La Conséquence de mes actes

La Conséquence de mes actes
Eva Kavian
Mijade (zone J), 2013

 Les vacances d’un ado décomposé

Par Anne-Marie Mercier

La Conséquence de mes actesAprès Premier chagrin, dont ce roman est une sorte de suite (l’ami de Sophie, Homère, est le personnage principal), on attendait beaucoup, sans doute trop tant le précédent volume avait surpris par son originalité et sa finesse. La Conséquence de mes actes propose une intrigue plus convenue, tout en en évoquant l’éveil de la sexualité d’un adolescent – de façon très directe – et en accumulant les intrusions vers de nombreux domaines sociétaux contemporains : l’homosexualité, les familles recomposées, l’addiction des ados aux réseaux sociaux.

Tout cela s’imbrique dans une histoire assez classique d’un ado déchiré par la séparation de ses parents et par leurs nouvelles amours qui l’excluent, envoyé en vacances chez des inconnus, un couple de grands parents original et sympathique gérant plutôt bien la tribu déchaînée de leurs petits-enfants. Tous ces personnages finissent par apprivoiser le jeune Homère en proie à une crise de révolte contre les adultes « dont les choix ont le plus souvent des effets négatifs sur la vie de leurs enfants ».

En définitive, l’originalité principale du livre tient à son écriture, dont la recette est donnée par le narrateur lui-même dans les derniers chapitres. Pour éviter un redoublement, il doit rédiger pendant les vacances un texte sur le thème qui a fourni le titre du livre. On découvre donc à la fin que ce qu’on vient de lire est cette « compo » et que le texte a été travaillé et écrit avec cette perspective en visant un certain brio. « J’avais évité la chronologie linéaire, j’avais utilisé le schéma narratif et dramatisé les événements, mais la réalité de ma vie avait largement suffi ». Brillant, bien ficelé, plein de hardiesses, ce roman pèche un peu par un certain trop plein qui le prive de l’émotion provoquée par le précédent. Sophie a jusqu’ici la part belle : on attend la suite de ses aventures (prochainement sur li&je)

Le Journal d’un poilu

Le Journal d’un poilu
Sandrine Mirza

Gallimard jeunesse (les yeux de la découverte), 2014

14-18, la version familiale

Par Anne-Marie Mercier

Le-journal-d-un-poiluSandrine Mirza nous propose l’histoire de son grand-père à travers des fragments de journal, des reproductions de photos et de lettres personnelles d’une part, et des documents d’archive d’autre part, tout cela fort bien identifié, les premiers sur la page de gauche, les seconds à droite.

Le journal est intéressant et très concret : il évoque les affectations qui conduisent André sur les différents fronts de la guerre des tranchées, sur la Marne, mais aussi à Salonique, les conditions de vie (une insistance sur le manque de nourriture convenable qui sonne juste), l’angoisse, les blessures (André est souvent à l’lennemihôpital pour différentes raisons). Une histoire d’amour adoucit l’ensemble, celle de la rencontre avec la jeune Antoinette (16 ans) qu’il épouse dès sa démobilisation, en 1919 : une bonne façon de dire que la guerre pour beaucoup ne s’est pas arrêtée en 1918.

Enfin, sur la guerre de tranchées, allez donc lire L’ennemi de Davide Cali et Bloch (Sarbacane, 2006) : une petite merveille.

La Première Guerre mondiale

La Première Guerre mondiale
Simon Adams

Gallimard jeunesse (les yeux de la découverte), 2014

14-18, la version officielle

Par Anne-Marie Mercier

La Première Guerre mondialePlusieurs fois réédité depuis 2002, cette traduction d’un ouvrage anglais ressort pour les circonstances de la commémoration avec quelques ajouts et améliorations sur le plan de la lisibilité. On y retrouve les principes qui ont fait le succès de la collection : de nombreuses images bien identifiées (photos, archives, reconstitutions muséales…) et textes brefs sur des sujets divers : les grandes étapes du conflit, l’équipement des soldats, la guerre de tranchée, celle du désert, celle de l’espionnage, etc., un glossaire et un index. Mais celui-ci, bien utile, renvoie pour le mot « mutinerie » à celles de soldats russes et allemands, mais rien pour les anglais et les français, c’est dommage.

