Un indien dans mon jardin

Un indien dans mon jardin
Agnès de Lestrade
Rouergue (dacodac) , 2010 

Crise de père

Par Anne-Marie Mercier

Un indien dans mon jardin.jpgIl arrive que les parents se mettent à débloquer. Parfois, un problème qui n’a pas été réglé dans leur jeunesse les empêche de se conduire de façon rationnelle. C’est ce qui arrive au père de Mia qui plante une tente dans son jardin et fait l’indien, attendant un signe, tandis que sa femme, compréhensive, patiente; sa fille, elle, s’inquiète de plus en plus.

La solution viendra, et le lecteur a le choix entre penser qu’elle est issue de la raison ou née de la folie même, justifiant ce détour nécessaire. L’histoire est loufoque, mais le ton de Mia est bien posé et on pourrait transposer ce rêve d’indien en bien d’autres comportements plus fréquents mais non moins dérangeants pour l’entourage.

 

Au coeur des ténèbres

Ivoire noir
Arne Svingen
Rouergue,doAdo monde, 2010

« Au cœur des ténèbres »

                                                                                                             par Maryse Vuillermet

  ivoire noir.gif Un roman  beau et éprouvant.  Sam, originaire de Sierra Léone,  réfugié à Oslo, accompagné de  son ami, le narrateur,  part dans son pays d’origine,   à la recherche de  sa mère. Le narrateur, un jeune délinquant d’Oslo,  élevé par différents parents adoptifs,  le suit, parce que c’est son seul ami. Depuis la Côte d’ivoire, ils s’enfoncent  dans la jungle, dans la guerre et la violence. Parallèlement, le narrateur remonte peu à peu vers le passé de Sam. Qui est-il vraiment ? Pourquoi est-il si admiré ? A quoi sont dues sa chance, sa capacité à se sortir de toutes les embuches?

Que cherche-t-il ? Qu’a-t-il fait avant de quitter son pays ? Le narrateur apprend et avec lui, le lecteur. Le malaise, la peur, l’étouffement grandissent  et l’amitié aussi, totale.

C’est un très bon récit, une écriture somptueuse, des péripéties et rebondissements rapides, de l’action, et des questions terribles  qui ne ralentissent pas le rythme: Comment devient-on enfant soldat ? Pourquoi les  fabrique-ton ? Est-ce qu’ils peuvent oublier ?

En même temps qu’il s’enfonce dans la jungle, le narrateur poursuit sa lecture du roman  Au cœur des ténèbres de Conrad et se repasse les images du film que le roman a inspiré, Apocalyse now .

Je recommande cette plongée au cœur des ténèbres à des adolescents qui ne sont pas trop tourmentés car les valeurs traditionnelles sont un peu bousculées.

 

 

 

 

 

A quoi peut mener le football?

Le plus grand footballeur de tous les temps
Germano Zullo

La joie de lire (
Encrage),  2010

A quoi peut  mener le football ?

                                                                                                             par Maryse Vuillermet

 le plus grand footballeur de tous les temps.jpgDans ce roman d’éducation, le narrateur perd peu à peu ce qui faisait le socle de sa vie. Il se rêvait footballeur professionnel, était un bon élément dans une équipe au milieu de bons copains. Soudain, à la suite d’un acte un peu trop abject perpétré sur Pascal, le goal,  il perd sa confiance, ne joue plus aussi bien, fait perdre son équipe, et perd par la même occasion le respect des autres joueurs et leur amitié. Au lycée, il accumule les échecs. Et il ne supporte plus de ne voir sa mère qu’une fois par mois et qu’elle soit incapable d’une vraie relation. Il est cependant amoureux de Guliana, découvre avec elle la lecture et la joie des discussions, il rencontre,  grâce à son père,  WumaÏ, un réfugié Rwandais et Véronique. Un jour, il décide d’organiser un tournoi à cinq et s’aperçoit que Wumaï est un Dieu du ballon, qui  joue à la perfection. La fin de ce petit roman tendre  dans un monde pas très facile est surprenante.

Ce roman explore avec délicatesse et courage la crise d’adolescence dans une société  en perte de repères.

