieux. Lien fait d’une double protection, celle de l’arbre, qui protège Alice contre ses angoisses, celle d’Alice, qui se veut protectrice aussi de ce bon gros géant. Le récit, plein de poésie, suit Alice au plus près de ses pensées, de ses sensations (celles des doigts contre l’écorce),  de sa façon de communiquer avec l’arbre. Mais le récit vaut aussi par la bulle protectrice qui s’établit autour d’Alice, dans le parc – bien réel du Château de Soubeyran, où se déroulent les colonies de vacances de la FOL de l’Ardèche – , mais aussi avec le personnage de la directrice et celui du père, personnages bienveillants en retrait, qui semblent avoir tout compris des escapades d’Alice et de son attachement pour l’arbre.

Les illustrations de Joséphine Forme magnifient le bleu nuit, ou celui de l’heure bleue qui sert de cadre au récit. Principalement sous forme de strips, elles s’attachent à montrer la fillette sous différents aspects, ses angoisses dans sa chambre, sa découverte de l’arbre, son escalade, toujours plus haut, jouant sur les contrastes entre l’immensité de l’arbre et la petitesse de l’enfant, entre le blanc de ses vêtements et le sombre de la nuit, jouant aussi sur les cadrages, et les contre plongées pour montrer le ciel.

Que ce soit dans la réalité (construction de cabanes, exploration des branches, accrobranche…)  ou dans la fiction (les arbres-maisons chez Ponti, le Baron perché…), les enfants entretiennent des rapports particuliers avec les arbres. Evitant les écueils de la sylvothérapie,  le récit s’inscrit plutôt dans une poétique de l’arbre, opposant sa verticalité, sa façon de joindre la terre et le ciel, son immensité à la petitesse et à la finitude humaine. Il aborde aussi, avec beaucoup de délicatesse et de pudeur, la question du deuil d’un parent chez les enfants.

Celui qui n’aimait pas lire

Celui qui n’aimait pas lire
Mikaël Ollivier
De La Martinière jeunesse, 2023

Un voyage intime à travers la lecture

Par Loick Blanc

Plongeant dans les méandres de sa jeunesse, l’auteur nous emmène dans ce récit autobiographique derrière lequel se cache le prétexte d’une romance, d’un roman « de gare » où l’attend un train en partance pour un salon du roman policier, et à bord duquel l’attend celle qui deviendra sa femme.C’est une lecture qui parle de la lecture.
Dès la couverture, cette mise en abyme est illustrée par l’image d’un livre dont la 4eme de couverture apparaît également sur celle de notre ouvrage. La mise en avant typographique du « Pas » dans le titre, conjuguée à la représentation de ce jeune garçon, qui semble être au coin, contre cette couverture de livre, mettent en avant ce désintérêt pour la lecture, activité qui est pour lui une punition. Cependant, l’emploi de l’imparfait suggère une évolution en gestation, prélude à un récit où se dessine la métamorphose de cet enfant récalcitrant.
Ce livre se révèle ainsi comme une ode à la lecture, parsemée de références littéraires, retraçant le cheminement d’un enfant qui n’aimait pas lire. Ce qui peut ne pas sembler pas si étonnant que cela finalement… L’auteur dépeint les contours de ce parcours de jeunesse qui l’a finalement conduit à trouver l’amour: celui de la lecture mais aussi celui de sa femme, mettant alors en avant le fait que la lecture peut bouleverser une vie de bien des manières.
Mais ce livre, c’est aussi une œuvre qui déculpabilise les lecteurs qui seraient dans la même situation que cet enfant. En effet, un auteur peut avoir eu un parcours scolaire difficile ou un rapport à la lecture complexe, bien loin de ce que l’on peut imaginer en lisant bon nombre de classiques scolaires. Alors, on réalise que si l’on a du mal à éprouver du plaisir à lire, ce n’est pas une fatalité ; ce n’est peut-être qu’une étape dans la construction de son parcours de lecteur. Il n’y a pas d’âge pour développer un  goût particulier pour la lecture.
C’est donc un livre à mettre entre les mains de ceux qui n’aiment pas (ou pas encore) lire, leur offrant un miroir dans la description du  jeune Mikaël Ollivier, personnage attachant, afin de les rassurer et de leur faire comprendre qu’un jour les graines plantées peuvent finir par germer et faire éclore cet attrait pour la lecture. Il peut aussi intéresser ceux qui aiment lire et qui voudraient faire aimer lire, leur rappelant le processus de construction du lecteur qu’ils sont devenus pour les aider à mieux accompagner ceux qui sont en devenir.