C’est donc une version encyclopédique un peu déshumanisée (à opposer à l’album de Dedieu paru cette année) qui pourra être complétée par un autre album paru chez le même éditeur : Le Journal d’un poilu publié par Sandrine Mirza, donc nous parlerons dans la prochaine chronique.

Le Passage du diable

Le Passage du diable
Ann Fine
L’école des loisirs, 2014

Maison de poupée… gothique

Par Anne-Marie Mercier

lepassagedudiableQuel beau roman gothique que celui que vient de publier Ann Fine ! Original, touchant, et passionnant autant qu’inquiétant, il tourne autour… d’une maison de poupée. Cette maison, magnifique et gigantesque est le seul objet qui nourrit l’imaginaire d’un enfant, un garçon reclus depuis son enfance par sa mère. Il n’a jamais vu personne en dehors d’elle et a eu, pour seul contact avec le monde, la lecture de romans et de récits de voyages. Jouant en cachette avec cette maison et avec les poupées de bois qui la peuplent, il s’invente des aventures, dialogue, se confronte à toutes sortes de personnages.

Il sort de son isolement avec l’intervention de voisins et d’un médecin qui fait interner celle-ci. La suite du récit est à la fois tragique et heureuse : Daniel se trouve une nouvelle famille chez le médecin, joue avec ses filles, et continue avec la plus jeune à jouer avec la maison dans laquelle la petite découvre des choses qu’il n’avait jamais vues, notamment une poupée mystérieuse et maléfique.

Le médecin trouve la trace d’un oncle de Daniel dont le visage ressemble curieusement à cette poupée, comme les autres ont des airs de famille avec sa mère. Il est envoyé chez lui, dans la maison qui a servi de modèle à celle qu’il a connue, mais bien changée, sinistre et entourée de mystères. Grâce à l’aide de deux vieux serviteurs, Daniel découvre l’histoire de sa mère, les raisons de sa folie et la menace que représente son oncle pour lui. Personnage étrange, tantôt séducteur tantôt inquiétant, profondément diabolique, l’oncle et sa poupée vaudou introduisent une dimension fantastique dans le final de ce roman qui va progressivement du réalisme classique à un thriller passionnant. Les fils se nouent, les mystères se dévoilent peu à peu et le destin des deux maisons se scellent dans un superbe final.

Abracadabra Amanda

 Abracadabra Amanda
Olivier Pouteau
Rouergue 2014,

 

 Magie et deuil font bon ménage

Par Maryse Vuillermet

 

 

 

abracadabra amanda Une très étrange affaire attend le commissaire Brouillard. Une partie du corps, le milieu plus précisément, d’Amanda,  la fille la plus insupportable du collège,  a été enlevé pendant le numéro de magie de la fête de Noël au collège. C’est Léonard, le responsable, mais,  passé le moment de folie qui a occasionné son acte, il ne sait plus quoi faire de cette boite où peut-être se trouve le cœur d’Amanda, en tout cas, il entend une pulsation. Il faut dire que Léonard est très malheureux, il a perdu sa mère et il n’arrive ni à la pleurer ni à la voir en rêve ni à en parler à son père tout aussi fracassé que lui.

Il n’arrive qu’à la dessiner et quand un de ses dessins se retrouve coincé dans la boite,  voilà qu’il la voit enfin en rêve.

