Souviens-toi de la lune

Souviens-toi de la lune
Stéphane Servant
Le Rouergue (Doado Noir), 2009

Attaques de la Chose et métamorphose au fond du bayou louisianais

                                                   Par Maryse Vuillerme                                                                                                                                

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Ce roman nous livre une très étrange histoire. David, jeune homme de quinze ans vit au milieu des marais de Louisiane dans un mobil home avec son père paralysé. Pauvreté, destin tracé d’exclu, mais David écrit et lit en cachette.

Des jeunes de son lycée disparaissent les uns après les autres. David et son ami Paul s’intéressent à ces disparitions. Une de leur piste les mène à un écrivain délabré qui a eu un jour un grand succès. David lui montre ses écrits et l’auteur déchu Lebreton le cingle de son mépris. C’est à ce moment-là que David ressent la première attaque de la Chose. C’est une instance de son être,  une autre personnalité qui s’empare de son esprit, le rend haineux agressif et lui fait écrire les pires horreurs. Elle le métamorphose aussi en un reptile écœurant. David lutte pied à pied contre cette emprise.

Le roman se déroule au milieu d’un ouragan qui fait fuir les habitants, dans une nuit de cauchemar.

La composition est complexe et participe de l’angoisse : trois récits sont imbriqués et avancent en parallèle, le récit principal, le récit que David essaie d’écrire pour être publié,  devenir un écrivain et celui que la chose lui dicte, cruel, plein de fantasmes de violence et de mort, celui qui aurait un succès  certain s’il l’envoyait à un éditeur. Quelle tentation !

C’est donc un roman riche sur le désir de vivre, le désir de fuir la fatalité sociale d’un milieu désespérant. Quelques personnages bénéfiques, Rosalie, mère de substitution, un peu voyante et sorcière, Julie, chanteuse, aident David à contrôler la chose, à la maitriser. C’est donc une belle réflexion sur l’écriture et la création en général, le rôle et le pouvoir de l’imagination, le contrôle que doit exercer l’artiste sur sa production.

 

Le Chemin de Sarasvati

Le Chemin de Sarasvati
Claire Ubac
L’école des loisirs, 2010

Le tour de l’Inde par deux enfants

Par Anne-Marie Mercier

Le Chemin de Sarasvati.aspx.gifIl y a un peu du Slumdog millionnaire dans le roman de Claire Ubac (le livre, pas le film, qui n’avait pour lui que son rythme formidable) : dans l’Inde d’aujourd’hui, une fille et un garçon voyagent, à pied, en voiture, en train… Ils sont poursuivis, enfermés, s’évadent, se perdent, mais continuent leur quête, coûte que coûte, et s’entraident, s’aiment. A travers eux, on découvre l’Inde : villages, villes (Madurai, Bangalore, Bombay…), bidonvilles, usines, ateliers et métiers. Les bruits, les odeurs et les saveurs donnent  avec les couleurs de la précision à un tableau éclatant où dominent le jaune, l’orangé  puis le rouge. On parcourt beaucoup de temples, on assiste à beaucoup de fêtes, c’est sans doute la marque de souvenirs de voyages de l’auteure. Ce qui pourrait apparaître comme une vision un peu trop touristique de l’Inde est justifié par l’histoire : la jeune héroïne, IsaÏ, a été mise sous la protection de Sarasvati  par sa mère, elle voyage avec une statuette de cette déesse de la musique et chante pour elle. Son inspiration est portée par les temples. C’est aussi dans les temples qu’elle retrouve son ami et qu’ils se donnent rendez-vous ou se cherchent lorsqu’ils se perdent.

