1, 2, 3… sommeil !

1, 2, 3… sommeil !
Bernadette Gervais
(Les Grandes Personnes) 2024

 

Longtemps, je me suis couché de bonheur…

Par Michel Driol

Un album  qui répète, de façon presque hypnotique, le même dispositif d’une page à l’autre. Page de gauche, un texte, commençant invariablement par 1,2,3 et se terminant par la répétition du même mot, dans une typographie qui s’efface progressivement, comme pour mimer le passage à un un état de semi conscience. Page de droite, une image aux couleurs franches, tranchées, une déclinaison des couleurs primaires où les aplats n’excluent pas un certain pointillisme. C’est un enfant qui évoque ses nombreux rituels du coucher, du coucher de soleil à la lune qui veille jusqu’au lendemain.

L’album accompagne ce lent glissement entre le jour et la nuit, entre l’extérieur et l’intérieur, entre la veille et le sommeil, ce moment qui peut être difficile pour de nombreux enfants, celui de l’endormissement et de la lutte contre les frayeurs nocturnes. Il le fait en prenant la forme d’une comptine dont les douces répétitions sont comme un écho aux rituels immuables, soir après soir. C’est d’abord l’extérieur de la chambre de l’enfant où un paysage se métamorphose, rougit, un paysage de campagne dans lequel glissent des ombres sombres, ombres des oiseaux, ombres de l’arbre et des collines. Puis arrive l’intérieur, avec la lampe allumée, des couleurs plus franches, plus claires. Si la nature est encore un peu présente avec les trois papillons de nuit, ce sont les objets familiers qui sont évoqués. Lampe, pendule, quilles. Puis on suit, à travers des objets, un rituel qui semble immuable, le pyjama, les pantoufles, la brosse à dents, le doudou, la couette, l’histoire su soir. Et enfin des baisers tout ronds, roses et doux font écho aux étoiles dans le ciel, autour de la lune, scellant ainsi le passage du microcosme de la chambre, au macrocosme de la nature.

Ainsi l’album brouille les frontières entre le jour et la nuit, l’intérieur et l’extérieur, la veille et le sommeil tant dans le texte qui s’efface progressivement, comme si, dans le sommeil, les paroles n’étaient plus perçues distinctement, que dans les illustrations qui font passer d’un univers à l’autre. Belle façon d’évoquer la perte de lucidité et le recours à la lumière rassurante pour veiller sur l’enfant, représenté ici seul, sans la figure de ses parents. Un enfant seul face à la nuit…

Goutte à goutte

Goutte à goutte
Philippe Ug
(Les Grandes personnes) 2024

L’eau, sur terre, sous terre…

Par Michel Driol

Philippe Ug est parmi les plus prolifiques et talentueux auteurs de pop-up contemporains. Livre jeunesse, livre d’artiste, sculpture de papier, tous ces termes s’appliquent bien pour tenter de définir ses ouvrages, et celui-ci n’y fait pas exception. En six tableaux, on assiste d’abord à la pluie, puis à une cascade. On entre ensuite sous terre, l’eau s’infiltre partout, puis on la voit créer des concrétions. Et c’est une grotte dans laquelle on la voit ruisseler, avant de la voir renaitre par les sources et jaillir, en fontaines.

Ce voyage qui suit le trajet d’une goutte d’eau  est une invitation à découvrir les mondes représentés dans ce théâtre de papier plein d’invention, où l’eau est toujours pure et blanche. Il faut voir la représentation de la pluie qui tombe, longues bandes blanches qui s’entrecroisent, créant un effet visuel étonnant. Il faut voir l’eau qui s’infiltre, dans un réseau en relief où les filets d’eau se divisent, se croisent. Mais il faut aussi voir jaillir du sol les concrétions qui montent et l’eau qui jaillit en fontaines et jeux. Le texte, court, saturé en verbes de mouvement, accompagne ce parcours vivifiant de l’eau et le commente, laissant tout l’espace aux illustrations pop-up.

On ne peut rester insensible à cette magie du pop-up, à cet accord parfait entre des illustrations, du texte, et une simple mécanique de papier qui donne du relief et du volume à des tableaux clefs, dans un univers graphique particulièrement géométrique. Il y a là une vraie recherche formelle, recherche d’effets, de surprise. Du pur travail d’artiste !

