Ma Peau

Ma Peau, le monde autour d emoi
Cécile Roumiguière, Marion Duval
Seuil jeunesse, 2025

Tout un monde par la peau

Par Anne-Marie Mercier

Si l’on trouve de nombreux livres à toucher, proposant aux enfants des expériences tactiles avec des matières et des textures différentes, on songe rarement à leur faire verbaliser ce que le sens du toucher leur donne au quotidien : toucher son corps et le découvrir aussi par le langage en nommant ses différentes parties, sentir le chaud, l’humide, le poisseux, le froid, le rugueux, le lisse, le piquant. Ces expériences se font à travers toute sorte de situations quotidiennes : le bain, le coucher, la tartine, le pull qui gratte… et enfin les délices de l’automne (les bogues qui piquent) et de l’hiver.
Le duo d’autrice- illustratrice parcourt les cinq sens avec des petits albums carrés et cartonnés, parfaits pour les tout-petits, aux images simples, lisibles, et colorées tout en douceur pastel. Déjà paru : Mes yeux.

Les Secrets du cerveau

Les Secrets du cerveau
Helena Harastova et Dita Vopradova

Albatros, 2025

Mémoire et imagination

Par Lidia Filippini

Voici un album documentaire aux illustrations colorées et amusantes qui a pour ambition d’expliquer le fonctionnement du cerveau.
La première partie, intitulée « La mémoire », aborde la manière dont les informations sont stockées dans le cerveau. On y trouve des explications précises sur les diverses régions cérébrales et sur leur rôle dans la création des souvenirs. L’autrice s’intéresse également aux différents types de mémoire (à court, moyen ou long terme) et aux liens entre âge et mémoire.
La deuxième partie paraît plus confuse. Le texte se perd dans un fouillis d’images – souvent drôles d’ailleurs, mais qui nuisent à la clarté de l’ensemble. Les notions d’imagination, de pensée et de créativité semblent se mélanger. Les trois termes sont utilisés comme des synonymes, ce qui rend la compréhension difficile et conduit parfois à des approximations (les pensées intrusives, la mythomanie et la synesthésie seraient des dysfonctionnements de l’imagination). Le chapitre intitulé « l’imagination dans la science » m’a laissée un peu perplexe. On y apprend en effet qu’Isaac Newton, qui était « bien trop intelligent pour laisser la place au hasard […] a étudié l’attraction en détail (et grâce à son imagination) avant de définir cette loi. » Je n’ai pas tout compris…
L’album se termine par des « Questions de compréhension de lecture » parfois déconcertantes. Par exemple, la réponse à la question : « Peux-tu citer trois manières de te servir de ton imagination au quotidien ? » est « Quand tu as peur, quand tu prends une décision, quand tu dois planifier et préparer quelque chose. » Ici encore, le terme « imagination » ne me semble pas approprié.
Encore plus gênant, une biographie succincte de l’autrice nous apprend qu’elle n’est « ni psychologue, ni neuroscientifique » mais qu’elle « puise l’inspiration pour ses livres en observant » ses enfants. Une démarche empirique, certes, mais bien peu scientifique. Dommage car ce documentaire avait plutôt bien commencé avec une première partie intéressante et bien construite.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mots-clés :

Mais où sont Yaya et Boo ? Sur la route !

