Alex Cousseau et les histoires doubles de la collection Boomerang

Le roi des fous, & La licorne invisible
Alex Cousseau, Valie Le Gall

Éditions du Rouergue, 2015

Totem, & Je t’aime

Alex Cousseau (ill. Aurélie Petit)

Éditions du Rouergue, 2013

Près des étoiles

par François Quet 

897-1-zDepuis quelques années, les petits livres de la collection Boomerang réunissent deux courts récits. Une fois le premier terminé, on retourne le livre, et hop ! c’est reparti. Les histoires que raconte Alex Cousseau se conjuguent heureusement, sur un détail : deux initiales gravées sur un tronc d’arbre, une corne de narval (ou de sirène) sur une plage. À partir de ce point commun, le récit rapproche des espaces, des époques, des personnages dont les destins semblent devoir se croiser pour le seul lecteur. Le rêve est toujours central : « J’ai envie de croire en nos rêves » dit la petite héroïne de La Licorne invisible au vieux fou qui l’accompagne sur la falaise, tandis que très loin de là, de l’autre côté de l’océan, un petit garçon (Le roi des fous) « imagine [son] grand-père, vivant, assis sur une plage, qui regarde vers [lui] ». « Je m’appelle Victor, je suis indien et j’habite près des étoiles. Ma maison touche le ciel. Je dors en compagnie des étoiles » soupire le personnage principal de Totem, alors que Vasco, le héros de Je t’aime, quitte son terrier solitaire pour atteindre la cime de la montagne où l’attend Alixe la géante : Vasco regarde enfin le monde et peut s’émerveiller.

La délicatesse de ces petits romans en fait tout le charme. Quand Alex Cousseau décide que le soleil se lève, ses personnages « ont tous les deux les joues qui rosissent en même temps que le ciel » (Je t’aime), Dans un arbre creux, les deux enfants de La licorne invisible cachent leurs trésors : « j’imagine, dit Enid, qu’avec la lune, l’arbre creux brille dans la nuit ». L’univers d’Alex Cousseau est généreux, porté par des enchantements dont on ne sait jamis s’il faut les attribuer à la beauté du monde, à l’imagination des héros ou à la magie d’une écriture, pourtant infiniment simple.

Docteur Pim et moi

Docteur Pim et moi
Irène Cohen-Janca

Éditions du Rouergue, 2014

Nino et les docteurs clowns

par François Quet

9782812606847Nino est à l’hôpital, sérieusement malade. S’en sortira-t-il ? retournera-t-il au MacDo avec sa mère qui ne sait plus comment lui faire plaisir ? Ira-t-il jusqu’au Spitzberg avec son père ? Aura-t-il un jour le droit de finir sa lecture de Peter Pan dont le héros tient jusqu’au bout compagnie aux enfants qui vont mourir ?

Au début Nino ne supporte pas les plaisanteries des docteurs clowns. Il se plonge dans un jeu video, dédaigne les blagues douteuses du docteur Chipolata ou du docteur Ketchup. Pourtant, quand l’infirmière chef qu’on appelle Cruella interdit aux clowns de revenir, Nino s’investit dans la rébellion qui conduira au retour des clowns à l’hôpital.

C’est un bel et nécessaire hommage aux clowns qui, dans les services hospitaliers, travaillent à soulager par le rire la souffrance des petits malades. On aurait quand même aimé une histoire un peu plus inspirée. Si le portrait des deux parents est touchant et contrasté, les autres personnages sont un peu caricaturaux, et le suspense, qui tient à la seule méchanceté de Cruella, n’est ni complètement vraisemblable ni très convaincant.

 

On a toujours besoin d’un rhinocéros chez soi

On a toujours besoin d’un rhinocéros chez soi
Shel Silverstein

Grasset Jeunesse, 2015

Indispensable !

par François Quet

On a toujours besoin d'un rhinocéros chez soiVoici un petit guide indispensable pour qui voudrait adopter un rhinocéros. Les dessins de Shel Silverstein montrent efficacement que cet animal de compagnie vous servira aussi bien de camarade de jeu, que de lampe de chevet, de charrue ou de gratte-dos. Ceux qui, parmi mes lecteurs, douteraient de l’utilité d’un pareil animal dans leur trois pièces-cuisine se laisseront aisément convaincre par le plaidoyer de l’auteur. Celui-ci s’amuse à habiller son animal de compagnie avec les vêtements les plus respectables, enfile des bagels autour de sa corne ou le fait flotter à l’envers dans l’eau du bain.

