Ma première nuit à la belle étoile

Ma première nuit à la belle étoile
Alex Cousseau
Rouergue (dacodac), 2010

Des peurs

Par Anne-Marie Mercier

Mapremierenuitalabelleetoile.gifUne situation simple : Cléo et son cousin ont l’autorisation de passer la nuit dans le jardin de la maison. C’est le cousin qui raconte. Il devine que Cléo a peur de quelque chose, raconte sa plus belle peur pour l’inciter à se confier. Tous deux résolvent l’apparent mystère et désamorcent l’angoisse en mangeant des cornichons (belle trouvaille).
C’est une  histoire bien conduite, autour des peurs, peur de la nuit, de ce qu’on imagine qui n’est rien, de l’influence des images violentes de la télévision également. C’est aussi très bien écrit, presque trop : on a souvent l’impression que ce n’est pas le cousin enfant qui parle à sa cousine, mais bien un adulte sensible aux angoisses enfantines et qui se souviendrait des siennes.

Un automne à Kyoto

Un automne à Kyoto
Karine Reysset

L’école des loisirs (medium), 2010 

Niponneries dangereuses

Par Anne-Marie Mercier

unautomneaKyoto.gifEntre le journal sentimental, le journal de voyage et le carnet de poésie, ce joli roman offre de belles vues sur le Japon en Automne, ses temples, sa culture, ses trains, son goût du « kawai » (mignon).

L’intrigue qui soutient l’ensemble montre un couple de parents qui se sépare, un père à la dérive et la souffrance de leurs filles. L’accent est mis sur les états de l’aînée, la narratrice, et sur sa fascination pour un homme plus âgé. La montée de son désir malgré un amour qu’elle a laissé en France, et ses manœuvres (fructueuses) pour le séduire sont évoquées sans détours mais sans appesantissement non plus. Le récit n’élude pas les remords et l’inquiétude de voir les raisons du cœur et du corps s’affronter.

L’héroïne note tout, dessine, recopie ses haïkus préférés (de Basho, Shiki, Issa…), écrit des listes à la Sei Shonagon (pas toujours très réussies) et fait des parallèles avec ses lectures (Murakami entre autres), ou avec des films et des dessins animés (Miyazaki). Cela ravira les adolescents qui rêvent de ce pays.

Enfin, c’est un roman très visuel, non seulement par les touches descriptives et les dessins qui le rythment mais par l’importance du regard de l’héroïne comme de celui de son amant, photographe.

 

Les Lettres du secret

Les Lettres du secret
Bae Yoo-an
traduit du coréen par Lim Yeong-hee et Fançoise Nagel 
Chan-Ok, (collection Matins calmes), 2010

L’alphabet en fleurs

Par François Quet

lettres secret.jpgLa route d’un enfant pauvre croise celle d’un gentilhomme. L’histoire de l’enfant est sans doute exemplaire de ce que vit le peuple coréen au milieu du 15ème siècle.  Son père est malade, sa sœur doit quitter le village pour travailler comme servante, le médecin-herboriste vend durement son savoir aux humbles pour lesquels il n’éprouve pas la moindre compassion. Le petit garçon ne manque pas de talents, il apprend le métier de son père auprès d’un maitre. Il sera tailleur de pierre, sculpteur. C’est la première histoire que raconte Bae Yoo-an dans ce très beau roman, une histoire à la Dickens, pétrie de réalité sociale, une histoire qui plonge le lecteur occidental dans un monde à la fois exotique et familier : les petites rivalités entre les apprentis d’un maitre artisan,  la difficulté de préserver des liens familiaux dans un monde sévère. Pourtant cette peinture là est sans excès, sans pathos ridicule, sans caricature grossière. Chaque personnage a plus ou moins ses raisons et personne n’est monstrueux. Les petits égoïsmes et les petites méchancetés font partie de l’apprentissage de la vie. La nature enveloppe les personnages. Elle bat au rythme des saisons et des récoltes, elle est la pierre qui résiste mais qui récompense à la fin les efforts et l’obstination de l’artisan courageux.

