Bienvenue Castor, Magnus Weightman

Bienvenue Castor
Magnus Weightman
La Martinière Jeunesse, 2022

Un délicieux voyage au pays des maisons d’animaux

Maryse Vuillermet

L’album raconte le voyage de Castor qui décide un jour de quitter son nid et de courir le monde. Il croise le chemin du chien Atika qui l’embarque dans sa montgolfière. Ensemble, ils découvrent la Terre vue d’en haut, sa beauté, « ses paysages étonnants » puis les habitats de nombreux animaux. Nous explorons avec eux la tanière du phoque et de l’ours, le terrier du renard, la ruche des abeilles, la termitière, le nid du rat des moissons… Chaque logis est surprenant, son emplacement et son architecture sont la preuve d’une immense habileté.
Le dessin de Magnus Weightman est tendre, drôle, plein de fantaisie, chaque nid ou tanière est rempli d’animaux habillés comme des humains et meublé comme une maison humaine, cet anthropomorphisme des animaux les rend  sympathiques et proches des enfants, le tisserin joue du piano, le bernard-l’hermite fait du surf, les chiens de prairies ont des bibliothèques, c’est un univers de maisons de poupée.
A la fin de l’album, un planisphère permet de retracer le parcours des héros et de situer l’habitat de chacun des animaux pour apporter des informations complémentaires sur leur mode de vie.

Un album qui plaira à tous les enfants.

René.e aux bois dormants

René.e aux bois dormants
Elen Usdin
Sarbacane, 2021

Parcours initiatique

Par Anne-Marie Mercier

Ce superbe roman graphique aux couleurs sidérantes commence de manière presque enfantine (même si le dessin et les couleurs ne le sont pas) : à Toronto, un enfant, appelé René, dont on nous dit de manière très allusive qu’il a été adopté et qu’il est d’origine amérindienne, cherche sa place. Il part dans ses rêves pour éviter une réalité difficile, des moments d’humiliation. Dans l’un de ses rêves, il perd son doudou, un lapin.
La quête du doudou fait dériver l’album vers d’autres genres, à tous les sens du terme. René rencontre un être grand comme une statue de l’île de Pâques et rouge comme le feu qui se dit « Deux-esprits », homme et femme à la fois. Réfugié dans le monde des aoriens, des êtres primitifs et sans mémoire traqués par les humains et obligés de se cacher dans l’ombre, de l’autre côté du réel, il entraine René dans le monde des mythes, celui de l’ogre mangeur de lumière, de la fleur essentielle (où René devient Renée), et il lui fait rencontrer Isba, une sorcière au passé sanglant, qui doit lui permettre de retrouver son lapin… puis tout dérape: les générations et les sexes s’inversent, le monde de la ville se superpose au monde imaginaire, celui des morts avec celui des vivants.
On l’aura compris, ce n’est pas une « histoire de lapin » (au sens où l’entend Christophe Honoré dans Le Livre pour enfants), ni de doudou perdu, mais une plongée dans un imaginaire fondé sur les archétypes, une tentative pour neutraliser la dureté du monde des hommes et la cruauté de leur histoire, une quête d’identité vertigineuse. Ce n’est pas non plus une simple réécriture  du conte de la Belle au bois dormant : la thématique du passage de l’enfance à l’adolescence est entrelacée à de nombreux autres motifs, dont celui du masculin et du féminin, de la recherche des origines et enfin celui du sort tragique des Premières Nations du Canada.
Explorer, sur le site de l’éditeur.

 

 

Pourquoi les lapins ne fêtent pas leur anniversaire ?

Pourquoi les lapins ne fêtent pas leur anniversaire ?
Antonin Louchard
Seuil jeunesse, 2021

