Le temps des ours

Le temps des ours
Rascal
Pastel, L’école des loisirs, 2013

Puisque personne ne m’aime…je pars

Par Lauren Fargier, MESFC Saint-Etienne

LetempsdesoursCet album présente la  quête d’un petit ours en peluche, qui  à cause d’un manque d’amour a décidé de quitter la maison. Il passe alors dans un nouveau monde avec l’espoir de rencontrer quelqu’un qui l’aime enfin. Sur sa route, il croise une fleur, un nuage, des pierres et une rivière, mais aucune de ces rencontres n’est concluante, excepté celle de la rivière qui parvient finalement à lui redonner le sourire.

Par une écriture simple et poétique et une illustration aux tendres couleurs pastel, Rascal transmet beaucoup plus qu’une histoire : ses intentions se traduisent par le choix du format qui convient à l’intime, et qui permet de faire ressentir un florilège d’émotions telles que la solitude, l’amour, l’espoir, la déception.

L’illustration semble cependant prendre la pas sur le texte, par la mélancolie qu’elle parvient à faire ressentir au lecteur. On peut lire sur le visage du petit ours un désarroi que les effets de cadrage renforcent, amenant le lecteur à éprouver compassion et empathie pour lui. Néanmoins, à chaque rencontre, l’auteur accorde une double page pour montrer l’importance de l’espoir qui naît chez le personage. Enfin cette évolution positive s’observe également au travers de l’évolution de la fleur qui est fermée sur la  première de couverture et ouverte sur la quatrième. Cette transformation de la rose rend compte de l’état émotionnel du petit ours du début à la fin de l’histoire.

Cet album est un véritable coup de cœur ! En peu de mots mais avec des dessins saisissants, à travers un personnage animalier à forte valeur nostalgique, Rascal réussit ni plus ni moins à nous parler du besoin de lien social et des émotions qui s’y attachent, tout en prévenant le jeune lecteur de la complexité des relations, ce que résume la rivière : « Je veux être ton amie, mais avant toute chose, je me dois d’être honnête avec toi… Sache que je serai différente chaque jour ! Selon mes humeurs, je déborderai ». Elle montre que ces liens construisent ce qui nous fonde, l’estime de soi.

L’œil du loup

L’œil du loup
Daniel Pennac
illustré par Catherine Reisser, mis en musique par Karol Beffa, orchestre de chambre de Paris, Gallimard jeunesse/Nathan, 2012

Le chant des mondes

Par Anne-Marie Mercier

Le célèbre récit de Pennac se suffit à lui-même, certes et il était déjà dans sa première édition bien illustré. Tout développement aurait pu sembler inutile. Et pourtant, cette version illustrée et accompagnée d’un CD, loin d’être superflue, lui donne une nouvelle vie: les dessins sobres de Catherine Reisser (qui avait illustré la version pocket) encadrent le texte, s’y inscrivent parfois, l’aèrent.

Le narrateur est parfait : c’est l’auteur lui-même et il le dit aussi bien qu’un acteur professionnel, sobrement, marquant des pauses. On échappe ainsi aux dialogues portés par des voix enfantines, rarement justes. La musique est belle et colle à l’atmosphère du récit sans être envahissante; elle s’inscrit dans les temps de silence de la voix et prolonge la force du dit. L’ensemble est parfait.

Je suis un hikikomori

Je suis un hikikomori
Florence Aubry
Mijade (zone J), 2010

La Chute, vue d’enfance

Par Anne-Marie Mercier

Ce petit roman  évoque moins le fait de société évoqué par son titre (hikikomori  désigne les jeunes gens qui au Japon s’enferment dans leur chambre pendant des mois voire des années) qu’une situation poignante et pourtant  banale dans laquelle beaucoup d’adolescents se retrouveront. Le narrateur est un jeune garçon qui vit seul avec sa mère. Il est au début du récit enfermé dans sa chambre depuis plusieurs semaines, seul avec son ordinateur.  Il ne sort pas. Personne n’entre, la nourriture est déposée devant sa porte. Le récit de ce temps de retrait volontaire du monde est alterné par celui des événements parfois minimes qui ont amené cette situation, depuis son arrivé en ville au début de l’année scolaire, avec des évocations de sa vie d’avant, avec des copains, le chant des grenouilles, une vie heureuse jusque là.

