Le faire ou mourir: Variations sur les modes de la Terreur adolescente

Le faire ou mourir
Claire-Lise Marguier

Rouergue (doAdo), 2011

Variations sur les modes de la Terreur adolescente

par Anne-Marie Mercier

Claire-Lise Marguier,collège,violence,gothique,homosexualité,scarfications,solitude,amitié,  Rouergue (doAdo), Anne-Marie Mercier   Ce premier roman, malgré sa thématique très ancrée dans l’actualité sociale, surprend – en bien – à plus d’un titre. Écrit à la première personne de façon sobre, son ton peut parfois se révéler lyrique, parfois exacerbé. En phrases courtes, pressées par l’angoisse ou l’exaltation, il raconte plusieurs histoires.

Dans un premier temps c’est l’histoire d’un garçon fragile et sensible, souffre-douleur des cours de récréation, négligé par sa famille, moqué pour ses larmes et ses terreurs d’enfant. Maltraité par une bande, il est sauvé par une autre et s’y agrège avec l’impression d’avoir enfin trouvé un lieu où exister. Que les uns soient des skateurs et que les autres soient des gothiques est assez anecdotique sur le fond mais les réactions des autres aux apparences sont décrites de façon intéressante. On explore donc ici avec beaucoup de pertinence la question de l’appartenance à un groupe, une « bande ».

Dans un  deuxième temps, c’est l’histoire de l’amitié entre Damien et Samy, une amitié dans laquelle la dimension physique devient de plus en plus importante. Comme cela est dit explicitement dans le roman, ce n’est pas la question de l’homosexualité qui est traitée ici, mais c’est le portrait d’un amour. L’auteur nous raconte une belle histoire, avec pudeur et beaucoup de sensibilité. Damien le Solitaire et le muet découvre en Samy un « gothique » solaire, à la fois libre et rattaché, à l’aise avec ses parents, à l’aise avec son corps, à l’aise avec les mots, tout ce qu’il n’est pas.

Dans un troisième temps, le lecteur découvre le profond malaise de Damien qui se scarifie, pour éviter d’exploser, par plaisir, pour se sentir exister, tout cela à la fois et d’autres choses encore. Les violences qu’il s’inflige ou qu’il subit, physiques ou psychologique, au collège ou en famille, l’incompréhension de son père, la distance de sa mère, son incapacité à dire, tout cela fait un mélange explosif qu’il ne désamorce, provisoirement, qu’en faisant couler son propre sang.

L’auteur nous propose deux fins possibles. L’une, saisissante, est terrifiante, catastrophique. La deuxième, qui imagine un futur possible à Damien, est réconfortante. Certains voient cette double proposition comme une facilité. J’ai apprécié ce non-choix: il montre que ce n’est que de la fiction. Il montre aussi ce que cette fiction dit du réel: on ne peut fermer le livre sans un sentiment de terreur devant l’idée qui sous-tend ces deux propositions, qu’il suffit de si peu pour faire basculer tant de vie vers tant de mort.

Il est rare que des questions comme celles de la violence scolaire et familiale,  de la mode du « gothique » et de la pratique des scarifications soient abordées dans une fiction qui les éclaire de l’intérieur avec autant de cohérence et de compréhension. Il est rare également qu’un roman soulève autant de questions sociales sans jamais cesser d’être… un roman : ici, le parcours de personnages auxquels ont croit et auxquels on s’attache.

Qu’est-ce que tu vois ?

Qu’est-ce que tu vois ?
Stéphane Sénégas

Kaléidioscope, 2011

par Chantal Magne-Ville

La philosophie de cet album est sobrement résumée dans la maxime de Flaubert gravée sur le sable d’une plage de l’océan : « Pour qu’une chose soit intéressante, il faut la regarder longtemps ». Ce n’est pourtant pas l’avis du jeune narrateur que ses parents viennent d’abandonner pour une longue semaine chez son oncle Horace, gardien de phare. Comment survivre en étant privé de tout ce qui fait les charmes de la vie urbaine ? Les échanges entre l’oncle et le neveu, difficiles au début, se résument à cet échange : « Qu’est-ce que tu vois ? – Pourquoi ? Il y a quelque chose à voir ? ».