Ce récit de quête et d’errance est ponctué de rencontres, certaines  heureuses, la plupart terribles : les enfants sans appui et sans ressources sont montrés comme des proies idéales pour des adultes en quête de souffre-douleurs, de main d’œuvre, ou d’objets sexuels. A travers Isaï, l’auteur fait ressentir les effets de  l’humiliation et de la rage jusqu’au bord de la folie (de très belles pages sur la colère) – tout en restant dans les bornes habituelles d’un livre pour la jeunesse : rien d’explicitement scabreux. Chaque évasion est  suivie d’un nouveau piège et le suspens tient tout au long du livre, ce qui en fait un beau roman d’aventures. Mais  les aventures n’empêchent pas le  sérieux et  le roman est proche aussi du Tour de France de deux enfants (on visite, on apprend, c’est de la géographie et de l’histoire de l’Inde en marche). Il évoque aussi parfois Sans famille : on voit un beau personnage de montreur de singe, un aveugle ; l’héroïne est à la recherche de sa famille et on devine à travers quelques indices donnés en forme de miniature mogole (le rajah à la rose) un happy end possible qui viendrait adoucir le réalisme du roman et les déceptions d’IsaÏ égrenées tout au long de l’histoire.

L’engagement le plus visible de ce livre, qui en porte plusieurs, est celui qui s’intéresse à la condition des filles : Isaï, en tant que fille, n’aurait pas dû vivre : le début du roman montre la résistance de sa mère face aux incitations à l’infanticide, fréquentes dans certaines régions. La petite fille est maltraitée, contrairement à son cousin, puis employée comme servante, enfin vendue. Vivant pendant un temps sous un déguisement de garçon, elle expérimente la différence des regards, des possibilités et des sensations. Sa rencontre avec son ami  Murugan, un intouchable qui se révolte contre son sort, crée un parallèle entre préjugés de sexe et de classe – ou plutôt de caste, puisque Murugan est issu d’une famille aisée.

Mais le roman est aussi porté par la musique, ce qui lui donne un souffle particulier. Les scènes de chant dans lesquelles Isaï improvise sont magnifiques et très évocatrices du style de la musique indienne traditionnelle. Le portrait de Murugan en percussionniste est lui aussi très convaincant. Les aventures, le voyage et la quête de la famille se doublent d’une quête de l’autonomie et de la réussite qui devrait plaire – c’et un défi – aussi bien aux jeunes lecteurs qu’aux jeunes  lectrices.

 

 

Comment j’ai connu papa

Comment j’ai connu papa
Sandrine Vidal
Rouergue (dacodac), 2010

Mon père, mon amour

Par Anne-Marie Mercier

comment j'aiconnupapa.gifLa situation de ce court roman rappelle beaucoup celle des Lettres d’amour de zéro à 10 de Susie Morgenstern : ici, c’est une fille qui apprend qu’elle a un père ; il vit dans la même ville qu’elle, il s’intéresse à elle, et lui a écrit très régulièrement sans qu’elle le sache. La quête du père par la fille est facile, le contact immédiat et idéal, même avec la nouvelle famille de son père, et le lien est très intense. Tout cela un peu trop. Heureusement, la déception finale met un peu de réalisme à ce rêve fusionnel.

La meilleure part du livre est dans l’écriture et dans le portrait des relations de cette fille avec sa mère, infirmière de nuit, et avec la sœur de celle-ci, cinéphile. L’évocation des films qu’elle voit avec elle (ou des fins de films quand on veut se consoler) donne lieu à de jolies scènes. Ceci expliquant sans doute le « cinéma » qui est monté tout au long de l’histoire, trop beau pour être vrai ?

Le Dragon de glace

Le Dragon de glace
Mikael Engström
Traduit (suédois) par Anna Marek
La joie de lire (Encrage), 2010 

Fugue givrée

par Anne-Marie Mercier

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Le début du roman pourrait faire croire à un énième livre racontant l’histoire d’un enfant malheureux : sa mère est morte, mais il n’est hélas pas tout à fait orphelin : son père est alcoolique, son frère glisse vers la délinquance, et en plus il n’est pas beau, avec  de trop grandes oreilles qui l’ont fait surnommer « Dumbo ». Il a peu d’amis,et se sait méprisé par la plupart des élèves de sa classe. L’histoire commence avec son premier acte de violence, son premier interrogatoire, la présentation de son goût pour l’horrible et le macabre… Donc tout est mal parti.