Mais où sont Yaya et Boo ? Sur la route !
Andrew Knapp

Les Grandes Personnes, 2025

Chacun cherche son chien

Par Lidia Filippini

À la fois imagier et Cherche et Trouve, ce petit livre lumineux et coloré est un condensé de bonne humeur. Cartonné, avec des coins arrondis, il est parfait pour les petites mains des plus jeunes. Le format carré met en valeur l’aspect graphique du livre. Sur les pages de gauche la partie haute laisse apparaître deux portraits représentant Yaya d’un côté et Boo de l’autre. Les chiens sont photographiés d’en haut ce qui les rend comiques (on ne voit pas leurs pattes et ils semblent tout écrasés). Leurs yeux, plantés dans ceux du photographe, le sont du même coup dans ceux du lecteur qui se retrouve immédiatement attachés à eux et n’a qu’une envie, les chercher sur la page de droite ! La partie inférieure de la page est partagée en trois cases avec, dans chacune, la photographie d’un objet dissimulé lui aussi dans l’image de droite.
C’est à droite que l’on peut suivre les deux petits chiens sur la route. Cachés dans un avion, dans la cabine d’un camion de pompiers, sur le porte-bagage d’un vélo ou à bord d’une vieille jeep, les deux toutous semblent prêts tout pour embarquer clandestinement vers l’aventure.
Andrew Knapp, l’auteur canadien, est aussi designer et photographe. Dans la série Mais où est Momo ?, qui a connu un grand succès outre-Atlantique, il mettait en scène son border-collie aujourd’hui décédé. Ce sont désormais Yaya et Boo qui l’accompagnent dans ses voyages et qui sont devenus ses nouveaux héros. Après avoir fermé le livre, on peut prendre des nouvelles des deux chiens grâce au site Instagram de l’auteur qui est suivi par 596 000 personnes.
L’idée d’un imagier avec des détails à retrouver sur la page de droite n’est sans doute pas nouvelle mais cet exemple est particulièrement réussi. La composition est soignée et répétée tout au long du livre garantissant un sentiment de sécurité chez le lecteur enfant. Cette idée de répétition rassurante est également présente dans le motif de la couleur jaune qui fait le lien entre les photographies, apportant un côté joyeux à l’ensemble. Les photos sont faciles à lire pour les plus jeunes : les objets à retrouver sont représentés dans des cases distinctes, dans un décor simple sans rien d’autre autour. Enfin l’auteur réussit, avec seulement quelques images et quelques mots (les noms des chiens et des objets cachés) à faire passer une bonne dose d’humour.

 

 

 

 

 

 

 

Grands Méchants

Grands Méchants
Marie Desplechin, Elsa Oriol
Kaléidoscope, 2024

Fais-moi peur ! (ou pas)

Par Anne-Marie Mercier

La sorcière de Blanche-Neige et celle de Hansel et Gretel, la belle-sœur de Cendrillon, Dracula, le Capitaine Crochet, le loup du Chaperon rouge… les plus célèbres des méchants du patrimoine littéraire pour la jeunesse ont ici chacun leur double page. Celle de droite les représente à fond perdu dans un beau portrait coloré où les rouges et les bleus dominent ; ils nous regardent avec un air renfrogné ou distant.
Le texte raconte leur histoire et conteste la doxa : ils n’étaient pas si mauvais, non : on a mal compris leurs intentions. On a caricaturé. Et puis, est-ce un crime de vouloir se nourrir (le loup) ? Les humains tuent pour manger eux aussi et Dracula au lieu de cela donne une espèce d’éternité à ses fidèles. Cendrillon a d’emblée refusé de se lier à ses belles-sœurs, Blanche Neige s’est crue persécutée… Le texte, qui donne la parole aux personnages, est souvent drôle, toujours un peu déstabilisant. Malgré ces justifications, il reste ce qu’il faut de méchanceté pour laisser des aspérités aux histoires et certaines images inquiétantes laissent place au frémissement.

6 Phares

6 Phares
Dominique Ehrard, Anne-Florence Lemasson
Les Grandes Personnes, 2024

Grands mats

Par Anne-Marie Mercier

S’il y a un sujet qui méritait d’avoir son pop-up, c’est bien celui des phares. Cordouan, Chassiron, Les Poulains, Ar-Men, Eckmühl et Les pierres noires, sont ici célébrés et déployés. C’est beau, inventif, et bien informé : chaque double page est accompagnée d’un commentaire donnant les caractéristiques du phare, en données chiffrées (dates, localisation, latitude, longitude, hauteur, portée et surtout feux, chaque phare ayant un éclairage et un rythme particulier).
Chaque phare est aussi implanté dans son sol, tantôt fixe et herbeux, tantôt mouvant et écumant, comme celui des Pierres noire et celui d’Ar-Men flanqué à sa base, en relief, d’un petit bateau de papier relié par un fil au sommet du phare. Délicatesse, précision, grandeur, couleurs vives, verts tendres, bleus océan et noirs d’encre, un régal.