 

 

Illyria

Illyria
Celia Rees

Traduit (anglais) par Anne-Judith Descombey
Seuil, 2010

Génétique Shakespearienne

Par Anne-Marie Mercier

illyria.gifUne belle naufragée et son frère jumeau, un duc austère, un fou très sage, une devineresse, des pirates vénitiens, une forêt dense où le temps s’arrête, des acteurs itinérants… tout cela semble sorti d’une pièce de Shakespeare, et l’est en effet. La trame de La Nuit des rois a servi de cadre au nouveau roman de Celia Rees. Après la très étrange parenthèse du Testament de Stone et ses incursions dans la mode des vampires, elle poursuit ici son exploration des ressources du roman historique. Chez elle, il est poétique et teinté de magie, comme dans l’ouvrage qui l’a fait connaître, Le Journal d’une sorcière.

Ce roman propose autant la suite de La Nuit des rois que son origine. L’héroïne du roman est Violetta, la fille de Viola et du duc, elle aime son cousin, le fils de Sébastien et de Dame Olivia. On suit ainsi les aventures des enfants des couples fondés à la fin de la pièce mais on apprend également comment Shakespeare a trouvé son inspiration pour inventer cette histoire… Perpétuellement, on est face à un jeu de miroirs, à un dispositif de gant retourné qui donne le tournis : la fin est le début, ou le début la fin, la cause et la conséquence sont deux faces interchangeables. Le texte souvent semble pasticher Shakespeare (les titres des chapitres en sont des citations) et mêle grotesque et tragique, bassesse et poésie. La traduction, excellente, est à la hauteur du défi. L’évocation des beaux jours de l’Illyrie relève autant du conte de fées que de la rêverie renaissante, ainsi dans la description que fait la vieille Maria (Mary) du mariage de Viola et de son frère qui clôt la pièce :

« Orsin et Sebastian étaient couronnés de fleurs et dans leurs costumes de satin blanc brodés d’or, d’argent et de pierres précieuses, ils scintillaient au soleil comme des princes de contes de fées. Leurs épouses, Viola et Olivia, marchaient à leur côté en les tenant par le bras, l’une brune, l’autre blonde, Viola vêtue du rose le plus pâle, ma maîtresse Olivia du vert subtil des feuilles de laurier-rose.[…] Leurs voiles légers comme des souffles avaient été confectionnés avec des aiguilles aussi fines que des cheveux et du fil de soie. Le linon délicat flottait devant leurs visages comme leur haleine par un jour de gel. »

L’action se déroule à Londres et à Stratford, et sur la route qui les joint, mais très souvent on évoque la lointaine Illyrie (la Dalmatie antique), la mer, la chaleur et les événements qui s’y sont déroulés : la belle Viola a disparu, au désespoir de son mari, le duc, qui s’est fait nécromant dans l’espoir de la retrouver. Le frère de Viola s’est allié avec des pirates pour renverser le duc et prendre sa place. C’est par le récit que Violetta fait de ses malheurs et bonheurs à Shakespeare que nous découvrons toute son histoire et son désir de vengeance. Elle a besoin de récupérer le trésor d’Illyrie, une relique sacrée dérobée par Malvolio (l’intendant ridicule de la pièce devenu un redoutable fanatique catholique).

Le livre multiplie les éclairages historiques sur l’époque : relations internationales, conflits entre catholiques et protestants, la reine Elisabeth et son conseiller, sir Cecil, la vie des villes et des campagnes. Les rites du 1er mai sont évoqués avec précision tout comme les décors, la maison de Shakespeare, la vie de sa troupe, les représentations au théâtre du Globe, les tavernes, le problème des fermetures fréquentes des théâtres de Londres qui obligent les troupes à jouer ailleurs, etc.

 La question de la condition des femmes y est très présente et par certains aspects, le roman est un roman de femmes : le héros est une héroïne, et l’amour le plus absolu semble bien être celui de dame Olivia pour Viola, amour dû au quiproquo du déguisement chez Shakespeare, mais que Celia Rees choisit de prendre au sérieux, réécrivant la comédie en la teintant de la noirceur du désespoir et de la solitude.

Le pays d’Illyria est teinté de magie et de nostalgie comme le montre la scène où Violetta chante : « Elle chantait la perte et le désir, la joie et le chagrin, le commencement et la fin de toutes choses. C’était l’un de ces airs qui vous rendent euphoriques tout en vous faisant pleurer ». Le personnage du fou, étrange, ni homme ni enfant, toujours proche de l’héroïne même lorsqu’on le croit loin, faible et fort et venu d’on ne sait où, est très Shakespearien. On le voit d’ailleurs jouer le fou (ou le clown, puisqu’en anglais c’est la même chose) dans As you like it, devant Shakespeare subjugué. Il évoque aussi (comme le titre anglais estropié dans la page de garde, The Fool’s girl) le personnage de Fool’s fate, une partie du célèbre cycle de fantasy l’Assassin royal. Le titre français n’est pas mal, tant cette Illyrie lointaine est présente, mais est-il dû au fait que celui de « la fille du/au fou » ou « la fille du clown » n’aurait rien dit aux français ou à la volonté de faire croire qu’il y a un rapport avec la série Angel dont Illyria est un des personnages (saison 5, je n’ai pas vu, mais c’est sur wikipedia…)?