Et pourtant, en effet, il y a beaucoup à voir et à sentir. Le phare permet de multiplier les perspectives en une thématique du haut et du bas très poétique. L’image alterne les plongées vertigineuses dans le colimaçon de l’escalier avec des diagonales inédites qui inversent le sens de la lecture de droite à gauche et obligent l’œil à des détours panoramiques très réussis. Les crayonnés et l’ombre du papier confèrent des nuances chaudes, voire nostalgiques à la côte atlantique portugaise, ainsi qu’une maxime gravée sur une pancarte nous l’indique. Les couleurs contrastent fortement d’une double page à l’autre : elles se teintent violemment d’orange au couchant, ou s’embrument le matin. Stéphane Sénégas a réussi à saisir les changements de lumière ainsi que les émotions des personnages avec un trait minimaliste qui s’attache surtout aux regards. Entre la pêche au crabe et l’observation des nuages, le temps a passé très vite et l’enfant comme le lecteur ont appris à voir sans pour autant devenir contemplatifs !

Un Océan dans les yeux

Un Océan dans les yeux
Dedieu

Seuil Jeunesse, 2011

par Sophie Genin

 9782021041903.gifThierry Dedieu dédicace cet album envoûtant à son éditrice qui lui a dit à propos de ce projet  : « Fais-toi plaisir ! ». Et c’est ce qu’il fait ! Le résultat est superbe car tout est parfait, de l’histoire aux illustrations.

 Georges, le gardien de phare n’abandonnera pas son « bâtiment », comme le marin qu’il est, même si le phare des Roches Grise est bien arrimé à la Terre. Les illustrations servent magistralement le propos, associant de simples traits aux tons Terre de Sienne pour les scènes à des peintures aux tons angoissants pour les paysages maritimes, comme si Turner avait découvert la BD.

 Ce sont elles, enfin, qui portent l’atmosphère fantastique baignant le texte : Georges a-t-il été, comme il le soutient, sauvé par une baleine, attaqué par une pieuvre et a-t-il « croisé un banc d’éléphants au large de Zanzibar » ? Pour le savoir, jetez un oeil à la dernière page de l’album mais aussi à la page de garde finale…

Le chat d’Elsa

Le chat d’Elsa
Alice Brière-Haquet, Magali Le Huche

Père Castor, 2011

  Le chat invisible

 par Christine Moulin

 
Les enfants, on le sait, se créent souvent des amis imaginaires et la littérature aime à traiter ce thème spéculaire comme dans Le chien invisible (Claude Ponti), Léon et Bob (James Simon), Moi et rien (Kitty Crowther), Petits sauvages (David Almond), Je voulais te dire (Jennifer Dalrymple), Bernard et le monstre (David Mc Kee), etc. Le chat d’Elsa fait partie du lot et, comme souvent, c’est la solitude qui explique la genèse du chat (vert, comme il se doit) : « Elsa est une toute petite fille, seule dans une grande maison vide ».

Mais ce qui est amusant, c’est qu’ensuite, tout est raconté du point de vue de l’héroïne. Les parents ont très bien admis que leur fille se soit inventé un compagnon, même s’ils rouspètent quand il devient l’alibi rêvé pour toutes ses bêtises et même si leur exaspération les amène parfois à rompre le pacte qui entérine l’existence d’Armand ‑ puisque tel est le nom du félin.

Mais nous, lecteurs, nous voyons la vie des deux amis et elle est attestée par les illustrations dont la force, en l’occurrence, est de ne pas savoir mentir. L’album s’ouvre alors sur un retournement poétique, qui n’est pas sans rappeler deux autres albums jouant habilement sur le point de vue, Bébé monstre (Jeanne Willis et Susan Varley) et Papa de Corentin. Le chat d’Elsa pose finalement la question de la fiabilité du narrateur et s’adresse à ceux qui ne sont pas (trop) devenus « des grandes personnes ». Les illustrations sont à l’unisson de cet univers délicat : elles évoqueraient presque (excusez du peu…) la finesse de Sempé et savent provoquer l’émotion (le chat contrit est tellement attendrissant…)

Qui a peur de quoi ?

Qui a peur de quoi ?
Coralie Saudo
Les 400 coups

A chacun sa peur

Par  Chantal Magne-Ville

Qui a peur de quoi ? .gifUn album qu’on ne se lasserait pas de palper tant sa couverture rembourrée est douce sous la main. Il renouvelle avec bonheur les rimes sur les prénoms en traitant des craintes enfantines. Chaque enfant a sa peur, sauf Adrien qui affirme n’avoir peur de rien, mais de ce fait se retrouve seul et malheureux.

L’illustration totalement redondante avec le texte permet à l’enfant d’anticiper sur la rime qui va suivre. Sur un fond constitué de collages colorés et inventifs, les personnages enfantins, ronds à souhait, semblent des galets peints auxquels on a rajouté des bras, ce qui ne limite cependant pas leur expressivité. Ecole, piscine, jardin public, l’univers des enfants est transposé et totalement reconnaissable avec un luxe de détails qui mêlent réalisme, fantaisie et merveilleux. Un livre précieux car il montre l’importance du groupe et de la diversité.