Cette histoire qui peut paraître aberrante,  en fait,  vous attrape dès la première page ; le mélange de magie et de tristesse fonctionne ; les amis de Léonard l’aident,  le grand Eliot, fils d’un policier municipal le renseigne sur les avancées de l’enquête, et Tom, le silencieux et sage Tom,  que fait-il ? Ne serait-ce pas lui qui envoie des billets anonymes à Amanda pour l’obliger à se corriger, si elle veut récupérer son morceau de corps, par exemple réunir ses amies avec qui elle a fait du mal et en discuter, ne plus parler d’elle pendant une heure? Amanda, au début s’est pavanée, immobilisée au milieu de la scène dans la boite à magie, entourée d’un médecin, de ses parents et de la police mais,  plus le temps passe, et plus elle se fatigue et plus elle commence à comprendre…

 Ce petit récit est une réussite, un subtil équilibre entre loufoquerie, tendresse, humour, mystère et magie !

Petit somme

Petit somme
Anne Brouillard
Seuil Jeunesse, 2014

 Un instant d’éternité

par Christine Moulin

petit sommeTout l’univers d’Anne Brouillard, magiquement fidèle, est présent dans cet album à la fois semblable et différent des précédents. On retrouve les décors et les thèmes qui sont chers à l’auteur: une maisonnette cachée dans les bois, le sommeil d’un enfant, la symbiose entre hommes et animaux, la présence affectueuse d’un merle, l’évocation des moments merveilleux de l’existence, ténus, fragiles mais forts des forces essentielles de la vie.

Il ne se passe strictement rien: une grand-mère confie aux bêtes de la forêt le sommeil d’un bébé et prépare un goûter, que tout le monde partage à la fin. Mais on n’est pas dans le monde de Disney : les animaux ne sont pas humanisés, les hommes les côtoient, les accueillent mais n’interagissent pas avec eux, partageant avec eux « une intimité secrète et affectueuse, quoique presque toujours silencieuse » (1). Le zoom grâce auquel le regard s’approche progressivement des événements imperceptibles de l’unique scène de cet album permet d’un côté, de deviner l’épaisseur d’une histoire humaine à travers les photos accrochées au mur et de l’autre, de partager l’attente des animaux : la grand-mère va-t-elle parvenir à terminer la préparation du goûter sans être interrompue par les cris du bébé?

On referme les pages de ce livre magnifique, avec l’impression d’avoir pénétré dans un paradis fait de simplicité et de sérénité, tout bruissant d’ailes, doux de la douceur de la fourrure et du duvet.

(1) Cécile Boulaire, article « Anne Brouillard », in Dictionnaire du livre de jeunesse, Editions du Cercle de la Librairie, 2013.

Un Jardin sur le bout de la langue

Un Jardin sur le bout de la langue
Constantin Kaïtéris, Joanna Boillat

Motus (Pommes Pirates Papillons), 2014

Greffes langagières

Par Anne-Marie Mercier

UnJardinsurleboutdelalangueComme les autres albums de cette collection, ce recueil de poèmes joue avec les choses comme avec les mots. Ici, il s’agit de légumes, ceux que l’on plante, ceux que l’on mange, mais surtout ceux que l’on regarde.

Les jeux sur les mots et les lettres n’est jamais gratuit mais invite à voir autrement : c’est une invitation à mieux les considérer dans leur forme, texture, couleur, croissance, comme à mieux prendre en compte les mots qui les désigne. Comment la cerise et la fraise en se décomposant finissent par revenir au même, comment le poireau et la pomme se rejoignent… Les illustrations crayonnées donnent aux végétaux formes et sentiments humains et l’on peut méditer sur la mélancolie du champignon ou la légèreté des navets.