Enlèvements, naufrages, trahisons, divination, trésors volés, espionnage pour des puissances étrangères, nostalgie d’un monde perdu, tout cela fait aussi de ce roman aussi poétique qu’ historique un vrai roman d’aventures, beau et passionnant.

 

Monsieur Rose est de retour

Monsieur Rose est de retour
Silke Lambeck

Traduit (allemand) par Carine Destrumelle
Seuil (chapitre), 2010 

La marchande de glace a disparu ! (ou « la deutsch touch »)

Par Anne-Marie Mercier

Monsieur Rose est de retour.jpgMonsieur Rose, son vieux voisin un peu magicien, était parti en laissant à Maurice une longue-vue magique (voir ci-dessous la recension de Monsieur Rose, 2008, parue sur sitartmag). A travers celle-ci, dans ce nouvel épisode, il découvre qu’on enlève Pippa, la marchande de glace qui donnait un peu de joie au sinistre faubourg gris. Le roman nous montre les angoisses de Maurice, les débuts de son enquête et son soulagement au retour de Monsieur Rose : ensemble, et avec quelques héros aussi improbables qu’eux, ils déjouent les plans des très sinistres ravisseurs-exploiteurs-promoteurs-profiteurs.

Au delà du roman d’aventures et d’enquêtes, on trouve de belles réflexions autour des problèmes auxquels est confronté Maurice : comment faire pour garder un secret sans être obligé de mentir ? Est-il toujours mal de se battre ? non violence a-t-elle des limites ? Tout cela, comme l’ensemble du roman, ses personnages, ses enjeux en font un ouvrage plein de charme, bien au delà du simple récit policier jouant avec les stéréotypes du genre.

Il semble que ce soit une spécialité allemande, depuis Emile et les détectives : la « deutsch touch »?


Monsieur Rose
Silke Lambeck
traduit de l’allemand par Carine Destrumelle
Seuil jeunesse (chapitre), 2008

monsieur rose.jpgCe petit roman commence comme une histoire réaliste : le jeune Maurice vient de déménager, est un peu perdu, sa mère, divorcée, l’est aussi. Ca va mal à l’école de l’un, mal au travail de l’autre, enfin, pas la joie. Ils font la connaissance d’un voisin, un vieil homme qui vit seul et semble assez désœuvré pour emmener Maurice au parc, lui offrir à gouter… On se demande où le livre nous emmène et ce que va réserver la suite. Et ça bifurque de façon très joyeuse, très progressivement, très discrètement. Le réalisme sociologique banal et sombre du début se transforme fantaisie légèrement fantastico-merveilleuse avec de bonnes couleurs, histoire de montrer la vie en rose, enfin.

Anne-Marie Mercier

Mai 2009

 

 

Les Exoterriens

Les Exoterriens
Pascale Chadenat

L’école des loisirs (Neuf), 2010

Allo la terre ?

Par Anne-Marie Mercier

Les Exoterriens.gifMettez un bon élève en pension avec un voisin de chambre un peu bizarre et très cancre. Très vite, il participera à ses jeux interdits, ses bricolages, partagera ses mauvaises notes et enfin sa folie. C’est ce qui arrive au jeune Joseph, qui découvre la passion d’Adrien pour les étoiles et sa certitude que des « exoterriens » vont venir le chercher comme ils ont pris son grand père autrefois.

Le récit est loufoque et drôle ; il devient plus grave à la fin. Mais on peut être rassuré : Joseph saura tirer son ami de sa folie et en plus, aidé par l’intelligence des profs (merci l’école des loisirs !), le motiver pour ses études…

 

ça s’est passé là

Ça s’est passé là
Emmanuel Bourdier

Thierry Magnier (Petit Poche), 2010

Nostalgie et HLM

par Sophie Genin

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13h30 : le bâtiment E de la cité Marcel-Pagnol est réduit en poussière. A partir de 13h23, dans la foule amassée contre les barrières protectrices, chacun se souvient, avec nostalgie souvent, avec ferveur toujours, de sa vie derrière les portes et les fenêtres de cet immeuble.

