Chat-nouille

Chat-nouille 
Gaëtan Doremus

Rouergue, 2010

 Dans « LJ », il y a « littérature »

 par Christine Moulin

 chat-nouille.jpgOn aimerait aimer ce petit album, carré comme tous ceux de l’éditeur, au nom même du goût que l’on a pour le Rouergue. Pour le dessin aussi, fluide, au crayon rehaussé d’orange. Pour la bonne bouille du chat héros de l’histoire, sans doute nommé Mistigri (mais son nom disparaît rapidement pour la dénomination « le chat »).

Oui, mais voilà, le propos est tellement évident, pesant et didactique qu’on n’y arrive pas. Derrière ce chat anonyme, on reconnaît tellement vite tous les adolescents scotchés à leur écran et leurs jeux vidéo qu’il n’y a aucune surprise, aucun décalage, aucun déplacement. La leçon est assénée : la télévision, les jeux vidéo, c’est nul ; il vaut mieux lire et aller faire un tour dehors. Sinon, on devient lisse, mou et blanc… !

Quand le livre fait son auto-promotion sans nuances, on a bien envie de se précipiter sur son canapé et de s’offrir une grande orgie de télé !

Charles à l’école des dragons

Charles à l’école des dragons
Alex Cousseau et Philippe-Henri Turin

Seuil Jeunesse, 2010

Variante esthétique sur un lieu commun

par Christine Moulin

 charles.jpgDès qu’on le voit sur la couverture, on a envie d’aimer Charles, le petit dragon qui naît dans « un parfum de fin du monde […], au sommet d’une montagne, sur un nid de graviers » : ses yeux émouvants, implorants, pleins de tendresse et de tristesse, rappellent ceux du Chat Potté de Shrek. Bref, on fond… Tout comme ses parents qui trouvent qu’il est le plus beau dragon du monde.

Les illustrations, somptueuses, ne nous détrompent pas. Seulement, voilà : Charles, à l’école, au lieu d’apprendre à voler et cracher, écrit des poèmes (enfin, plutôt des vers de mirliton, si on en juge par sa production). On devine la suite : de marginal, il deviendra admiré de tous ; d’ « intello » souffreteux, dragon majestueux.

Le propos est donc connu, voire ambigu (l’humour noir de Les Trois loups, du même auteur, était plus revigorant !). Mais le format, les couleurs, le dessin, les cadrages, tout fait quand même de cet album un plaisir… pour les yeux.

Le monde des dragons

Le Monde des Dragons
S.A. Caldwell

Traduction (anglais) par Jean-François Cornu
Gallimard Jeunesse, 2010

Une envoûtante supercherie

par Christine Moulin

dragons.jpg L’ouvrage est magnifique : les illustrations, très « réalistes », aux couleurs flamboyantes, aux angles de vue impressionnants, attirent dès l’abord. On s’attendrait presque à sentir vibrer une aile entre les pages…

Mais le texte n’est pas en reste. L’introduction donne le ton : « Ils sont le mugissement du vent, la lueur dans le ciel, le bruissement de la forêt. Ils sont le miroitement sous le soleil du désert, le frémissement à la surface des eaux calmes, la fureur de l’œil du cyclone ». Enumération quasi hugolienne.

Les amateurs de vrais-faux documentaires (à la manière de La fabuleuse découverte des îles du Dragon, de Kate Scarborough, par exemple ou de Lettres des îles Girafine, d’Albert Lemant) ne seront pas déçus : on a le droit à l’étude des habitats, des différentes espèces, des sens, des serres du dragon, etc. Le style sait se faire délicieusement didactique : « Observez la canine féroce du Dragon des cimes aux dents-sabres », l’explication rigoureuse, le style scientifique (« on pense que », « des traces de phosphore incandescent ont en effet été décelées », …)

Mais rien de trop « austère » : c’est ainsi qu’on apprend que le dragon « possèderait un sixième sens, non encore expliqué, qui lui permet entre autres choses de dénicher de l’or et des pierres précieuses cachés au regard ». Et nous sont racontées certaines légendes…

La dernière page recèle une savoureuse note humoristique qui prolonge l’impression d’avoir véritablement lu un documentaire très « authentique » sur de fabuleuses créatures.

