Le Mystère de la tombe Gaylard
Marie-Claire Boucault
Syros, Souris Noire, 2010
Et Dagobert ?
par Christine Moulin
L’idée était bonne et avait de quoi séduire les amateurs de brocante : le mérite indiscutable du roman de Marie-Claire Boucault est de faire partager et de bien analyser les émotions et les rêveries qui peuvent survenir à la vue de tel ou tel objet en vente aux Puces. Elle en a fait le point de départ de son récit : la narratrice déniche un album de photos et se laisse arrêter par celle d’une tombe. Elle décide de rendre l’album à la famille à laquelle il appartient.
L’intrigue ? Elle s’étire sur les 178 pages. Le mystère annoncé par le titre n’est, finalement, pas si mystérieux. On pense alors au Club des Cinq… Même suspens artificiellement entretenu, sage narration linéaire, psychologie artificielle : la narratrice, Sybille, a environ dix-sept ans mais l’auteur s’est soigneusement débarrassée de ses parents, divorcés. La mère passe le plus clair de son temps avec son nouveau compagnon, elle est journaliste de mode ; le père, lui, est un célèbre présentateur de télévision (métier dans lequel tous les jeunes lecteurs reconnaîtront, on s’en doute, celui de leur propre père et qui permet de lire des phrases qui laissent rêveur : « Je connaissais cet endroit [le bar de l’hôtel-restaurant Le Lutèce !], assez couru des journalistes, pour y prendre souvent un brunch avec mon père » …). Sybille vit donc pratiquement seule dans un appartement parisien (no comment…). Ses semaines au lycée ne sont jamais racontées. Pas une seule amie aux environs (à cet âge !) mais des soupirants (trois en même temps !). Ses sentiments sont lourdement explicités, rarement suggérés, et on a du mal à comprendre l’intensité de son investissement dans une quête qui ne la concerne que de façon très lointaine (oui, bien sûr, on conçoit qu’elle veuille, enfant de divorcés, réparer des liens familiaux abîmés mais cela suffit-il à donner de l’épaisseur à cette enquête, somme toute assez vaine ?).
Quant à l’écriture, elle est transparente. Et encore, ce serait sans doute mieux si elle l’était vraiment : on assiste souvent au mélange irritant d’un argot censé être « djeun » et probablement déjà daté (kiffer, tifs, fumasse, etc.) et d’une syntaxe très plate, voire maladroite (ah ! les incises du genre : « souris-je »…).
Dans les histoires du Club des Cinq, au moins, il y avait Dagobert…
La « bit lit », n’est-ce pas ?, c’est cette littérature destinée principalement aux adolescentes, qui, dans le sillage plus ou moins commercial de Twilight, raconte les amours contrariées d’une jeune fille avec un vampire. Elle a même
Nous sommes prévenus dès l’abord : ce roman est une « ukronie » et comme tel, fait partie d’une collection dirigée par Alain Grousset. L’Ukronie, qui est une branche féconde de la science-fiction, décrit « un temps imaginaire, une autre Histoire que celle que nous connaissons ».
Ce roman se remarque d’abord par sa couverture, non pas par l’illustration, banale, mais par sa texture : lisse, douce au toucher, veloutée. Du noir tactile…
La première moitié du livre est très bonne, le premier quart excellent. L’action se situe dans un Londres du futur dévasté par la guerre et par les recherches que les Vlads (avatars des Soviétiques ?) imposent à la population : il s’agit, ni plus ni moins, de démolir la ville, pierre par pierre, pour retrouver un mystérieux artefact, censé détenir des pouvoirs immenses et bénéfiques. A la manœuvre, les « excaves », dont font partie les héros : Cass, nouvelle Gavroche, et son frère Wilbur qui, à huit ans, fait preuve d’une intelligence hors norme. Il est persuadé qu’il peut deviner où est l’artefact et se fonde, pour le chercher, sur des indices qu’il puise dans d’anciennes bandes dessinées enfouies dans les ruines des maisons qu’il aide à abattre. C’est ainsi qu’un jour, il se retrouve suspendu à une des aiguilles de Big Ben : sa sœur le sauvera avec l’aide d’un être mystérieux qu’elle surnomme d’abord Pyjama Boy, à cause de sa tenue, et qui s’avérera être Peyto, venu d’une autre planète. Bien sûr, Peyto a un lien étroit avec l’artefact.
A l’instar du héros du film de Christopher Nolan, l’héroïne, Lili, a des problèmes de mémoire et pour y remédier, rédige des notes tous les soirs sur sa journée : en effet, elle ne se souvient pas du passé. Toutes les nuits, à 4h33, son « disque dur » s’efface et elle recommence sa vie à zéro. Enfin, pas tout à fait car elle se souvient de l’avenir, ce qui peut expliquer qu’elle arrive à suivre des études à peu près normales, en première. Sur cette base, le roman explore quelques pistes intéressantes : le rôle de l’écriture, la part de mauvaise foi ou de traumatisme qui préside à l’effacement de certains souvenirs, le caractère inéluctable (ou non) du destin. De plus, sur le plan narratif, la situation permet des effets de suspens efficaces. Au prix de quelques incohérences: comment Lili se souvient-elle de vagues connaissances alors qu’elle redécouvre l’amour de sa vie tous les matins (j’ai eu beau être attentive : je n’ai pas repéré d’explications) ? A part cela, le roman n’est pas très original : le contexte reste celui d’un lycée américain et décrit les tourments de l’adolescence. Mêmes élèves, mêmes cours, mêmes histoires d’amour, même méfiance face au « passage à l’acte », noyée dans un érotisme diffus, que dans les histoires de bit lit, où l’anormalité de l’héroïne ressortit plus au genre fantastique. Mêmes relations difficiles avec les parents, mêmes angoisses existentielles : que vais-je mettre aujourd’hui (significativement, tous les mémos de Lili commencent par : « tenue »).Cela dit, le récit est bien mené : on a envie de débrouiller les fils compliqués de la mémoire de Lili mais la fin semble à la fois trop dense (à côté du début un peu lente et bâclée, confuse. Certains, sur le Net, y voient la promesse d’un deuxième tome…
Nous sommes dans une société à peine futuriste, donnant même parfois l’impression que l’auteur ne tenait pas spécialement à écrire un livre d’anticipation. C’est ainsi qu’in extremis (p.271), il fait manger de petites pilules à ses personnage: clin d’oeil! Et encore laissent-elles la place à un bon couscous fumant…
Créditons l’auteure d’avoir voulu brouiller les repères narratifs pour donner une idée de la désorientation des personnages. Peut-être, toutefois, en a-t-elle un peu trop fait…
Autour du thème très lâche et très vaste de « plus » et « moins », voilà un livre hétéroclite, dont les illustrations « fouillis » indiquent bien la nature.
Si l’action ne se déroulait pas dans le Grand Nord, dans une atmosphère glaciale, pure et étouffante comme celle des tragédies, on pourrait dire qu’il s’agit d’un western: le héros de l’histoire principale (il y a une histoire-cadre que je vous laisse découvrir), Sig, est un jeune garçon dont le père Einar meurt dès les premières lignes (« Sig regardait fixement le corps immobile de son père, attendant qu’il parle, et le père se taisait, car il était mort »). Einar, on l’apprendra, a été impitoyablement poursuivi, pendant toute sa vie, par une brute, un homme-ours (du nom de Wolff…) qu’il a trompé, dans une affaire d’or et de trésor. Appât du gain, batailles, ressentiment, vengeance, errance, violence, tout est là.