A & B, Bons Amis

A & B, Bons Amis
Sara Donati
Rouergue 2024

La vie, simplement

Par Michel Driol

Ils n’ont de nom que A et B… soit une grande oie blanche et un petit hérisson, et pourtant, ils sont amis, jouent, se disputent, se réconcilient et surtout prennent leur petit déjeuner ensemble avant de vaquer, chacun, à leurs activités. Comme un cadeau surprise, l’oie découvre l’écharpe jaune qui appartenait à la vieille loutre, et le hérisson une boite de mikados. Passent les saisons… reste l’amitié…

Cet album avec ses personnages atypiques et sympathiques évoque, à coup sûr, l’univers d’Arnold Lobel, un univers fait à la fois de légèreté, de fantaisie, et de la profondeur des pensées des personnages, qui savent aborder des propos sérieux sans jamais que cela ne soit pesant. Graphiquement, les pages font alterner des  pages colorées – les deux amis au milieu d’une nature que l’on voit ainsi passer de l’automne à l’hiver, puis au printemps précoce. – et des strips en noir et blanc, qui mettent l’accent sur les objets qui vont d’un animal à l’autre. Ainsi l’écharpe jaune, qui passe de la vieille loutre aux fourmis, puis à des oiseaux indéterminés avant de finir chez l’oie. Ainsi la boite de mikados, frêle esquif sur lequel l’oie sauve un jeune ragondin, boite que les castors utilisent ensuite avant qu’elle ne se retrouve devant le hérisson. De la sorte, au-delà des deux amis, c’est la vie de la forêt et de ses animaux, ses mystères, ses solidarités, qui est évoquée, vie liée au hasard des rencontres.
Les dialogues – autour de la pluie et du beau temps – des deux petits déjeuners racontés sont pleins d’une poésie du quotidien, entre un optimiste et un pessimiste – rôles qui s’inversent d’un petit déjeuner à l’autre. Des mots très simples pour dire deux états d’esprit face au monde, deux sentiments, deux émotions contradictoires. Certains jours sont-ils de pures merveilles ? Se sent-on, certains jours, comme une vieille chaussette ? Le texte ne tranche pas, qui évoque les hauts et les bas de la vie, roue de la fortune, jeu de balançoire… avant de terminer par un éclat de rire vantant le prix et la force de l’amitié.

Cet album a un côté minimaliste dans le texte et les illustrations, minimaliste au sens où il laisse le lecteur combler les trous du récit, et où il parvient à suggérer avec légèreté des émotions, des états d’esprits, des moments dont il faut profiter. C’est, en tous cas, un bel hommage à l’amitié !

Attention ! Ouvrir doucement. Ce livre a des dents !

Attention ! Ouvrir doucement. Ce livre a des dents !
Nick Bromley, Nicola O’Byrne
Traduit (anglais) par Rose-Marie Vassallo
Flammarion (Père Castor), 2024

Action ! (1)

Par Anne-Marie Mercier

La version en format poche de cet album, paru en 2013 et novateur à l’époque, est la bienvenue (même si le grand format permettait davantage de jeu) : l’auteur feint de vouloir nous raconter l’histoire du « Vilain petit canard » quand un crocodile vient s’introduire dans son histoire. Le lecteur doit être sur ses gardes car l’animal est affamé. Mais en réalité celui-ci mange le livre lui-même, les lettres, les phrases, les pages.
Le lecteur doit intervenir. On lui propose d’endormir l’animal en le berçant et en bougeant le livre, de le crayonner, de le secouer… Il finira par sortir à la manière de l’Histoire de la Petite souris qui était enfermée dans un livre (1980) de Monique Félix.
C’est un bel exemple de livre qui cherche à faire agir son lecteur et anime pages et mots. Depuis, Hervé Tullet a fait plus, Ramadier et Bourgeau aussi.
Après avoir inspiré ce livre à Nick Bromley, l’illustratrice a repris son crocodile dans Qu’y a-t-il derrière cette porte?: Ouvre-la pour voir! (2018), chroniqué sur lietje.

 

Qu’y a-t-il derrière cette porte ?

 

Leçons de piano

Leçons de piano
Evangeline Durand-Allizé
CotCotCot éditions 2024

Du jeu avant toutes choses

Par Michel Driol

On voit d’abord un enfant et une jeune femme monter une tour de kaplas tout en discutant. Si tu gagnes, on joue du Chopin et si c’est moi on fait du rap, dit l’enfant. Puis il est question de la main, qu’on arrondit comme une araignée, occasion pour l’enfant de raconter ses exploits avec une araignée. On explore ensuite les marteaux du piano. L’enfant joue avec ses pieds, fouille le sac de la professeure, où il découvre le mot improvisation, qu’elle lui explique. L’enfant dessine une partition où figure l’araignée et des boules de glace. Puis il chante, passant en revue les notes de la gamme. Et enfin tous deux saluent un public… imaginaire.