La fugue de Milton

La fugue de Milton
Haydé
La Joie de Lire, 2010

Il est « trop » !

par Christine Moulin

 milton.jpgCertes, Milton est une vieille connaissance (c’est qu’il va vers ses quinze ans, le bougre!). Mais il n’a rien perdu de son charme lunaire. Paresseux, un peu bête (?), gourmand, mais aussi curieux, épicurien, fidèle, sage, au fond, il est terriblement attachant. Si bien que l’on a très peur pour lui car sa fugue n’est pas de tout repos ! Mais évidemment, rien ne vire au tragique.

Il fera rire et sourire tout le monde et il attendrira les amoureux des chats qui retrouveront en lui, certainement, quelques traits de leur animal favori…

Le chat aux yeux bleus

Le chat aux yeux bleus
Egon Mathiesen
traduction (danois) par Catherine Schydlowsky-Nielsen
Circonflexe, 2010

Le vilain petit félin

par Christine Moulin

chat yeux bleus.jpgLa première édition (au Danemark) de ce livre date de 1949 ! Mais le trait est moderne, dynamique, drôle. Le personnage, un adorable chat aux yeux bleus, immenses, est attachant, courageux, sûr de lui sans forfanterie, et l’histoire, avec bonheur, sans pesanteur moralisatrice, s’inscrit, de façon à la fois humoristique et tonique, dans la tradition du « pas beau », du « pas gâté par le destin » qui triomphe à la fin.

Un vrai régal.

Le livre a reçu le prix de la Littérature pour enfants du Ministère de la Culture en 1954. Nos parents avaient du goût !

Compte avec moi

Compte avec moi
Philippe-Henri Turin,
Seuil, 2011

 Conter ou compter ?

par Christine Moulin

charles.jpg Revoilà Charles, l’adorable dragon. Il nous est revenu grâce à un album à compter, conçu sous forme d’un accordéon dont les deux faces peuvent s’explorer (c’est le principe de la collection « Clac book », nom qui va faire frémir les adversaires de l’invasion anglaise…). Sur une face, Charles compte jusqu’à 10, comme le veut le genre ; sur l’autre, on retrouve les éléments dénombrés dans un « tableau » d’ensemble.

Charles a toujours la même bonne « bouille ». Mais il est toujours aussi ambigu : est-il vraiment très judicieux de présenter le fait de n’avoir « que » huit doigts (quatre à chaque patte) comme une catastrophe ? Compter, c’est alors, enfin, être conforme à la norme…

Allez, ne « chipotons » pas : souhaitons simplement que Charles ne devienne pas un produit qui se vende sur T-shirt, trousse, gomme ou autres gadgets.

De l’autre côté du lac

De l’autre côté du lac
Anne Brouillard,
Le Sorbier, 2011

Ni tout à fait la même ni tout à fait une autre,

par Christine Moulin

Anne Brouillard n’a pas son pareil pour créer un univers envoûtant avec rien. Rien si ce n’est un chemin (comme dans Le chemin bleu, autre magnifique ouvrage, publié il y a sept ans, déjà…), celui qu’un présent quasi atemporel nous invite à suivre dès la première phrase : « Le chemin bordé d’arbres tourne autour du lac dans l’ombre et la lumière ».

Rien, si ce n’est une superbe maison, de celle que l’on aimerait habiter, pleine de lumière, de tendresse (un tissu rouge à carreaux, un évier où sèche la vaisselle, des chaises en bois, toutes simples, un buffet, bien sûr, quelques livres posés sur la table, une bouilloire : c’est tout juste si on ne respire pas comme une odeur de café ou de thé en découvrant la double page où se succèdent quatre tableaux paisibles, décrivant  le monde vu de ce côté-ci du lac). Cette maison appartient à Tante Nadège, et Lucie, une petite fille dans les dix-douze ans, y est en vacances, sans doute.

On découvre aussi, avec bonheur, Alpha et Toka, deux chats, l’un blanc, l’autre tigré, merveilleusement croqués et croyez-moi, rien n’est plus difficile à dessiner qu’un chat ! Mais le premier livre de l’auteur, c’était, rappelez-vous, Trois chats.