Métaphysique des terriers

Par Anne-Marie Mercier

Revoilà Zou, le petit lapin qui avait permis à Antonin Louchard de répondre à la question Pourquoi les lapins ne portent pas de culotte ? (Seuil, 2016); il est présenté ici pour répondre à une autre question plus cruciale, et même existentielle
Un beau jour d’automne, notre héros quitte sa famille et le village de Cucuron, dans les environs de Lourmarin, pour découvrir le monde et vivre des aventures. Sauvé de la noyade par des castors, mis en quarantaine par une tribu de lapins traumatisés par la mémoire d’une épidémie, soumis à un interrogatoire devant le grand Bagadou et l’ordre des Carottes bleues qui dirigent cette secte, il parvient à s’échapper et à repartir vers le vaste monde pour remplir de belles découvertes et d’aventures les quelques mois qui lui restent : un lapin sauvage ne vit guère plus qu’un ou deux ans, nous dit l’auteur, d’où le titre.
Ainsi, Antonin Louchard met à portée des jeunes lecteurs le dilemme d’Achille : vaut-il mieux vivre longtemps, obscur, une vie un peu plate ou bien mourir jeune après une vie bien remplie ? Zou, comme Achille ont choisi la vie brève.
On trouve aussi dans cet album des échos de Watership Down de Richard Adams (Monsieur Toussaint, 2020) qui met en scène des lapins dans une histoire qui tient de l’épopée, plus proche d’ailleurs  de l’Énéide que de l’Iliade : on y voit également une secte de lapins coupés du monde qui choisissent la servitude pour obtenir une illusion de sécurité et s’engourdissent eux aussi dans une religion hypnotique.
Mais Antonin Louchard est aussi un artiste illustrateur et ses dessins inimitables sont des merveilles d’humour et de vivacité et la tristesse induite par la réponse à la question qu’il pose s’évanouit devant la beauté du monde et de l’aventure.

Nuit blanche

Nuit blanche
Alice Brière-Haquet – Raphaële Enjary
(Les Grandes Personnes) 2021

Une histoire de chat et de souris

Par Michel Driol

C’est la nuit. Le chat se glisse hors de la chambre de son ami pour pourchasser la souris. Comme il neige, elle peut se cacher. Le chat rentre. La souris – la petite souris – prend la dent de l’ami du chat et dépose une pièce d’or tandis que le soleil se lève.

Sur ce synopsis minimaliste, voici un album somptueux grâce à son graphisme et à l’ingéniosité des couleurs. On le sait, la nuit, tous les chats sont gris, gris souris. L’album conjugue les couleurs essentielles, le noir de la nuit, le gris du chat, le blanc de la neige et de la souris, avec quelques taches de jaune : étoile, yeux du chat, pièce d’or et soleil.  Pour  l’essentiel, on baigne dans une atmosphère monochrome pleine de poésie que renforce le texte, simple commentaire de l’image, invitant à la contempler en silence. L’album est un appel à l’imaginaire : une découpe de quatre carrés, et voici une fenêtre blanche puis, une fois la page tournée, noire. Deux étoiles, et voici les yeux du chat dès que l’on a tourné la page… Une découpe de souris, visible sur le fond noir de la nuit, invisible sur le fond blanc de la neige… Dans ce décor nocturne et urbain, plein de charme, les deux personnages jouent un jeu éternel, celui du chat et de la souris, jusqu’au retour attendu de la lumière du soleil qui introduit à une nouvelle atmosphère, jaune et lumineuse.

Un album plein de trouvailles poétiques pour évoquer les mystères de la nuit quand les enfants dorment, la magie de la neige qui remplace le noir par le blanc.

Ma Grande

Ma Grande
Sibylle Delacroix
Mijade 2021

La juste place

Par Michel Driol

Elise est plus grande que les autres enfants de son âge. Avec  ce corps démesuré, ces jambes sans fin, ces bras envahissants, face aux sobriquets des autres, elle aimerait être enfin, tout simplement, appelée Elise, ma petite et non plus ma grande.

Voilà un album qui parle avec finesse de la difficulté à accepter son corps différent de celui des autres, son corps qui stigmatise, et qui empêche de trouver sa place. Si c’est une problématique généralement associée à l’adolescence, Sibylle Delacroix la transpose dans l’enfance, en évoquant avec douceur et tendresse les états d’âme, les souhaits, les réflexions d’une enfant qui se réfugie dans ses rêves, dans son imaginaire, peut-être pour échapper au quotidien dans lesquels elle se sent déplacée. Avec une grande simplicité, le texte a recours à de nombreuses expressions et jeux de mots, façon à la fois de dédramatiser la situation vécue par la fillette, et de la justifier par des déterminismes linguistiques, auxquels on ne peut pas échapper. Après tout, être grand, c’est être souvent dans la lune… Les illustrations nous montrent un personnage qui a du mal à rentrer dans les cadres : fenêtre, photo de classe. Elle déborde des pages de l’album – pourtant de grand format lui aussi. Elle se plie, voit le monde de très haut, mais finit par se replier et se cacher sous la table, façon pour elle de disparaitre dans une image poignante. Fin heureuse pourtant pour cet album, où à la fois se manifestent l’utilité d’être grand et l’amour de la grand-mère pour sa petite fille.

