Lou Pilouface – Le Dieu du Tonnerre

Lou Pilouface – Le Dieu du Tonnerre
François Place
Folio Cadet 2015

Aventures pour de rire en Amazonie

par Michel Driol

francois_place_lou5_couvertureC’est le 5ème tome des aventures  de Lou Pilouface. Cette fois, sa mère, Paméla Diva, donne la 100ème représentation de La fiancée du gondolier à l’Opéra de Manao. Oncle Boniface invite tout le monde à un grand repas, en présence de la directrice du musée, qui parle de la statuette du dieu du Tonnerre, Katakrak. Mais dans la nuit, ce dernier est volé. Dès le matin, oncle Boniface lance tout le monde à bord de son remorqueur Le Coriace à la poursuite du voleur, Gédéon le Brutal. On remonte le fleuve, on franchit des cascades, on découvre les pouvoirs de Katakrak, et de surprenants singes, les guillis oustitis. Finalement, on laissera Katakrak en haut de sa pyramide, et on rentrera avec la statue de la déesse… de la pluie !

Sous la forme classique d’un roman d’aventures exotiques  – narrateur externe, course poursuite, obstacles, tribus menaçantes, décor de temple en ruine, voici un roman complètement farfelu et humoristique. D’abord parce que les personnages sont humains dans le texte, mais animaux dans les dessins (chiens, chats, moutons, rhinocéros pour le méchant). Cette galerie de personnages au cœur tendre (Lou et son tonton – baby sitter) vit des aventures incroyables, dans un univers sauvage et magique, à l’aide d’adjuvants inattendus (le tabasco carburant pour remonter la chute d’eau).. Ensuite parce que l’’écriture est à la fois alerte, rapide et bon enfant, tant dans le récit – au ton souvent familier (excités comme des puces, il rigole à s’en faire mal aux côtes) que dans les dialogues, qui permettent de donner une voix à chacun (les jurons dignes du capitaine Haddock de l’oncle Boniface – Nom d’un casse-croute de piranha -,  le chuintement d’Aristide –chapitaine !). Enfin, parce que les tortures des guillis-ouistitis, comme leur nom l’indique, sont à base de chatouilles en apparence inoffensives.

Un roman d’aventures drôle, illustré par l’auteur, parodie des grands classiques du genre,  qui fera passer un bon moment aux jeunes lecteurs.

L’Ile au trésor

L’Ile au trésor
R. L. Stevenson
Traduit (anglais) par J. Papy
Gallimard jeunesse (Bibliothèque), 2014

Classiques « éternels »?

Par Anne-Marie Mercier

L’Ile au trésorGallimard jeunesse, au temps où le livre semble – à tort ou à raison – en passe de devenir un produit menacé et éphémère, a fait un beau projet, celui de proposer aux adolescents de grands textes à collectionner pour se monter une « bibliothèque », c’est le nom de cette collection. On y trouve Hemingwa, Gripari, Morpurgo, Dahl,

Le texte de Stevenson, traduit par Jacques Papy, est publié par Gallimard depuis 1974 en folio junior avec des illustrations de George Roux, mais a été présenté en 1994 sous forme d’album à couverture souple dans la collection « Chefs-d’œuvre Universels », avec des illustrations de François Place et des photos à usage documentaire (reprenant le principes de Gallimard découvertes). On retrouve François Place comme seul illustrateur, dans ce volume. Ses aquarelles sages évoquent les illustrations d’autrefois et intègrent dans le récit leurs touches de couleur et leur point de vue sur l’histoire..

Cette traduction de J. Papy, comme celle qu’il a faite d’Alice en tentant de rendre le texte plus accessible est un peu ancienne (une traduction s’use-t-elle ? la réponse est « oui », car le regard sur le texte set sur la traduction peut changer). Folio classique propose depuis 2000 une nouvelle traduction, de Marc Porée.

Infernal Léo, Tendre Max

Infernal Léo, Tendre Max
Irène Cohen-Janca
Editions du Rouergue (boomerang), 2015

Et si on avait plusieurs casquettes ?

Par Clara Adrados

infernal leoDeux petites histoires qui mettent en scène deux frères jumeaux, aussi semblables physiquement qu’aux caractères différents. Le livre est en double face : de chaque coté du livre, une histoire commence.

