Voilà le loup !

Voilà le loup !

Guillaume Olive, He Zhihong

Chan-Ok (Flammarion), 2013

Fable de l’avertissement manqué

Par Dominique Perrin

 

voilVoici la fable du berger qui criait au loup, magnifiquement mise en image dans la tradition orientale. La version asiatique présentée ici ne diffère pas de la version européenne transmise par Esope. Sa mise en texte et en image rend magistralement compte de la tension fondamentale des points de vue entre, du côté du très jeune berger, la solitude au sein des montagnes et les mises en garde laconiques des adultes, et, de l’autre, le labeur et le sens des responsabilités collectives des villageois. Ce n’est donc pas ainsi que les avertissements efficaces se formulent, semble redire cet album aux couleurs à la fois gaies et dramatiquement automnales : là réside sa plus inoxydable actualité.

Nénuphar. Conte ouzbek (français-ouzbek-russe)

Nénuphar. Conte ouzbek (français-ouzbek-russe)
Igor Mekhtiev, Shodiyor Doniyorov
L’Harmattan, 2012

Des origines du nénuphar sur le fleuve Amu-Dariya

Par Dominique Perrin

nenUn couple fait des vœux pour avoir un enfant. Un jour, un oiseau apporte à la femme une fleur, que celle-ci respire : au soir la fleur se transforme en une fillette, pourvoyeuse de joie et de prospérité. Mais lorsqu’une sorcière envieuse cherche à s’emparer de la jeune fille, celle-ci n’a d’autre recours que de s’enfoncer dans la rivière où elle lave la vaisselle.

Ce conte sans frontière tiré ici de la culture ouzbek est présenté simultanément en français, ouzbek et russe, en une succession de pages trilingues agréablement illustrées dans un style moyen-oriental. Belle initiative éditoriale que ces albums souples dédiés aux « contes des 4 vents » ! On pourrait souhaiter cependant que la page explicative finale ne porte pas seulement sur le pays concerné, mais aussi sur le sens du conte – condition sans doute nécessaire à une lecture moins tragique de l’épisode de la dernière transformation de la fille-fleur en « nénuphar », dans un esprit proche des Métamorphoses d’Ovide.

Dom do dom!

Dom do dom !
Ervin Lazar
Traduction Joëlle Dufeuilly
La joie de lire, 2012

Ébouriffant !

Par  Maryse Vuillermet

dom_do_dom imageDes personnages vraiment bizarres, un cheval bleu,  un sapin mobile,  une petite fée verte, Dom do dom, c’est le nom d’un personnage qui ne sait dire que ça, mais ça semble signifier à chaque fois quelque chose d’adéquat à la situation, bref, vous l’aurez compris, on est dans un univers fantaisiste,  drôle,  décalé, complètement échevelé.

Le rythme est rapide, les personnages et les aventures se multiplient mais tout se passe dans la gentillesse et le renouvellement permanent. Quelle imagination ! On découvre  donc avec plaisir,  grâce à La joie de lire un auteur très prolixe et très connu dans son pays, la Hongrie.

La mystérieuse histoire de Tom Coeurvaillant, aventurier en herbe (t. 1)

La mystérieuse histoire de Tom Coeurvaillant, aventurier en herbe
Ian Beck
Mijade, 2012

Enquête au pays des contes

Par Anne-Marie Mercier

TomcoeurvaillantDans le monde des contes, chacun a sa place : les aventuriers vivent les aventures, les princesses les attendent, les grenouilles se transforment… Tout cela grâce au contrôle du bureau des contes qui répartit les rôles. Mais voilà, l’un de ses membres, met la pagaille et tous les héros, membres de la famille Coeurvaillant, se retrouvent coincés dans des histoires inachevées. Du coup, c’est leur plus jeune frère qui part à leur recherche et qui remet en route chaque récit.

C’est ainsi un parcours pédagogique des thématiques des contes. Mais les promesses du début, inventif, ne sont pas tenues sur la longueur du récit. Il manque un peu de rythme et  de fantaisie, « coincé » qu’il est par les parcours obligés dans les différents types d’histoires.