Voilà un album qui séduit autant par son aspect formel particulièrement travaillé que par ce qu’il dit de l’enseignement de la musique. Pas de récit, mais du dialogue, imprimé en deux couleurs pour bien différencier les personnages. On est ainsi dans l’échange, dans la conversation où les deux jouent leur rôle, s’écoutent et se répondent. Tout commence par des illustrations en noir et blanc, puis, petit à petit, arrivent quelques notations colorées, toujours liées à la musique (le piano) ou aux oiseaux, métaphores de l’improvisation qui va quelque part, sans chemin tout tracé, comme une forme d’exploration. Se dégage ainsi de l’ensemble texte et illustration une grande douceur, l’impression d’un moment agréable, à la fois dans l’appartement, la ville et dans le monde aérien… à la fois dans le concret des désirs et besoins d’un enfant et dans un imaginaire commun qui se construit autour de la conception de la musique que la professeure, complice, fait partager. Pas de solfège, pas de répétition épuisante des mêmes accords ou études, pas de contrainte, mais du jeu et du plaisir, de l’exploration libre de l’instrument, de la musique. Ce que théorise, en fin d’ouvrage, bien mieux que je ne saurais le faire, Jea-Marie Rens, compositeur et professeur d’analyse musicale en Belgique. Il met en lien ce rapport entre exploration et connaissances, le travail de la gestion des gestes et du mouvement, et le développement socio-affectif et cognitif des plus jeunes. C’est bien ce que montre l’album, la façon dont se conjuguent le jeu, l’imaginaire, le plaisir, l’écoute et la connaissance mutuelle des deux personnages.

Premier album publié d’un jeune autrice belge, cet album respire la joie de vivre et l’envie de jouer, de la musique ou autre chose… et qui invite à chercher d’autres voies pour enseigner – la musique ou autre chose – en faisant davantage appel à la créativité !

Je plante des radis

Je plante des radis
Kate Petty Axel Scheffler
Gallimard Jeunesse, mars 2024

Livre pour jardiner, tendre et instructif

Par Edith Pompidou-Séjournée

Dès la première de couverture, on reconnaît le coup de crayon d’Axel Scheffler, le célèbre illustrateur de « Gruffalo ». Si le petit lapin, personnage principal de l’histoire, aurait bien pu rencontrer son autre héros, il ne s’agit pas cette fois de ruse ou d’amuser les enfants mais plutôt de leur donner le goût du jardinage. L’anthropomorphisme du personnage prénommé Charlie comme celui des autres sert, en fait, de support à cet album à mi-chemin du documentaire. En effet, si Charlie adore les radis et qu’il cherche à en faire pousser, le lecteur l’accompagne dans ses expériences et surtout dans les différentes étapes de la graine au légume en prenant conscience des éléments nécessaires pour la naissance du radis, comme le soleil, la chaleur et l’eau.
Des rabats ingénieux permettent même de voir ce qui se passe sous terre pendant que le petit lapin patiente. Ce sont les petits animaux du jardin qui renseignent Charlie en lui fournissant des éléments scientifiques mis en valeur dans des bulles de dialogue se détachant du reste de l’histoire : le ver de terre explique, par exemple, la nécessité de séparer les graines pour leur laisser la place de bien grandir, la coccinelle l’importance du soleil et celle de la pluie.
Finalement tous les radis ont poussé et Charlie en retire un géant de terre qui surgit du livre avec un immense rabat pop-up, il est ravi et réalise aussi, grâce à l’aide de la coccinelle que, si on ne les ramasse pas, les plantes donneront des graines et comprend ainsi le cycle de la germination. À la fin du livre, coccinelle et ver de terre redonnent des astuces au futurs petits jardiniers qui auront lu le livre. Un album tendre et ludique pour susciter l’envie de jardiner aux plus petits tout en leur faisant comprendre le cycle des végétaux.