Max, sage, sérieux, calme… Il est toujours gentil avec ses amis, serviable avec les personnes âgées, poli et sérieux à l’école. Léo, lui, est infernal, il enchaîne bêtises sur bêtises. Tout, l’école, la boulangerie, la maison, tout est un terrain de jeux ! Sa caquette rouge fait peur à tout le monde ! Un jour, les deux frères décident d’échanger leur casquette … et d’échanger ainsi leur vie pour une journée ! Ils naviguent de surprises en surprises, et découvrent ainsi un tout autre monde.

La lecture en double face invite le lecteur à jouer avec l’objet-livre, a le retourner pour découvrir un autre frère, une autre vie. Chaque face, chaque couverture, présente l’un des deux personnages. Le jeu s’instaure sur la polysémie du mot « casquette », pris ici au sens propre (la casquette rouge de Léo et la casquette bleue de Max) mais que l’on peut aussi comprendre au sens figuré (la casquette du gentil et la casquette du casse-cou). Au-delà du jeu, le jeune lecteur est invité à voir que l’on peut « changer » de vie, qu’il est possible de sortir des cases dans lesquelles notre entourage nous cantonne.

Sous l’apparence stéréotypée des personnages et des événements, le ton des narrateurs ouvre les possibles. Max décide de changer de casquette après avoir surpris une discussion de ses parents à propos de son trop grand sérieux : il veut rassurer son père. C’est la volonté de satisfaire ce dernier qui est le moteur du changement. Léo, lui, est celui qui pousse à cet échange de casquette. C’est lui l’instigateur : rien de bien étonnant à cela puisque c’est lui qui imagine les bêtises. Son moteur : l’amour. Léo est amoureux de Charlotte, qui le trouve insupportable sous sa caquette rouge.

Les deux frères obéissent ainsi bien aux caractéristiques de leurs personnalités. Mais ils sortent des carcans attendus lorsqu’ils changent de casquette : ils apprennent à faire autrement et apprécient même quelques découvertes qu’ils font ! Un ouvrage ludique qui montre que l’on est jamais tout noir, tout blanc, et que c’est parfois agréable de réagir autrement que selon son habitude !

L’Héritière

L’Héritière
Melinda Salisbury
Traduit (anglais) par Emmanuelle Casse- Castric
Gallimard jeunesse (grand format), 2015

La fille de la mangeuse de péchés

Par Anne-Marie Mercier

Lheritiere_9429Après avoir fini ce roman, on se demande encore ce que signifie ce titre, « l’héritière ». Le titre original « The Sin eater’s daughter » (la fille de la mangeuse de péchés), est plus approprié, car somme toute c’est cet héritage qui sera peut-être le plus intéressant, davantage que le pseudo destin de princesse de l’héroïne de cette trilogie.

Au début de cette lecture, on ressent une certaine lassitude : encore une histoire de princesse, et encore une histoire d’amour où l’héroïne a du mal à choisir entre deux hommes… Mais passé cette inquiétude, on découvre des choses intéressantes : Twylla est destinée à épouser le prince héritier : la sœur de celui-ci, qu’il devait épouser selon la coutume, est morte ; on a découvert (on ne sait pas bien comment) alors qu’elle était encore une enfant que Twylla, fille de la mangeuse de péchés et destinée à prendre la suite de sa mère, était l’incarnation d’une divinité, et donc pouvait remplacer la défunte. Le prince est beau et attentionné, Twylla parfaitement soumise ; ombre au tableau : elle s’inquiète de sa jeune sœur dont elle est sans nouvelles et sui semble être son seul ancrage affectif.

Ce qui pourrait être une bluette avec quelques traits d’originalité se teinte dès les premières pages de cruauté : si Twylla touche qui que ce soit, il meurt instantanément. Elle est ainsi utilisée comme bourreau par la reine et tue les « traîtres », qu’on lui présente, au nombre desquels a figuré un enfant de son âge, son unique ami. Seule la famille royale est immunisée contre ce poison. La reine fait aussi disparaître ceux qui lui déplaisent en lâchant les chiens contre eux. Pourquoi tant de férocité ? Les royaumes environnants s ‘esquissent progressivement, l’un se posant en rival , un autre étant plongé dans une obscurité qui en fait une terre de légende inquiétante – on retrouve un peu de la géopolitique de Game of thrones. Enfin, la profession de la mère de Twylla nous montre des rites funéraires étranges, non dénués d’une certaine poésie macabre.

Le cadre étant posé, on s’impatiente tout de même un peu : l’action tarde à se mettre en place, il y a de nombreuses invraisemblances. Comme tout est vu par les yeux de l’héroïne qui n’est sortie de l’univers amer de sa mère que pour entrer dans le monde clos et mensonger de la reine, le discours est parfois assez niais : quand elle tombe amoureuse de son beau garde du corps, on a l’impression de retrouver les plus mauvaises pages de Twilight.