Ian Beck est d’abord illustrateur (et de fait, les silhouettes noires sur blanc du livre sont tout à fait charmantes) ; la série de Tom Coeurvaillant (3 volumes parus entre 2006 et 2010) est son premier roman.

Féroce

Féroce
Jean-François Chabas, David Sala
Casterman (Les albums Casterman), 2012

Qui sommes-nous donc ?

Par Frédérique Mattès

feroceFenris était un loup, un loup aux yeux rouges, un loup terrifiant. Il  s’était construit dans le regard qu’on lui renvoyait. Il était fidèle à son image : un loup féroce qui suscitait l’effroi, semait la terreur. Même les siens l’avaient banni tant il était cruel. Sa solitude renforça sa cruauté et construisit sa légende, il était celui qui faisait fuir jusqu’aux ours, celui qui faisait s’écarter les basses branches des arbres, celui dont on évitait même de parler. Une petite fille partie cueillir des fleurs croisa son chemin par une  printanière journée ensoleillée. Sûr de son effet, il émit en préambule un grognement sinistre, lui offrit un sourire affreux. Mais contrairement à toutes ses certitudes, la petite fille n’eut pas le moindre sursaut de crainte. Elle osa même se moquer de lui tant il était interloqué. Ainsi naquit…. une belle histoire entre le loup  et la jeune fille.

Un superbe texte de Jean François Chabas qui au-delà de ce beau récit accessible dès 5 ans, interroge sur la construction de soi, les certitudes, la force du regard neuf porté sur les choses et les êtres, le pouvoir de changement… Petits et plus grands pourront à loisir se projeter dans les blancs du texte.

C’est également un très bel objet, le texte, imprimé à droite sur une page blanche ou parsemée de délicates surimpressions ton sur ton, fait contraste avec les illustrations flamboyantes qui s’exposent  en pleine page. Les gros plans, les cadrages audacieux et les images qui se déplient renforcent également puissamment le pouvoir des mots … L’illustration de David Sala nous rappelle avec bonheur l’univers de Klimt.

A relire des mêmes auteurs : La colère de Banshee

La fine mouche

La fine mouche
Jean Perrot et Sébastien Mourrain
Seuil jeunesse (Petits contes du tapis ), 2011

Heureusement que les filles existent…

 Par Karine Pauthier (IUFM de Saint-Étienne)

Lafinemouche« La fine mouche », conté par Jean Perrot et illustré par Sébastien Mourrain, est un conte populaire russe qui met à l’honneur l’intelligence des jeunes filles à travers l’histoire de deux frères. L’un est riche et possède une charrette, l’autre est pauvre et a une jument. Ce dernier ne se soucie guère de l’argent car il a une fille rusée. Alors qu’ils s’arrêtent pour dormir, lors d’un long voyage, au réveil, la jument a mis bas sous la charrette. Une dispute éclate entre les deux frères qui se disent tous les deux propriétaires du poulain. Le lecteur est alors emporté dans l’histoire et tente de répondre à une question : À qui appartient le poulain, au propriétaire de la charrette ou à celui de la jument ? La dispute des deux frères fait tellement de bruit que le tsar, lui même, décide de trancher : celui qui résoudra ses énigmes aura le poulain. La lecture de ce conte célèbre pour les énigmes qu’il propose, met finalement en scène le triomphe de l’intelligence sur la malhonnêteté ce que souligne la conjonction du texte et de l’image. La morale est très claire : on ne juge pas les gens pour de l’argent.

Le choix de la publication dans la série « Petits contes du tapis » est particulièrement judicieux. Les enfants découvrent des images aux couleurs des milles et une nuit avant même d’entrer dans l’histoire. Les belles et grandes images de Sébastien Mourreau sont à la fois spectaculaires et pleines d’humour. Les couleurs chaudes dominantes rappellent la Russie traditionnelle.

Jean Perrot est un universitaire bien connu pour ses travaux sur la littérature de jeunesse.