Un album plein de douceur et de sensibilité pour dire la difficulté à ne pas être comme tous les autres, pour dire les blessures secrètes de l’enfance, les tensions douloureuses entre le réel et les désirs, la place de l’imaginaire dans la vie, à la fois refuge et source d’inquiétude, un album dans lequel nombre d’enfants se reconnaitront et qui pourra les aider à trouver leur place.

Les Yeux fermés

Les Yeux fermés
Catherine Latteux – Célina Guiné
D’eux 2021

De la musique avant toute chose

Par Michel Driol

Moe joue de la musique pour son amie Lily, qui, soudain, se lève pour aller voir qui pousse de petits cris plaintifs. C’est un jeune lapin. Pour retrouver les autres lapins, il faut écouter le vent, et tous les bruits de la nature. Ainsi l’album les évoque successivement, jusqu’à entendre la lapine et ses petits qui font des bonds. Et Lily, guidée par son amie, s’en va rapporter le lapin, sans sa canne blanche…

Bien sûr, c’est de handicap qu’il est question dans cet album, de cécité, si l’on lit bien le titre, si l’on regarde bien l’illustration de couverture, si l’on sait s’interroger sur l’étrange représentation graphique de Moe, l’ami musicien, sorte de plante sur sa tige, ce qui fait que la dernière page n’est pas vraiment une révélation. Pour autant, l’angle choisi n’est pas celui du handicap, mais celui d’une hyper sensibilité à la musique de la nature à laquelle est attentive Lily. C’est cette dimension poétique, renforcée par les rimes (ou les échos sonores) qui accompagnent les évocations de chacun de ces sons, et qui invitent le lecteur à écouter plutôt qu’à voir. Végétaux, insectes, cours d’eau… se succèdent ainsi, et font, tour à tour, entendre leur musique particulière. Clapotis, appel, bourdonnement… le vocabulaire se diversifie aussi pour donner au lecteur, dans les propos de Lily, à percevoir comme elle cette symphonie aux timbres variés. C’est donc à une attitude poétique d’écoute active du monde de la nature que cet album invite, pour en apprécier l’extrême diversité dans le silence évocateur de tant de choses, si l’on sait lui prêter l’oreille.

Les illustrations ne visent ni au réalisme, ni à une quelconque imitation musicale. Elles montrent aussi un monde très divers, mais animé. En effet, les végétaux se métamorphosent souvent en visages humains, les animaux prennent des poses humaines aussi, façon de réduire la distance entre l’homme et la nature, d’en faire une espère de grand tout vivant, sonore, animé, devant lequel s’émerveiller.

Un album qui prend des formes poétiques pour apprendre à ne pas se contenter du regard rapide sur les choses, sur le monde, mais à écouter les plus infimes bruits d’une nature luxuriante.

 

 

 

 

Le Livre perdu

Le Livre perdu
Nathalie Wyss & Bernard Utz – illustré par Laurence Clément
Helvetiq 2021

De Charybde en Scylla ?

Par Michel Driol

Perdu dans la forêt, le livre rencontre un groupe d’enfants, ses lecteurs, tout aussi perdus que lui. Il leur propose de retrouver le chemin pour sortir du bois où les guettent nombre de dangers. Le froid, les loups, le labyrinthe des arbres, les bruits, les chauves-souris, la brume, les crapauds, les limaces… et enfin la sorcière. On ne révélera pas ici la chute, à la fois surprenante et attendue…

Les illustrations, conçues selon le principe d’une caméra subjective, nous donnent à voir le point de vue des enfants, des lecteurs, qui découvrent la forêt. Jamais on ne voit le livre-guide, mais partout on entend sa voix, ses conseils, façon d’immerger le lecteur dans l’univers forestier. Mais on passe petit à petit d’un univers familier à un univers de plus en plus inquiétant, celui des contes, dans lequel les perspectives changent : chauves-souris et champignons occupent une grande partie des pages, un bonnet oublié au sol semble indiquer une disparition récente, les couleurs s’assombrissent… Cette plongée dans l’univers fantastique et merveilleux s’accompagne d’une bonne dose d’humour. D’abord dans la situation, qui met en texte un livre qui parle, qui s’est perdu et qui veut collaborer avec ses lecteurs pour les guider, les amener à sortir de la forêt obscure pour retrouver leur chemin. Ensuite dans la façon de faire participer les lecteurs par des activités corporelles pour se réchauffer. Enfin dans les dangers rencontrés, qui n’ont rien d’insurmontables et relèvent plutôt des stéréotypes des contes se déroulant dans la forêt.

