Jeanne et Jean

Jeanne et Jean
Grégoire Solotareff
L’école des loisirs, 2016

Une peur bleue

Par Anne-Marie Mercier

Jeanne et Jean Grégoire SolotareffOn retrouve avec plaisir Solotareff : on retrouve des lapins, et puis des loups, une histoire de peur, tout sont art des couleurs et de la mise en page, et le tout en grand format. C’est semblable, et pourtant toujours nouveau.

Les peurs sont multiples, celles de choses réelles, mais surtout de choses imaginaires, les peurs avec lesquelles on joue et celles qui paralysent un instant. La peur du noir et les effets de la nuit sont particulièrement bien traités, rendus proches.

C’est un album-expérience qui fait vivre plus fort, battre le cœur un instant, le temps d’une nuit. Jeanne et Jean sont tous les enfants, garçons et filles, un jour ou l’autre, ou plutôt une nuit… L’équilibre est parfait : la fille est plus délurée que le garçon, mais c’est lui qui vole à son secours !

U4. Jules

U4. Jules
Carole Trebor
Nathan / Syros, 2015

U4- la filière parisienne

Par Anne-Marie Mercier

Sur le projet global de U4, voir sa présentation dans un article précédent.

u4-julesDans le volume de Carole Trebor, le personnage central est Jules, un adolescent un peu enveloppé, accro au jeu en ligne Warriors of Time. Lorsque le roman commence, Jules est prostré dans l’appartement parisien proche du jardin du Luxembourg où il a attendu en vain le retour de ses parents et de son frère. Il a passé le temps en voyant les informations sur l’épidémie et les consignes demandant aux habitants de ne pas sortir de chez eux. L’électricité est coupée, des rats envahissent l’immeuble et son appartement, l’attaquent. Lorsqu’il sort, il est pris par l’odeur des cadavres qui n’ont pas pu être enlevés, pestilentielle – et de fait ce sont les lointains souvenirs de la Peste de Marseille du début du 18e siècle qui hantent ces romans, notamment celui-ci : Carole Trebor insiste beaucoup sur les odeurs, les sensations diverses d’horreur, de dégoût et de terreur, sur la difficulté à se débarrasser des cadavres comme à les ignorer. Jules n’est pas un super-héros, en tous cas pas semblable celui qu’il incarnait dans le jeu sous l’avatar de Spider Snake, même s’il essaie parfois de s’accrocher à cette identité.

Jules est un corps, un corps qui se sent trop lourd, qui prend des coups, qui souffre, qui se souvient le lendemain des blessures de la veille. Les rencontres avec Koridwen sont pleines d’humour (pour qui a lu ce volume avant), tant le regard de cette fille sur Jules souffre d’un manque d’information sur les raisons qui rendent celui-ci lent à la détente ou le font paraître hébété ou insouciant. Chez Carole Trebor, les blessures ont une allure de vérité, un poids, cela tranche sur l’allure de jeu vidéo de la plupart des romans d’aventures pour adolescents. Elles ont aussi un avenir : la jeune fille mordue au visage par un chien sait qu’elle ne sera plus jamais comme avant. Le souci de réalisme donne aussi de belles pages, notamment lorsque Jules contemple Paris.

Autant Koridwen est dure, autant Jules est tendre (volonté des auteurs de casser les stéréotypes ? que ceux que les renversements agacent se rassurent ( ?), les personnages secondaires sont encore assez genrés pour les satisfaire. La lumière de sa nouvelle vie est représentée par une toute petite fille qu’il sauve et  qui mystérieusement survit au virus alors que tous les moins de quinze ans et les plus de 18 ans ont péri (ou presque). Son chat, Lego, ne le quitte pas, même lors d’attaques et de fuites. Il est aussi amoureux de la belle « apothicaire » du groupe, autant dire infirmière (tiens, c’est une fille !), et n’ose se déclarer.

A travers Jules, on découvre un groupe qui survit grâce à l’entraide et à la mise en commun des savoirs et des ressources, à la collecte et à une stratégie d’alliances là où le groupe que côtoie Koridwen vit par le trafic d’armes et où un autre, extrêmement violent (le gang du 16e arrondissement), est composés de drogués autrefois riches et devenus tortionnaires puis collaborateurs.