Le point de départ est ordinaire : la solitude de celui qui arrive dans un nouveau lieux, de nouveaux groupes, les tentatives pour être remarqué, se faire des amis ; les amis, le point central est là : pourquoi certains en ont-ils et d’autres pas ? est-ce l’apparence, la voix, l’attitude, ou autre chose de plus mystérieux ? Enfin, c’est le sentiment de honte qui domine : la honte absolue, non pas celle d’un innocent accusé, ou d’un être dont on se moque, mais celle du traître, du lâche, de celui qui a perdu la face devant ses pairs  et qui a surtout perdu l’estime de soi. La fin du récit ouvre cependant vers un espoir de retour à la vie et à l’amour pour autrui à travers la fascination pour la légèreté et l’innocence d’une toute petite fille.

Il est rare  en littérature de jeunesse, domaine  où les héros doivent être des images acceptables pour le lecteur, d’entrer dans la peau d’un  narrateur placé dans une situation aussi désespéré par sa propre faute. Il est également rare de voir combien une mauvaise plaisanterie (on songe à Kundera, brièvement) peut provoquer de désastres : pour qui veut paraître  spirituel, la frontière entre le bon mot et la faute de goût ou l’erreur  fatale est souvent mince. La conjonction de deux thèmes très importants pour les ados et ceux qui le sont restés (les « jeunes adultes »), l’envie d’être populaire et la maladresse des propos et des situations fait de ce texte une belle exploration des difficultés de la relation aux autres.

Il va venir

Il va venir
Marcus Malte

Syros (souris noire) (2005), 2011

Attendre le pire

Par Anne-Marie Mercier

 Sous ce titre énigmatique qui évoque une rédemption ou une attente heureuse, se cache un roman d’angoisse. C’est aussi un roman de neige et de solitude. Celle du jeune narrateur est profonde mais l’expérience qu’il vit lui montre qu’on peut toujours tomber plus bas encore. L’adolescent vit avec une vieille femme qui attend désespèremment le retour d’un fils, ce n’est pas le fils qui vient, mais un inconnu… L’écriture de Marcus Malte est belle et efficace.

 La collection souris noire qui avait publié ce roman en 2005 le republie sous sa nouvelle maquette. Ce changement d’apparence fait que la collection n’évoque plus dorénavant la collection « noire » adulte. C’est un peu dommage, même si l’image de couverture est belle (signée J. Meyer Bisch)… au fait, on a l’impression de l’avoir vue quelque part…

 

 

 

 

Le faire ou mourir: Variations sur les modes de la Terreur adolescente

Le faire ou mourir
Claire-Lise Marguier

Rouergue (doAdo), 2011

Variations sur les modes de la Terreur adolescente

par Anne-Marie Mercier

Claire-Lise Marguier,collège,violence,gothique,homosexualité,scarfications,solitude,amitié,  Rouergue (doAdo), Anne-Marie Mercier   Ce premier roman, malgré sa thématique très ancrée dans l’actualité sociale, surprend – en bien – à plus d’un titre. Écrit à la première personne de façon sobre, son ton peut parfois se révéler lyrique, parfois exacerbé. En phrases courtes, pressées par l’angoisse ou l’exaltation, il raconte plusieurs histoires.

Dans un premier temps c’est l’histoire d’un garçon fragile et sensible, souffre-douleur des cours de récréation, négligé par sa famille, moqué pour ses larmes et ses terreurs d’enfant. Maltraité par une bande, il est sauvé par une autre et s’y agrège avec l’impression d’avoir enfin trouvé un lieu où exister. Que les uns soient des skateurs et que les autres soient des gothiques est assez anecdotique sur le fond mais les réactions des autres aux apparences sont décrites de façon intéressante. On explore donc ici avec beaucoup de pertinence la question de l’appartenance à un groupe, une « bande ».

