Le grand inventaire des petits plaisirs de Luchien

Le grand inventaire des petits plaisirs de Luchien
Frédéric Stehr
L’école des loisirs (Pastel), 2022

Luchien le bienheureux…

Par Michel Driol

Luchien est un tout petit chien, si léger que parfois il s’envole… Ses plaisirs sont bien ceux de tous les enfants : sauter dans les flaques, prendre un bain avec beaucoup de mousse, lécher le bol où a été préparé le gâteau au chocolat, les histoires qui font peur, les amis, les saisons, et surtout le câlin du soir…

Voici un album qui célèbre l’hédonisme ou l’épicurisme, à hauteur d’enfant. Certes, Luchien n’est pas bien grand, mais il est plein de joie de vive, festif, gourmand, sociable et attaché à vivre tous les instants, toutes les circonstances. Il n’est que de le voir écrire son prénom ou dessiner partout, de le trouver de page en page tantôt contemplatif, tantôt exubérant… Humain, quoi !  L’album célèbre ces petits moments de la vie qui peuvent sembler insignifiants, ordinaires, banals, mais qui sont si agréables. Il le fait avec humour en proposant des événements de la vie de tous les jours (le gâteau d’anniversaire dont on souffle les bougies, par exemple) avec un petit décalage ou une petite exagération. Non sans humour, l’image prend parfois le contrepied du texte. Multipliant sur chaque page les situations, l’album montre un personnage hyper actif (même lorsqu’il fait la sieste… dans des positions improbables) et sympathique, un enfant qui croque la vie à pleines dents, semble curieux de tout, et surtout tout aimer… avec une préférence pour les pâtes, bien sûr ! Il n’est que de voir l’illustration de la couverture pour avoir l’image de la parfaite béatitude…

En ces temps particulièrement moroses, voilà un livre plaisir, dont on ressort avec un grand sourire aux lèvres, car, au fond, il reste toujours une part d’enfance chez tous les adultes. Mais ce qui est sûr, c’est que de nombreux enfants se reconnaitront dans Luchien !

Drôles de locataires dans l’alphabet

Drôles de locataires dans l’alphabet
Bernard Villiot – Illustrations de Rémi Saillard
L’élan vert 2018

Le parti pris des lettres et le compte tenu des mots

Par Michel Driol

De A à Z, voici un abécédaire poétique et ludique. Chaque page est consacrée à une lettre, illustrée par une phrase la célébrant. Cette phrase ne se contente pas d’être saturée par la lettre vedette : elle la met en scène dans une petite histoire avec humour et intelligence, souvent à partir de deux mots voisins que cette lettre a le pouvoir de rapprocher.

En voici deux exemples :

D’une pirouette un P s’échappa pour déguiser une poule en poulPe

Dans une cOur, un O s’éprit d’un E. Ainsi commença leur histoire de cŒur.

Cette exploration ludique de la langue et de l’écriture remotive, d’une certaine façon, l’arbitraire du signe, en rapprochant des mots que rien ne permettait de lier, si ce n’est leur orthographe. Même les signes diacritiques comme les accents ou la cédille ont leur rôle à jouer. Le tout est fait avec beaucoup d’humour, souligné encore par les illustrations qui personnifient les lettres, qui deviennent ainsi des personnages  sympathiques, cocasses ou pittoresques. Ainsi le K devient un karateka et le F un facteur… cheval ! Ce jeu avec les mots et les lettres s’adresse particulièrement à des enfants qui font leur première découverte du monde de l’écrit, les invitant à trouver d’autres liaisons possibles entre des mots dont les signifiants écrits sont proches, et les signifiés éloignés, pour produire ainsi des rapprochements sémantiques créatifs. C’est une des grandes dimensions de la poésie qui est  ici mise en œuvre, qui invite à explorer avec subtilité l’univers du langage, à le questionner à tous les niveaux pour jouer sur les équivoques ou les ambiguïtés.

Un abécédaire bien plus complexe qu’il n’y parait au premier abord qui invite à une exploration poétique de l’univers orthographique des mots.

Sable bleu

Sable bleu
Yves Grevet
Syros, 2021

Anticipation ?