Même si le groupe qui accueille Jules a recours aux armes, par le biais de l’un d’eux, fils de policier (tiens !), la violence est une défense présentée comme légitime. Celle de l’armée et des adolescents qui s’allient à elle est plus massive et l’on voit à travers le roman un portrait de Paris plongé dans la guerre civile qui évoque les heures sombres de l’occupation mais aussi le siège de Sarajevo, la Syrie…, et qui progresse en intensité, de la Salpetrière aux Olympiades ou aux tours du 13e arrondissement, passées au napalm par l’armée, avec tous leurs occupants.

La fin est tout autre que celle imaginée par Yves Grevet, sans être absolument contradictoire : intéressant !

( à suivre… prochainement, Yannis, par Florence Hinckel)

 

Le Petit Barbare

Le Petit Barbare
Renato Moriconi
Didier jeunesse, 2016

Le Petit BarbareVenu du Brésil, où il a été publié en 2013, cet album ne ressemble à aucun autre : de format très allongé, et très étroit, sans texte, il montre sur chaque double page le même barbare à cheval, tenant ferment son bouclier et son épée, tantôt à gauche tantôt à droite, galopant sans faiblir, avec la même expression résolue, tantôt en haut de la page, tantôt en bas, se détachant sur le fond blanc. Il passe sans émoi devant toutes sortes de dangers : animaux féroces, ennemis, dragons, diables…
La chute révèle le mystère de l’histoire : c’est en enfant sur un manège, que son père arrache à la fin au rêve et au cheval qu’il chevauchait, tantôt en haut, tantôt en bas…

Couleurs superbes, belles aquarelles proposant une liste de créatures peuplant l’imaginaire d’un enfant qui se rêve en héros, le temps d’un tour de manège.

Au secours un monstre !

Au secours un monstre !
Francesco Pittau
Gallimard Jeunesse Giboulées 2016

Comme un lointain  avatar de la pieuvre et de Gilliatt 

Par Michel Driol

pitauTrois garçons et une fille qui fuient devant un monstre dont on ne voit que les tentacules. Cours, Forest, cours ! Ils courent à travers la ville, à l’aide de trottinettes, mais le monstre est toujours là, avec ses tentacules orange menaçantes. Le tronc d’arbre sur lequel ils traversent le précipice casse, et les voici à l’eau. Le monstre est toujours là, glissant lentement vers les quatre héros… avant que l’on découvre qu’il est le monstre des chatouilles, à la tête hilare…

Le dispositif narratif est efficace : le monstre est hors-champ, on ne voit que ses tentacules qui émergent de la marge de gauche, tandis que les enfants courent de la page de gauche à celle de droite. Toujours saisis en mouvement,  à l’horizontale, de bas en haut ou de haut en bas. Leurs places respectives dans la fuite sont conservées : Milena toujours devant, Fabio toujours derrière. Du coup, seul le décor change de page en page, un décor assez stylisé pour que le regard ne s’attarde pas trop sur lui, et qu’on se focalise sur cette fuite devant les tentacules…

La chute finale range ce monstre dans la catégorie déjà surpeuplée des monstres gentils. La peur n’avait donc pas lieu d’être. Et tout finit dans un éclat de rire. Certes, on le sait, dans toute la tradition carnavalesque, les monstres ne sont que de pacotille, et le rire est libérateur. Mais, dans cet album, juste une fuite avant de s’apercevoir que l’on s’était trompé, qu’on avait tort d’avoir peur, et que le méchant ne l’était pas. Le danger n’est pas affronté, et le rire est moins celui d’avoir vaincu sa peur que d’être victime d’un monstre chatouilleur… Comme s’il s’agissait de montrer aux lecteurs-enfants que les peurs sont stupides, qu’il ne faut pas se fier à l’apparence, et que les monstres n’en sont pas.

Un album au rythme soutenu, mais qui ne manque pas d’interroger sur la place des monstres dans l’imaginaire contemporain, et la littérature de jeunesse en particulier.

U4. Koridwen

U4. Koridwen
Yves Grevet
Nathan / Syros, 2015

U4- la filière bretonne

Par Anne-Marie Mercier

koridwenVoir un article précédent sur le projet U4.

Dans le volume d’Yves Grevet qui commence dans une ferme bretonne, les parents sont morts, leur fille Koridwen les a enterrés elle-même ; elle continue les travaux de la ferme, surveille le vêlage d’une vache, trait les autres… jusqu’à l’irruption de jeunes gens de son âge, des pillards, qu’elle arrive à chasser provisoirement. Pour répondre à l’appel de Khronos tout autant que pour fuir les représailles qui ne manqueraient pas de s’abattre sur elle, elle part pour Paris avec le tracteur de son père tirant une bétaillère dans laquelle elle a entreposé tout le matériel de survie nécessaire : nourriture, duvets, vêtements, gasoil, outils, fusil et cartouches… Il y a du Robinson dans ces héros. On retrouve les thématiques de survie post catastrophe telles qu’on a pu les lire dans La Route de C. Mc Carthy ou, plus tôt, Malevil de R. Merle.