Dans un  deuxième temps, c’est l’histoire de l’amitié entre Damien et Samy, une amitié dans laquelle la dimension physique devient de plus en plus importante. Comme cela est dit explicitement dans le roman, ce n’est pas la question de l’homosexualité qui est traitée ici, mais c’est le portrait d’un amour. L’auteur nous raconte une belle histoire, avec pudeur et beaucoup de sensibilité. Damien le Solitaire et le muet découvre en Samy un « gothique » solaire, à la fois libre et rattaché, à l’aise avec ses parents, à l’aise avec son corps, à l’aise avec les mots, tout ce qu’il n’est pas.

Dans un troisième temps, le lecteur découvre le profond malaise de Damien qui se scarifie, pour éviter d’exploser, par plaisir, pour se sentir exister, tout cela à la fois et d’autres choses encore. Les violences qu’il s’inflige ou qu’il subit, physiques ou psychologique, au collège ou en famille, l’incompréhension de son père, la distance de sa mère, son incapacité à dire, tout cela fait un mélange explosif qu’il ne désamorce, provisoirement, qu’en faisant couler son propre sang.

L’auteur nous propose deux fins possibles. L’une, saisissante, est terrifiante, catastrophique. La deuxième, qui imagine un futur possible à Damien, est réconfortante. Certains voient cette double proposition comme une facilité. J’ai apprécié ce non-choix: il montre que ce n’est que de la fiction. Il montre aussi ce que cette fiction dit du réel: on ne peut fermer le livre sans un sentiment de terreur devant l’idée qui sous-tend ces deux propositions, qu’il suffit de si peu pour faire basculer tant de vie vers tant de mort.

Il est rare que des questions comme celles de la violence scolaire et familiale,  de la mode du « gothique » et de la pratique des scarifications soient abordées dans une fiction qui les éclaire de l’intérieur avec autant de cohérence et de compréhension. Il est rare également qu’un roman soulève autant de questions sociales sans jamais cesser d’être… un roman : ici, le parcours de personnages auxquels ont croit et auxquels on s’attache.

Qu’est-ce que tu vois ?

Qu’est-ce que tu vois ?
Stéphane Sénégas

Kaléidioscope, 2011

par Chantal Magne-Ville

La philosophie de cet album est sobrement résumée dans la maxime de Flaubert gravée sur le sable d’une plage de l’océan : « Pour qu’une chose soit intéressante, il faut la regarder longtemps ». Ce n’est pourtant pas l’avis du jeune narrateur que ses parents viennent d’abandonner pour une longue semaine chez son oncle Horace, gardien de phare. Comment survivre en étant privé de tout ce qui fait les charmes de la vie urbaine ? Les échanges entre l’oncle et le neveu, difficiles au début, se résument à cet échange : « Qu’est-ce que tu vois ? – Pourquoi ? Il y a quelque chose à voir ? ».

Et pourtant, en effet, il y a beaucoup à voir et à sentir. Le phare permet de multiplier les perspectives en une thématique du haut et du bas très poétique. L’image alterne les plongées vertigineuses dans le colimaçon de l’escalier avec des diagonales inédites qui inversent le sens de la lecture de droite à gauche et obligent l’œil à des détours panoramiques très réussis. Les crayonnés et l’ombre du papier confèrent des nuances chaudes, voire nostalgiques à la côte atlantique portugaise, ainsi qu’une maxime gravée sur une pancarte nous l’indique. Les couleurs contrastent fortement d’une double page à l’autre : elles se teintent violemment d’orange au couchant, ou s’embrument le matin. Stéphane Sénégas a réussi à saisir les changements de lumière ainsi que les émotions des personnages avec un trait minimaliste qui s’attache surtout aux regards. Entre la pêche au crabe et l’observation des nuages, le temps a passé très vite et l’enfant comme le lecteur ont appris à voir sans pour autant devenir contemplatifs !