Par Anne-Marie Mercier

Depuis la trilogie très réussie de Méto, Yves Grevet fait partie de ceux dont on attend beaucoup dans le domaine relativement peu fréquenté de la science-fiction pour la jeunesse. La série de Nox lui avait permis, à travers des points de vue alternés, de mettre en scène non pas des garçons comme dans Méto, mais un garçon et une fille. Ici, c’est le point de vue d’un personnage féminin qui conduit l’histoire, personnage particulièrement éveillé et actif, contrairement au héros de Méto.
Tess a été adoptée. Elle vit avec des parents aimants mais qui ont du mal à communiquer avec elle et sont un peu perdus face à ses choix. Elle ignore ses origines et n’a jamais cherché à les connaitre. Elle en fera la découverte, difficile et douloureuse.
Adolescente, encore au lycée, elle s’interroge sur l’amour. L’un des fils conducteurs de la première partie du roman est sa découverte de la passion et du plaisir avec une autre fille, une étudiante un peu plus âgée qu’elle.
Tess fait partie d’un mouvement de militants pour la protection de la planète qui tente par tous les moyens d’alerter la population et de forcer les politiques à changer de méthode : manifestations, sabotages, affrontements, toutes les manières de faire sont abordées et le roman est une belle description de l’action de ces groupes. Le premier chapitre nous plonge dans une énigme : des vols sont commis chez elle, ses parents la soupçonnent un temps, mais ces vols sont répétés dans d’autres lieux, partout en France et dans le monde et semblent porter la marque d’une action d’un groupe militant pour une vie plus saine : des médicaments, des produits alimentaires industriels douteux, des substances toxiques disparaissent tandis que le pétrole est devenu inutilisable, contraignant les humains à une sobriété nouvelle.
Tandis que les autorités traquent les mouvement écologistes soupçonnés de ces actes, l’héroïne perçoit la présence de forces invisibles, et seuls quelques jeunes gens dans le monde ont ce pouvoir… Une policière qui croit comme elle en l’action d’extraterrestres tente d’agir tout en la protégeant. Parallèlement, des milliers de jeunes gens disparaissent un même jour de juillet, et parmi eux l’amour de Tess…
Ainsi, de multiples fils se nouent dans un roman ambitieux qui brasse beaucoup de questions, sans doute trop. Celle de l’orientation sexuelle est un des éléments qui apparaissent un peu plaqués sur les autres intrigues, d’autant plus que la tentative de Grevet pour rendre compte du plaisir féminin et relater les moments d’intimité entre les deux filles est marquée par l’utilisation d’un langage qui peut sembler souvent hétéronormé. Mais ses extraterrestres sont originaux ; l’avenir radieux qu’ils annoncent est une autre originalité et l’on va de surprise en surprise, notamment avec ce sable bleu, témoin de l’origine de Tess, qui pose encore d’autres questions…

 

 

Nox, t. 1 : Ici-bas et Aerkaos, le retour

Pleine Mer, Plein Soleil

Pleine Mer
Antoine Guillopé
Gautier-Languereau, 2018

Plein Soleil
Antoine Guillopé
Gautier-Languereau, 2018

Pleines pages

Par Anne-Marie Mercier

Pleine Lune, Pleine Neige, Plein Soleil, Pleine Mer…  Antoine Guillopé a créé toute une série de grands albums chez Gautier-Languereau, beaux et variés, avec peu de texte. La magie de ces albums réside en partie dans ce laconisme et dans la solitude de ses personnages. Issa, seul à l’aube dans la savane, comme Jade, en plongée dans l’océan tropical, poursuivent chacun un but secret. L’album, page après page, en montre les étapes, sans que le lecteur sache jusqu’à la toute fin, ce qu’il trouvera à la fin du parcours.

 

Les papiers découpés font partie du charme particulier de ces albums : ils découpent les noirs et blancs intenses de Plein soleil, où apparait parfois le disque doré du soleil, les bleus et verts de Pleine mer, éclairés par le maillot de Jade et ses palmes fuchsia, les coraux, les poissons aux couleurs lumineuses. On s’y plonge et on y avance avec délice.

Noël et Léon

Noël & Léon
Eleonora Marton
Grasset jeunesse, 2022

L’un rit, l’autre pas

Par Anne-Marie Mercier

Noël, Léon, le même nom inversé (un palindrome, donc). Cet effet de miroir se lit dès la couverture où les deux visages, celui du clown Noël et celui du squelette Léon sont tête-bêche et s’opposent en tout : tignasse frisée de l’un, crâne chauve de l’autre, couleurs chez l’un, noir et blanc chez l’autre…
L’histoire développe cette thématique des contraires : l’un vient d’une famille où l’on fait rire, chez l’autre on doit faire peur. Celui qui doit faire rire est mélancolique ; celui qui doit faire peur est d’un naturel gai. Que faire ?
La rencontre de ces deux personnages pose et résout le problème, et tout cela en pages pleines de couleurs et de fantaisie.