Et d’une certaine manière, ça se poursuit encore plus mal lorsque les services sociaux interviennent : Engström dresse un portrait caustique de leurs fonctionnaires et de leurs décisions. La vie triste de Mike devient un enfer grâce à eux et tout le roman est porté par un suspens très efficace autour de la fuite de Mike, de son horrible séjour comme employé de chenil dans sa famille d’accueil, et d’une descente en radeau dramatique, qui rappelle celle de Huck Finn. Ce n’est pas la seule allusion à la littérature : le livre est truffé de références au livre d’Astrid Lindgren, Les Frères cœur-de-lion (Bröderna Lejonhjärta), dont il partage la noirceur ; le traducteur a choisi de les rendre accessibles aux jeunes lecteurs en les transposant dans l’univers des films de La Guerre des étoiles. L’écart est si grand qu’on reste parfois perplexe, mais le souci est louable.

Ce livre dépasse largement un thème rebattu et parvient à être original. Il n’est pas noir. Il est fait de contrastes qu’unifie le regard très particulier de Mik. Très vite, voyant à travers ses yeux, on découvre à travers une banlieue triste de Stockholm un univers urbain plein de surprises et de poésie, de belles rencontres, le chant des baleines… Lorsque tout va encore plus mal que d’ordinaire, les émotions de Mik se présentent sous la forme d’un dragon de glace qui le dévore de l’intérieur jusqu’au bord de la folie. La suite du roman dans laquelle il se trouve dans une autre région de la Suède, plus au nord, au milieu de neiges et de glaces bien réelles, est drôle et tendre, avec des personnages loufoques et sympathiques, de belles amitiés, de l’énergie à revendre.

Tout cela est très bien écrit, en phrases courtes et  en touches successives, adoptant le point de vue de Mik avec un juste peu de distance, n’explicitant que ce qui peut l’être, laissant beaucoup de questions en suspensL Le texte est tout en discrétion et  légèreté, extrêmement drôle au milieu du drame, et plein d’optimisme. L’univers de neige et de glace, de population rare et rude, de peu de choses, est brillamment rendu.

Apre, tonique, lumineux et frais.

 

Méto, 1, 2 et 3

Méto: t. 1 (La maison), 2 (L’île), 3 (Le monde)
Yves Grevet
Syros, 2008-2010

SF en poupées russes

par Anne-Marie Mercier

meto.jpgLa trilogie de science fiction d’Yves Grevet se clôt avec le troisième tome de Méto. Rarement une œuvre de science fiction française aura créé avec autant de cohérence un univers aussi original que sobre et rarement (jamais ?) une œuvre pour la jeunesse aussi classique de ce genre aura été d’une telle qualité, sans concessions quant à la violence et à la noirceur.

Le monde de Méto est un univers de poupées russes à l’envers : chaque volume fait découvrir dans quel ensemble plus large il se trouve, et chaque ensemble est aussi noir et limité que le précédent. La maison est une prison, située dans une île concentrationnaire, elle–même placée dans un monde fermé où la seule issue est… le retour à la Maison.

A signaler également, la réussite graphique des volumes, qui déclinent bien répétition et variation et offrent une mise en image intéressante de ce monde.

tome 1 : la maison

Prison d’enfants

meto1.jpgRoman d’anticipation, de formation, de collège, La Maison est tout cela sous le signe général de l’enfermement. Des garçons sont réunis dans une maison qui est tout leur monde : amnésiques, ils n’ont pas accès à leur passé, sans famille ils ne se souviennent pas d’en avoir eu une. Ils n’ont pas de futur non plus, ignorant ce que deviennent ceux d’entre eux qui arrivent à l’adolescence et disparaissent. Ils ignorent aussi qu’un autre sexe existe.

Dirigés par des hommes nommés « César » (César 1, César 2 etc.), eux mêmes portent des noms aux consonances romaines (Claudius, Crassus, Paulus…). La discipline est militaire, carcérale aussi. Les plus vieux initient les plus jeunes. L’entraînement se fait dans un jeu collectif très violent, seul dérivatif à la tension qui les habite tous, et on y joue avec la mort.