On comprend mieux, après avoir lu cet album, ce que c’est que l’imagination burlesque et plus largement, la créativité. Le crayon de Shel Silverstein n’a rien à faire de la réalité. Il s’inspire de la forme (colossale) de l’animal, et de sa corne, puis le déplace, le travestit, rend possible par le dessin ce que le monde réel ne saurait concevoir. Ce faisant, il invente un monde parallèle au nôtre, beaucoup plus drôle et qui est une véritable invitation à la fantaisie. Un livre pour les enfants ? sans doute… Un livre pour tous ceux qui ne se satisfont pas du monde tel qu’il a l’air d’être.

 

Le pirate et l’acrobate

Le pirate et l’acrobate
Valie Le Gall et Alex Cousseau (Ill. Max de Radiguès)

Éditions du Rouergue, 2015

Doux comme une plume

par François Quet

couv-pirate-ok.inddC’est l’anniversaire de la maman de Noé. Il sait déjà ce qu’il lui offrira : une boite à trésor, comme dans les films de pirate. Et dans cette boite il cachera ce qu’il y a de plus doux : une plume. Seulement voilà… où trouver une plume ?

L’aventure de Noé, c’est cela : trouver une plume avant le retour de sa maman, quitter l’appartement où il passe seul sa journée pendant qu’elle travaille aux conserveries, échapper aux dangers ordinaires qui attendent un enfant rêveur dans la circulation des engins de chantier, croiser une photographe qui ne prend en photos que les détails : « ce que les autres ne voient pas », suivre un chat, pister un goéland…

Au fil de la matinée, la boite se remplit de trésors minuscules (un bout de filet vert, un caillou beau comme une pépite…) et l’enfant-pirate au foulard rouge se laisse guider par le chat acrobate qui semble savoir où se cachent les objets précieux qui combleront sa maman.

Une histoire toute en douceur (sous les cris perçants des goélands) dont on apprécie particulièrement qu’elle mette en scène un enfant ordinaire dont la mère n’est ni écrivain ni journaliste, qu’elle valorise une piraterie aussi commune dans la vraie vie qu’elle est absente dans les romans : celle qui consiste à faire des trésors avec des bouts de ficelle

Une Chanson pour l’oiseau

Une Chanson pour l’oiseau
Margaret Wise Brown, Remy Charlip

Didier Jeunesse, 2013

Requiem pour un oiseau

par François Quet

1396829-gfUn oiseau est mort. Des enfants organisent un rituel pour l’ensevelir. On pense  à l’album d’Elzbieta, Petit lapin Hoplà (Pastel 2001) : « Qui chantera pour Petit Lapin Hoplà ? C’est moi dit l’alouette, du haut des nuages, tout au long du chemin, je chanterai pour Petit Lapin Hoplà ». Mais ce n’est pas la forme de la comptine qui est adoptée par les auteurs d’Une chanson pour l’oiseau. Le chant funèbre est un élément du récit parmi d’autres. On suit les enfants, de la découverte de l’oiseau jusqu’au réconfort que procure l’oubli. Etape après étape, on les voit célébrer l’oiseau « comme font les adultes quand quelqu’un meurt ». La chanson intervient à un moment du rituel au même titre que l’ensevelissement, le lit de fougères et de fleurs, la pierre qui portera une inscription, les violettes et les géraniums qu’on apportera pour garder en mémoire aussi longtemps que l’on peut le souvenir d’une vie éteinte.

Le chant, le requiem, tient plutôt à autre chose : le texte ne dramatise rien (« ils étaient contents de l’avoir trouvé, puisqu’ils pouvaient maintenant lui creuser une tombe »), il énonce ce que font les enfants, avec respect : « Ils l’ont emporté dans le bois/ Et ils ont creusé un trou dans la terre » et la succession des actions, sans aucun pathos, se déploie en un lent cérémonial, impression renforcée par l’alternance très régulière des doubles pages tantôt consacrées au texte et tantôt à l’illustration. Le format à l’italienne favorise lui aussi la dimension chorale du livre : un oiseau, un groupe d’enfant où nul ne se différencie, un environnement végétal, d’autres oiseaux dans le ciel, une histoire simple et naturelle qui par la discrétion même avec laquelle elle est traitée ajoute à la sérénité une forme de majesté rassurante.

Il s’agit, nous dit l’éditeur, d’un album publié pour la première fois aux Etats-Unis en 1958. Bravo à Loïc Boyer (et à la collection Cligne Cligne) pour avoir donné un peu d’éternité à ce petit livre si juste et si beau.

