La petite Glaneuse de sons

La petite Glaneuse de sons
Benoît Bories – voix : Elodie Vincent – Illustrations Iris Durand
Trois Petits Points 2024

Sounds or Silence ?

Par Michel Driol

Irma habite à la montagne avec son grand père Nonno. Sa passion : collecter et enregistrer de nouveaux sons, oiseaux, torrent, pas dans la neige… Avec ces sons, Nonno fabrique des automassons. Derrière ce mot valise se cachent d’ingénieux dispositifs capables de reproduire les sons de la nature. L’arrivée de Monsieur Industrior et de ses machines destinées à creuser des trous dans la montagne fait taire tous ces sons, pour laisser la place à un bruit blanc que rien ne peut vaincre. C’est compter sans l’ingéniosité de Nonno qui fait fabriquer par les habitants du village une trompe géante capable d’amplifier les automassons et d’entrer en résonnance avec les machines de Monsieur Industrior pour les détruire.

Une fable écologique et politique pour les petites oreilles, annonce le sous-titre de ce nouvel opus sonore des Editions Trois Petits Points. C’est bien de cela qu’i s’agit, on l’aura compris en lisant le résumé, mais avec un angle original qui est bien lié à la spécificité de cette maison d’édition lyonnaise. La diversité dont il est question ici est celle des sons de la nature, que cette histoire invite à écouter avec attention, qu’elle donne à entendre en particulier dans les premiers chapitres. Quant au monde industriel, destructeur de l’environnement, il est incarné aussi bien par les bruits des engins de chantier que par le bruit blanc – négation de la diversité, de la variété. C’est une belle partition musicale à trois éléments que cet opus donne à entendre : les sons et bruits divers, la voix calme et douce de la narratrice, et la musique concrète très contemporaine, expressive, qui lie le tout. Par là il s’agit autant de s’adresser à la sensibilité de l’auditeur qu’à son imaginaire en lui proposant des sons – et non des images – avec une grande force d’évocation. Cette proposition poétique dessine un  paysage sonore dont les éléments sont l’écologie sonore et la musique acousmatique. Faut-il voir dans le nom du grand père, Nonno, une allusion à Luigi Nono, et à une musique au service d’un engagement politique ?

La défense de la nature, la résistance à sa destruction ont de nombreux visages. Ce récit sonore nous invite à écouter, tant qu’il en est encore temps, les sons de la nature, apaisants, et montre avec originalité comment ils peuvent donner lieu à une (re)création artistique. A auditionner les yeux fermés certes, mais pour garder les yeux ouverts sur le monde qui nous entoure…

La Promenade du chat

La Promenade du chat
Sara Lundberg
Traduit (suédois) par Jean-Baptiste Coursaud
Seuil jeunesse, 2023

Qui est le maitre ?

Par Anne-Marie Mercier

Il est rare qu’un chat soit emmené en promenade à pied par son maitre, sans laisse qui plus est. Le narrateur a l’habitude de sortir ainsi avec le sien, un parcours décidé par le maître, habituel, rituel, sans surprise. C’est beau, cependant, grâce au talent de coloriste de l’auteure, son art pour créer des volumes urbains à partir d’à-plats et d’effets de superpositions et de transparences.
Un jour, à la suite d’un petit conflit, le chat décide que c’est à lui de prendre l’initiative. Les étapes de ce débat sont attendrissantes et drôles, mouvementées. À l’issue de cette négociation c’est l’animal qui fait découvrir au narrateur la vie sauvage proche de la ville et la beauté du monde et lui enseigne pour cela le lâcher-prise. Perdant ses repères, et même son équilibre, il se met à la merci du chat et finit par découvrir ce qu’il n’avait jamais vu jusque-là : l’immensité du ciel étoilé.
C’est une belle relation, de beaux dialogues (le chat parle, bien sûr) et de magnifiques images, dans un album qui prend le temps de nous emmener à aventure vers la beauté.

 

 

 

C’est grand comment l’amour ?