Tentatives de comprendre, de savoir qui sait, de connaître ses vrais amis et les distinguer des traîtres, de trouver des échappées, d’ouvrir des portes, de renouer avec des bribes de souvenir… tout cela est mené par le héros, Méto, qui raconte à la première personne dans un style très simple et factuel et entraîne ainsi le lecteur dans ce monde opaque et inquiétant
(article  paru
antérierement sur Sitartmag)

tome 2 : l’île

Prison à ciel ouvert

meto2.jpgEvadé de la maison, Méto découvre que le paradis de la liberté est encore loin, plus loin même que dans le volume précédent. Ce deuxième univers est lui aussi fait de couloirs, de recoins, de complots, encore plus sombres que les précédents (au propre comme au figuré). Le héros passe par de multiples souffrances aussi bien physiques que morales. L’un des mérites de l’ouvrage, à ajouter à son originalité et à son mystère, réside dans la manière de les décrire : guérir est lent, difficile, demande beaucoup de patience, et parfois n’advient pas. Autre mérite : le bien et le mal sont liés et on ne sait plus bien ce qui est le pire, le pouvoir de la maison ou celui qui règne sur l’île. La trahison et la déception alternent avec les moments d’éclaircie, jusqu’au moment où l’on retourne à la case départ… la maison.

tome 3 : le monde

L’avenir en prison

meto.jpgDe retour dans la maison, Méto apprend encore beaucoup de choses. Son sens logique et ses talents de manipulateur font merveille et donnent lieu à d’excellentes pages. Ils lui permettent de lever tous les mystères : d’où il vient, qui il est, qui a créé la Maison, pourquoi il s’y trouve et ce que le monde a à leur offrir. Tout cela rassemble de nombreux thèmes de la science fiction et les entremêle de façon très cohérente (catastrophe, savants amoraux, manipulations de la mémoire, nouvel ordre social, éducation, jeux…) pour créer un monde parfaitement dystopique.

La découverte du sexe féminin, ébauchée dans le précédent volume, montre un traitement du genre sans stéréotypes et Méto et sa compagne semblent prêts pour un avenir qu’ils auront contribué à construire, libre mais clos, imparfait mais humain. Ce dernier volume répond à toutes les questions tout en proposant une fin ouverte que chaque lecteur pourra imaginer à son gré, tant que l’œuvre lui restera en mémoire, c’est-à-dire longtemps, vu sa qualité.

 

 

Pirate des Garages-vides

Pirate des Garages-vides, rapport
Corinne Lovera-Vitali

Thierry Magnier, 2009

C’est ça la réalité poussins

par Christine Moulin

PiratedesGaragesvides.gif« Mais pour avoir toujours la même pensée il faudrait pas que je  pense parce ce que je pense me fait toujours changer de pensée », « Ma mère a pleuré plus que d’habitude. Ça cumulait plus que d’habitude. Son travail, mon père, mon œil, mon cuir plus chevelu, le miroir de star, Noël, il y a pas assez de virgules, et juste après je partais de là-bas pour venir ici à Maïsville respirer le bon air de sous le cul des poules ». C’est par là qu’il faut commencer : le roman de Corinne Lovera Vitali (qui depuis, a écrit Kid), c’est d’abord une écriture, truculente, touchante, proche du flux intérieur, mais en même temps précise, percutante. Si on osait les comparaisons excessives, ce serait presque du Céline. Déjà, dans C’est Giorgio (Editions du Rouergue, 2008, prix Rhône-Alpes jeunesse), l’auteur bouleversait la syntaxe pour des effets de grande émotion : « Pourtant j’aime trop quand quelqu’un m’accompagne. Mais quelqu’un est souvent occupé et quelqu’un d’autre n’est pas là. Ou alors c’est mon chien qui a fini d’être là et il n’y a pas d’autre mon  chien ».