Mais il y a une autre histoire dans Les lettres du secret. Celle du gentilhomme ou plutôt celle du don que ce vieillard fait à l’enfant en récompense d’une gourde d’eau pour soigner sa vue.  Le vieil homme lui explique comment noter les sons de sa langue ; en un mot il lui fait cadeau d’un alphabet. En ce temps-là, c’est l’écriture chinoise qui est utilisée en Corée : obscure, exigeante, réservée à une élite lettrée qui peut ainsi sans dommage gouverner un peuple condamné à l’ignorance. Mais l’enfant apprend vite. Il comprend vite aussi l’usage qu’il peut faire de l’écriture : elle permettra de consigner tout ce qu’il apprend, elle sera ce lien qui permet de communiquer avec les absents,  à condition qu’à son tour il l’enseigne à ses proches. 

Un jour à la fin du récit, le vieux roi Sejong qui a inventé le hangeul, l’écriture coréenne, retrouve l’enfant  au cours d’une belle scène, très visuelle : un cortège traverse le chantier des tailleurs de pierre, s’arrête devant les lettres que l’enfant a tracées sur le sol pour les enseigner à ses camarades. L’enfant répond au vieil homme qui l’interroge, les yeux baissés. Il ne voit que les « magnifiques chaussures de soie noire » jusqu’à ce que le vieil homme aux yeux malades se fasse reconnaître par une formule que l’enfant lui avait déjà entendu dire : « Tu m’as libéré d’une de mes préoccupations ». L’enfant, qui n’arrive pas à l’appeler « Votre Majesté » montre au grand père son travail de sculpteur : « Quand je cisèle la pierre, les pétales prennent vie et s’épanouissent ».  Le vieil homme murmure alors : « Somme toute, moi aussi je suis en train de faire naitre une fleur ».

On est vraiment touché par la limpidité de ce roman, qui sans le moindre ornement gratuit, met en scène un personnage historique, le roi Sejong, et brode sur des thèmes essentiels comme la piété filiale, l’amour du travail bien fait, le souci de la démocratie, et la générosité, un bel hommage aux vertus de l’écriture.

 

 

 

Comment bien rater ses vacances

Comment bien rater ses vacances
Anne Percin

Rouergue (doAdo noir), 2010

En fait, comment grandir

par Maryse Vuillermet

comment rater ses vacances.jpgAu début de ma lecture, j’ai été un peu agacée par un langage « djeun » un peu lassant et qui m’a semblé outré, par un personnage d’adolescent maussade, solitaire, mal dans sa peau,  comme on en a déjà beaucoup rencontré dans la littérature  pour la jeunesse : il passe sa vie devant son ordinateur, il joue de la guitare, il ne communique que sur face book sous un pseudo. Et puis, tout à coup, alors qu’il est tranquillement en vacances chez sa grand-mère, une série de petites catastrophes l’obligent à sortir de ses habitudes et de sa coquille. Sa grand’mère a une attaque cardiaque et tout s’enchaine et se déchaine contre notre héros. Et là, le charme opère, on est pris dans le récit. Mais Maxime, d’épreuve en épreuve, de rencontre réelle à l’hôpital  et dans l’entourage de sa grand-mère, ou virtuelles sur face book, finit par prendre des initiatives, des décisions, se livrer un peu, s’intéresser un peu aux autres, bref grandir et découvrir qu’il n’est pas plus si seul. C’est je crois ce qu’on appelle un roman d’apprentissage.

 

 

Trois baisers

Trois baisers
Maïté Bernard
Syros  (coll. Tempo+), 2010.

L’adolescence vue de Versailles

Par François Quet

3baisers.jpgIls ont seize ans, ils sont beaux, ils sont bons élèves, ils habitent Versailles, ils écoutent Tom Waits sur leur iPod, mais ils jouent de la musique classique dans un orchestre et on leur pardonne aisément de confondre parfois Schubert et Schumann qui ne sont pas de leur génération – Tom Waits non plus d’ailleurs n’est pas de leur génération. Ils ont vu Good Bye Lenine et savent que le héros de Scream porte le masque du Cri (de Munch).

Elle a 16 ans donc, elle est jolie, elle est intelligente, elle habite Versailles et elle est à Berlin avec sa classe et ses professeurs. Sa correspondante a 16 ans aussi, elle est encore plus jolie, elle est intelligente mais pas plus, elle habite une maison splendide avec son papa, une gouvernante, et un chauffeur. La maman, qui n’a jamais renoncé  à Berlin Est,  travaille dans le cinéma, elle est décoratrice et son appartement plus artiste que la demeure paternelle certes, est vraiment très bien aussi.

