Voyage au pays des monstres

Voyage au pays des monstres
Claude Ponti
L’école des loisirs / Musée d’Orsay, 2020

Monstre, mon ami

Par Anne-Marie Mercier

Embarqués à bord du bus parisien de la ligne 84, que ne voit-on pas ? La Seine au pont Royal, le Musée d’Orsay, les Tuileries, la place de la Concorde et le musée de la Marine, qui offrent à voir bien des objets et des êtres étranges, aussi étranges que certains passagers du bus, d’ailleurs. Puis, au moment où le narrateur souhaite être ailleurs que dans ce bus, l’ailleurs s’invite.
C’est d’abord une forêt qui ressemble beaucoup à celle qui pousse dans la chambre de Max dans Max et les Maximonstres. Puis un entonogondolo, qui aspire le narrateur et le place dans une coquille qui lui va bien et lui donne des ailes. Autre rencontre, celle de « Toikili, qui lit ce livre » : nous voilà embarqués dans l’omnibus de la lecture et de l’imaginaire pontien, et dans l’imaginaire vaste de la littérature de jeunesse (le lapin d’Alice, Little Nemo, Peter Rabbit, la fourmi de Desnos…) et de l’art en général, qui a engendré bien des monstres (Jérôme Bosch, Jacques Callot, des grotesques de cathédrales; il y a une liste en fin de volume pour tout repérer.
C’est un drôle de monstre qui souhaite la bienvenue au narrateur, monstre qui sort du cadre (ou de la case), et surtout de l’esthétique pontienne : il s’agit de l’un des monstres de Léopold Chauveau, que l’on retrouvera tout au long de l’aventure. Comme la première image du bus le suggère, l’album accompagne l’exposition « Au pays des monstres. Léopold Chauveau (1870-1940) », consacrée à cet artiste, sculpteur, dessinateur et auteur un peu trop oublié d’ouvrages pour la jeunesse (notamment avec les Cures merveilleuses du Docteur Popotame (réédité chez MeMo) et ses « histoires du petit père Renaud »). Cette exposition a été présentée au Musée d’Orsay, entre mars et septembre 2020 ; pas de chance vu le peu de fréquentation des musées pendant cette période de confinement et de déconfinement, mais l’œuvre de Ponti permet de lui donner une deuxième vie.
Pas de véritable intrigue, mais un voyage dans l’imaginaire et une rêverie sur ce qu’est le monstre qui touchera aussi bien les adultes que les enfants : « Les monstres se fabriquent à l’intérieur d’une personne tout doucement sans faire de bruit. Ce sont des amis secrets. Ils réfléchissent, rêvent, plaisantent, consolent ceux qu’ils habitent ».  À sept monstres de Chauveau, Ponti donne un nom, une histoire, une qualité, secrète et utile : l’Effassensonge adoucit les pensées, Cœur-penché crée le rire, Bec de Calme dose comme il faut la méchanceté (car il en faut, « pour se protéger »), Léhaut-Polnu rend double, Louramour «rend les amours digestes», l’Ouazo serein chasse les mauvais rêves, l’Ensemblières aide les monstres qui cohabitent dans une même personne à s’entendre…
Ces monstres, dit le narrateur à Toikili, « donnent de la joie et une sorte de consolation. C’est peut-être parce que nous savons maintenant que certains monstres n’en sont pas, qu’ils soient de chair ou de papier, de chair ou de brume ». Le livre donne des ailes pour survoler la mer des histoires (S. Rushdie ?) avant de rentrer à Paris et de retrouver le bus pour l’un, le livre fermé pour l’autre.

Un article de Marie-Pierre Litaudon, « Léopold Chauveau et ses « histoires du petit père Renaud » : Cronos au cœur de l’invention », paru sur Strenae en 2013 résume sa carrière et son style.