Mais, une fois parvenu aux deux tiers, le lecteur découvre qu’il a été piégé comme Twylla que tout n’est que manipulation et faux-semblants : son don, l’amour qu’elle croit partagé, la religion à laquelle elle s’accrochait, tout s’effondre ; sa sœur est morte, la reine est son ennemie, un monstre a été lâché dans le royaume et la guerre vient. C’est une trilogie : le meilleur est sans doute à venir…

On retrouve dans ce roman le problème de lecture que posent de nombreuses dystopies narrées à la première personne : le début du récit passant par le filtre d’un personnage jeune, naïf, désireux de s’intégrer au mieux dans le monde parfait qui semble être le sien et prêt à croire tout ce qu’il lui dit, on doit subir des clichés, des interrogations timides et des atermoiements fastidieux avant que le retournement advienne. Le style même change avec la maturation du personnage. C’était le cas de la trilogie d’Allie Condie (Promise, Insoumise, Conquise), et la couverture est aussi réussie dans ce cas (l’esthétique des trilogie de fantasy, y compris celle de Twilight) est assez remarquable.

 

Et vogue poulbot !

Et vogue poulbot !
Poèmes de Gaston Herbreteau, illustrations de David Roche
Soc & Foc

Paris est une fête

Par Michel Driol

etvogueOn aurait aimé lire et chroniquer cet ouvrage en d’autres temps, mais, quelques semaines après le 13 novembre, ce texte résonne sans doute différemment Voilà donc un recueil de poèmes, magnifiquement illustrés, qui se présente comme une déambulation dans le Paris populaire, qui commence par le « café au bar » » et qui se termine à une

Terrasse de café
lieu-cocon
seul parmi les autres
lire écrire
… le rêve !

Sur « Trois petites notes de musique », ces poèmes rendent  hommage au Paris populaire, au Paris des chansons. On croisera les figures de Brassens, de Mouloudji , mais aussi celles des hommes qu’ils ont évoqués,  bouquinistes, clowns, balayeurs, exclus et sans abris, tout en arpentant des lieux comme Montmartre, la rue Mouffetard, le pont des Arts, le canal Saint Martin, la Foire du Trône.  On y verra des objets et monuments emblématiques, fontaines Wallace, pyramide du Louvre, cadenas, zouave du Pont de l’Alma. Revient régulièrement le métro, comme lien ou trait d’union, et quelques animaux, chiens et chats… On pourrait se croire dans un Paris de carte postale, un Paris cliché, mais ce serait compter sans l’écriture et la portée – encore plus forte aujourd’hui – des valeurs de fraternité portées par cet hommage au Paris populaire et métissé.

Les textes alternent selon deux formes : formes très courtes, souvent 3 vers, souvent très proches, dans l’écriture et la notation de la sensation,  des haïkus :

Sortie de métro
il trimbale sa misère
sous ses oripeaux

Formes plus longues, qui évoquent – sans le pasticher – Prévert dans l’écriture par les reprises, les énumérations, et l’évocation du complexe, de la souffrance, du malheur, à travers des mots d’une simplicité totale :

Balayeur de rue
dans Paris perdu
sois ici cité
pense balayeur
pense en balayant
pense à ton passé….

Les illustrations – à base d’encre, d’aquarelle et de pastels, sont comme autant d’instantanés, pris sur le vif,  et, fort heureusement, ne cherchent pas à copier d’une manière ou d’une autre Poulbot. Si quelques-unes représentent les lieux, la majorité d’entre elles fait la part belle à l’humain : enfants, amoureux, garçons de café, musiciens des rues, vendeurs de marrons saisis en action…

Un livre hommage à une certaine conception de  Paris, qui repose autant sur la réalité que sur sa représentation dans la littérature et la chanson, signé par un poète vendéen et un illustrateur né en Corrèze. Une sorte de Paris éternel… Fluctuat nec mergitur.

En hommage à toutes les victimes du 13 novembre

 

Le lutin du cabinet noir

Le Lutin du cabinet noir
Jean-François Chabas
l’école des loisirs (neuf), 2015

Sombre féérie

par Anne-Marie Mercier

CouvgabaritneufJean-François Chabas propose un récit drolatique plein de rebondissements qui fera frémir les jeunes lecteurs et qui montre à nouveau que, vraiment, on ne peut pas faire confiance aux adultes pour prendre au sérieux les mystères et les terreurs enfantines.
La famille d’Edgar vient d’emménager dans une maison hantée : dans un cagibi (clin d’œil à Gripari?), où ils enferment le narrateur trop turbulent, se trouve un lutin. Ce qui pourrait bifurquer vers une histoire assez convenue se développe en un récit pleine de rebondissements. Ce lutin s’avère être un monstre affreux qui menace l’humanité tout entière après avoir sérieusement terrorisé le jeune Edgar, d’abord ravi de cette aventure. Une petite merveille d’humour assez noir.