C’est pas mal d’avoir seize ans à Berlin qui est une jolie ville où il fait bon se promener surtout quand on commence à se demander ce que c’est qu’être amoureuse. Reprenons.

Marie-Liesse a seize ans. Un baiser volé lui apprend que sa meilleure amie préfère les filles dans l’absolu et elle, en particulier. Un deuxième baiser volé lui apprend que le père de sa correspondante, si élégant, si cultivé, préfère, lui, les lolitas. Qu’on se rassure, le troisième baiser sera moins dangereux que les précédents. Tout ce qui pouvait inquiéter la jeune fille s’arrange au mieux dans le dernier chapitre. Les vacances finissent bien.

On ne sait pas trop quoi penser de ce roman, où l’adolescence est évoquée sans grande subtilité, qui se lit sans déplaisir, mais qui agace aussi beaucoup. Marie-Liesse a son talon d’Achille (un grand frère emprisonné pour meurtre) et l’on comprend bien que l’auteur ait voulu jouer avec le côté lisse et BCBG de cet orchestre de lycéens en ballade.  Mais en adhérant trop à son personnage qui rejette immédiatement et vertueusement les deux premiers baisers, le propos de Maïté Bernard reste constamment normatif. Le personnage d’Adèle, qui se découvre homosexuelle, aurait pu être attachant. Ses hésitations, son audace, son désespoir d’avoir perdue son amie pour un baiser nous auraient intéressés. Marie-Liesse, elle-même, n’est pas indifférente au charme de Léon, le père de Louise, quand elle le voit pour la première fois. 

Pourtant l’auteur ne nous fait pas vraiment partager les troubles et les angoisses de l’adolescence. La vertu versaillaise de Marie-Liesse la protège contre toutes les tentations et elle nous prive, par la même occasion, de toute exploration réelle de la sensibilité adolescente. 

 

 

Ça s’est passé là

Ça s’est passé là
Emmanuel Bourdier
 

Thierry Magnier, 2010   

Récit, portraits, fresque ? …en collection « petite poche »

par Dominique Perrin


Ça s’est passé là  Emmanuel Bourdier.gifCe texte d’une trentaine de pages, publié dans une collection de « romans de petite poche », évoque la destruction du « bâtiment E de la cité Marcel Pagnol ».

Les huit premiers chapitres égrènent chacun l’une des minutes qui précèdent la détonation, précisément entre 13h23 et 13h30 ; tandis que les deux derniers chapitres étendent (vertigineusement, en comparaison des précédents) la chronologie jusqu’à 14h.

Il s’agit donc bien d’un récit, assez singulier et ambitieux pour prétendre rendre compte  d’un minuscule segment de temps pendant lequel, au vrai, rien ne se passe : des spectateurs attendent un événement qui n’est finalement nullement décrit en tant que tel. Mais il s’agit aussi d’un portrait collectif, qui cherche à rendre la densité de ces minutes vides d’action au sens hollywoodien du terme. L’enjeu est de faire constater que quelques minutes de suspens vécues par une petite foule portent en elles-mêmes plus d’histoires singulières et plus de profondeur temporelle que bien des aventures convenues. L’enjeu est aussi, bien sûr, de faire apparaître le décalage entre les regards de ceux qui ont vécu là et les paroles de ceux qui décident. Un incanalisable humour n’est pas absent, loin s’en faut, chez les premiers, qui ont pour une fois « la parole ».

 

Le Club des inadaptés

Le Club des inadaptés
Martin Page
l’école des loisirs (medium), 2010

Ados, bienvenue au club!

Par Anne-Marie Mercier

Le Club des inadaptés.gif Ce petit livre au format plutôt « mouche » est édité dans la collection « médium », et c’est un bon choix car il pose des problèmes d’adolescence et au-delà : comment vivre quand on est différent et qu’on rencontre le mépris ou l’indifférence des autres ? comment faire face à la malchance ? comment supporter la désillusion ?

 

La question de la différence n’est pas une copie de la sempiternelle leçon sur la tolérance vis-à-vis de personnes de couleur, de religion, d’origine ou de capacité « différentes » mais plus largement, et c’est en cela que le propos est intéressant, touche tous ceux qui se sentent hors norme et méprisés ou isolés pour cela, « inadaptés » à leur milieu. Les héros du roman (que des garçons), sont amis et sont tous d’une manière ou d’une autre « inadaptés » à l’univers du collège, tout en étant de bons élèves. Les filles sont sans cœur, les autres garçons sont des brutes idiotes et les adultes (notammant les enseignants et les administratifs) sont plus que décevants. Les seuls personnages d’adultes compréhensifs sont chômeurs, rêveurs, en pyjama ou alcooliques ; il y a aussi un psy, plutôt bien. Pas de femmes, pas de mères ( ?), que des pères.