 

 

 

 

Un thé à l’eau de parapluie

Un thé à l’eau de parapluie
Karen Hottois – Illustrations de Chloé Malard
Seuil Jeunesse 2020

Pour entrer doucement dans l’automne

Par Michel Driol

Quand arrive l’automne, Elmo adore faire du thé à l’eau de parapluie. Il fait aussi cuire des  bichons au citron et invite ses chats en peluche pour le gouter. Mais ces derniers voudraient de la soupe de petits poissons.  Elmo invite alors ses voisins, et leur explique que l’eau de parapluie s’est remplie de toutes les saveurs et bonnes choses de l’été. Et chacun de retrouver la mer, les sauterelles, les papillons, et même les petits poissons. Suit une partie de jeu dans les flaques d’eau avant de se retrouver autour d’ un bon feu.

Non sans poésie, Ce thé à l’eau de parapluie évoque le temps qui passe, la succession des saisons qui apportent chacune leur lumière, leur tonalité, leurs activités et leurs plaisirs. Si Elmo a le cœur serré à la première page, cette nostalgie s’en va, chassée par d’autres plaisirs et bonheurs simples, à cueillir dans le temps présent. Car l’album, plus riche et complexe qu’il n’y parait, donne une leçon de vie qui n’est pas sans évoquer Frédéric de Lio Lionni, dans la façon de parler de l’été au cœur de l’hiver, pour ne pas en oublier les sensations, ou bien sûr Hulul et son thé aux larmes. Plaisir du jeu,  plaisir de profiter ensemble du temps présent, plaisir aussi de l’amitié qui n’ose pas se dire, mais qui se vit.

Les illustrations de Chloé Malard font passer de la grisaille aux lumières chaudes de l’automne, tout en évoquant les couleurs de l’été. Autant de petites vignettes qui dessinent un univers confortable à l’intérieur, joyeux et plein de vie à l’extérieur.

Un album pudique pour dire aux enfants les bonheurs simples du quotidien.

Mercredi

Mercredi
Anne Bertier
MeMo (2010), 2018

Du jeu, de la géométrie, de la créativité : MeMo dans les pas du Père Castor

Par Anne-Marie Mercier

Bel hommage à Nathalie Parain, cet album carré, au format original (que l’on ne peut qualifier ni de petit ni de grand : que dire donc, sinon qu’il est parfait ?), propose les jeux de deux personnages : Petit Rond et Grand Carré. On l’aura compris, ce sont des formes géométriques, l’une est bleue et l’autre orange, couleurs complémentaires – mais rien à voir avec l’album Petit Bleu et Petit Jaune de Léo Lionni qui travaillait sur la couleur. Ici, seule la forme compte et elle est travaillée à merveille.
Il faudrait ajouter à la forme les mots, car c’est aussi un imagier associant mots et choses, formes graphiques et décodage de celles-ci : « Il leur suffit de prononcer un mot et ils se transforment aussitôt ». Grand Carré (il mène le jeu) lance le thème ; Petit Rond l’imite, d’abord en essayant de reproduire la même forme (un papillon avec deux triangles pour l’un, deux demi-cercles pour l’autre), une fleur, un champignon… On en aura une idée plus précise en feuilletant sur le site de l’éditeur.
Mais le jeu a des limites et on ne peut pas tout faire quand on est petit. Après une brouille, les deux amis coopèrent harmonieusement et longuement, preuve que le jeu en collaboration est plus intéressant que le jeu en compétition : ils forment ensemble un « i », un bonbon, un clown… et ce temps de jeu se termine bien évidemment par un goûter. Voilà une belle façon d’occuper les mercredis.