 

Plume et griffe

Plume et griffe
Marta Palazzesi, Ambra Garlaschelli (ill.)
Traduit (italien) par Nathalie Nédélec-Courtès
Seuil, 2024

Mosaique fantastique

Par Anne-Marie Mercier

Comme on le sait, depuis le temps que des gens écrivent, l’originalité vient souvent du recyclage d’éléments anciens et d’un nouvel agencement. Ce livre en est une parfaite illustration. Prenez des orphelins, un garçon et une fille, donnez-leur à chacun un pouvoir différent ; ajoutez un petit brigand astucieux, un château hanté, un incendie, un cirque, un couvent dont la mère supérieure cache un secret, des métamorphoses animales, une malédiction… secouez le tout, placez votre intrigue en Espagne, à Valence, au début du siècle dernier (1904), mettez-y du talent, du suspense, de l’émotion, et ça donne un tout cohérent et captivant.
Ajoutez une mise en forme originale et ancienne à la fois : des illustrations superbes en noir et blanc où les blancs sont lumineux et les noirs d’encre, adoptez une mise en page qui place le texte dans un cadre de feuillages noirs, noircissant ainsi la tranche du livre, mettez de l’or sur le lettrage du titre, et c’est à la fois sombre et beau. Cela rappelle l’esthétique de Jonathan Strange et Mr Norrell (pour adultes, prix Hugo et prix Locus solus 2005) que la BBC a mis en images (« Why is there no more magic done in England? »). Eh bien ici il y a de la magie en Espagne (enfin, il y en avait en 1904).
En un mot, les aventures d’Amparo alias Plume, qui se transforme à l’aube en faucon, et de Tomàs, ou Griffe, qui devient panthère au crépuscule, sont pleines de surprises. Si Amparo sait à peu près qui sont ses parents, Tomàs l’ignore. L’un et l’autre cherchent à comprendre d’où vient leur pouvoir et s’ils sont seuls dans ce cas. Ils enquêtent comme des détectives, avec l’aide de l’efficace Pepe qui fait le lien entre eux et les sort de bien des difficultés.
Leur quête passera par des endroits divers jusqu’à les mener dans le château en ruines d’où tout est parti. Chacun s’accroche à des bribes de souvenirs qui prennent peu à peu forme ; on trouve ici des échos intéressants du Pays où l’on n’arrive jamais (présenté par Marc Soriano comme « la contamination du roman policier et du conte de fée »). Le processus de reconstruction du passé par une mémoire fragmentée n’est pas la moindre des aventures dont ce roman ne manque pas.

Au bout du monde

Au bout du monde
Anna Desnitskaya
La Partie 2023

L’ami(e) trouvé(e)

Par Michel Driol

D’un côté de l’album – et de l’Océan – il y Vera, qui habite au Kamtchatka avec sa mère et sa grand-mère, et dont on partage la solitude et le quotidien fait de gâteaux au fromage blanc, d’un livre préféré, Harry Potter, et d’un chien qui rapporte sa balle de tennis. De l’autre côté de l’album – et de l’Océan – il y a Lukas, jeune chilien qui a quitté avec ses parents Santiago, et dont on partage la solitude et le quotidien fait de burgers, d’un livre préféré, Harry Potter, et d’un chat et d’une passion pour le football. La nuit, sur la plage, les deux enfants envoient, à l’aide d’une lampe torche,  des signaux morse qui traversent l’espace du livre et de l’océan, reliant, par un faisceau lumineux, les deux solitudes.

On apprécie la rigueur de la construction de cet album, qui joue sur les parallélismes entre les vies des deux enfants, séparés par des milliers de kilomètres, pour montrer qu’au fond, quel que soit le lieu où on vit, il y a des constantes universelles de l’enfance : la relation avec la grand-mère, les collections, le gout du secret, les jeux, la passion des animaux domestiques, et, clin d’œil à la mondialisation de la culture, la lecture d’Harry Potter. En commun aussi la solitude et la quête d’un ami, montré comme un fantasme jaune dans les deux situations. Le texte sait jouer sur la simplicité des récits de vie à la première personne et l’émotion car, en allant au spécifique de chacun de ses personnages, il atteint l’universel. Les illustrations, d’une grande précision, montrent les décors de la vie quotidienne, les objets familiers, avec un vrai côté documentaire. Les doubles pages centrales montrent le faisceau lumineux traverser le Pacifique, ses animaux, ses bateaux, sur fond de nuit.