Un Océan dans les yeux

Un Océan dans les yeux
Dedieu

Seuil Jeunesse, 2011

par Sophie Genin

 9782021041903.gifThierry Dedieu dédicace cet album envoûtant à son éditrice qui lui a dit à propos de ce projet  : « Fais-toi plaisir ! ». Et c’est ce qu’il fait ! Le résultat est superbe car tout est parfait, de l’histoire aux illustrations.

 Georges, le gardien de phare n’abandonnera pas son « bâtiment », comme le marin qu’il est, même si le phare des Roches Grise est bien arrimé à la Terre. Les illustrations servent magistralement le propos, associant de simples traits aux tons Terre de Sienne pour les scènes à des peintures aux tons angoissants pour les paysages maritimes, comme si Turner avait découvert la BD.

 Ce sont elles, enfin, qui portent l’atmosphère fantastique baignant le texte : Georges a-t-il été, comme il le soutient, sauvé par une baleine, attaqué par une pieuvre et a-t-il « croisé un banc d’éléphants au large de Zanzibar » ? Pour le savoir, jetez un oeil à la dernière page de l’album mais aussi à la page de garde finale…

Le chat d’Elsa

Le chat d’Elsa
Alice Brière-Haquet, Magali Le Huche

Père Castor, 2011

  Le chat invisible

 par Christine Moulin

 
Les enfants, on le sait, se créent souvent des amis imaginaires et la littérature aime à traiter ce thème spéculaire comme dans Le chien invisible (Claude Ponti), Léon et Bob (James Simon), Moi et rien (Kitty Crowther), Petits sauvages (David Almond), Je voulais te dire (Jennifer Dalrymple), Bernard et le monstre (David Mc Kee), etc. Le chat d’Elsa fait partie du lot et, comme souvent, c’est la solitude qui explique la genèse du chat (vert, comme il se doit) : « Elsa est une toute petite fille, seule dans une grande maison vide ».

Mais ce qui est amusant, c’est qu’ensuite, tout est raconté du point de vue de l’héroïne. Les parents ont très bien admis que leur fille se soit inventé un compagnon, même s’ils rouspètent quand il devient l’alibi rêvé pour toutes ses bêtises et même si leur exaspération les amène parfois à rompre le pacte qui entérine l’existence d’Armand ‑ puisque tel est le nom du félin.

Mais nous, lecteurs, nous voyons la vie des deux amis et elle est attestée par les illustrations dont la force, en l’occurrence, est de ne pas savoir mentir. L’album s’ouvre alors sur un retournement poétique, qui n’est pas sans rappeler deux autres albums jouant habilement sur le point de vue, Bébé monstre (Jeanne Willis et Susan Varley) et Papa de Corentin. Le chat d’Elsa pose finalement la question de la fiabilité du narrateur et s’adresse à ceux qui ne sont pas (trop) devenus « des grandes personnes ». Les illustrations sont à l’unisson de cet univers délicat : elles évoqueraient presque (excusez du peu…) la finesse de Sempé et savent provoquer l’émotion (le chat contrit est tellement attendrissant…)

Qui a peur de quoi ?

Qui a peur de quoi ?
Coralie Saudo
Les 400 coups

A chacun sa peur

Par  Chantal Magne-Ville

Qui a peur de quoi ? .gifUn album qu’on ne se lasserait pas de palper tant sa couverture rembourrée est douce sous la main. Il renouvelle avec bonheur les rimes sur les prénoms en traitant des craintes enfantines. Chaque enfant a sa peur, sauf Adrien qui affirme n’avoir peur de rien, mais de ce fait se retrouve seul et malheureux.

L’illustration totalement redondante avec le texte permet à l’enfant d’anticiper sur la rime qui va suivre. Sur un fond constitué de collages colorés et inventifs, les personnages enfantins, ronds à souhait, semblent des galets peints auxquels on a rajouté des bras, ce qui ne limite cependant pas leur expressivité. Ecole, piscine, jardin public, l’univers des enfants est transposé et totalement reconnaissable avec un luxe de détails qui mêlent réalisme, fantaisie et merveilleux. Un livre précieux car il montre l’importance du groupe et de la diversité.