Avant son départ, elle a lu une lettre que sa grand-mère lui avait écrite avant de mourir et que ses parents avaient cachée sans oser la détruire, refusant de lui transmettre cet héritage de sorcellerie bretonne. Elle embarque avec elle les carnets de la grand-mère et son coffre de guérisseuse ; elle a aussi, dans la tête, une comptine druidique, « Ar Rannou », qui rythme l’histoire au point de donner l’impression de dicter les événements, comptant des séries de un à douze. De « Pas de série pour le nombre un, […] le Trépas, Père de la douleur » à « Douze mois et douze signes ; l’avant-dernier, le Sagittaire, décoche sa flèche armée d’un dard », « Ar Rannou » met l’aventure de Koridwen sous le signe de la nécessité et du destin. Le trajet jusqu’à Paris est semé d’embûches, le séjour aussi, d’autant plus qu’elle a emmené avec elle son cousin, Max, plus que simple d’esprit, qui lui apporte davantage  d’ennuis que d’aide.

Paris est vu comme un lieu d’extrême chaos, un lieu de guerre et de destruction, où la banlieue est le lieu de repli de ceux qui ne veulent pas être enfermé dans les camps de refuge installés par l’armée (les derniers adultes, vus de très loin, vêtus de combinaisons protectrices et de masques). On se déplace en évitant les snipers et les drones, les chiens errants, devenus sauvages, regroupés en meutes, en empruntant les galeries du métro et les égouts…

Koridwen s’affirme progressivement comme une solitaire, silencieuse, capable d’être sans pitié, parfois brutale, facilement méprisante, même à l’égard de ses anciens « amis » de jeux qui la déçoivent un peu… Est-ce pour souligner ce caractère brut et cette sécheresse que Yves Grevet a écrit toute son histoire à la première personne, en phrases très brèves (une demi ligne à deux lignes pas plus, en moyenne) et juxtaposées ? C’est dommage : ce style ou cette absence de style en rend la lecture un peu pesante. Heureusement, la mythologie de Koridwen, la comptine « Ar Rannou », les recettes de sa grand-mère et la foi en son destin donnent du charme à son récit. Quant à la fin (qu’on ne racontera pas…), elle est très habile, et clôt le récit tout en le laissant ouvert, de manière parfaite.

( à suivre… prochainement, Jules, par Carole Trebor)

 

 

 

U4

U4
collectif U4 : Yves Grevet, Florence Hinckel, Carole Trébor, Vincent Villeminot
Nathan / Syros, 2015

Phénoménal… et contagieux

Par Anne-Marie Mercier

u4Le projet de U4 est étonnant par sa nouveauté et son ambition : il s’est agi de faire écrire la même histoire par quatre auteurs différents qui se sont focalisés chacun sur l’un des protagonistes. Ce sont en fait quatre histoires différentes, car si des nœuds et des étapes cruciales les réunissent, tantôt par paires, tantôt tous ensemble, les héros sont séparés la plupart du temps. Chaque volume est écrit au présent et à la première personne et commence par le même prologue, daté du 1er novembre (veille du jour des morts) :

« cela fait dix jours que le filovirus méningé U4 (pour « Utrecht », la ville des Pays-Bas où il est apparu, et 4e génération) accomplit ses ravages. […] il tue quasiment sans exception et en quarante heures ceux qu’il infecte : état fébrile, migraines, asthénie, paralysies, suivies d’hémorragies brutales, toujours mortelles. Plus de 90% de la population mondiale ont été décimés. Les seuls survivants sont les adolescents. La nourriture et l’eau potable commencent à manquer, Internet est instable. L’électricité et les réseaux de communication menacent de s’éteindre. »

Les adeptes d’un jeu en ligne, Warriors of Time (WOT), ont reçu un message du maître de jeu, Khronos : « ensemble nous pouvons éviter la catastrophe en réécrivant le passé. Croyez en moi, croyez en vous et nous gagnerons contre notre ennemi le plus puissant : le virus. Rendez-vous le 24 décembre à minuit à Paris sous la plus vieille horloge de Paris ». Les quatre héros sont des « Experts » du jeu et leur rencontre dans la vie « réelle » de la fiction a le piquant de la surprise : ils se sont bien connus sous les traits d’avatars de super-héros et se voient alors tels qu’ils sont. Mais le réalisme s’arrête là : héros dans le jeu ils sont, héros dans la vie ils demeurent : petite démagogie auctoriale à l’adresse du public adolescent : on poursuit l’illusion, de l’identification du jeu aux livres.