Tout pourrait rester ainsi, en équilibre, dans la douceur estivale de cette maison de famille, mais « l’autre côté du lac », que Tante Nadège associe visiblement au souvenir et à l’enfance, va faire signe, dans tous les sens du terme. « Un matin, Lucie remarque quelque chose de bleu qui brille dans les arbres ». Bleu, la couleur du temps, chez Anne Brouillard…

On prépare l’expédition car c’en est une. On se lance. Il faudra marcher longtemps, construire un pont. Le résultat sera à la hauteur de l’attente. Manet et son Déjeuner sur l’herbe sont même convoqués. Mais l’essentiel est dans le décalage, le point de vue différent porté sur l’existence : il suffit de passer le pont… et l’aventure commence, à la fois intérieure et universelle.

Le dîner

Le dîner
Michel Van Zeveren,
Pastel, 2011

Oui, mais la grenouille ?…

par Christine Moulin

Michel Van Zeveren est (entre autres) l’auteur du délicieux Et pourquoi ? (Ecole des Loisirs, 2008). C’est donc avec gourmandise que l’on ouvre son nouvel album, d’autant que le titre met en appétit. On est peut-être un peu déçu : bien sûr, le lapin est très, très mignon et ses oreilles très expressives. Bien sûr, on aperçoit toutes sortes de contes en filigrane : la maman lapin a un air de maman chèvre (Les sept biquets), les personnages s’empressent de transgresser tous les interdits qui empêcheraient l’histoire de se dérouler, il y a même une grenouille (qui restera grenouille…), un loup, un réfrigérateur, bref, tout le confort moderne.
Mais la chute, sans être mièvre, est un peu tiède.
Et puis, j’ai rencontré, à la lecture, un problème : comment se fait-il que la grenouille ne se soit pas enfuie avant, puisqu’elle savait comment faire ? Humm ? Comment cela se fait-il ? (Les lecteurs de cette chronique sont cordialement invités à me tirer d’embarras dans les commentaires ci-dessous ! Que ceux qui se voient contraints, de ce fait, de révéler la fin de l’histoire fassent bien précéder leur commentaire du traditionnel « spoiler »!!)

La nuit

La Nuit
Olivier Charpentier,
Seuil (Clac book), 2011

Dormir, c’est rêver un peu

par Christine Moulin

Dans la même collection que l’album de Philippe-Henri Turin, la collection « Clac book », voilà un ouvrage bien plus abouti. Il raconte, par le seul truchement de l’image, gaie, dansante, fantasque et colorée (ce qui est un comble puisque tout se passe la nuit !) le voyage d’un petit loup dans ses propres rêves. Il est accompagné d’un doudou lapin (rouge), qui le rassure, ce qui est la moindre des choses pour un doudou, mais va également gagner du galon et devenir un personnage à part entière.
On pouvait a priori douter que le fantastique pût se décliner pour les tout-petits : et pourtant… A la fin de son périple, le héros rapporte des contrées qu’il a visitées, présentées comme imaginaires, une rose, bien réelle, elle (tel le grelot de Boréal Express, de Chris Van Allsburg), qu’il offre, petit prince plein de tendresse, à sa maman.

Dix cochons sous la lune

Dix cochons sous la lune
Lindsay Lee Johnson, Carll Cneut
La Joie de Lire, 2011

 Ceci n’est pas un album à compter

par Christine Moulin

linday lee johnson,carll cneut,la joie de lire,cochons,transgression,christine moulin,fugueDès les pages de titre, on se doute de quelque chose : rien n’est tout à fait « normal ». On nous parle de 10 cochons,  nombre rassurant s’il en est, et dans la cabane sur  la gauche, ce sont des éléphants qui se détachent sous forme d’ombres chinoises, et à droite, une souris.

Quand les cochons entrent en scène, en fait, ils sont sur le départ. Pour une fugue nocturne. Le réveil marque huit heures (moins cinq) et pourtant, il fait nuit noire et on est en été (on le saura plus tard, il fait chaud, très chaud).

Protégés par la surveillance discrète d’un hibou, nos cochons vont à qui mieux mieux braver les interdits. Certains, toutefois, emportent un grigri : un livre qui ressemble étrangement à celui que nous tenons entre les mains, un doudou, un ballon…

Mais « tout est-il permis, se demande le hibou ? ». Non, bien sûr…

Loin des messages moralisateurs, cet ouvrage interroge le lecteur sur la transgression, le plaisir (surveillez les souris!), l’irruption du désir qui dérange la sage ordonnance des nuits et des jours, le tout amplifié par les illustrations, toujours splendides, de Carll Cneut.

Voulez-vous connaître l’avis de Sophie Van der Linden ?