 

 

Merci Soleil

Merci Soleil
Delphine Chedru
Sarbacane (sarbabb), 2024

De l’astre à la cerise : leçon de choses pour les petits

Par Anne-Marie Mercier

« Voici la terre. La terre tourne autour du soleil. Le soleil porte le jour… »
On aura reconnu le fameux jeu, souvent utilisé en poésie, du « marabout bout de ficelle », ou de la comptine « trois petits chats, chapeau de paille »…, ou, plus doctement, de l’anadiplose ou concaténation. Autrement dit, de fil en aiguille, de la terre au soleil, du soleil au jour, on passe aux plantes, fleurs et fruits qui aboutissent à l’objet important : la confiture sur la tartine.
C’est une belle idée pour faire saisir aux tout petits comment les bonnes choses qu’ils peuvent mettre en bouche sont issues de la nature entière. On peut ajouter aussi les mains anonymes au-dessus du chaudron où bout la confiture !
Les illustrations aux couleurs franches, associant primaires et complémentaires, les formes simples et les phrases courtes, les sourires gourmands, le format carré et cartonné, tout cela est parfait, et bien adapté aux tout petits.

 

À l’aise, Blaise !

À l’aise, Blaise !
Claude Ponti
L’école des loisirs, 2024

Poussin explosif

Par Anne-Marie Mercier

Pour les fanatiques de Claude Ponti, et surtout les accros à Blaise, voilà un festival de prouesses du poussin masqué : faire pipi sous un parapluie sans que le pipi se mélange à la pluie, jongler avec les pieds avec des éclairs au chocolat, soulever des poids incroyables, voler plus vite que tout, se baigner dans une mare de chocolat, fêter de manière géante son anniversaire…
Mais aussi du Blaise pur Blaise derrière le sourire crispé de son masque : un Blaise narquois, dérangeant, narcissique, pas vraiment gentil… Un Blaise tonique, et qui ne laisse jamais l’Amer gagner (voir ma chronique du 1er juillet) :

« L’Amer, Blaise ne le laisse jamais faire.
Car l’Amer trouve toujours quelque chose de désagréable à dire : « Ça sent mauvais. C’est trop chaud à gauche. Il pleut alors qu’il devrait faire beau. […]  Je n’aime pas. Je n’ai pas envie. Je ne vois pas pourquoi je devrais aimer. De toute façon c’est nul ».

Blaise joue à tout, avec tout, se téléphone (« pour savoir s’il est là. Il est là »), joue à faire peur aux apeurés… Il invente des centaines de jeux incroyables. Il fait voler en éclat le réel pour mieux le reconstruire ensuite, mais différent.

 

Sarbacane fait du sport

Les Œufs z’olympiques
Ludivine Nouguès, Émilie Gleason
Sarbacane, 2024

Qui est le plus beau ?

Par Anne-Marie Mercier

Le jeu de mot du titre semble avoir généré l’histoire : les volatiles sont conviés à un concours dans lequel on désignera le plus bel œuf. Ils accourent pour proposer l’œuf le plus gros (l’autruche), le plus prometteur (le colibri), le plus couvert (le pingouin), etc., en passant par le kiwi, le flamant rose, la poule, le dodo, l’aigle royal… D’autres sont disqualifiés d’emblée, comme Marguerite la chocolatière, ou le coucou (parce qu’il n’est pas sympa mais aussi parce qu’il évoque une horloge – le texte et l’image ne disent ici pas la même chose). La fin en catastrophe qui voit tous les œufs éclore en même temps met fin à la compétition générale, même si pour chaque parent son petit reste définitivement le plus beau.
Les images, explosent elles-aussi de couleurs, de détails, d’idées et de formes grotesques. C’est jouissif, cumulatif, et cela met un peu de ridicule bien venu sur toute idée de compétition. On peut être tout simplement… différent, et pareil à la fois.

Il va y avoir du sport !
Philippe Nessmann, Laura Lion
Sarbacane, 2024

Qui est le plus fort?

Par Anne-Marie Mercier

Même si l’approche des jeux olympiques en crée sans doute l’occasion, ce grand album ne parle pas que des jeux, et en parle même assez peu directement, en dehors d’une double page consacrée à Olympie et l’olympisme. Cette page arrive à aborder de nombreux sujets et même à avoir un début de regard critique sur cet événement.

