Les Rebelles de St Daniel, t. 1 : Appelez-moi Ismaël
Michael Gerard Bauer
Traduit (anglais, Australie) par A. Pinchot
Casterman, 2011
L’éloquence contre la violence
par Anne-Marie Mercier
L’arrivée d’un « nouveau » dans une classe est un thème littéraire fécond. Ici, il s’agit d’un garçon frêle, agité de tics et savant nommé Scobie, victime désignée pour le tyran du collège St Daniel. Scobie se lie en plus avec celui qui était jusque-là le souffre-douleur en titre, Ismaël, narrateur de cette histoire. Celui-ci est dans un premier temps assez content de se trouver un « remplaçant ». Mais rien ne se passera comme prévu. Le fait qu’Ismaël restera jusqu’au bout un garçon complexé et persuadé qu’il attire le malheur est également inattendu, tant la littérature de jeunesse tente ordinairement de faire croire aux miracles. Il n’y aura pas de renversement des rôles, mais Ismaël se découvrira un peu de courage (très peu) et beaucoup de philosophie. Il découvrira aussi dans sa nuit quelques étincelles d’amitié et d’amour.
Entretemps, Scobie se sera imposé grâce à deux armes imparables : il ignore toute peur depuis qu’il a été opéré dune tumeur au cerveau et a le sens de la répartie. Il aura monté une équipe pour une compétition d’… éloquence inter-établissements avec des compétiteurs tous plus improbables les uns que les autres (dont Ismaël, incapable de parler en public). Ismaël aura parlé à une fille, accumulé les maladresses et découvert le roman de Melville, Moby Dick, dont la première phrase lui a donné son nom, provoquant tous ses malheurs.
La violence scolaire n’est pas édulcorée, mais l’humour la rend regardable et permet une réflexion sur les moyens de s’en extraire par la parole et l’esprit. On rit beaucoup en lisant ce roman catastrophe, tant le ton du narrateur est proche des ses états d’âme. L’une des phrases de Melville placées en exergue aux chapitres du livre qualifie d’ailleurs la vie de « vaste farce » : « et nous sommes nombreux à penser que cette farce se joue à nos dépens et à eux seuls ». Ainsi, il n’y a pas qu’Ismaël qui aura pris des leçons de philosophie… et l’envie de lire Moby Dick.



Dans un lieu reculé d’Afrique, à six heures de piste du premier hôpital, vit Sisanda. Elle a neuf ans, et depuis neuf ans elle vit avec un cœur malade. Son père travaille au loin et envoie de l’argent. Sisanda vit avec sa mère, Swala (« l’antilope »), sa grand-mère un peu sorcière et un oncle un peu idiot qui garde les troupeaux. Autour, il y a le village, l’épicier, la grosse Raïla qui rit tout le temps, Zacaria qui fait le taxi… Et le vent qui épuise les malades. C’est Sisanda qui raconte dans ce roman, tout en parlant à son petit cœur imbécile pour tenter de le calmer, de l’apprivoiser, parfois en vain.
Comme ses personnages, le livre au premier abord séduit peu : phrases brèves, notations sèches, vues en surface. Puis, petit à petit, les angles s’adoucissent, le narrateur, Freddy, se permet des phrases plus longues, des réflexions plus poussées. Et au bout du compte, se révèle un beau roman, tendre et violent, vrai et fantaisiste, plein de désespoir et d’humour.
Lou Lubie, originaire de la Réunion, écrit une prose émaillée de belles formules et de mots nouveaux pour les lecteurs continentaux. Sa phrase est proche de l’écriture de scénario : des faits, des indications de caméra, des idées pour un autre qui serait l’écrivain. Ecrivain, elle ne prétend pas l’être, mais propose des idées, proches de celles qu’on trouverait dans une série teintée de fantastique (genre Charmed : un cadre réaliste, un personnage qui a des pouvoirs et voit ce qui se cache derrière la réalité). C’est inventif (mais pas plus que la moyenne des séries), ça va vite, ça ne s’embarrasse ni de psychologie, ni de style, ni de profondeur.
« Abominablement écrit et ignominieusement illustré par l’auteur », lit-on dans la page de titre, sous le nom de la famille héroïne de l’histoire. Les termes « lugubre », « ignoble », « dégoûtant », « abject », « ignominieux » (un glossaire est donné dans les dernières pages), rythment le récit, accumulant les détails sinistres dans la vie de ces enfants qui aimeraient bien être orphelins (et méritants, et donc récompensés à la fin de l’histoire), comme dans les livres « vieux jeu » pour enfants « vieux jeu ».
Ce roman propose l’histoire d’un adolescent incompris, Herb Moriarty, qui vit avec son père, homme d’affaires borné et sa belle-mère superficielle, à Vancouver. Auparavant, il vivait avec son grand-père John, scientifique, qui lui enseignait l’écologie, le respect des arbres et de la nature. Herb, désespéré et solitaire, ne se sépare plus de la boite contenant les cendres de son grand-père. 