Les Fuyants de Maxfield Academy

Les Fuyants de Maxfield Academy
Robison Wells
Le Masque (Msk), 2013

par Anne-Marie Mercier

 

lesfuyantsSuite des Variants (voir la chronique précédente), Les Fuyants tient les promesses du précédent. Benson s’est enfui avec Becky, chargée de maintenir l’ordre dans le pensionnat, mais saisie par le doute. Ils sont arrivés à traverser la forêt et les limites du parc malgré l’attaque de personnages parmi lesquels certains qu’ils croyaient leurs amis mais sont en réalité des copies  de ceux-ci, mi-clones mi-robots…

Le deuxième volume propose un deuxième enferment : ils sont bloqués dans le village des rebelles (où ils retrouvent des ami(e)s qu’ils croyaient morts et les originaux de clones qu’ils ont connus au pensionnat (vous suivez?) : débats cornéliens : qui Benson aime-t-il vraiment, l’amie disparue et retrouvée, ou Becky? A qui obéir? qui est un traitre ? On commence à entrevoir l’explication de tous les mystères sous la forme d’un complot international ourdi par… qui ?

Le suite au prochain volume!

Les Variants de Maxfield Academy

Les Variants de Maxfield Academy
Robinson Wells
Le Masque (Msk), 2013

Sa majesté des mouches au pensionnat

Par Anne-Marie Mercier

Les VariantsCe roman emprunte à une thématique classique, celle de l’orphelin : se retrouvent dans un pensionnat situé dans un grand parc proche d’une forêt des adolescents de douze à dix huit ans, sans famille et sans amis, que personne ne viendra réclamer. Depuis Harry Potter (et même avant) le pensionnat est un des lieux favoris du roman pour adolescents. Il rejoint la thématique de la maison, souvent infinie (L’Autre de P. Bottero, La Maison sans pareil de E. Skell , Le Mystérieux Cercle Bendict de T Lee Stewart, et surtout Méto de Yves Grevet) mais aussi de la maison-labyrinthe et de la maison-prison. Le personnage principal des Variants y arrive plein d’espoir, et déchante très vite.

C’est un lieu sans adultes, géré par les élèves,  bien loin des îles désertes idéales. On pense à Sa majesté des mouches, mais on se situerait ici après l’épisode final de ce roman : le drame a eu lieu, plusieurs enfants sont morts, massacrés lors d’une guerre de gangs. Depuis, les enfants se sont organisés pour maintenir une paix plus ou moins armée. Le groupe le plus nombreux qui se désigne lui même comme la « Société », fait régner l’ordre. Un autre, le « chaos », fait contrepoids et fait peser une menace permanente. Les « variants » accueillent ceux qui ne veulent appartenir à aucun des deux blocs. C’est le groupe le moins nombreux et c’est celui que choisit – ou plutôt ne choisit pas -le héros;

Mystères : qui est derrière tout cela? pourquoi les retient-on ? A quoi riment les leçons qu’on leur fait apprendre sur toutes sortes de sujets incohérents? Que deviennent ceux qui arrivent à l’âge où ils doivent quitter l’école? et ceux qui se sont enfuis? Qui est à l’origine des fumées que l’on voit parfois? En qui peut-on avoir confiance? (la réponse est bien sûr, comme l’indique la couverture : personne).

C’est original et efficace, le lecteur se pose toutes ces questions et est porté par l’énergie et la capacité de révolte du héros qui semble infinie : à suivre… dans la chronique suivante.

Les Bruits chez qui j’habite

Les Bruits chez qui j’habite
Claire Cantais, Séverine Vidal

L’édune, 2014

Tic, tac

Par Anne-Marie Mercier

LesBruitschezquijhabiteLes bruits d’une journée, ceux des différents espaces de la maison, ceux des saisons, ceux qu’on imagine au loin… tout cela forme la bande son d’une enfance, pour s’en souvenir quand elle sera enfuie, à l’image de cette horloge venue d’une maison de vacances qui a été vendue.

Ce bel album propose au jeune lecteur un personnage qui lui ressemble et vit des événements ordinaires auxquels il accorde toute son attention. C’est une invitation à saisir les moindres détails du quotidien pour en jouir et s’en souvenir ensuite, comme de précieux éléments arrachés au temps. Les images mêlent de très beaux crayonnés (pour les personnages) à des papiers découpés et des géométries qui suggèrent la relative permanence des choses et la fluidité des mouvements et des moments.