C’est une histoire d’espoir, celle de la rencontre avec un autre qui serait un alter ego, pleine de mélancolie, de poésie et de douceur, qui parle d’un monde à la fois immense et minuscule. La construction habile du livre illustre comment peut se transcender l’espace, la distance et les frontières culturelles pour devenir un appel à la fraternité universelle.

Un mot sur l’autrice, multi primée, qui a quitté la Russie au moment de l’invasion de l’Ukraine, et vit maintenant au Monténégro, et dont toute l’œuvre pour la jeunesse vise à tisser des liens, de ponts entre les cultures.

Po & Zi

Po & Zi
Fanny Pageaud
A pas de loups 2024

Ode à la complémentarité

Par Michel Driol

Roméo et Juliette, Bouvard et Pécuchet, Sylvain et Sylvette, Ranelot et Bufolet, les titres des ouvrages, qu’ils soient pour adultes ou enfants, adorent les couples. Voici donc, sous la plume de Fanny Pageaud, Po et Zi. Page de gauche, imprimé en vert pomme, voici le portrait de Po, ferme, carré, discipliné : une incarnation de l’ordre. Page de droite, imprimé en rose framboise, voici Zi, audacieux, fantaisiste, et résistant : bref, comme une figure du désordre.

Chaque double page propose une opposition entre les deux personnages sur un plan précis. Cela peut être très anecdotique (l’un préfère l’eau plate, l’autre l’eau gazeuse), lié aux activités (l’un fait le potager, l’autre les magasins) ou lié à leur essence propre (l’un met tout en place, l’autre sème la zizanie). Qu’on ne croie pas pourtant que l’un est tout blanc, l’autre tout noir car Po partage et multiplie, et Zi jalouse et divise… Bien sûr, au passage, on aura remarqué la contrainte oulipienne qui vise à saturer de P la page Po et de Z la page Zi… Et on appréciera le rapport qui se joue entre le texte et les illustrations, des tampons (comme dans la sérigraphie) qui proposent un regard parfois décalé sur ce que dit le texte, toujours avec une note d’humour très frais.

Il est évident que l’album propose plusieurs lectures, et on ne peut exclure celle d’une définition de la poésie, définition très métaphorique et prenant en compte la complexité et les métamorphoses mêmes du genre. Poésie disciplinée, soumise aux règles de la métrique et de la versification, ou désobéissante, s’affranchissant de toutes normes et contraintes. Poésie du potager, du jardin qu’on cultive avec soin, ou poésie des magasins, faite d’emprunts, de trouvailles, de circulation de mots et de formes. Chaque double page propose ainsi des oppositions qui renvoient à différents courants poétiques, à différentes approches  de cet univers difficile à cerner. La double page finale réunit enfin les deux pôles pour montrer qu’ils sont indispensables l’un et l’autre. Belle définition de la poésie qui, rappelons ici l’étymologie du mot, est création, c’est-à-dire façon de faire coexister les contraires. !

Personnages antagonistes, définition de la poésie, l’album s’inscrit aussi sans doute dans toute une philosophie orientale, celle du Yin et du Yang, forces opposées dont l’équilibre est à préserver.

On pourra prendre plaisir à jouer avec cet album, à se demander sur chacune ses pages, à la manière d’un test psychologique, si l’on est plus Po que Zi. C’est, en tous cas, une belle et originale façon d’inviter à chercher en toutes choses et en chaque être la singularité et la complémentarité.

Moi et les autres

Moi et les autres
Amanda Cley, Cecilia Ferri (ill.)
Traduit (italien) par Florence Camporesi et Laura Costa
Passe partout, 2023

Être ou ne pas être comme les autres ?