À l’école, Léon !

À l’école, Léon !
Emile Jadoul
L’école des loisirs, Pastel, 2022

L’école,  l’inconnu

Par Anne-Marie Mercier

La veille de la rentrée, l’inquiétude monte chez Léon : l’école est trop loin, et si Francis n’y va pas, Léon ne voit pas pourquoi il devrait y aller, même chose pour son frère Marcel, et pour maman. Et si on a envie de faire pipi ? et où sera son doudou ?
A toutes ces questions, sa maman puis son papa ont des réponses : Francis est un poisson et les poissons ne vont pas à l’école, Marcel est trop petit, il ira à l’école l’année suivante, quant aux, mamans elles ne vont plus à l’école, etc.
En revanche les pingouins y vont, puisque Léon en est un, comme toute sa famille. Cela permet de dédramatiser la question et ce petit Léon en forme de patate juste un peu plus grande que celle qui représente Marcel et plus petite que celle qui représente sa mère ou son père est attendrissant et drôle.
Et à la fin, tout va bien, bien sûr, c’est mieux en le disant, n’est-ce pas ?

 

Le Bourgeois gentilhomme

Le Bourgeois gentilhomme
Molière – Illustré par Nathalie Novi
Didier Jeunesse 2022

Théâtre illustré

Par Michel Driol

Parlons d’abord du texte. C’est le texte intégral du Bourgeois gentilhomme que cet album donne à lire, dans son découpage en actes et scènes, ses nombreuses didascalies. Il se clôt par le Ballet des nations. Quelques pages documentaires signées de Nathalie Somers, racontent l’histoire de l’écriture de la pièce, donnent un éclairage sur la comédie ballet, et évoquent les mises en scènes contemporaines de cette pièce. Mais l’intérêt de cet album est ailleurs, il est dans l’illustration de la célèbre pièce de théâtre par Nathalie Novi.

C’est un ouvrage qui évoque par certains côtés les « beaux » livres, ceux des distributions de prix : frontispice doré sur la page de titre, qu’on retrouve pour annoncer chacun des actes, phylactères indiquant les changements de scènes, tout donne une certaine solennité à l’ouvrage, comme celle peut-être qui accompagne la sortie au théâtre. Les illustrations de Nathalie Novi suivent plusieurs axes. D’abord celui des costumes des personnages, tantôt croqués seuls, à la manière d’une créatrice de costumes, tantôt saisis dans une interaction ou en plein dynamisme. Une dominante bleutée accompagne souvent ces images. Ensuite, en pleine page, très colorés, des plans très larges, évoquant la mise en scène du Bourgeois. Ainsi aux cintres pendent des tapis (d’Orient ?), tandis que sur d’autres tapis, au sol, M. Jourdain s’apprête à prendre sa leçon de danse. L’ensemble dessine un univers où la circularité de la piste de cirque semble omniprésente. Ailleurs, c’est un portrait féminin dessiné sur un rideau devant lequel se déroule la scène de dépit entre Covielle et Cléonte. On est au théâtre, et l’illustratrice ne manque pas une occasion de le rappeler, comme ces rideaux entre lesquels on aperçoit l’action, comme ces costumes d’Arlequin ou cet avatar de Monsieur Loyal. Enfin, en haut ou bas de pages, des frises qui nous font sortir : on est en pleine campagne, dans une pastorale bucolique, ou bien on apprend à faire la révérence, et, comme dans un dessin animé, on voit les différentes étapes, ailleurs, au milieu de rubans, on affronte un phi très grec. On laissera chacun découvrir cet univers très coloré qui forme comme un contrepoint au théâtre sous forme de papiers peints ou de tentures pleines de fleurs.

C’est aussi toute une ménagerie qui peuple ce plateau – ce livre – une vache, des moutons, une autruche, un dindon, un paon… parfois comme une façon de ridiculiser les personnages de la comédie lorsqu’ils viennent les côtoyer sur scène.