Louison Mignon cherche son chiot

Louison Mignon cherche son chiot
Alex Cousseau, Charles Dutertre

Éditions du Rouergue, 2015

Le grand secret

par François Quet

 

61Mh-5yulyLLouison, six ans et demi, parle à son chiot qui n’est pas encore né, en même temps qu’elle le recherche. Elle lui parle des tomates et des aubergines, des nuages, des ronces ou des orties. Car c’est à la campagne que se déroule cette histoire, entre jardin et forêt : où peut bien se cacher la chienne pour faire ses petits ? La réponse, qu’on se rassure, est donnée à la dernière page (mais dans l’illustration, pas dans le monologue de la fillette).

Le texte d’Alex Cousseau donne une belle profondeur à cette quête enfantine : « Tu dors là où il fait encore nuit. Tu dors avant la vie », dit Louison au petit chien « pas plus gros qu’un cornichon », bien à l’abri, caché dans le ventre de sa maman. Et le décor champêtre accentue le caractère fondamental de ces interrogations puisqu’il convient d’arroser les légumes et leur chuchoter des secrets comme le fait le grand-père de l’enfant et comme elle-même le fait à ce petit chiot qui n’a pas encore vu le jour, pour les faire mûrir avant de les cueillir, et que d’autres encore viennent au jour. Les illustrations de Charles Dutertre renforcent encore cette impression de décalage entre l’histoire minuscule et et l’ampleur cosmique des questions qu’elle pose : d’un côté, les visages simplifiés à l’extrême (une bouille ronde, quelques traits et points pour dire les yeux ou la bouche, quelques aplats orangés pour signifier des cheveux) ou l’emploi de cette seule couleur pour signaler une guirlande de tomates ou les ailes d’un papillon ; de l’autre, l’entrelacs compliqué de lignes noires et épaisses, encre de chine ou feutre, très décoratif, pour insérer les personnages dans le mystère des bois ou des champs. Les motifs floraux ou les touches répétées prolifèrent et dessinent autour de l’enfant, avec une grande sobriété de moyen, un univers merveilleux et joyeux.

 

Les sauvages

Les Sauvages
Mélanie Rutten

MeMo, 2015

Un jour, on partira (pour de vrai)

par François Quet

 

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Cela commence dans la nuit où se déplacent deux ombres en fuite. Ça continue dans une clairière où les ombres, devenues « elle » et « il » à la faveur d’une bougie et d’une allumette, s’amusent à grandir en compagnie de créatures de paille ou de pierre : le sauvage qui fait peur, celui qui rêve, celui qui pense toujours aux autres et, surtout, celui qui s’occupe de grandir. La clairière est une utopie heureuse où chacun a sa place : on construit une cabane, qu’on décore, où l’on dort, où l’on joue, où l’on met de l’ordre. Le temps s’arrête.

Mais soudain tout va mal : « La clairière rétrécit et devint si petite, si sombre que tout se mélangea ». On se fâche, on s’effraie, le petit cesse de grandir. Puis le jour se lève et condamne au silence et à l’oubli le désastre de la nuit : « C’était bien, hein ? ». D’autres jours viendront, et à nouveau, tout sera possible.

Au début du récit, les deux petits personnages circulent en radeau entre les longues pattes d’araignées des arbres de la mangrove : encres bleues ou noires, délavées, presque lumineuse. Rien de menaçant dans cette nuit qui est « leur nuit » sous les branches des arbres qui se penchent pour les protéger. Les encres sombres s’éclairent peu à peu d’aquarelles dorées et liquides, jusqu’au petit matin rose de la dernière page. Pourtant ce n’est pas une histoire à l’eau de rose que raconte Mélanie Rutten dans cet album magnifique. La catastrophe est toujours proche, même au sein de la plus vive lumière. On comprend qu’il n’est question que de grandir : pour « le petit » sans doute — que l’illustration représente comme une sorte d’ourson en peluche —, mais aussi pour les héros, le petit garçon et la petite fille — que l’on tarde d’ailleurs à nommer ainsi —. A l’orée du récit, comme pour acter une nouvelle naissance symbolique qui fera d’eux des sauvages parmi les sauvages, les deux enfants échangent leurs vêtements dans le noir, se roulent dans la boue en criant, puis se glissent dans le tunnel d’un tronc d’arbre pour réapparaitre dans la lumière. Il suffirait d’une dispute pour que l’obscurité et le désordre reviennent : fini de grandir ! Que se passe-t-il ? est-ce de ma faute ? est-ce qu’on m’aime toujours, se demande-t-on quand on est « le petit » .