Les ennuis pleuvent sur le héros et ses amis. Le ton est noir :

« Les années ne se ressemblent pas. Je dirais que chaque nouvelle année  est l’occasion de découvrir une nouvelle forme de tristesse et d’humiliation […]. Nous grandissons et c’est pour nous apercevoir que nos parents ont l’air complètement perdus, que les professeurs sont fatigués et malheureux. Difficile de vouloir devenir adulte dans ces conditions. » Seul espoir : s’habituer et ne plus réagir à rien ?

C’est une fable philosophique : imaginons qu’il existe une machine qui rende les êtres véritablement égaux et répartisse équitablement chance et malchance, malheur et bonheur sur tous les individus. C’est une machine de ce type que croit avoir inventée Erwan, l’un des amis, lassé de trop de malheurs. On voit ce que ça donne. Jusqu’au mot du père du narrateur qui tire la conclusion: « la seule machine égalisatrice, c’est le temps ». Ce qui n’empêche pas de mettre le temps de son côté.

Message reçu par le narrateur, et délivré à son lecteur. C’est donc un livre noir  qui ne finit pas bien (qui ne finit pas) mais est malgré cela assez revigorant. Le style alerte de Martin Page, toujours aussi précis et évocateur avec peu de mots fait qu’en peu de pages beaucoup est dit, et bien dit.

A conseiller à tous ceux qui trouvent que la vie est nulle, que personne ne les comprend (en dehors de leurs potes) et que grandir n’apporte rien de bon. Et aussi à ceux et celles qui aiment l’alliance du style, de l’humour et de la réflexion.

 

La Belle Adèle

La Belle Adèle
Marie Desplechin

Gallimard jeunesse, 2010

Feuilleton populaire

Par Anne-Marie Mercier

La Belle Adèle.jpgIssu d’un projet de smartnovel, La Belle Adèle a eu une première vie sur i-phone, en feuilleton téléchargeable. Le voici sur papier. Autant dire que tout cela est très moderne. Le reste l’est aussi, sans être absolument contemporain. D’abord, un zeste de sociologie collégienne : les agacements d’Adèle, pas assez « fille » et de Frédéric, pas assez « mec », devant la tyrannie de la norme qui règne au collège les poussent à conclure un pacte de faire-semblant, celui d’être un couple. Puis, un photographe passe par là et le thème de la célébrité non souhaitée rejoint celui du préservatif pour finir avec celui des sans-papiers.

Autant dire que Marie Desplechin enfile les thèmes modernes comme autant de perles. Ceci dit sans méchanceté, car il y a de fait quelques jolies perles, et les ressources du feuilleton marchent à plein : personnages typés, héros positifs, rebondissement à chaque chapitre, fin heureuse, florilège des sujets de société qui passionnent les foules, ou du moins le public visé. Les collégiens aimeront, les autres s’en amuseront.

 

Les Pozzis, t. 3 et 4 (Léonce, Adèle)

Les Pozzis, t. 3 et 4 (Léonce, Adèle)
Brigitte Smadja

L’école des loisirs (Mouche), 2010

Série minime

Par Anne-Marie Mercier

pozzis3.aspx.gifLes Pozzis sont la chronique en plusieurs volumes d’un peuple de petites personnes (20 cm, nous dit-on) vivant assez joyeusement sur un tapis d’herbes et d’eau. Ce pourrait être celle d’une tribu ou d’une famille, mais ici point de parenté : les enfants arrivent on ne sait d’où, restent quelques jours dans la tente du chef du moment, puis sont « adultes » et rejoignent les autres. Peu de travail, hors la construction de ponts d’herbes sur les marais, beaucoup de fêtes (qu’on appelle Récréations). Ils semblent avoir un sexe, vu leurs prénoms (Adèle, Léonce) et les genres grammaticaux qui les désignent, mais ce n’est pas sûr. Un genre de schtroumpfs sympathiques en robes changeantes et aux jambes terminées par des sabots, une colo en plein air (mais chacun a sa propre grotte) où l’on se nourrit de soupe et où le chef décide des occupations de chacun et punit de corvées ceux qui font des bêtises et se laissent aller à la colère. Les dessins d’Alan Mets, esquisses charmantes et colorées à l’aquarelle donnent joyeusement corps à ces êtres schématiques.