C’est grand comment l’amour ?
Zeno Sworder
Traduit (anglais, Australie) par Céline Delavaux
Seuil jeunesse, 2023

Hymne à l’amour parental

Par Anne-Marie Mercier

À la question du titre, l’album répond de manière assez conventionnelle : l’amour, ici celui des parents pour leur enfant, est infini. Mais la manière de traiter le sujet est originale, aussi bien par le texte que par les images qui le prennent au pied de la lettre. Le titre original résume mieux l’intrigue qui soutient cette question : « My Strange shrinking parents ».
Au centre de l’histoire, il y a la notion d’un écart entre la pauvreté financière et la richesse de l’amour. Pour illustrer cela, l’auteur-illustrateur utilise une métaphore : les parents de l’enfant rétrécissent au fur et à mesure qu’il grandit, afin de pouvoir satisfaire ses besoins. Ils donnent un peu de leur taille au boulanger pour le gâteau d’anniversaire, au directeur d’école (huit centimètres par an), etc., ce qui les amène progressivement à une taille minuscule. Claude Ponti avait déjà utilisé ce procédé pour illustrer la vie difficile de certains parents (Schmélele ou l’Eugénie des larmes), usés par le travail au point de rétrécir puis disparaitre.
Les images montrent ce processus, lent d’abord, puis de plus en plus visible, de manière adoucie. L’estompage des couleurs, les points de vue variés, le rythme qui mêle petites vignettes carrées et grandes doubles pages, séparant ainsi étapes principales et répétition du même processus, la beauté du dessin et des personnages, toujours souriants ou presque, illustre leur courage et leur stoïcisme. L’attention aux objets, aux décors et la présence de la nature en toutes saisons en font aussi un bel espace de contemplation. L’auteur rend hommage à ses modèles : Hokusai et Hiroshige, Oscar Wilde, Sheil Silverstein [L’Arbre généreux] et Stan Sakai [Usagi Yojimbo ]  : « au cours de ma vie, leurs images et leurs mots m’ont aidé à me perdre et à me retrouver » – on aimerait ajouter Chris van Allsburg.
Le ton de la narration est tendre, parfois amusé : il y a des avantages à avoir des parents petits ; quand ils sont vieux on peut les installer dans une maison de poupée. Mais il est parfois cruel ; l’enfant est moqué par ses camarades et pour cela, sa mère doit lui répéter qu’ils sont comme les autres parents, que leur amour est tout aussi grand.
Cet album est un superbe hommage aux parents immigrés qui prennent tous les risques et sont prêts à tous les sacrifices pour faire vivre leur enfant dans un monde où il pourra grandir et étudier. Les pages de garde présentant des modèles de théières issus de différentes cultures comme le texte final ouvrent la perspective à tous les immigrés, de tous les continents. C’est aussi un beau regard sur la vie de ces enfants incarnés par le narrateur et l’évolution des rapports familiaux. Et surtout c’est un superbe album, par son texte et par ses images aussi bien que par l’interaction entre les deux éléments.

 

 

 

 

La Petite Musaraigne

La Petite Musaraigne
Akiko Miyakoshi
Traduit (japonais) par Nadia Porcar
Syros, 2023

Une Vie simple

Par Anne-Marie Mercier

En trois chapitres, nous découvrons la vie de la petite musaraigne. Son quotidien, avec le réveil à 6 heures, le trajet en train et à pied jusqu’au bureau où elle travaille avec des collègues humains. L’un d’eux, un peu moins bien organisés qu’elle, déjeune en bavardant avec elle. A 5 heures, elle rentre chez elle, fait quelques courses, écoute la radio joue avec son Rubik’s cube et s’endort. On trouve un tout petit plus de fantaisie dans les chapitres suivants, avec ses rêves de pays lointains, son rendez-vous annuel avec des amis.

Perfection des petits moments, attention aux choses, émerveillement devant la vie… les dessins sont charmants, avec un petit animal qui vit dans un appartement meublé à son échelle, des couleurs et ombres estompées, aquarelles, fusain ou pastel gras.
On trouve une tonalité passible qui fait un peu penser à Hulul de Arnold Lebel, mais ce serait un Hulul plus inséré dans le réel, moins fantaisiste.

 

(pas encore) une histoire de licorne

(pas encore) une histoire de licorne
Christine Roussey
La Martinière jeunesse, 2024

Anti-poison ou indigestion ?