La chute conduit à s’interroger sur le rôle exact joué par ce drôle de livre auquel on a fait confiance avec trop d’aveuglement. Le danger devient réel, car le livre conduit au pire. Pour de rire, heureusement ! Ne faisons pas dire à cet ouvrage plus qu’en dit, ne lui cherchons pas un contenu philosophique sur les livres qu’il serait dangereux de suivre ou d’écouter : c’est avant tout une belle proposition formelle, drôle, pour amuser le lecteur, mais aussi le mystifier pour sa plus grande jubilation !

Un livre pour faire bouger, rire et trembler les enfants, annonce, avec justesse, la quatrième de couverture.

Alors, c’est quoi, la vie?

Alors, c’est quoi la vie?
Laurence Salaün, Gilles Rapaport (ill.)
Seuil Jeunesse, 2021

Et Dieu dans tout ça? 

Par Christine Moulin

La doublette d’auteurs que constituent Laurence Salaün et Gilles Rapaport avait déjà sévi avec des ouvrages désopilants (la série « Il y a des règles ») et posé des questions fondamentales (C’est quoi être un grand? C’est quoi être un bon élève?). Ils s’attaquent ici, comme l’indique le titre de l’album, au problème de fond: « C’est quoi la vie? ». Les réponses sont proposées sous forme d’une liste d’infinitifs, portée par la voix d’un enfant, infinitifs qui balayent la variété des aspects du problème, accompagnés d’une petite phrase annexe: cette petite phrase, que le lecteur attend de page en page, rompt l’éventuelle monotonie et introduit encore davantage de distance et d’humour.
On démarre, de façon assez attendue, avec la naissance. Suit l’enfance avec ses plaisirs (on retrouve presque Brami ou Delerm: « La vie, c’est manger de la neige fraîche en hiver »), ses contraintes (aller à l’école, par exemple), ses contrariétés, ses évolutions (« La vie c’est aimer quelqu’un d’autre que sa maman, son doudou, le chocolat et les frites. C’est aimer pour de vrai, quoi! »). De temps en temps, l’auteur glisse une leçon de vie, discrète: « La vie, c’est se faire peur, se dépasser, se tromper et recommencer! » ou, plus surprenante, une règle d’orthographe sur les « verbes bi-pronominaux »! On peut également noter une allusion à ce qui a envahi récemment nos existences: « La vie c’est trouver 2 euros par terre et ne pas pouvoir les ramasser à cause du coronavirus. » Quelquefois, c’est une note de poésie qui s’invite: « La vie c’est beau. Belle, si c’est une fille. » Progressivement, par petites touches, on aborde l’adolescence (« La vie c’est s’embrasser avec la langue! ») mais on s’arrêtera au seuil de la vie adulte. Dans cette litanie, s’immisce un fil rouge: le désir d’avoir un chat, qui initie aux joies du comique de répétition et prépare la chute…
Les illustrations de Rapaport, très expressives, on s’en doute, font souvent écho au texte mais surprennent parfois et introduisent une dissonance, voire une contradiction, qui provoquent rire et jubilation, quand elles ne suggèrent pas des interprétations tendancieuses, pour mieux détromper le lecteur, honteux de s’être laissé prendre… (« La vie c’est recommencer ce qui fait plaisir. Mais uniquement sous la couette… »: et il y a une suite!)
Bref, c’est truculent, joyeux et roboratif!

L’enfant renard

L’enfant renard
Laure Van der Haeghen
HongFei 2021

Apprendre à vivre ensemble

Par Michel Driol

Dans une petite maison, à l’orée du bois, vivent une maman rousse et son fils, malheureux d’être enfermé. Un jour, elle le laisse s’enfuir dans la forêt, et va le voir tous les soirs. Il revient, trempé, devant la maison, et y reste, se laissant câliner, cajoler, faisant le récit de ses futures aventures. Sauf que l’enfant est un petit renard, qui à la fin de l’histoire, va se métamorphoser en enfant humain, et que la maman est une ancienne renarde qui a accepté de devenir humaine…