Allez donc voir le trailer, qui rime avec Thriller…

Une vidéo très intéressante pour savoir comment les auteurs ont travaillé : https://www.facebook.com/LireEnLive/videos/vb.184559568289367/949623048449678/?type=2&theater

Et le 3 novembre dernier a paru Contagion, recueil de nouvelles écrites par les quatre auteurs, de 2 BD (de Marc Lizano, sur un scénario de Carole Trébor ; et de Pierre-Yves Cezard sur un scénario de Lylian) et 4 fan fictions par Claire Juge, De La Rauses, Clara Suchère, Sylvain Chaton, issues du concours de fan fiction lancé par les éditeurs.

Donc, le phénomène est contagieux, il se répand d’un livre à l’autre, d’un medium à l’autre…

Ma cabane

Ma cabane
Loïc Froissart
Rouergue 2016

Robinsonnade ?

Par Michel Driol

macabaneLe narrateur, avec son gros sac à dos, se rend dans sa cabane, bien cachée dans la forêt. Il semble un peu surpris de découvrir un livre au ouvert au pied de l’escalier. Puis il s’installe, prend des photos, tandis qu’un ours brun tourne autour de la maison, le suit vers le lac. Le randonneur s’installe dans sa cabane, fait griller du poisson avec du miel, toujours sous le regard de l’ours, bien caché, piquenique, dort à la belle étoile, joue de la guitare, puis repart. Arrive alors l’ours, qui s’assied sur le rockingchair… et lit le livre !

Peu de texte dans cet album,  mais des doubles pages illustrant une forêt  baignant dans un océan de vert où se niche une cabane d’un rouge éclatant.  Les illustrations de Loïc Froissart sont à la fois précises, denses en détail, et naïves dans la représentation des arbres ou de certains éléments naturels. Fleurs, poissons, oiseaux, petits animaux peuplent cet univers sauvage et idyllique.

Ce qui se joue dans cet album, c’est d’une part la notion de possession, d’autre part la place de l’homme dans la nature. Le titre l’indique clairement « Ma » cabane et le texte reprend, à de nombreuses reprises, le possessif. Mais qui possède la cabane ? L’homme ou l’ours qui épie, surveille, et reprend vite possession des lieux une fois l’homme parti ? Plus largement, quelle est la place de l’homme dans cette nature ? Il y a construit, en rondins, sa cabane. Il s’y baigne, mais il semble assez indifférent  à toute la vie qui y grouille et qui l’accueille avec bienveillance. S’il se baigne nu, il a tous les attributs de l’homme civilisé : appareil photo, barbecue, guitare, cape de pluie et sac à dos. Il n’est là qu’un visiteur, somme toutes assez étranger à cette forêt qui vit très bien sans lui.

Un album réussi dans lequel on s’amusera à chercher l’ours, qu’on n’aura pas forcément vu à la première lecture. En ce cas, la chute inattendue invitera à une seconde lecture, plus attentive aux détails.

L’Arbre et le fruit

L’Arbre et le fruit
Jean-François Chabas
Gallimard (Scripto), 2016

Violences familiales : lutter contre le silence

Par Anne-marie Mercier

«  Les victimes ont honte et se terrent. C’est ainsi que les bourreaux prospèrent »

« Quand on partage la vie de ce genre de personne, on n’est pas seulement touché par le mal qui nous est fait directement. C’est le côtoiement constant de l’infamie qui ronge. On respire un gaz mortel, celui qui a tué maman. »

larbre-et-le-fruitLe lecteur n’est pas pris par surprise : le livre est sombre, porteur de sujets graves, l’image de la couverture le lui dit clairement sans être explicite (bravo à Cécile Boyer) : folie de la mère, violence du père, solitude des enfants, naufrage collectif d’une petite famille que tout le monde croit ordinaire pendant longtemps, puis où seule la mère est présentée comme fautive.