Par Anne-Marie Mercier

Amanda Cley nous propose une réflexion philosophique. C’est une interrogation sur la place de l’homme en société et les choix qu’un enfant doit faire : imiter les autres, voir à travers leurs yeux et faire ce qu’on lui dit pour être accepté par le groupe, pour être protégé, aimé ? ou bien refuser de trahir ce qu’il est, au risque d’être seul, en danger ?
Les illustrations transposent ces questions graphiquement, avec sensibilité. Les enfants sont montrés dans des décors schématiques, parfois minimaux et résumés à un fond blanc, parfois avec des teintes sombres : dans une classe, puis dans une foule, ou en petits groupes, ils portent des déguisements d’animaux. Quant aux adultes, ils sont de vrais loups malgré leur costume humain.
Le groupe, c’est la meute. L’enfant à qui s’adresse cette histoire rédigée en « tu » figure sur la couverture en costume de loup, comme le Max de Sendak mais avec une autre signification : le loup n’est plus le signe de la sauvagerie individuelle et de la libération des pulsions mais indique la soumission à la meute. Ce personnage se dépouille de cette apparence, pour devenir lui-même, seul mais heureux et en paix, et surtout totalement humain.
C’est une belle réflexion, subtile, portée par des images étranges et pourtant parlantes, une fable dans laquelle homme et animal ne font parfois qu’un.
On peut voir quelques unes de ces belles images sur le site de l’éditeur.

Ma mère des banquises

Ma mère des banquises
Didier Lévy – Illustrations de Tiziana Romanin
Les Editions des Eléphants 2023

3 semaines d’absence

Par Michel Driol

La maman de l’héroïne est partie étudier les ours polaires. Impossible de la joindre durant 3 semaines. Mais elle a laissé dans l’appartement une lettre par jour pour sa fillette qui, en échange, tient son journal pour évoquer cette absence, sa vie avec son père.

Evoquons d’abord  le côté très cinématographique des illustrations. Tout commence par un plan large, dans un aéroport, on la fillette et son père, de dos, voient un avion, derrière les verrières. Puis alternent les pages en couleur chaudes, dans l’appartement, ou parfois dans la rue, montrant la fillette et son père, avec un témoin muet, le chat. Des scènes quotidiennes, la vaisselle, le brossage de dents, le câlin pour montrer cette vie à deux. Alternent avec ces pages celles où on voit la mère, couleurs froides, paysages tourmentés de banquise, avec l’omniprésence des ours blancs, dessinés, photographiés. Ces illustrations opèrent un vrai travail de montage pour rendre encore plus sensible cette histoire de séparation, d’éloignement.

Ensuite le texte, celui du journal de la fillette, journal destiné à la mère. Elle évoque la situation qu’elle trouve douloureuse, à la fois fière de ce fait sa mère, et en même temps, désireuse de ne pas la voir s’éloigner ainsi. Des phrases simples, un vocabulaire d’enfant, pour dire ses sentiments et raconter  au quotidien le temps qui passe lentement, les routines, et la tendresse de la relation qui se noue avec son père. Le texte fait preuve de finesse et d’une grande sensibilité, sans aucune espèce de mièvrerie. La fillette montre en fait une grande maturité dans sa façon de vivre l’absence, de comprendre et d’accepter la passion de sa mère, de ne jamais lui en faire le reproche.

 Enfin, la situation. Ce n’est pas le père qui part explorer le monde, c’est la mère la scientifique, la voyageuse. Cela mérite d’être souligné, pour ce que cela dit aussi de la volonté d’émancipation que manifeste ici la littérature pour la jeunesse, en déconstruisant simplement les stéréotypes, pour rappeler que l’essentiel est dans la relation et dans l’amour, et que chacun peut vivre ses passions.

Un album tout en douceur pour évoquer la situation vécue par de nombreux enfants lorsque, pour des raisons professionnelles, un des parents est obligé de partir au loin.

J’adore les pirates

J’adore les pirates
Scerenelli Quarello, Maurizio A. C. Quarello
Sarbacane, 2023

Encyclopédie pirate

 

Par Anne-Marie Mercier

Qui sont les pirates ? et comment les distinguer (ou non) des flibustiers, des corsaires… Que mangent-ils ? que chantent-ils ? on saura tout grâce à ce documentaire : leurs pavillons, leurs bateaux, les lieux qu’ils fréquentent, les pirates célèbres…
On apprendra aussi du nouveau sur ce sujet, peu évoqué d’ordinaire : leurs liens avec le pouvoir royal, l’importance des femmes pirates… Une rubrique, à chaque double page, intitulée le « secret du pirate » livre de nombreux détails, des mystères, des histoires de trésors, de trahisons. Tout un monde de roman documenté.
Il reste que les aspects cruels, s’ils sont évoqués, ne sont pas mis en avant (voir le titre, un peu racoleur), ce qui permet de conserver le folklore tout en faisant croire au sérieux du document.