 Le texte, épuré, touche le lecteur, grâce à ce choix de la simplicité, sans aucun pathos : chaque personnage a un court chapitre et une minute pour prendre la parole. L’écriture est juste, sans fioritures. Elle laisse sur la langue le goût de la vie, à l’image de la petite Victoire, qui aura le dernier mot face à ce « feu d’artifice » qui met fin à une partie de son histoire.

Petits meurtres et menthe à l’eau

Petits meurtres et menthe à l’eau
Y Chartre
Rouergue (dacodac), 2010

Un été qui bascule

Par Anne-Marie Mercier

Petits meurtres.jpgDéfinition d’un été qui se présente mal : l’obligation d’aller passer les vacances seul avec son père et la nouvelle compagne de celui-ci, qu’on n’aime bien sûr pas, est déjà en soi une plaie. Que cela se passe à la montagne (alors que sa mère va à la plage…) alors qu’on n’aime pas la marche, dans un logement exigu, c’est une invitation à la fugue.

Définition d’une fausse bonne idée pour en sortir : répondre à une petite annonce qui propose un emploi apparemment simple, et espérer ainsi gagner assez d’argent pour réaliser ses rêves et avoir un bon prétexte pour échapper à la marche en montagne. La suite est pleine d’humour, dramatique d’un certain point de vue (celui de l’ado, qui n’a pas été à la hauteur de la confiance qu’on lui a accordée), pas trop grave d’un autre point de vue : ce « meurtre » n’est pas punissable, même s’il y a bien une mort…

Ce portrait d’ado sonne juste et est efficacement mis en scène : c’est lui qui raconte son été pourri, ses rêves, ses aigreurs. Sa difficulté à affronter le réel et à entrer en communication avec les autres est très visible. Son personnage est attachant, tout cela fait un petit volume qui aborde des questions difficiles avec légèreté.

 

Tsunami

Tsunami
Mickaël Ollivier
Thierry Magnier (Petit Poche), 2009

L’horreur quotidienne comme la peau sur le chocolat chaud matinal 

par Sophie Genin 


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La scène est simple, comme souvent les situations des courts romans de la collection « Petit Poche » de Thierry Magnier : un enfant peine à boire son chocolat chaud le matin car il y a de la peau ! Mais le propos, dense et compact, laisse le même (dé)goût que la peau que l’on se force à avaler quand même : par le biais de la radio, l’horreur quotidienne s’impose à l’esprit d’un jeune garçon, Damien, qui finit par être obnubilé par tout ça et même frôler la folie. 

Ce livre est un coup de poing à l’estomac ! Trop facile de laisser entrer dans la tête des enfants toute « l’actualité » et de les laisser, démunis, imaginer le monde de demain, forcément horrible. Reste la question, comme souvent dans cette collection, du destinataire qui doit réfléchir : enfant ou parent ? 

 

 

L’Ecole des fées, t.5 : Le défi de Twini

L’Ecole des fées, t.5 : Le défi de Twini
Titania Woods
 traduction (américain) par
Zerline Durandal
Gallimard

Guimauve en barre

Par Anne-Marie Mercier

twini.jpgCe serait comme si on lisait Harry Potter avec des lunettes roses et en enlevant tous les éléments masculins. L’amalgame est « intéressant »… Ajoutons une minuscule pincée de fantaisie supplémentaire : le pensionnat des micro-fées est situé dans un arbre (influence de Tobie Lollness ?), et le sport collectif pratiqué se fait en volant plutôt qu’en courant (sans balai !) et avec une puce (très excitée). Enfin, l’héroïne est super forte en tout, et justement dans ce sport.

Cette imitation de la série à succès est aussi une caricature (involontaire ?) de séries de romans pour filles dont on connaît également la fortune : cancans et sournoiseries à tous les étages, l’héroïne restant bien sûr au-dessus de tout, cela tant elle est généreuse et naïve, tandis que sa rivale est prête à tout pour la supplanter. Tout cela accompagné de niaiseries pseudo-scientifiques ni fantaisistes, ni poétiques, inutiles, voire nuisibles. Tout cela livré avec des dialogues indigents et des situations caricaturales et convenues. Et c’est le 5e volume, le 7e est déjà paru, on ne doute pas qu’avec des ressources pareilles cela aille jusqu’au 30ème.