Cette émotion, on la retrouve dans Pirate des garages vides, destiné, cette fois, aux adolescents. Le roman, sous-titré Rapport, est constitué, de fait, du rapport qu’un jeune délinquant rédige à la demande du juge et de sa psy : il a été envoyé, loin de son milieu («C’est quand je suis né que mon père a commencé à aller en taule »), dans une ferme qui appartient à une amie de sa mère et où il doit, en guise de travail d’utilité même pas vraiment publique, s’occuper des poules. Au début, il les déteste. A la fin, il s’occupe avec d’infinies précautions des poussins. Cette lente guérison d’un gamin cabossé, qui a basculé dans le vol par amour, ou plutôt par manque d’un amour constant et enveloppant, passe par l’écriture, qui lui permet de dénouer petit à petit les traumatismes anciens, mais aussi par la tendresse de la vie : « Il y a quand même pas le feu à devoir tout dire du vieux passé quand les poussins sont tout neufs et présents ». Il rencontre aussi des êtres solides et généreux, dont une prof de français, Alexandra, qui accepte, entre autres, sa lecture plus que personnelle du Petit Poucet.

Ce roman, vite lu, sans être facile, permet de comprendre de l’intérieur comment une enfance peut se détraquer et pourtant mener à une renaissance.

La Cérémonie d’hiver

La Cérémonie d’hiver
Elise Fontenaille

Rouergue (doAdo noir), 2010

Quand liberté rime avec vengeance

par Sophie Genin

9782812601170.gif « Un texte qui cogne, écrit avec une rage cinglante. Les phrases pleuvent, courtes et drues, coupent, tranchent, affûtées et aiguës. Et racontent une histoire fascinante, aux confins du fantastique, mêlant légende et réalité très contemporaine.  » (Michel Abescat, Télérama n°3144, avril 2010).

Contrairement à Chasseur d’orages, Maryse (voir la notice de Maryse dans ce blog), ce court roman hésitant volontairement entre conte fantastique et récit policier, ne « dégouline pas de bons sentiments » !En effet, nous suivons, dans Vancouver juste avant les Jeux Olympiques, Eden, jeune indienne de la tribu Haïda, et Sky, l’aigle tueuse qu’elle a élevée, dans une course à la vengeance. Comme dans Chasseur d’orages, la relation avec la grand-mère, cette fois-ci, est fusionnelle et plus que forte, vitale et lorsque cette dernière meurt en prison à cause d’un point levé contre la destruction de son « chez elle » pour faire place aux J.O., sa petite-fille voit noir et gagne sa liberté au prix de la vie d’autrui.

Le récit laisse sans voix et la fin est à la hauteur du reste, tout en force et en finesse ! 

 

 

Tout le monde est une idole

Tout le monde est une idole
Marie-Sophie Vermot

Thierry Magnier, 2010

Revivre après un  deuil

                                                                                   par Maryse Vuillermet

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C’est un petit roman qui parle de la mort et du deuil. Le héros, Mathias, est le seul rescapé d’une tuerie. Toute sa classe a  été abattue par un tueur fou. Il n’arrive pas à oublier. Les images reviennent le hanter.  Il ne peut plus retourner étudier dans son lycée, revoir sa petite amie. Il bannit  tout ce qui lui rappelle son ancienne vie. Les adultes, autour de lui,  chacun à  sa façon, lui racontent comment un jour, ils ont eux aussi vécu une perte atroce et comment ils ont fini par moins y penser ou par y penser différemment et par continuer à vivre.  Mathias doit comprendre qu’oublier ne veut pas dire trahir la mémoire.

Par petites touches successives, par  des rencontres, des progrès et des rechutes, par tâtonnements, Mathias cherche  à sortir du tunnel.

A part le titre que j’ai du mal à relier au contenu, ce récit explique avec délicatesse, que, même après un drame épouvantable,  l’oubli est possible, que la reconstruction demande du temps, et que les adultes eux non plus ne sont toujours pas lisses, qu’ils ont un passé parfois difficile à oublier ou à porter .

 

Rien à faire !

Rien à faire !
Avi et Rachel Vail
Flammarion, 2010
 

Attention : guerre de jumeaux !

par Sophie Genin


9782081227712.gif  Rien à faire (Never Mind en version originale), titre de ce roman rafraîchissant sur fond de rock américain, sonne comme un refrain dans cette histoire de jumeaux pas clichée. En effet, Meg, intelligente et entourée de nombreux amis, est face à  son frère Edward, peu enclin au travail et solitaire involontaire. L’ancien bouc émissaire est donc le jumeau de celle qui va être acceptée dans un collège pour élite travailleuse alors que lui intègre une école favorisant l’expression artistique de ses élèves différents. L’année de quatrième du frère et de la soeur s’annonce donc particulière.