Les billes font la course

Les billes font la course
Frédérique Bertrand Michaël Leblond
Rouergue 2015

A toute vitesse !

Par Michel Driol

les-billes-font-la-course-454x600Dans la série « Le monde en Pyjamarama », voici un nouvel ouvrage. Pour celles et ceux qui ne connaitraient pas la série, il s’agit de livres-animés par une vieille technique, l’ombro cinéma. En déplaçant une trame sur une image, on créé l’illusion du mouvement, par effet stroboscopique.

C’est à une parodie de course automobile que nous assistons, dans laquelle les voitures sont remplacées par des billes, rouges et bleues. Tout y est : garage, starter avec son revolver, contrôleurs avec leurs drapeaux, spectateurs, mécaniciens, engins de dépannage et de chantier, suspense et fin inattendue…  Course animée de rebondissements : les lacets emmêlent les billes, le circuit doit être réparé, les rouges doivent passer au stand pour refaire le plein avant de quitter le circuit, laissant la victoire aux bleues. Quant aux rouges, une pirouette langagière finale les fait disparaitre « dans le décor ».

Le texte, saturé de marques d’oralité, reprend les clichés des commentateurs sportifs : les répétitions « Ça roule…ça roule… ça roule », les exclamations (« Oh là ! »), les hypothèses (« On dirait que… ») et l’adresse finale au auditeurs (« Et ce sont, chers amis… »). Il est de surcroit truffé d’onomatopées, qui souvent font partie de l’image (Vroum, tap tap, bing…).

Le graphisme, simple et stylisé, dans les dominantes de rouge et de bleu est expressif et rempli de petits détails (attitudes des spectateurs, piles électriques pour représenter le plein d’énergie…), et nous emmène dans un décor à la fois campagnard et urbain.

Les billes sur le circuit sont, bien sûr, l’élément principal, personnages muets qui prennent vie sous les doigts du lecteur qui les anime en glissant la trame sur l’image.

Un livre magique et plein d’humour, qui montre que l’animation n’est pas réservée au cinéma.

Les Filouttinen – Tome 1

Les Filouttinen – Tome 1
Siri Kolu
Didier Jeunesse 2013

Road-movie finlandais déjanté

par Michel Driol

filouA 10 ans, Liisa se fait kidnapper par la famille Filouttinen.  Une famille de bandits de grands chemins haute en couleurs, composée du père, Kaarlo-le-Rude, de la mère Hilda, des enfants Erik et  Helen et du meilleur ami  Marko-les-Crocs.  Mais ces bandits ne veulent pas d’argent, seuls les bonbons les intéressent, ainsi que quelques objets, comme les poupées Barbie. L’attaque des voitures répond à un scénario parfaitement réglé, et Liiza comprend vite qu’elle va passer de bien meilleures vacances avec eux qu’avec ses parents, trop rangés ! On découvre la vie des bandits,  leur morale, leurs jeux – truqués- pour faire gagner le père. Liiza, par son intelligence, leur permet de réussir quelques coups. On découvre aussi la Fête des bandits, ainsi que la sœur de Kaarlo, qui écrit des romans à l’eau de rose. A la fin de l’été, un ordre nouveau se rétablit, Liiza retourne chez elle, mais les Filouttinen abandonnent pour partie leur vie aventureuse pour permettre à Erik d’aller à l’école, son plus vif souhait.

Voilà un roman jubilatoire et engagé. Jubilatoire par sa façon de poser une contresociété, avec ses règles, ses codes, et sa façon de vivre en marge, avec comme valeur principale la satisfaction des besoins élémentaires et le plaisir de manger (petit-déjeuner gargantuesque, vols de bonbons dans les vidéoclubs…). Le vol est, pour ces bandits, la seule façon d’obtenir quelque chose, alors qu’ils détiennent une fortune dont ils ne savent pas que faire. Cela vaut quelques scènes désopilantes, comme celle où Liiza essaie de leur apprendre à faire les courses normalement au supermarché. Mais ce roman témoigne aussi d’un certain engagement  et d’une critique sociale : Kaarlo et Marko étaient ouvriers dans la meilleure usine automobile du pays, qui a été délocalisée…, et cette façon de vivre et de s’approprier les choses a quelque chose d’anarchiste, évoquant – sans la théoriser – la récupération individuelle.