On entre tout doucement dans le sujet, d’abord avec le journal de la mère, Grace, internée en soins psychiatrique et persuadée qu’elle va sortir bientôt, que ce n’était qu’une crise passagère due à l’attitude de son mari, méprisant et violent – on le découvrira plus loin raciste (les parents de Grace ont survécu à Mathausen, leurs enfants ont vécu dans le silence) et pervers… On poursuit avec le journal de l’enfant, tétanisée, incapable comme sa mère de se confier à qui que ce soit, paralysé par la honte et la crainte de ne pas être cru… Et les deux voix continuent tout au long du roman à se croiser, la mère rechutant perpétuellement, de plus en plus incapable de réagir aussi bien chez elle qu’à l’hôpital, où ne l’écoute pas lorsqu’elle finit par confier, tardivement, l’origine de son trouble.

Le texte est poignant, le personnage du père accablant, celui de la mère pathétique. Mais on retient surtout celui de la jeune Jewel, lucide, qui essaie de convaincre sa mère de la nécessité d’une révolte, révolte qu’elle mène seule, devenant selon les mots du père la « chienne » de sa mère. La belle leçon de ce livre, portée par le titre, est qu’il n’y a pas de fatalité à être l’enfant d’un homme odieux et à vivre une enfance terrible : Jewel n’a pas hérité des préjugés de son père. Petit à petit elle arrivera à aller la rencontre des autres, et à se battre, à tous les sens du terme (magnifique portrait de boxeur), et gagnera.

Un livre beau, poignant, captivant, utile, vrai, nécessaire.

Mais qui cela peut-il être?

Mais qui cela peut-il être?
Shawn Mahoney, Thomas Baas
Seuil jeunesse, 2016

mais-qui-cela-peut-il-e%cc%82treDans cet album, construit sur le modèle du célèbre Toc, toc, qui est là d’Anthony Browne, un enfant dans son lit détaille, page après page, les bruits qu’il entend comme autant d’indices indiquant qui peut bien gravir l’escalier menant à sa chambre : pas feutrés, pattes griffues, dents pointues… Ce n’est pas l’un de ses jouets, ni son hamster, mais ce peut être chacun des êtres qui font peur… Et surtout un loup.

Quand l’enfant est un petit loup, la chute imaginée antérieurement par Browne prend un ton doublement humoristique.

Sur fond noir, les hypothèses vues tantôt de manière fragmentaire tantôt en plan large, défilent, gravissant chacune l’escalier rouge. Le texte, simple, proche d’une comptine, joue entre questions et réponses, jouant une peur légère.

Enigma. Tome 1 : Prédictions

Enigma. Tome 1 : Prédictions
Johan Heliot

Rageot Thriller, 2014

Performativité du futur

Par Matthieu Freyheit

enigma1Véra et Théo, deux jumeaux privés de leur mère et élevés par un père auteur de science-fiction, font l’étrange découverte d’un tout aussi étrange objet : un Smartphone qui n’en est pas un. Appelé Oracle, l’objet interroge le futur d’un individu ou d’une situation à partir d’une analyse de toutes les données disponibles à son sujet. Une manière de rappeler, avec Robert Metcalfe et William Gibson, que le futur est déjà là, éclaté : en attente d’être assemblé et, surtout, réalisé. Le premier tome d’Enigma interroge ainsi le pouvoir des données non seulement comme savoir, comme connaissance, mais comme support à réalisation, à élaboration du réel – sorte de construction de la réalité sociale (Searle).

La science-fiction s’inscrit ici dans une tradition classique d’extrapolation d’une réalité sous-jacente, d’un état en formation tacite : représenter notre monde, tel qu’il pourrait être entrepris, saisi.

De façon désormais traditionnelle, ces éléments de science-fiction se mêlent à des motifs d’enquête, de course-poursuite, d’espionnage, entrecroisant les récits et les enjeux sans encore nous livrer la clef du mystère qui fait des jumeaux Luck une proie si prisée.

L’Oracle, objet quasi divinatoire, rapproche le roman de la science-fantasy que l’auteur Johan Heliot, explorait déjà en 2003 dans Faerie Hackers notamment. Par ailleurs, Heliot revient sur la figure, devenue incontournable dans les représentations de notre abordage technologique, du hacker, que l’on trouve également chez Laurent Queyssi (publié aussi chez Rageot). Avec, bien entendu, les motifs que cette figure implique : liens avec le gouvernement, culture du secret et du complot, multinationales, luttes et alliances, mais aussi culture fictionnelle ici représentée par la figure intéressante du père écrivain.

Théo et Véra se retrouvent dans deux autres tomes d’Enigma : Connexions et Machinations.