 

 

Olbi

Olbi
Estelle Billon-Spagnol
Grasset jeunesse, 2024

Une promenade

Par Anne-Marie Mercier

Olbi est un petit être tout rond, sorti d’un œuf, il n’est pas pour autant un oiseau, malgré son bec pointu et ses trois poils en aigrette sur sa tête. Il n’a pas d’ailes mais de petits bras et de petits poings trop souvent serrés. A peine sorti de l’œuf, il lui arrive bien des malheurs : il est enlevé par un promeneur qui l’offre à sa fille. Celle-ci le maltraite puis s’en désintéresse et l’échange à un camarade un peu plus gentil mais ce n’est guère mieux. Olbi s’évade et retrouve la nature, mais celle-ci a quelques inconvénients, et il apprend au passage que ne pas prendre en compte les autres c’est mal (et dangereux). Il se sent seul et cherche un ami. Il décide de devenir riche et le devient en trompant son monde. Il jouit de sa richesse et commande des tas de colis qui l’encombrent (mais la critique s’arrête là, il a tout de même un super sous-marin et la vie est chouette). Il finit par arriver à Olbiville où se trouvent ses semblables et l’histoire peut s’arrêter là, ou recommencer si on y tient.
En résumé, ça part dans tous les sens, entre leçons morales et épisodes immoraux. Le texte, réparti entre propos du narrateur et propos des personnages, risque de rendre la lecture peu aisée. Avec Olbi, on se demande un peu où tout ça mène.
feuilleter sur le site de l’éditeur

 

Billy – Il était une fois un garçon venu de l’ouest

Billy – Il était une fois un garçon venu de l’ouest
Loïc Clément – Clément Lefèvre
Little Urban 2024

Son nom est Tekoa

Par Michel Driol

On retrouve avec plaisir dans ce nouvel opus des aventures de Billy sa bande de copains dont Jane, la téméraire, et les horribles Loveless. Un nouvel élève vient d’arriver à l’école, Tekoa, fils d’un Ecossais et d’une Cherokee. S’il se tient à l’écart, il est bientôt pris à partie par le fils Loveless. Suit une bagarre générale, où l’on laisse quelques dents et récolte quelques rougeurs, et voilà la bande qui s’enrichit d’un nouveau membre, Tekoa.

On retrouve la même disposition que dans les volumes précédents : un texte assez conséquent, pris en charge par Billy le narrateur, en bas de page laissant libre le haut de page pour une grande illustration très colorée, en cinémascope. Il est bien sûr ici question d’intégration, de racisme, et d’accueil de l’autre, tout cela vu à la hauteur d’un enfant, Billy, qui découvre – et fait découvrir- quelques réalités historiques au lecteur. Le refus des unions mixtes : Tekoa et sa famille ne sont acceptés ni par les Blancs, ni par les Cherokee. Les rumeurs qu’on raconte sur les Indiens, la pratique du scalp et la danse de la pluie, tandis que le vieux Dick, qui a recueilli Billy, explique l’expropriation de ces premiers habitants de l’Amérique. Mais cette cour de récréation de l’Ouest sauvage ressemble en fait à celles de la vieille Europe : les enfants y sont confrontés aux mêmes stéréotypes dès lors qu’ils sont un peu différents, quand on les traite d’orphelins ou qu’on se moque de leur petite taille. C’est contre cela, contre cette bêtise ambiante incarnée par les Loveless et leur bande, que se bat Billy avec vigueur, et le fait de situer cela au Far West permet de justifier la bagarre comme un archétype du western, bagarre racontée tandis que l’illustration ne la montre pas, qui préfère se focaliser sur les regards des assistants et les visages édentés ou tuméfiés qui s’ensuivent, visages d’enfants sagement assis derrière leur pupitre.

Tout en promouvant ces valeurs d’accueil, tout en s’interrogeant avec le vieux Dick sur la violence incompréhensible des hommes, le texte, souvent écrit dans la langue familière de Billy, est plein d’humour. Que signifie être une moitié d’Indien ? Réponses naïves d’enfants à cette question… Dévalorisation de l’adversaire, traité de grande saucisse… Réactions enfantines de la bande de gamins face à la culture indienne dont ils ont entendu parler.  Quant aux illustrations, elles exploitent trois univers différents. La nature, avec des plans très larges de montagnes, d’arbres, d’oiseaux. L’école, avec ses pupitres alignés et sa maitresse. La ville, et en particulier la devanture de l’épicerie. Ce sont autant de clins d’œil aux codes du western classique, à ses lieux familiers et stéréotypés que le lecteur adulte aura plaisir à retrouver. Et, comme pour assurer le lien avec le volume précédent, on retrouve le chien voleur de saucisses…

Un album décalé pour inciter à lutter contre le racisme et accueillir l’autre, s’inscrivant parfaitement dans le renouveau du western pour proposer un univers drôle et plein de références.