On retrouve ici les principes qui animaient Nathalie Parain et l’équipe des débuts du Père Castor : proposer de beaux albums, à la lisibilité travaillée (la typographie et la mise en page de l’album vont dans ce sens), qui sollicitent l’imagination et développent la créativité de l’enfant. Mercredi est une invitation à poursuivre en jouant au tangram, ou en créant de nouvelles formes, comme les tout premiers albums du Père Castor signés par Nathalie Parain, Je fais mes masques (Paris : Flammarion (Albums du Père Castor), 1931 / Mes masques, 2004 ; 2006) et surtout Je découpe (Paris : Flammarion (Albums du Père Castor), 1931 ; Nantes : MeMo, 2012).
Avec le même principe de collages, Anne Bertier a travaillé également sur les opérations arithmétiques, dans  la série « Signes jeux » de MeMo, pour « donner un sens graphique aux opérations de l’arithmétique élémentaire. Elle traite ainsi l’addition et la soustraction, mais également multiplication, division et égalité » (Je divise, Je multiplie, Je soustrais, C’est égal).
Saluons encore une fois le magnifique travail des éditions MeMo qui font reparaitre des classiques (ceux du père Castor, les albums de Sendak, etc.) et parfois les traduisent, ouvrant l’accès des français une histoire plus large de la littérature de jeunesse, et qui proposent également des albums contemporains inspirés de ceux-ci.
Les éditions MeMo ont également publié des monographies sur de grands artistes de ce domaine, comme Nathalie Parain, Paul Cox, ou Elisabeth Ivanovsky.

A la recherche des trois flamants roses

A la recherche des trois flamants roses
Leona Rose
Little Urban 2020

Cherche et trouve géant

Leona, Naomi et Michel, trois flamants roses bien identifiables par un accessoire (lunettes, téléphone ou appareil photo) effectuent un voyage dans le monde. Marrakech, l’Afrique, New Tork, Paris sont quelques-uns des lieux qu’ils vont visiter. Défilés de mode, hôtels, restaurants, villages… l’album entraine aussi dans une multitude de situations qui ont comme principale caractéristique d’être des lieux très, très peuplés dans lesquels le lecteur est invité à retrouver les trois héros.

Leona Rose signe ici un album grand format très graphique comme une ode à la couleur : la plupart des pages sont monochromes, et font voyager dans un prisme de couleurs jusqu’à une fin très polychrome. Chacune des illustrations regorge de détails graphiques dans lesquels l’œil se perd au milieu de personnages-animaux humanisés, comme une ode à la diversité et à la variété du monde. Un album qui offre enfin au lecteur la possibilité de colorier la dernière planche !

Une luxuriante explosion de couleurs qui n’est pas parfois sans évoquer le Douanier Rousseau !

Les Ombres de Nasla

Les Ombres de Nasla
Cécile Roumiguière, Simone Rea
Seuil jeunesse, 2019

Dormir sans

Par Anne-Marie Mercier

Une enfant, la nuit, ne dort pas : il lui semble que tout en haut de son armoire un œil jaune la regarde, que son éléphant qui a été rangé là remue… et puis sa peluche préférée a elle aussi été exilée là-haut à côté de lui, car elle a décidé qu’elle était trop grande pour dormir encor avec une peluche, autre raison pour se sentir perdue.
La logique du rêve s’installe à travers les formes schématiques des êtres, les décors dépouillés ou abstraits, tout au long de ces pages sombres auxquelles succèdent parfois d’autres doubles pages colorées, ouvertures vers l’imaginaire.
Les tentatives de Nasla pour dissiper le mystère échouent toutes car « La nuit on ne parle pas, la nuit on dort ». « La nuit on ne joue pas, la nuit on dort ». « La nuit on ne respire pas, on dort  ?  Mais si, la nuit on respire, et on dort. »
Retrouvant son doudou caché sous son oreiller, Nasla arrive à rompre cet enchantement de questions et situations étranges et se met à dormir, tandis que le lecteur découvre la solution du mystère de l’œil jaune et de ce qui fait bouger l’éléphant : la nuit est aussi un moment de vie.