Poiravechiche

Poiravechiche
Jacqueline Held (comptines), Tina Mercie (ill.)
Grasset jeunesse (1973), 2023

Légumes, chiffres et villes

Par Anne-Marie Mercier

Le « concept éditorial » du livre est de François Ruy-Vidal, « un des grands noms de l’édition pour enfants ». Il l’a développé dans une collection créée chez  Grasset, « 3 pommes », « pour les enfants hauts comme trois pommes » ; cet album est l’un des premiers, autant dire qu’il a valeur patrimoniale. Au-delà de cet aspect historique, il a gardé son charme : on reconnait le graphisme souple des années 70 (ah les pochettes des disques des Beatles !), aimant les illusions et les volumes. On se réjouit de ses couleurs vives qui ont réveillé toute une palette de nuances longtemps mises de côté dans les publications pour la jeunesse : orangé, violet, rose, vert pomme…
Les comptines de Jacqueline Held, pionnière de la poésie pour enfants, sont simples et craquantes comme les légumes qui en font le sujet. Ils sont le sujet mais non le cœur, car le principal, c’est le langage et ses possibles :

Six radis
Trottant lundi
Sur la route de Paris
rencontrent un soulier gris.
Un gros rat s’en étonna :
« Radis, radis que m’a-tu dit ? »
Le gros rat rit.
Le radis dit :
« Le soulier gris, c’est mon ami.
Sur la route de Paris. »

Les autres poèmes (betterave, artichaut, poireau, chou, citrouille…, tous différents, sont tout aussi musicaux, surprenants, drôles (oh, l’oignon de Vancouver !) et inventifs ; les illustrations sont aussi belles que de belles planches de botanique. Voilà de quoi reposer la fourmi de dix-huit mètres de Desnos, épuisée d’avoir parcouru tant de classes !

Mon grand-père, ce robot

Mon Grand-Père, ce robot
Sabine Revillet
Éditions Théâtrales, jeunesse, 2022

Vive la (vraie) vie !

Par Anne-Marie Mercier

Que devient-on quand on est mort ? Comment faire revivre ceux qui ne sont plus? Quand Jacques, le grand-père d’Angie (9 ans) et de Jérémie (12 ans) meurt, ceux-ci hésitent entre espoir (Angie) et scepticisme (Jérémie). Angie veut croire en la réincarnation ; elle guette celle de son merveilleux grand-père : ce sera ce chat apparu le lendemain. Jérémy passe les croyances de sa sœur au crible du raisonnement et de l’expérience, ce qui produit des instants comiques.
Quant à leur mère, elle refuse d’accepter la mort de son père et décide d’acheter un robot qui l’imitera au mieux – tout en étant capable d’accomplir certaines tâches ménagères, autres instants comiques. Il faudra bien des grincements, quelques déraillements robotiques et déconvenues pour que chacun accepte le fait qu’une machine ne peut pas remplacer un être humain. Pourtant, ce robot-là est parfois vertigineusement humain, en particulier lorsqu’il s’interroge sur la notion d’attachement…
Entretemps, le fantôme de Jacques sera intervenu pour ramener sa famille sur la bonne voie et leur transmettre un dernier message… grâce au robot – fantômes et robots seraient complémentaires.
Cette réflexion sur l’humain et l’artificiel et sur le rôle des émotions s’inscrit dans ce qui commence à devenir une veine narrative de plus en plus courante en littérature générale et en cultures populaires : depuis les ouvrages d’Asimov, les robots ne cessent de nous faire poser des question sur notre humanité. Dans  Klara et le soleil, de Kazuo Ishiguro (prix Nobel de littérature) et la série Real humans  (en suédois Äkta Människor) de Lars Lundström, le robot nous tend un miroir redoutablement émouvant et inquiétant. Avec des scènes rapides et des dialogues enlevés, des temps de drôlerie et de chagrin entremêlés, cette pièce évoque le deuil tout en soulevant des questions contemporaines.

Voir le dossier de mise en scène par le théâtre des Lucioles.
Voir le carnet artistique et pédagogique proposé par les éditions théâtrales (classes de 6e).