Les sports, tous les sports sont évoqués, y compris les plus bizarres, décrits dans une vignette récurrente intitulée « Le sport trop bizarre » : elle décrit successivement le pato, la soule, la boccia, le pancrace, le fierljeppen….
On y développe les valeurs du sport (dépassement de soi, esprit d’équipe…) comme ses aspects économiques. On y traite aussi bien d’autres questions très diverses comme celles des règles, de l’entrainement, des vêtements, du dopage, des dangers… Le regard est souvent historique, à travers une réflexion sur l’évolution des sports, de leurs règles et de la place du sport et des sportifs et sportives dans la société.
Les illustrations pleines de détail sont un régal d’humour et de stylisation. Elles sont aussi un support agréable à toutes sortes de courts textes intéressants présentés sur l’image dans des encadrés. L’un d’entre eux est consacré à des expressions ayant un rapport avec le sport (c’est ainsi qu’il faut comprendre le titre, expliqué à l’intérieur de la première page, aussi bien en contexte sportif que dans la vie quotidienne). On y trouve l’origine de « jeter l’éponge », « faire un sans faute », « avoir une longueur d’avance », etc.
C’est un joli parcours historique et sociologique qui n’oublie pas que le sport est d’abord un jeu, un plaisir et une aventure.

 

Nuit de chance

Nuit de chance
Sarah Cheveau
La Partie, 2023

Cent nuances de beige

Par Anne-Marie Mercier

Dès la couverture, la « couleur » est annoncée : fusain noir sur brouillards bistres, dégradés de bruns… et la première page nous fait entrer dans ce monde : « Un soir à la nuit tombée, je suis entrée dans la forêt. Et j’ai vu… »
Pages sans texte, présentant un décor de bois dans des tons de beige ou de fusain noir d’encre sur fond blanc, branches, futs… ou pages montrant un animal qui fuit, en plein mouvement, saisi sur fond blanc : un écureuil, un renard plus loin, une horde de cerfs, et enfin une rencontre, avec un sanglier. Attente, approche, magie pour finir avec le retour du texte : la chance d’un miracle.
La beauté de l’album n’est pas seulement dans son histoire, son rythme, ses traits épurés et ses couleurs aux cent nuances de beige, gris, noir mais aussi dans la révélation du secret de sa fabrication à la fin : la couleur a été posée avec des bâtons écorcés et brulés. Différentes essences ont donné différentes couleurs, presque cent, dont on a le nuancier à la fin avec les noms des arbres qui les ont fournis. Deux autres doubles pages sont consacrées aux feuilles des arbres, cette fois dessinées avec des fusains achetés, chacune avec son nom.

Ce bel album est une école de l’attention, attention à ce qu’il nous montre, à son rythme, à sa retenue, à l’émerveillement de la découverte, à la suspension du temps de la rencontre animale – un peu effrayante mais heureuse finalement. C’est aussi un éveil de l’attention à la diversité des arbres et à l’infinie variété des couleurs, des couleurs proches avec chacune leur vibration.

 

Dans les poches de l’astronaute, du plombier, de l’apiculteur et des autres métiers…

Dans les poches de l’astronaute, du plombier, de l’apiculteur et des autres métiers…
isabelle Simler
Éditions courtes et longues, 2023

C’est à qui ?

Par Anne-Marie Mercier

Après avoir exploré les poches des personnages de fiction, Isabelle Simler nous propose un jeu du même type : il s’agit d’observer une double page sur laquelle, sur fond blanc apparaissent plusieurs objets. Ils sont représentés de manière réaliste, juxtaposés sans ordre apparent. Parfois il est facile de deviner à qui ils appartiennent ; certains métiers sont familiers aux enfants : chirurgienne, instituteur, apicultrice, policière… (on voit que l’auteure a songé à féminiser de nombreux noms, même si quasi rien dans les images ne suggère le genre du ou de la professionnel/le). D’autres sont moins connus (roboticienne, agent immobilier, océanologue…) ou moins faciles à deviner : pour le luthier, des objets et outils étranges, pour le chef d’orchestre, juste une baguette.
Les traits crayonnés laissent parfois la place à des représentations proches de l’hyperréalisme. C’est joli comme un trompe l’œil de collection d’objets (le musée de Lille en a un bel exemple, de Boilly, de la fin du 19e s., un autre du 17e s., de Le Motte, se trouve dans dans celui de Saint-Omer.
Tout cela présente une grande et belle variété de couleurs et de formes ; et que de jolis mots inconnus à découvrir dans la liste des outils !