La jubilation vient aussi du style de l’auteur : nombreux dialogues,  réflexions de l’héroïne-narratrice qui fait ses listes, note des préceptes sur un petit carnet, mettant un semblant d’ordre dans le joyeux désordre des bandits. Les personnages se révèlent petit à petit, attachants, avec leur côté humain sous le masque du bandit. Enfin, c’est la Finlande, ses lacs, ses chalets, ses forêts qui sert de décor à ce road-movie estival., et qui apporte une sorte d’humour à froid des pays nordiques.

En Europe, de nombreux prix ont récompensé cet ouvrage : ce n’est pas volé !

Le Petit Poucet

Le Petit Poucet
Thisou d’Artois
Rouergue, 2015

Broder sur les contes

par Anne-Marie Mercier

Petit Poucet_ThisouL’histoire du Petit Poucet n’en finit pas d’inspirer les auteurs et des illustrateurs. La mode du méli-mélo de contes ne s’épuise pas. Pourtant, ce petit album parvient à étonner.

Les illustrations reproduisent l’image d’un tissu blanc sur lequel sont brodés des arbres, une maison, des personnages, des animaux. Parfois le fond devient noir (c’est quand on rencontre le loup…). Ce procédé permet de montrer à nouveau une même scène, inversée : retournant le tissu, on voit le chemin se dérouler dans l’autre sens, les figures sauvages et brouillonnes se discipliner, ce qui est caché se révéler: l’apparition des trois ours après le dénouement est une belle surprise.

Tout un art, qui en réunit plusieurs : celui de la narration, celui de la broderie, tantôt effectuée à grand traits, tantôt soignée, celui de l’entrelacs, qu’il soit de textes ou de fils.

Janis est folle

Janis est folle
Olivier Ka
Editions du Rouergue,2015

Ah, oui, quand même…

par Christine Moulin

liv-8572couv_m-janis-est-folleLe thème de la folie, nous l’avions déjà remarqué, sans être totalement absent de la littérature de jeunesse, n’y est pas souvent traité, du moins sur un registre autre qu’euphémique. Ici, il l’est, avec une violence inouïe : bipolaire, Janis, la mère du narrateur, Titouan, un adolescent de quinze ans, l’entraîne dans une errance qui va crescendo tout au long du roman. Jamais ces deux êtres, abîmés, traqués, unis par un lien indestructible et mortellement fusionnel, ne s’arrêtent : de mobil-homes en campings, vivant de vols et d’expédients, à bord d’une Volvo cocon, ils fuient… De lourds secrets semblent peser sur Janis. Certaines scènes, lumineuses, ne font que rendre encore plus sombre, par contraste, la fatalité qui accable Titouan et Janis : la scène où ils regardent les étoiles, au sommet d’un phare; la découverte de l’amour auprès de Fleur, une adolescente qu’il a fallu quitter très vite, trop vite; les moments, nombreux, où Titouan, protège sa mère, envers et contre tout, envers et contre elle-même, révélant pour elle un amour immense, insensé.

Vers la moitié du roman, les deux héros se rapprochent dangereusement de l’origine du mal qui a fait dérailler Janis: le chalet de la mère de celle-ci, où elle vit avec son autre fille, Marianne. On croit que les révélations sont proches mais elles ne seront que partielles car le mensonge et le silence ont rongé la famille de Janis.  Le narrateur bascule alors lui aussi : il cherche à rejoindre sa mère dans ce qu’il appelle son monde parallèle. Le road movie effréné reprend et connaîtra la seule issue possible, celle que l’on pressent quand on se laisse porter par cette course chaotique. Heureusement qu’il y a l’épilogue…

On parle souvent de roman « coup de poing ». Métaphore un peu facile mais qui, dans ce cas précis, reprend toute sa force: même si ce livre est une très belle histoire d’amour, même si on ne peut lui reprocher d’éviter la facilité qui consiste à présenter la « folie » sous un jour acceptable, souriant, il bouleverse et dérange. Peut-être parce qu’il confirme l’impression que l’on peut avoir quelquefois en lisant les romans pour ados: la faillite des adultes est totale et les rôles constamment inversés. Au point qu’on en vient à se demander, comme souvent : littérature de jeunesse? pour la jeunesse? De quelle culpabilité est-elle le nom?