Laure Van der Haeghen propose un album très poétique pour évoquer à la fois les relations entre la nature et la culture et entre les adultes et les enfants. C’est bien de socialisation qu’il est question ici, dans l’opposition entre cette maman humaine et cet enfant sauvage, qui ne rêve que de liberté, de grands espaces, d’épanouissement dans la forêt, loin d’elle. Tout comme sa maman, il va accepter, à son tour, de se transformer en homme, de perdre ses attributs sauvages, crocs et griffes qui font peur aux autres animaux, pour vivre dans une maison, tout en rêvant de repartir.  Les relations poignantes  entre les deux personnages sont évoquées avec beaucoup de pudeur.  Cette histoire, proche du conte par ses éléments, ses métamorphoses, son imaginaire lié à la forêt, dit comment parents et enfants doivent s’apprivoiser, comment les parents doivent laisser les enfants  faire leurs expériences par eux-mêmes, comment la confiance n’est pas donnée a priori, mais se construit petit à petit, avec des phases de défiance, d’incompréhension. Sous une forme symbolique et imagée, ce sont bien des propos sur l’éducation qui sont tenus, s’adressant au cœur autant qu’à l’intelligence. Les superbes illustrations montrent avec réalisme les deux personnages, tant dans leur état sauvage qu’humain, dans des poses très symboliques de leurs états d’esprit et de leur relation, pleine d’amour et de respect mutuel. Elles montrent une nature somptueuse, luxuriante, prés, forêts,  aux  couleurs de l’été et de l’automne. A cette nature s’oppose l’intérieur blanc de la maison, où se détachent quelques objets essentiels, chaise, jouets, et dont les fenêtres s’ouvrent sur l’extérieur, sur la nature.

Un superbe album qui s’adresse aussi bien aux adultes qu’aux enfants, qui doivent avoir le droit et la possibilité de parcourir librement la grande forêt du monde avant de retourner découvrir et accepter les choix faits par leurs parents, et de rejoindre la terre des hommes. Un album qui parle d’éducation à travers de somptueuses images, à la fois textuelles et iconiques, réalistes et symboliques.

 

Maroussia, Celle qui sauva la forêt

Maroussia, Celle qui sauva la forêt
Carole Trébor – Daniel Egnéus
Little Urban 2021

Ecoute, bûcheron, arrête un peu le bras…

Par Michel Driol

Dans une isba, près d’un bois peuplé de créatures magiques, vivent Maroussia et sa grand-mère. Cette dernière joue les intermédiaires entre les villageois et esprits de la forêt. Quant à Maroussia, elle est terrifiée par le monstre Bouba, qui, pense-t-elle, habite sous son lit. C’est alors qu’elles apprennent que le village et la forêt vont être détruits pour laisser passer le Transsibérien. Prenant son courage à deux mains, Maroussia implore les esprits, sauve un loup, et ose affronter le Gouverneur de Sibérie pour faire détourner la voie ferrée.

Avec cet album, Little Urban s’inscrit à la fois dans la grande tradition du conte russe magnifiquement illustré et dans la modernité avec la nécessité de la sauvegarde de la nature. Daniel Egneus propose en effet des illustrations somptueuses, magnifiées par le grand format de l’album. Il s’inspire des couleurs et de l’iconographie traditionnelle russe sans aucun passéisme. Bien au contraire, ses images sont pleines de vie, de mouvement, d’expressivité dans le choix des cadrages, des regards et introduisent à l’univers merveilleux d’une forêt, d’une nature bien loin du pittoresque stéréotypé de la Russie éternelle, façon à la fois de s’inscrire dans un lieu, un temps, et de le dépasser pour le rendre universel. Il n’est que de voir la façon dont les vêtements, les chaussettes en particulier, de Maroussia, deviennent une ode à la végétation.

Le texte est de ceux qu’on prend le temps de lire. Il pourrait se suffire à lui-même, tant il est précis, imagé, posant personnages et situations. Les lecteurs habitués aux contes traditionnels y retrouveront avec plaisir tous les archétypes : la petite fille, à la fois ordinaire et déterminée à agir, la forêt avec ses mystères, le loup, qu’on peut ici apaiser avec un lièvre au lieu de le tuer, le fils du puissant (non pas un roi ou un prince ici, mais le Gouverneur) et surtout les forces magiques des esprits, forces surnaturelles protectrices si on sait ses les concilier, mais aussi menacées par les hommes qui ne croient qu’aux forces du progrès scientifique. On le voit, ce conte a des échos très contemporains pour évoquer notre rapport à la nature, aux animaux, à notre propre imaginaire aussi.

Un superbe album qui revisite la tradition du conte russe dans une perspective très contemporaine par les thèmes et les illustrations que l’on pourra apprécier ci-dessous.