Tous les deux ne savent pas à quel point, quand débute le roman, présentant de courts chapitres (bien traduits) laissant alternativement la parole à Edward et à sa jumelle Chacun donne son point de vue sur la situation, dans un rythme enlevé et pas faussement « djeun’s » !

Les choses se précipitent lorsque Meg est soudain prête à tout pour être intégrée au « Club des Elites », y compris à faire croire qu’Edward – absolument nul en matière de musique – chante dans un groupe de rock en pleine ascension qui jouera, évidemment, lors de l’anniversaire de la peste pourrie gâtée créatrice et présidente auto-proclamée de ce fameux club !

On peut regretter la fin, dans le ton de séries américaines pour teenagers du genre « tout le monde il est beau tout le monde il est gentil » mais se réjouir tout au long du roman du rapprochement subtil de ces jumeaux pas si différents qu’il n’y paraît au premier abord ! 

 

 

Les Cinq Bonheurs de la chauve-souris

Les Cinq Bonheurs de la chauve-souris
Jean-François Chabas

L’école des loisirs (medium), 2010

Les jeunes filles et la rivière

Par Anne-Marie Mercier

Les Cinq Bonheurs de la chauve-souris.gifIl pourrait (aurait pu ?) s’agir du chef-d’œuvre de Jean-François Chabas.

Prix Rhône Alpes 2010 du livre pour la jeunesse, il avait signé avec Les Lionnes un livre parfait. Si celui-ci ne l’est peut-être pas, il demeure exceptionnel, tant la force des évocations, la limpidité de l’écriture, le mystère et la charge d’implicite font de ce livre un roman superbe.

Le drame qui a poussé deux sœurs de 14 et 17 ans à fuir et à se réfugier dans une cabane sur pilotis au bord de l’eau n’est pas dit d’emblée et il est longtemps tenu caché. Le mode de révélation du mystère est pour moi le seul défaut de ce livre, qui dévoile trop là où le lecteur adulte avait fort bien deviné et où le lecteur adolescent avait pu supposer – ou non, selon l’affutage de son regard sur le monde. Ce point aveugle et le passé qui l’entoure ressurgit par à-coups dans la narration, sans prévenir. Il se présente par éclairs, en fragments, comme un cadavre qui flotterait entre deux eaux. L’image qui vient, c’est celle du corps de la mère assassinée dans La Nuit du chasseur, film qui n’en finit pas d’inspirer la littérature pour adolescents (Jusqu’au bout de la peur de Moka ou, plus récemment, La Voix du couteau, premier volume du superbe et terrible Chaos en marche de Patrick Ness). Deux enfants sont poursuivis par un (ou des) adulte(s) et leur refuge est la rivière.

L’histoire importe pourtant peu, malgré sa charge de terreur et de réel social. Le livre baigne dans l’atmosphère de la rivière en hiver : la pêche, la sensation des lignes dans la main, le bruit du gel et des pas dans la neige, les odeurs d’humidité et de feu de bois. La vie quotidienne de ces robinsonnes n’a pas grand chose d’heureux malgré des dialogues fantaisistes et légers et des rapports de complicité et d’amour entre les sœurs. C’est de la vie difficile pour échapper au pire. La plus jeune semble souvent au bord de la folie, l’aînée est épuisée et plus menacée encore.

Au moment où tout semble se resserrer sur elles, le monde s’ouvre autant à un nouveau mystère qu’à l’espoir : un personnage étrange, un château dans un paysage de déjà-vu (allusion au Pays où l’on n’arrive jamais ?), et les cinq bonheurs, dont l’un au moins est à leur portée. Quant à la suite, rien n’est dit. Le texte s’achève sur une accumulation de mystères successifs, le seul dénouement est celui de la fin de l’angoisse et du début de la confiance et de la merveille.

Quant à la chauve-souris, ne la cherchez pas, elle s’est envolée.