Voir la chronique de Billy – Le Bon, la brute et l’héroïne

Pom Pom Pomme Amos

Pom Pom Pomme Amos
Anne Cortey, Janik Coat

Grasset jeunesse, 2024

Tout en rondeur

Par Anne-Marie Mercier

Pour les amateurs de la série des histoires d’Amos, cet album ajoute une jolie pierre à l’édifice délicat qui construit ce presque personnage : animal proche du lapin par ses oreilles, de la chouette par ses grands yeux, il a un corps potelé d’enfant au milieu duquel un joli nombril montre qu’il n’a ni plumes ni poils. De plus, sa tête est bleue, ses oreilles et son corps sont rouges… Amos est une incarnation d’enfance, il ressemble à un dessin d’enfant. Les formes sont justes esquissées, ou remplies aux crayons de couleur sur un papier à gros grain.
ici, nous voyons Amos dans une activité encore plus simple : il se réveille, il a faim, il prend son petit déjeuner (thé fruité et pommes), il va faire un tour. Tout cela est rythmé par une petite chanson (« pom pom »), mais aussi par la déclinaison des différentes couleurs de pommes (jaune, vert, rouge) et par l’envie de décrocher la grosse pomme jaune qui luit dans le ciel.
C’est mince mais charmant, sensible aux petits bonheurs et adapté aux tout petits. Les pages ne sont cependant pas cartonnées et l’album est de format assez grand pour suggérer une découverte avec un adulte.

 

Norbert

Norbert
Marie Colot et Ariana Simoncini

Cot cot cot,  2024

Norbert : Un personnage en quête d’histoire

Par Lidia Filippini

Norbert est une toute petite idée, logée dans la tête de quelqu’un. Mais dans cette tête, il y a déjà beaucoup d’autres toutes petites idées en souffrance. De temps en temps, certaines s’étoffent. Elles se transforment en princesses, en fées ou en d’autres personnages incroyables et quittent soudain les lieux pour devenir des histoires. Norbert, lui, semble coincé dans sa minuscule prison pleine à craquer. Il n’en peut plus, Norbert, il crie, il hurle : « Hey, tête de linotte ! Tête de nœud ! Sors-moi de là ! » Mais rien n’y fait. Celui qui lui a donné un prénom semble l’avoir tout à fait oublié. Jusqu’à ce qu’un jour, une étincelle apparaisse…
Simple et facile à lire, cet album n’en aborde pas moins un sujet complexe : celui de la création littéraire. Le lecteur voit le personnage se construire peu à peu au gré de l’imagination de son auteur. Au départ, Norbert ressemble à un arbre tout noir avec quelques branches et quelques racines. Puis, quand l’écrivain repense à lui, il se retrouve pourvu de bras, de jambes et de dents. L’auteur hésite. Il fait de lui un prince, puis changeant d’avis, lui donne des ailes et une crête. Norbert est fou de rage. Il ne sera ni le héros d’un conte, ni une vulgaire poulette ! L’écrivain semble alors se désintéresser de lui.  Mais, tout à coup, alors qu’il n’y croyait plus, Norbert, éjecté hors de la tête, se retrouve sur une page blanche. Le personnage est libre, comme dans la pièce de Pirandello, Six Personnages en quête d’auteur. Il va pouvoir, aidé de son auteur, écrire sa propre histoire : celle que nous venons de lire !
Marie Colot propose ici un album original et riche dans lequel le lecteur, à chaque âge, trouvera de quoi s’interroger, ou juste s’étonner. Le choix d’un petit format carré, facile à manier est judicieux. Le lecteur a l’impression de se plonger dans un cahier intime et précieux. Les très belles illustrations d’Ariana Simoncini, dont Norbert est le premier album pour la jeunesse, ont su se saisir du texte. Les couleurs pastel sont propices à une douce rêverie. Les personnages, tous plus loufoques les uns que les autres, évoluent dans un univers onirique peuplé de références au voyage, mais aussi à la lecture. C’est un album réussi qui donne envie d’écrire à son tour des histoires !

Feuilleter sur le site de l’éditeur