Trois histoires vraiment bien

Trois histoires vraiment bien
Julien Bauer, Magali Le Huche
Les Fourmis rouges, 2019

Vrai de vrai…

Par Anne-Marie Mercier

Voilà effectivement, comme le titre l’annonce, trois histoires, toutes trois très énigmatiques et toutes trois « vraiment bien » qui jouent avec la vérité et l’absurde.

Un jour de neige, dans un jardin public, on trouve des traces de pieds de géant, des objets qui semblent appartenir à un géant, une énorme clé avec une adresse ; on y va, une voix énorme répond, on entre et on trouve… Piplo ! Il manque les images pour accompagner cette chasse au trésor comique et mignonne dans une ville qui semble croquée par Peynet.

« Coquin Colin », est nous dit-on « une histoire vraie », celle des époux qui figurent sur le célèbre tableau de Grant Wood, « American Gothic » (1930), l’un des tableaux les plus détournés au monde : ils auraient eu un fils, Colin, très coquin, qui aurait fait leur désespoir et ils seraient tombés sur la recette d’un élixir pour enfants agités, et, de là, auraient créé une boisson elle aussi iconique des USA (celle qu’évoque le titre…). Encore une fois, l’image donne son sens plein à l’histoire comme elle la rattache à l’Histoire, la culture américaine est ici saisie dans un grand raccourci.

L’incroyable mystère est celui de la disparition conjointe du poisson rouge de Romain (Paris, 6 ans), du lama d’Ezéchiel (Pérou, 7 ans) et du chien de Mme Baxter (USA, 83 ans)… on les retrouve sur la photo officielle des dirigeants du G7 : que s’est-il passé ? et que nous dit ce miracle ? Cette histoire dit-elle quelque chose de l’Histoire ? Ou n’est-ce « que » pour en rire ?

Sous la désinvolture du titre qui fait penser à celui de l’album de Christian Voltz intitulé « Le Livre le plus génial que j’ai jamais lu », et qui semble une facilité pour un recueil de récits séparés, il y a pourtant une unité ; d’abord l’univers de Magali Le Huche et sa façon de déplacer ses personnages sur la page blanche ou dans des décors simplement esquissés, aux  coloris délicats ; ensuite le jeu entre les mots et les images, les apparences et le réel, l’humour, et une façon de ne pas se prendre au sérieux tout en affirmant le contraire.

 

 

 

Le Garçon du phare

Le Garçon du phare
Marc Ducos
Sarbacane, 2019

Aventures en pyjama

Par Anne-Marie Mercier

Marc Ducos semble sortir des albums ayant pour centre un bâtiment ou un jardin pour se lancer dans le récit d’aventure. L’aventure nait cependant d’un lieu : un jeune garçon arrache par mégarde une portion de papier peint dans sa chambre, et découvre un paysage de mer avec un phare et une île au loin.
Parti dans l’image, il vit une aventure dont les ingrédients sont : un autre garçon de son âge, la nécessité d’empêcher un trafiquant de venir envahir l’île des licornes, un monstre marin qui empêche l’autre garçon de rejoindre son île, la construction d’une barque, l’évasion… et puis le réveil dans une chambre dont on découvre qu’elle est effectivement couverte sur tous ses murs de ce paysage.
La logique du rêve explique sans doute le caractère décousu de l’histoire et ses nombreuses invraisemblances qui font que la « suspension d’incrédulité » ne peut exister que par la volonté du lecteur. Mais les images sont superbes, comme on peut le voir en feuilletant sur le site de l’éditeur,  et c’est une histoire qui brasse comme en un rêve bien des thèmes de récits d’aventure.