Quel beau livre ! certes, Mélanie Rutten conduit ses héros à la rencontre de monstres bienveillants et complices, qu’il n’est pas nécessaire de dompter parce que la menace n’est pas extérieure ; elle invite à rêver ce moment d’harmonie que guette la dissolution, mais elle rassure aussi puisque la promesse du possible et du toujours est la réponse offerte au trouble et au rêve de la nuit.

 

Les Frères moustaches

Les Frères moustaches
Alex Cousseau, Charles Dutertre

Éditions du Rouergue, 2013

Nous sommes tous des Frères Moustaches

par François Quet

9782812605802_1_75Plusieurs mois après l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo, il n’est pas inutile de lire ou de relire Les frères Moustaches d’Alex Cousseau et Charles Dutertre. Les frères Moustaches font les pitres, tirent la langue, se moquent des tyrans et des rois guerriers, et si on on leur coupe la langue, continuent de danser et de mimer pour ridiculiser. Les auteurs ont eu la bonne idée de partir d’un trio célèbre en Birmanie pour écrire un hommage à tous les clowns et à tous les satiristes. Les clowns osent tout : faire du mauvais roi un pantin, transformer les murs en théâtre d’ombres, danser, mimer, provoquer des rires fous aux dépens des puissants.

Le texte court en bas de page comme le sous-titrage d’un théâtre de marionnettes en langue étrangère. Il décline les exploits de ses héros, leurs persécutions, leurs constantes résurrections. L’emploi du présent, l’accumulation des actions et leur caractère très général (« On les emprisonne, (…) mais dehors le soleil brille encore ») souligne l’universalité du propos. L’illustration, surtout, fascine. Dutertre invente un monde compliqué, grouillant de personnages mi-orientaux, mi-médiévaux, dotés pour la plupart de gigantesques moustaches. Les chevaux, les chameaux, les éléphants ou les coqs et les animaux cornus voisinent avec des créatures fantastiques. Les aplats de couleurs, hachurés ou tramés, dans les gris ou orangés, l’absence de profondeur et de perspective miment un univers anciens de tapisserie ou de décoration murale. Les trois héros, toujours beaucoup plus grands que les autres personnages, pourraient être les marionnettistes de ce théâtre de fantaisie. Bref, rien dans l’image ne vient alourdir la gravité du sujet. Bien au contraire, cet éloge de la satire prend l’allure d’une fresque épique, grouillante et généreuse, portée par le sourire d’un artiste complice de ses personnages.

 

Moi à travers les murs

Moi à travers les murs
Annie Agopian et Audrey Calleja

Rouergue, 2015

Naissance d’un conteur

par François Quet

moiatraverslesmurs « Des fois ma chambre est une punition ». C’est ce que dit le personnage principal au début de son histoire. « Des fois je déteste ma chambre », ajoute-t-il un peu plus loin. La chambre, c’est un espace de réclusion, « forteresse triste », qui isole, qui sépare, de la classe de neige ou de la chambre des parents. C’est l’espace du « Moi tout seul », expression qui revient souvent, l’espace du « malgré moi », de l’ennui et de la contrainte. Cependant, le dessin d’Audrey Calleja, à la façon parfois d’un gribouillage enfantin, peuple la chambre solitaire d’une foule de personnages : monstres verts, héros à la mode, Spiderman en pleine action, lapins aux grandes oreilles, animaux préhistoriques, créatures endormies ou sages fillettes aux yeux mi-clos.

Car le moi tout seul et exilé est aussi le roi « absolu » de cet univers et la chambre « d’aventure et de rêve » lui permet de s’évader « à travers les murs » mieux que ne le permettraient une porte ou une fenêtre ouverte. Plusieurs références à Sendak laissent penser que Moi à travers les murs est une réécriture moderne de Max et les Maximonstres. L’enfant puni (ou même reclus dans le secret) s’invente un monde d’aventures, de voyages et d’exploits : superhéros, monstres domptés, ménagerie endormie. Un jour les histoires auront grandi et le moi mélancolique de la chambre connaitra d’autres murs, d’autres pays, d’autres aventures réelles ou imaginaires.

Ni le récit, ni les images de cet album ne sont très conventionnels, et la syntaxe un peu heurtée de l’illustration comme du fil narratif gêneront peut-être le lecteur adulte. Il est probable que l’enfant, au contraire, flânera, plus à l’aise, dans cette imagerie chaotique, et trouvera son chemin singulier entre les lignes du récit et les figures du décor.