Par Anne-marie Mercier

Dans cet album qui navigue entre facétie et soumission aux modes, on trouve tous les clichés liés à la licorne : le rose fluo, les paillettes, la magie dégoulinante, les bons sentiments, le manichéisme simplet… même ses crottes sont roses, et quand elle a vaincu le Mal, incarné par l’hirsute Nestor, le cœur de celui-ci se transforme en chamallow.
Mais tous ces éléments sont donnés avec réticence, comme l’indique le titre et la dernière double page, après le mot « Fin », tourne le dos à cet optimisme béat : non, l’idée que « ce monde merveilleux existe en chacun de nous si nous voulons bien y croire » est un gros mensonge, comme ces histoires de caca rose fluo.
Les dessins crayonnés sur fonds blancs, volontairement naïfs et maladroits, en rajoutent encore dans l’excès : tout sourit, tout fleurit, en dehors de l’intermède Nestor, et l’on hésite entre amusement et perplexité. Pourquoi les enfants aiment-ils les licornes au point de gober les pires niaiseries (même pas belles) ? Cet album en forme de pastiche a le mérite d’attirer les amatrices et amateurs (rares) de licorne à réfléchir, peut-être. Et s’ils ne réfléchissent pas, il se seront régalés d’un récit flattant leur goût. Malin, non ?
L’éditeur indique de son côté que « c’est un album tendre et drôle, pour apprendre aux enfants à cultiver leur source de joie et à chasser les petits chagrins du quotidien », je n’ai pas lu la même chose, on dirait.

C’est l’histoire d’un éléphant

C’est l’histoire d’un éléphant
Agnès de Lestrade, Guillaume Plantevin
Sarbacane (Sarbabb), (2012) 2024

 

Par Anne-Marie Mercier

Les éditions Sarbacane, dans leur collection Sarbabb, rééditent certains de leurs titres. Celui-ci, paru en 2012 revient dans le même petit format adapté pour les tout-petits, en version carrée et cartonnée aux coins arrondis.
L’éléphant dont il s’agit ressemble furieusement, sur la couverture, au colonel Hati du Livre de la Jungle adapté par Disney : son air grognon est justifié ici par le fait qu’il a mal dormi à cause d’une chauve-souris bruyante. Il tente de passer sa mauvaise humeur sur le premier qu’il rencontre, lequel se vengera sur le suivant, etc. Chaque épisode commence par la formule « c’est l’histoire de… », soulignant l’aspect de randonnée, et la dernière nous ramène à la première : la souris raconte à la chauve-souris comment elle a fait peur à l’éléphant, la chauve-souris rit bruyamment avec elle, et il suffit de revenir à la première page pour boucler la boucle.
Le texte, qui enchaine et répète les épisodes en alignant les propositions relatives, utilise des termes qui feront rire les enfants par leurs sonorités (riquiqui, popotin, mouflet), et les images, très expressives et superbement colorées participent au piment de l’ensemble. Les yeux des animaux courroucés et le rire de la chauve-souris sont parfaits, un régal !

Le Creux de ma main

Le Creux de ma main
Laetitia Bourget, Alice Gravier
Sarbacane (Sarbabb), 2024

Expériences sensibles

Par Anne-Marie Mercier

Les éditions Sarbacane publient une collection pour les plus petit, nommée « Sarbabb ». Ses petits albums, carrés et cartonnés proposent aux tout petits des expériences sensibles à leur portée ou des histoires aux thèmes et aux rythmes adaptés.
« Dans le creux de ma main j’ai recueilli… » L’album énumère ce qu’un enfant peut saisir ou plutôt accueillir dans sa main : un flocon de neige, un oiseau blessé, un têtard, de l’eau, une luciole, un coquillage, de la farine…, toutes choses légères et délicates, jusqu’au bébé nouveau-né de la dernière page. Chaque chose apporte une connaissance : le temps qui passe, la croissance des plantes et des animaux, le savoir-faire de la pâtissière, le début d’une collection…
À chaque page de gauche, montrant sur fond blanc la fillette en action, correspond, à droite, l’animal enfui, le flocon fondu, la collection…, dans une image à fond perdu remplie de couleurs et de formes, jusqu’à la dernière double page qui présente une seule image, réunissant la fillette et le bébé. L’enfant qui tient ce livre est lui-même invité à se saisir de ces formes et de ces expériences.

La Nuit au manoir

La Nuit au manoir
Camille von Rosenschild, Marion Sonet
La Martinière jeunesse (« Les histoires à 3 vitesses »), 2023

Fais-moi peur (mais pas trop)

Par Anne-Marie Mercier

Le principe de la collection des « histoires à 3 vitesses » est intéressant quoique sans doute guidé en partie par des préoccupations mercantiles : le texte de chaque page est réparti en trois zones, avec trois typographies de tailles différentes, ce qui fait que le lecteur (l’adulte qui raconte cette histoire avant le coucher, sans doute) a le choix de passer plus ou moins de temps à lire.
Le problème est que, pour moi, les textes supplémentaires ont peu d’intérêt, cadrent mal avec l’atmosphère générale, et sont même un peu bavards, ce qui est un comble dans un récit supposé maintenir un certain suspense. Très vite on s’en tient à la première version, la courte, pour éviter de gâcher le plaisir qui reste.
Avec cette version, l’histoire, bien qu’assez banale, joue  efficacement son rôle. On suit les trois enfants dans leur exploration du château abandonné, on frémit avec eux en suivant les commentaires de la narratrice – et encore une fois en évitant ses bavardages excessivement enfantins (c’est la plus jeune des trois, la fille…) –, on admire les belles couleurs de nuit des images et on se réjouit de la chute.