Les Lapins de la pleine lune

Les Lapins de la pleine lune
Camilla Pintonato
Seuil jeunesse, 2019

Au clair de la lune…

Par Anne-Marie Mercier

Chacun sait que dès que les humains dorment il se passe de drôles de choses chez les jouets et chez les animaux. Les « petits » lapins étant à mi-chemin entre le jouet et l’animal, ils jouent doublement bien le rôle d’animateurs des nuits.
L’album, de format carré assez grand, idéal pour y inscrire de nombreux ronds blancs lunaires sur fond bleu de nuit, raconte en plusieurs doubles pages un mystère de pleine lune : ces cinq lapins, « où vont-ils », « que transportent-ils ? » On les suit… L’histoire est contée à travers un texte court en vers de mirlitons, pas plus de deux par page. Les illustrations sont simples, de tonalités sombres (c’est la nuit) avec de vifs contrastes.
Dans un souterrain on découvre un atelier où de nombreux autres lapins s’affairent pour imprimer et découper des invitations que l’on verra ensuite distribuer à divers animaux : « c’est soir de pleine lune, venez ! ». L’attente, scandée par de nombreuses répétitions telles que les enfants les aiment, est comblée par un merveilleux spectacle de lanternes dans la nuit : « Petits lapins tout gris Nous sommes tous éblouis. Juste là, sous nos yeux, la lune brille de mille feux. Autour d’elle dansent les lanternes. Voyez ça comme elles sont belles». Et chacun rentre chez soi : une histoire idéale pour aller dormir ?
L’histoire est simplissime et dure le temps d’une nuit. Elle rassemble divers animaux que les enfants auront plaisir à retrouver. La générosité du spectacle gratuit, pour tous, « vivant », collectif, qui s’appuie sur un simple lever de lune est séduisante, tout comme le rappel de la splendeur de ce spectacle, qui revient tous les mois lunaires, et qu’on oublie trop souvent de contempler.

Les Aoûtiens

Les Aoûtiens
Olivier Douzou, Frédérique Bertrand
Rouergue, 2019

Un OVNI dans le potager

Par Anne-Marie Mercier

Les albums publiés par le duo constitué par Olivier Douzou et Frédérique Bertrand sont toujours une surprise, tant ils sont décalés, drôles et énigmatiques. Ils font partie de ces « petits » livres qu’il faut lire plusieurs fois pour tenter d’en saisir  tous les sens, depuis On ne copie pas (Prix Bologna Ragazzi de la foire du livre de jeunesse de Bologne, Rouergue, 1999), véritable OVNI ou plutôt ANI (Album non identifié) dans le paysage de l’édition pour la jeunesse. Se sont succédé Remue-ménage, (Rouergue-Centre Pompidou, 2000), Les Mauvais Perdants (Rouergue, 2001), Le Conte du prince en deux ou l’histoire d’une mémorable fessée, (Seuil, 2005), Pierre et le l’ours (MeMo, 2007), Le Petit Bonhomme pané  (Rouergue, 2011), Minou, Ours, Teckel, Poney (Rouergue, 2012), Costa Brava (où apparait le personnage de Petit Pierre), Zignongnon, Truite (Rouergue, 2013). Frédérique Bertrand collabore avec bien d’autres auteurs, notamment Michaël Leblond pour la série des Pyjamarama ­– le visage de petit Pierre, dans Les Aoûtiens, est proche de celui de ses personnages dans ces albums). La plupart de ces titres ont été recensés dans li&je.
Les Aoûtiens semble présenter une situation simple : , Pierre, un petit garçon, accompagne son grand-père au jardin et écoute, sans doute un peu distraitement, le long monologue de celui-ci, louant la vie au grand air, la nature, ses qualités de jardinier, et la nouvelle sagesse qu’il a acquise en passant de l’activité de maçon à celle d’amoureux des plantes. Il lui montre les courgettes, les petits pois en passant par les haricots, et s’attarde sur sa variété de tomate préférée, sa « tomate maison » qu’il va laisser mûrir un peu.
Il ne voit pas ce que voit Petit Pierre : une soucoupe volante attaque au canon (un rayon laser ?) le mur de brique qui enclot le potager où broutent Geneviève la vache, Poney (le même que dans un album précédent), Biquette en compagnie de canard (qui ne broute pas), et de quelques oies. La soucoupe volante aspire Geneviève la vache, tandis que l’attaque contre le mur continue. Celui-ci s’ouvre, brique après brique, comme dans un jeu électronique bien connu, puis l’image est grignotée et envahie de blanc, comme si ses pixels colorés fondaient sous le rayon laser, puis de noir. Pendant ce temps, Pierre tente en vain d’attirer l’attention de son grand-père et les autres animaux s’affolent avant de passer à l’attaque, subissant plusieurs changements. Enfin, la nuit est tombée, Pierre et son grand-père rentrent à la maison. Le lendemain, la tomate « maison » est habitée… Le mieux est donc l’ennemi du bien, n’est-ce pas Grand-père ?
On peut prendre cela comme un récit « vrai ». On peut aussi le lire comme un récit double, montrant d’une part la scène entre le grand-père et son petit-fils tandis que le jour décline sans que le grand-père s’en rende compte (« avec tout ça on n’a même pas vu la nuit tomber », dit-il, à la fin), d’autre part ce que Pierre imagine, perclus d’ennui face à ce long monologue plein de lieux-communs. Alors que le texte est accaparé par le grand-père, l’imaginaire enfantin se déploie dans l’image, sous bien des facettes : extraterrestres, jeux de console, film de cow-boys ou de cape et d’épée, animaux humanisés, jouets animés… mots pris au pied de la lettre (comme « maison »). On retrouve le talent que Frédérique Bertrand avait montré dans le très beau et très juste Le Mensonge (Rouergue, 2016), avec un texte de Catherine Grive, qui représentait à merveille la pensée enfantine