Une belle interprétation graphique de la comédie ballet de Molière, telle qu’on aimerait bien la voir au théâtre, avec des décors, des costumes, une scénographie signés Nathalie Novi !

Te souviens-tu, Marianne ?

Te souviens-tu, Marianne ?
Philippe Nessmann Illustrations de Christel Espié
Les Editions des éléphants 2022

Pour ne pas oublier  Marianne Cohn

Par Michel Driol

Quelques écoles portent son nom, dont celle du quartier Hoche à Grenoble, ou une autre à Annemasse. Cet album retrace sa vie, depuis le Berlin marqué par l’irruption du nazisme, l’exil familial à Barcelone, puis Paris, l’engagement dans la Résistance où elle convoyait des enfants juifs d’Annecy à la frontière suisse. C’est lors d’un de ces voyages qu’elle est arrêtée avec une vingtaine d’enfants. Elle refuse que son réseau la fasse évader, craignant des représailles contre les enfants. Elle est assassinée en juillet 1944. Lors d’une première arrestation, elle avait écrit un magnifique poème Je trahirai demain, qui nous est parvenu.

Cet album prend la forme d’une lettre bouleversante adressée à Marianne, particulièrement bien composée. Tout commence par le dernier voyage, et la figure d’une figure fille, Renée Koenig, de sa sœur et de son frère, qui faisaient partie du groupe. Puis, dans un retour en arrière,  toujours s’adressant à Marianne, l’album évoque sa courte vie, insistant en particulier sur ce qui l’a conduite à entrer en Résistance. Enfin l’album revient sur les circonstances de l’interception de ce dernier convoi, les conditions de détention à Annemasse. Trois dimensions sont marquantes dans cet album. D’abord le portrait d’une héroïne à la fois humaine et courageuse, pleine de dévouement qu’il donne comme modèle d’engagement à destination des générations suivantes. Ensuite la dialectique entre l’ombre et la lumière, qui revient comme une façon de montrer que, même dans les périodes les plus sombres, certains n’ont pas hésité à être porteurs d’humanité. Enfin la transmission et la chaine entre les générations, matérialisée ici par la figure de Renée Koenig, fillette qui faisait partie de ce dernier voyage, maintenant vieille dame de 88 ans que l’auteur a rencontrée à Manchester et qui évoque la figure de Marianne, telle qu’elle apparait dans son souvenir. En leur donnant la vie, tu leur as offert de vivre la leur… ainsi se termine l’album, comme un hommage suprême adressé à Marianne Cohn.

Cette histoire tragique située au cours d’une des périodes les plus sombres de notre histoire est adoucie par les illustrations à la peinture à l’huile de Christel Espié, qui, avec un certain réalisme (dans les vêtements, les coiffures), donnent vie à Marianne et reconstituent cette époque. L’accent est souvent mis sur la relation entre Marianne et les autres, les enfants en particulier. Un dossier documentaire, illustré de photos d’époque, permet de mieux comprendre l’arrière-plan de cette histoire.

Un album qui sait utiliser l’émotion pour retracer la vie d’une jeune femme, héroïne de la Résistance, dont l’abnégation et le sacrifice auront permis le sauvetage de quelque 200 enfants, et faire en sorte que sa mémoire ne soit pas perdue.

On terminera cette chronique par les mots de Marianne Cohn dans son poème Je trahirai demain.

Je trahirai demain pas aujourd’hui.
Aujourd’hui, arrachez-moi les ongles,
Je ne trahirai pas.
Vous ne savez pas le bout de mon courage.
Moi je sais.
Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
Vous avez aux pieds des chaussures
Avec des clous.
Je trahirai demain, pas aujourd’hui,
Demain.
Il me faut la nuit pour me résoudre,
Il ne faut pas moins d’une nuit
Pour renier, pour abjurer, pour trahir.
Pour renier mes amis,
Pour abjurer le pain et le vin,
Pour trahir la vie,
Pour mourir.
Je trahirai demain, pas aujourd’hui.
La lime est sous le carreau,
La lime n’est pas pour le barreau,
La lime n’est pas pour le bourreau,
La lime est pour mon poignet.
Aujourd’hui je n’ai rien à dire,
Je trahirai demain.

 

 

Cornichonx

Cornichonx
Yves Grevet
Syros (« Oz »), 2020

Du fantastique en bocal ou le X magique ?