Milo s’imagine le monde

Milo s’imagine le monde
Matt de la Pena, Christian Robinson (ill.)
Traduit (anglais, Canada) par Christiane Duchesne
D’Eux, 2023

De trompeuses apparences

Par Laure-Hélène Davoine  

Le format à l’italienne de ce bel album figure tour à tour l’intérieur d’une rame de métro et l’intérieur du carnet à dessin d’un petit garçon, qui est dans ce métro. Ce petit garçon est assis avec sa sœur.
On sait qu’ils prennent ce métro un dimanche par mois mais on ne connaîtra la destination finale qu’à la fin de l’album. Le trajet dure longtemps et le petit garçon cherche à passer le temps, en observant les gens autour de lui, en imaginant leurs vies et en les dessinant. Dans le livre, d’ailleurs, deux types de dessins s’intercalent : les dessins des auteurs et les dessins de Milo.
Il imagine beaucoup de choses, Milo. Il lui suffit d’observer quelqu’un pour imaginer sa vie, sa maison, son statut social, imaginer ce qu’il va faire à la sortie du métro. Un regard sur son voisin et il l’imagine seul dans un appartement sale, infesté de rats. Un regard sur un petit garçon bien propre sur lui et il l’imagine, châtelain, roulant en carrosse et entouré de domestiques. Mais quand il se rend compte que le petit garçon se rend exactement au même endroit que lui, qu’il va, lui aussi, visiter une personne en prison, Milo comprend qu’il s’est peut-être complètement trompé dans ses élucubrations : « Peut-être qu’on ne peut pas connaître vraiment quelqu’un juste à regarder son visage ».
La dernière image de l’album est le dessin que Milo donne à sa maman emprisonnée : un beau dessin en double page qui les représentent tous les trois, sa sœur, sa mère et lui, mangeant une glace sur les marches devant leur maison, une vision idyllique qui leur permettra de se projeter dans un avenir plus heureux, affirmant le triomphe de l’art sur la réalité.

Drôle de ménage

Drôle de ménage
Jean Cocteau (1948)
Grasset jeunesse, 2023

Traité d’éducation (terrible) à la Cocteau

Par Anne-Marie Mercier

Grasset jeunesse poursuit son entreprise de réédition d’ouvrages ayant marqué l’histoire de la littérature de jeunesse. Cet album de 1948 est pour moi une belle surprise : on y trouve les dessins subtils et parfois désinvoltes de Cocteau, son attitude indépendante et son humour.
Monsieur Soleil et Madame Lune se marient et ont beaucoup d’enfants. Ils mènent une belle vie, font la fête, séparément bien sûr, et négligent leurs enfants. Un jour, ces « parents terribles » ont l’idée de faire éduquer ceux-ci et les confient à des chiens.
Dans un premier temps, les chiens sont des maitres conventionnels et exigeants. Mais ils se lassent, comme leurs élèves, et décident de faire tout autrement : ils apprennent aux enfants ce que leurs maitres leur ont appris (faire le beau, rapporter la ba-balle, etc.) ou ce qu’ils savent faire instinctivement (tuer les poules, faire les poubelles…) et ils les maltraitent aussi un peu, comme leurs maitres les maltraitent parfois. Y aurait-il une critique des méthodes éducatives du temps, ou de tous les temps? À la fin, tout fini bien, les parents découvrent le désastre et confient leurs enfants aux étoiles qui sont très sages, un peu trop). Entretemps, on se sera bien amusé de ces caricatures d’éducation.
La préface de Cocteau, qui invite les enfants à ne pas perdre trop vite leur esprit d’enfance et à veiller à ce que leurs parents retrouvent le leur, s’ils l’ont perdu, est un beau plaidoyer pour la lecture conjointe : lisez ensemble, apprenez à lire aux parents, dit-il.
Enfin, si les couleurs de ce livre (bel objet sur beau papier) leur déplaisent ils peuvent colorier eux-mêmes : les enfants (terribles) au pouvoir !