Quant au titre, je ne sais pas comment le comprendre : désigne-t-il le fait que Pierre est en vacances ? Alors pourquoi ce pluriel ? inclut-il le grand-père retraité ? ou bien désigne-t-il les envahisseurs ? Je sèche… Sans doute Poney a-t-il la réponse ? Ou vous?

 

 

 

 

 

 

 

Encore une histoire d’ours

Encore une histoire d'ours
Laura et Philip Bunting
traduit de l'anglais (australien) par Rosalind Elland-Goldsmith
Kaléidoscope, 2020

Postmodernisme à la maternelle

Par  Christine Moulin

Tout commence normalement : "Il était une fois..." mais très vite, le protagoniste de l'histoire interrompt la narration pour protester: il y a trop d'histoires d'ours et cela l'empêche de dormir car il est toujours sur la brèche. Il s'ensuit une grève que l'auteur essaye de réprimer en ridiculisant et torturant son personnage, en une forme parodique de récit cumulatif, dont les références ne sont pas absentes: "Et il fit un gros bisou baveux à une grenouille pour la transformer en prince charmant". Après négociation, l'ours essaye alors de trouver un héros qui pourrait le remplacer. On se croirait alors dans la publicité, que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, "Le casting de La-Vache-qui-rit" : à chaque fois que l'ours propose un animal, l'auteur oppose une objection, toujours drôle et souvent fondée sur un jeu de mots. A côté d'animaux bien connus, il y en a de plus surprenants, comme la roussette ou le poisson-globe, mais à tous les coups, la réplique de l'auteur fait mouche (non, il n'y a pas de mouche, pourtant...) . La chute en forme de compromis et de mise en abyme est un nouveau clin d’œil à un conte bien connu.

Le texte est émaillé de traits d'humour subtils comme lorsque l'ours énumère les "activités géniales", "par exemple, dormir, roupiller ou faire la sieste" ou lorsqu'une interrogation gourmande ("où est passé le saumon?"), quasi passée inaperçue, resurgit bien des pages plus loin, initiant les bambins à un procédé qui ressemble au  "set up pay off". Les illustrations sont malicieuses mais toujours lisibles. Bref, tout est délicieux dans cet album qui plaira sans aucun doute à l'adulte sommé de le lire mais également , peut-être pour d'autres raisons, à l'enfant qui l'aura embauché!