Louisette la taupe, mouton circus,

Louisette la taupe, mouton circus,
Bruno Heitz

Casterman, 2007

Le succès d’un mouton

Par Clémentine Marques master MESFC Saint-Etienne

mouton circusEncore une nouvelle bande dessinée de Bruno Heitz où Louisette la taupe emmène le lecteur dans une aventure qui n’est pas de tout repos, pleine de rebondissements et d’anecdotes. En effet Louisette partant profiter de l’air pur de la montagne pour soigner son rhume, se retrouve à travailler dans un cirque allant de village en village, accrochée sous la toison d’un bélier. Sa connaissance des grands classiques tels que les contes de Charles Perrault et les fables de La Fontaine va lui jouer des tours.

Cette bande dessinée très colorée, avec une grande simplicité des dessins, met en avant des références littéraires pointues telles que les contes de Grimm. Ces références seront appréciées par les connaisseurs, tandis que les autres auront envie d’en savoir plus. Cette histoire à l’humour décalé d’une taupe connaissant toutes ces grandes histoires, connait une fin moralisatrice à la manière des Fables de Jean de La Fontaine.

Au ventre du monde

Au ventre du monde
Gilles Barraqué
L’école des loisirs, 2012

 La fille-garçon avec du cœur au ventre: mythes anciens et  modernes

Par Anne-Marie Mercier

au-ventre-du-mondeLes romans pour la jeunesse s’ingénient par toutes sortes de torsions à créer des héroïnes, y compris dans des univers où seuls les garçons ont accès à l’action et au pouvoir. Ici, l’auteur arrive à faire un récit où contre toute attente c’est bien une fille qui mène le jeu, une très jeune fille pré-pubère, sans qu’on soit gêné par l’anachronisme ou des facilités romanesques : on se situe dans un temps indéterminé, baigné par le mythe, sur une île située dans ce qu’on appelle aujourd’hui les Marquises.

Paohétama est orpheline, élevée par son grand-père, maître de la pêche et maître artisan des parures : c’est lui qui rapporte les coquillages précieux qui feront les ornements des personnes importantes, signes de leur prestige. Une grande partie du roman détaille la vie du village avec une vision anthropologique et sociologique : la société de l’île y est décrite avec le rôle de chacun, et avec la façon dont chacune le remplit, plus ou moins bien ou de façon plus ou moins désintéressée (on trouve donc un certain réalisme, de l’humour). Il est aussi imprégné par la poésie de la mer et de ce qu’on y trouve, petites choses, travail minutieux, mais aussi quête dangereuse.

Par un coup de force, le grand père fait accepter au village que sa petite fille lui succède temporairement. Son activité étant interdite aux femmes et aux filles, Paohétama est déclarée « garçon », ou plutôt elle devient fille-garçon. Crâne rasé, elle se mêle aux activités des garçons tout en s’initiant à la pêche, tout cela suscitant difficultés et interrogations chez beaucoup et des interventions d’un sorcier inquiétant, d’abord hostile puis persuadé qu’elle fera de grandes choses. La deuxième partie, plus dramatique fait découvrir les raisons de la mort du père de la fillette : il a rompu un tabou et la malédiction qui a suivi a provoqué la disparition de sa femme. Pour sauver sa famille et son monde, la fillette, désignée par le sorcier comme « pêcheuse d’hommes », part seule sur l’eau vers « le ventre du monde », île des origines, où elle doit trouver l’offrande qui réconciliera son peuple avec le dieu requin comme avec les peuples ennemis. Au risque de déflorer la fin, on peut ajouter qu’après bien des souffrances et des dangers elle sera reine et trouvera l’amour en retrouvant sa féminité. C’est donc aussi une forme de conte où la magie et la divination jouent un rôle discret.

C’est un gros roman (280 pages), passionnant, et un très beau roman d’initiation qui, raconté à la première personne par l’héroïne, est porté par son interrogation sur sa place dans la société et ses rapports aux autres comme par son amour pour son grand-père. C’est aussi une réflexion sur la féminité et la masculinité, la force de la volonté et de la confiance. Gilles Barraqué a placé son histoire fabuleuse dans une atmosphère de conte des origines très poétique. L’océan, ses créatures et ses plantes, son rythme et ses courants, lumineux ou nocturne, est le « personnage » central de l’aventure ; seule sur l’eau (on pense à Seule sur la mer immense de Morpurgo, ancré dans la technologie des voiliers modernes et au Vieil homme et la mer d’Hemingway) Paohétama lutte pour sa vie comme pour celle des autres. Au bout du compte, c’est aussi son monde qu’elle sauve en le réconciliant avec l’élément comme avec l’ennemi et elle créant un nouveau mythe des origines.