Par Anne-Marie Mercier

Nous voilà entre le conte de fées, le récit loufoque, le roman réaliste, et bien d’autres choses, mais surtout le fantastique, vu le nom de la colection : Angélina a des soucis : elle se trouve trop petite, moche ; aucun garçon ne s’intéresse à elle, etc. Ses parents sont un peu bizarres et font tout le contraire de parents ordinaires, se comportent de manière totalement infantile et ils entendent bien qu’elle se comporte de même. Ce n’est pas un problème pour elle : elle accepte leurs clowneries avec philosophie (le lecteur peut penser qu’elles sont traitées de manière un peu excessive et répétitive).
Les légumes sont donc interdits (et les fruits) puisqu’ils sont prescrits par les gens raisonnables. Or, un jour, poussés par une force mystérieuse, les parents achètent un bocal de cornichons un peu bizarre, où est inscrit le mot « CornichonX ». Cet objet se rapproche de ce que serait un vase plein de petits génies capables d’exaucer nos souhaits ou de répondre à nos questions. Mais chaque jour Angélina constate que si le problème qu’elle a exprimé en mangeant un cornichon, est résolu cela pourrait être le fruit d’une coïncidence. Magie, hasard, qui sait ? Ce court roman est distrayant et très facile (à tous points de vue).

Les Minuscules

Les Minuscules
Claude Clément – illustrations de Tildé Barbey
Editions du Pourquoi pas  2022

Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière (Hugo)

Par Michel Driol

Dans un pays en guerre, se rendant à l’école, Bassem découvre sa maison soufflée par une explosion. Orphelin, cheminant parmi les décombres, il rencontre d’abord une vieille femme qui réussit à sauver quelques plants de fleurs et de légumes de son jardin, puis un jeune homme qui joue du piano, son amie Shadia et son petit chat, son instituteur qui s’acharne à sauver les livres de la bibliothèque, un homme qui traine une charrette remplie d’eau potable et une troupe d’artistes ambulants… de quoi se délivrer de ses larmes et continuer à vivre.

Il s’appelle Bassem… il pourrait bien aussi s’appeler Yuriy  ou Anastasiya, Moussa ou Fatou…Les Minuscules dit avec force, à hauteur d’enfant, les désastres de la guerre, dans une langue épurée et réduite à l’essentiel, dans un texte qui force le lecteur à épouser les sentiments et les émotions du héros, son désarroi, le grand vide qu’il ressent à la perte de tout ce qui constituait sa vie et son univers, à l’image de cette boutique, héritée d’un aïeul, désormais détruite. On suit donc son errance dans cette ville détruite, à travers des rencontres symboliques qui mettent l’accent sur ce qu’il faut pour vivre et survivre : les plantes pour la nourriture, les fleurs pour la beauté, l’eau, l’amour, et aussi la culture. Pourquoi sauver les livres s’il n’y a plus rien ? Parce que le jeu, le rire, l’art sont indispensables face à la brutalité des bombes. Ils sont ce qui constitue notre mémoire, notre humanité, notre façon d’être ensemble dans un partage d’émotions sans lequel nous ne pourrions pas vivre, pour continuer à aller de l’avant. Les Minuscules, ce sont tous ces personnages, Bassam comme celles et ceux qu’il rencontre, ces gens de peu, ces gens de rien, ces victimes de ceux qu’on nomme grands, mais qui peuvent se montrer solidaires, créatifs, et capables de combattre la folie aveugle, absurde et destructrice de la guerre. Parvenir à semer quelques grains de lumières, écrit l’autrice à propos de son texte, c’est une piste que suit avec bonheur l’illustratrice. Grains de lumière ou grains de sable, telles sont les traces laissées par Bassam dans sa fuite, celles qu’on retrouve en forme d’étoile, ou sous les pattes du chat, qui constituent comme un fil doré au sein de cet album. Les illustrations ne cherchent pas le réalisme, mais déconstruisent et reconstruisent le monde, à la façon de métaphores visuelles dans lesquelles les livres deviennent portes ou tentes,  et les touches du piano des marches sur le chemin. Comme un contrepoint au tragique de l’histoire, elles disent l’espoir d’un monde meilleur vers lequel marcher pour aller, comme écrivait Hugo, vers sa lumière.

Un album qui adopte un point de vue singulier et original sur les enfants dans la guerre, pour dire de façon très poétique la nécessité de la solidarité et de la culture pour résister et survivre  aux atrocités du présent.