Chaque petit volume comporte une ou plusieurs aventures, à la mesure de ce petit monde où la grande inquiétude est le « Lailleurs », ce qui est tout autour, et la Spirale, grand ouragan qui emporte tout. Et chaque volume se clôt sur un mystère qui fait qu’on lira la suite (ou qu’on voudra la lire au moment où on achève sa lecture). Tout est assez incertain : pourquoi certains pozzis connaissent des mots que les autres ignorent, les directives sibyllines laissées par l’ancien chef, etc. Il y a une inspiration à la Claude Ponti dans la naïveté des personnages, dans certaines inventions verbales, dans les atmosphères.

Brigitte Smadja dit s’être inspirée d’un lieu appelé Pozzis en Corse. On peut lire sur internet, dans un site qui leur est dédié que c’est « un petit coin de paradis », un « lieu magique », « le ciel et la terre s’y rejoignent dans les reflets des mares »… C’est un monde de tourbière cerné de montagnes, un écosystème très fragile menacé par le tourisme. Voyant les photos de ce lieu, on comprend comment l’idée d’inventer un petit peuple vivant en autarcie et inquiet de l’inconnu qui l’entoure a pu germer. Mais il est douteux que cette évidence suffise (d’autant qu’Alan Mets a mis en valeur les personnages et non le lieu) à faire tenir l’œuvre.

L’ensemble est attachant mais laisse perplexe. Sans doute, quand l’ensemble sera achevé, verra-t-on où tout cela veut aller ? L’Ecole des Loisirs semble se prêter ici à la mode des séries d’une façon purement commerciale. On songe au Sorcier ! de Moka,  qui aurait pu être une très belle œuvre, marquante, s’il n’avait pas été débité en de multiples épisodes, ce qui a provoqué des longueurs et des affaiblissements. Ici, en attendant la suite, l’image de ce petit peuple livré à un jeu perpétuel à peine interrompu par quelques catastrophes est séduisante, mais pas plus.

 

 

 

 

Noire lagune

Noire lagune
Charlotte Bousquet

Gulf Stream éditeur, 2010

Polar baroco-féministe

Par Anne-Marie Mercier

noirelagunejpg.gifCharlotte Bousquet emprunte à la fois au roman historique, au roman policier et au roman populaire dans ce récit qui se déroule à Venise en 1579. Le Carnaval, la peste, les courtisanes, le Doge et l’administration de la république, les ambassades et les commerces, la religion… tout cela est mêlé pour composer un roman très dense en informations diverses qui n’ont pas toujours un rapport dynamique avec l’intrigue mais sont très précises et ont un air d’exactitude (encore que, le rapport des populations avec la peste laisse sceptique). Un glossaire clôt le texte (avec des entrées Tintoret, peste, chats, Véronèse, Ghetto, Lépante…).

L’autre originalité du roman réside dans la personnalité de son héros ; c’est une héroïne, et qui plus est une apprentie courtisane (qui le devient de fait à la fin, on le devine), pupille de Véronica Franco dont l’histoire a servi de trame au récit (la peste, les défis poétiques, les accusations de sorcellerie). Mais elle est aussi une escrimeuse, une femme prête à braver tous les dangers et obsédée par un amour impossible. Elle est aussi curieuse et se fait enquêtrice face à une fausse épidémie de peste (on songe au roman de Fred Vargas, Pars vite et reviens tard).

Le résultat est plaisant, baroque au sens où il mêle différents éléments. L’histoire a du corps, elle est pleine de sensations et d’odeurs. Elle crée aussi la jubilation propre à la lecture des romans populaires, tant la vraisemblance est délibérément laissée de côté pour laisser la place à de nombreux coups de théâtre, découvertes, trahisons. La lagune est noire à souhait et les clichés sur la Venise romantique sucrée sont bien loin. Enfin, la poésie, à travers celles de Véronica Franco, parcourt le texte ; la poésie est une arme et une parure pour de belles figures de femmes, conscientes de leur valeur et du danger qui y est attaché.