Gilles Barraqué, qui a publié plusieurs courts récits pour la jeunesse, signe ici avec sa première contribution à l’école des loisirs un roman remarquable et foisonnant.

Pierre Gripari : oeuvres

Pierre Gripari
Sept farces pour écoliers
Illustrations de  Till Charlier

Contes de la folie Méricourt
Illustrations de Serge Bloch

Contes d’ailleurs et d’autre part
Illustrations de Guillaume Long
Grasset, 2012

Petite bibliothèque et grands plaisirs

Par Anne-Marie Mercier

Vous le voulez comment, Le Marchand de fessées? En conte? Allez voir à la Folie Méricourt. En théâtre? C’est dans les farces pour écoliers. La truculence de Pierre Gripari son insolence et son goût de la subversion fonctionnent à plein dans ces titres, moins connus que les contes de la rue Broca, mais tout aussi drôles et inventifs. Les contes français, russes, grecs… sont revisités; les sorcières ont de multiples rôles, les enfants sont vifs et rusé.

On trouve quelques surprises : conte en forme d’échelle (Nanasse et Gigantet), conte à la table des matières rimée (Petite soeur, où l’on montre qu’on peut être fille et courageuse comme un prince). Les farces se disent au téléphone ou dans un bureau (entre Lui et Elle), on assiste au dialogue d’une famille avec la télé, d’un bébé avec un dieu, d’un diable avec un ange…

Chaque volume est imprimé dans une belle typographie, sur un beau papier épais et  illustré en noir et blanc de dessins proches de la caricature. De quoi monter une belle première bibliothèque d’oeuvres complètes pour une chambre d’enfant.

 Dans la même collection : Huit farces pour collégiens, Jean-Yves à qui rien n’arrive, Marelles et L’Histoire du prince Pipo, dont on reparle bientôt.

 

Histoire du prince Pipo

Histoire du prince Pipo, de Pipo le cheval et de la princesse Popi
Pierre Gripari
Illustré par Laurent Gapaillard
Grasset; 2012

La merveille : une fiction vraie, de 11 à 111 an

Par Anne-Marie Mercier

Voila bellement réédité un livre indispensable, un classique qui mérite de figurer dans toutes les bibliothèques et chambres d’enfants et d’être méditée par tous les parents et éducateurs. L’Histoire du prince Pipo est une petite merveille, moins connue que les Contes de la rue Broca et pourtant tout aussi parfaite, plus grave et plus profonde.

Dans ce conte qui emprunte aux thèmes classiques, on trouve un couple royal qui se désespère de n’avoir pas d’enfant, une promesse imprudente, un prince chassé du paradis de l’enfance qui part à l’aventure sur son cheval, rencontre un dragon, délivre une princesse… Pipo est aussi un autre Candide, qui découvre le monde adulte et ses malheurs, la guerre, l’embrigadement et la solitude et fait face avec courage. Mais on trouve aussi bien d’autres choses qui montrent que Gripari a médité sur la psychanalyse: Sont-ce les parents qui choisissent l’enfant où l’enfant qui choisit ses parents? Quel est le poids d’une promesse non tenue? Comment se fait-il qu’un jour les parents merveilleux se transforment en couple maléfique? Comment défaire les maléfices, sinon en racontant des histoires, et particulièrement la sienne propre? Que signifie ce dragon que l’on tue la mort dans l’âme – pourquoi les tueurs de monstres des peintures ont-ils l’air si triste? Et enfin, quand on a trouvé la princesse, qu’on est devenu roi à son tour, devant quel manque irréparable se trouve-t-on? Pipo et son cheval (qui porte le même nom que lui car il est son désir et son allant) sont l’image approfondie de tous les princes de conte et de tous les destins humains du monde.